Ange, Ernst Lubitsch (1937)

Note : 4.5 sur 5.

Ange

Titre original : Angel

Année : 1937

Réalisation : Ernst Lubitsch

Avec : Marlene Dietrich, Herbert Marshall, Melvyn Douglas

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L’avantage d’être né il y a bientôt un demi-siècle, c’est que quand on voit un chef-d’œuvre que l’on a mis si longtemps à voir, c’est un peu alors comme retrouver ce plaisir du temps des grandes insouciances et que l’on enfilait les grands films toutes les semaines… Le désavantage, c’est que beaucoup parfois semblent bien plus blasés que vous et pourraient tout aussi bien vous dire : « Gnagnagna, ce n’est pas tant que ça un chef-d’œuvre ».

Et pourtant, je retrouve beaucoup des éléments qui me plaisent dans un film, surtout dans un film de l’âge d’or d’Hollywood. Pour faire simple : c’est du théâtre. On vante souvent la Lubitsch touch, en réalité, il y aurait fort à parier que cet humour subtil, différent de sa petite sœur à la mode versant sur la screwball, soit en fait emprunté au dramaturge hongrois qu’il a adapté plusieurs fois à l’écran : Melchior Lengyel. Lubitsch adaptera un autre Hongrois avec The Shop Around the Corner et avait commencé sa carrière dans le cinéma parlant en réalisant des adaptations d’un autre Hongrois, Ernest Vajda, auteur non exclusif notamment de ses succès avec Maurice Chevalier. C’est dire si l’Allemand se retrouvait dans cette touche d’humour manifestement hongrois.

L’humour traverse le film subtilement donc. Pas de farce comme au temps d’Ossi Oswalda. Mais des situations inattendues, un triangle amoureux des plus classiques et des dialogues délicieux pleins d’esprit. Point question ici de vaudeville (qui inspirera surtout la screwball), et le film tire même sur le drame (pas comme au temps de Pola Negri).

Tout cela est surtout l’occasion pour Lubitsch d’organiser une mise en scène d’une simplicité stupéfiante. Des plans rapprochés, des champs-contrechamps, pour se concentrer sur l’essentiel : la situation, les acteurs et… les décors.

C’est bien du théâtre.

Et puisque Lubitsch met ses acteurs au-dessus du reste, parlons-en. Deux ans avant Ninotchka, Melvyn Douglas, avec sa distinction toute britannique, est parfait en gentleman rapidement éconduit par cet « ange » qui passe et disparaît. Les deux Berlinois que sont Marlene Dietrich et Ernst Lubitsch ne collaboreront que sur ce film, chose bien malheureuse. Je ne suis pas le plus grand fan de l’actrice, mais Lubitsch l’utilise ici parfaitement à son avantage : distance adéquate, pas de chichis superflus, et des robes qui scintillent sous les projecteurs. Pile-poil ce qu’il faut de glamour.


Ange, Ernst Lubitsch, 1937, Angel | Paramount Pictures


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Mon mari le patron, Gregory La Cava (1935)

Business aveugle

Note : 3.5 sur 5.

Mon mari le patron

Titre original : She Married Her Boss

Année : 1935

Réalisation : Gregory La Cava

Avec : Claudette Colbert, Melvyn Douglas, Michael Bartlett, Raymond Walburn, Jean Dixon, Katharine Alexander

L’avantage avec le cinéma parlant, c’est qu’on avait tout plein d’histoires prêtes à l’emploi, écrites depuis des années pour Broadway, qui n’attendaient plus qu’à être produites à peu de frais en pleine Grande Dépression. Toutes les années 30 ont profité de ce matériel. Bien sûr, ici, pour me contredire, le film a bénéficié d’un scénario original écrit par un spécialiste du genre, Sidney Buchman (bientôt crédité pour Horizons perdus, Cette sacrée vérité, Vacances et Monsieur Smith au Sénat, excusez du peu), adapté lui-même d’une histoire de Thyra Samter Winslow.

Si tout ce qui brille ne vient donc pas forcément de Broadway, ce qui est sûr, c’est qu’un type de films s’impose rapidement au sein des studios : la comédie basée sur les dialogues et tournée dans un minimum de décors. Là encore, beaucoup d’exception pour confirmer la règle générale : le genre ne manquera pas d’innover pour se démarquer des productions faciles, aussi, en « allant sur le terrain ». Ce qu’on appelle, semble-t-il, très tôt la screwball comedy revient donc plus volontiers poser ses valises sur la côte est d’où elle tire le gros de son inspiration, retardant ainsi le mouvement qui depuis les années 10 faisait de la Californie le nouveau terrain de jeu favori des studios. Un des tournants dans ce domaine est sans doute New York – Miami : on reste sur la côte est, mais on plante déjà un peu les graines des codes futurs en sortant des décors limités intérieurs pour un large choix de « locations » dicté par les impératifs d’un genre que la comédie assimile pour l’occasion : le road movie. (Il y a aussi de nombreuses variations muettes de comédies burlesques basées sur le voyage, et le road movie comique deviendra un genre en soi à Hollywood, jusqu’à Thelma et Louise ou Rain Man…)

On n’en est pas encore tout à fait là puisque si avec Mon mari le patron la screwball allie beaucoup des stéréotypes du genre, il est encore beaucoup question de décors en studio et d’intérieurs limités. Peu de « screwball », mais beaucoup de dialogues et (comme le titre du film l’indique assez bien) une romance, forcément contrariée, entre un homme et une femme que tout oppose. Une caractéristique du genre puisqu’en guise de séduction, les couples en passent plus volontiers par les chamailleries. Autre caractéristique : la mise en relief, cocasse ou non, entre les différentes classes sociales à l’heure de la crise (un aspect prétendument social très — trop — marqué par exemple dans Les Voyages de Sullivan ou dans Godfrey). Le film est bien moins connu que d’autres opus du genre (parfois du même La Cava : toujours Godfrey sera tourné l’année suivante ou Pension d’artistes encore l’année suivante) alors qu’il est servi par deux acteurs que le public de connaisseurs a appris à apprécier dans quelques-uns de leurs chefs-d’œuvre : Claudette Colbert (la reine du genre, pourrait-on presque dire) et Melvyn Douglas. (Le film est toutefois cité dans les deux bibles référençant les films du genre que j’ai partagés dans cette liste.)

Les deux acteurs sont parfaits. La simplicité de Melvyn Douglas tranche assurément avec la manière de jouer de l’époque — pas étonnant avec un jeu si moderne et si simple qu’il ait eu une carrière s’étirant sur plusieurs décennies. Le reste de la distribution est épatant, et la précision de La Cava à les diriger se remarque à travers les mimiques et les attitudes comiques qu’ils déploient sans jamais tomber dans l’excès ou la répétition : juste ce qu’il faut pour apporter comme dans une symphonie la note juste au moment opportun. La gamine, celle qui joue sa tante et l’habitué des seconds rôles, Raymond Walburn, sont tous formidables à sans cesse donner au public de quoi les amuser. Ce cinéma sobrement burlesque ne tient pas seulement de Broadway, mais aussi bien du slapstick (voire de la pantomime, car à l’image du jeu de la tante, on use beaucoup plus de jeux d’attitude, de réactions, de lazzi que du coup de bâton ou de la tarte à la crème) comme seul Hollywood pouvait en proposer dans les deux décennies qui précèdent.

Si le film jouit d’une moindre renommée que d’autres screwball comedies de la même époque, c’est donc moins le fait de la direction ou des acteurs que d’un scénario encore perfectible (cela a son avantage de céder à la facilité de l’adaptation d’une comédie éprouvée à Broadway). L’idée d’opposer monde du travail et monde domestique est parfaite, mais elle oblige à trouver un équilibre que le film ne rencontrera jamais. Pour permettre une montée en tension jusqu’à un dernier acte censé réunir tous les éléments qui précèdent dans un dénouement gentiment paroxysmique, il faut encore pouvoir ne pas s’éparpiller et ne pas laisser en route des éléments auxquels le spectateur tient. La petite virée en auto des deux pochetrons suivis de madame m’a ainsi paru un bien triste accomplissement. Les trois donnent l’impression d’être partis en vacances en laissant la tante et la gamine derrière eux. Les allers-retours avec l’amie et le bellâtre ne me semblent pas beaucoup plus indispensables : leurs rôles sont utilitaires et aucune réelle amitié ou complicité ne se nouent entre eux et le personnage de Claudette Colbert. On a par ailleurs du mal à croire en cet amour : une confidence dans un restaurant, c’est un peu sec comme manière d’aborder les sentiments. Il aurait peut-être été préférable de montrer les conséquences de cet amour contrarié et ce que la secrétaire aurait pu faire pour attirer le regard de son patron. C’est seulement dans l’acte suivant qu’un jeu de séduction et de quiproquos se met en place et qu’on entre véritablement dans la comédie et le joli n’importe quoi (la screwball donc).

Le premier acte ne s’est pas toutefois montré si inutile, car il a permis au personnage de Claudette Colbert de montrer son assurance dans les deux domaines habités désormais par la femme moderne qu’elle incarne : le travail et le savoir-faire domestiques (bourgeois). Comme l’a souvent montré la comédie américaine des années 30, elle a sans doute joué un rôle important dans l’affirmation d’un stéréotype de femme émancipée, moderne et citadine qui sera bientôt étouffée par le code Hays avec ses femmes conservatrices au foyer ou ses femmes fatales. Le personnage de Douglas ne peut pas se passer de sa secrétaire, et le film, tout comme lui, ne manque jamais de rappeler qu’elle est loin d’abattre le travail d’une simple secrétaire. Une fois qu’elle se fait inviter chez son patron, elle montre qu’elle saurait tout aussi bien y faire pour mettre de l’ordre dans la famille de l’homme qu’elle aime que dans ses affaires…

On note au passage que le personnage de Colbert, tout en faisant mine de ne pas connaître « Paris au printemps » (l’actrice a vécu ses premières années à Paris), montre un savoir-faire tout ce qu’il y a de plus français pour punir la gamine : lui administrer une fessée… Ces séquences avec l’odieuse fille du patron sont les plus réussies du film, dommage qu’on les ait vues si peu se répéter et mal se conjuguer avec les oppositions « romantiques » entre la secrétaire et son désormais mari. Le problème d’équilibre, il est là : dans les autres screwball comedies, on a souvent une paire qui concentre toute l’attention. Ce n’est pas pour rien qu’on parle parfois de comédie de remariage pour la screwball. Il y aurait presque un côté Vous ne l’emporterez pas avec vous, mais avec un axe dramatique la moitié du film qui ne concernerait pas la famille. Une histoire, même dans une comédie, même dans une screwball censée aller dans tous les sens, c’est souvent une question de bons équilibres.

Les spectateurs wokes actuels que nous sommes peuvent même faire la moue quand, après avoir tant fait pour la cause de la femme active et indépendante, le personnage que joue Claudette Colbert conseille à une femme qui souhaite la prendre comme modèle de filer auprès de son homme et de ne pas trop attendre de la vie active… Un « tout ça pour ça » assez inattendu.

D’autres propositions dramatiques sont à peine plus convaincantes, mais même sans une trame parfaite, avec de tels acteurs, avec de telles lignes de dialogues ou de telles situations finement burlesques, le spectateur en manque du genre ayant tari sa réserve de comédies américaines aura de quoi contenter sa soif avant de trouver meilleur parti. Qu’est-ce qui ferait figure aujourd’hui de nouveau Broadway pour les comédies ? La télévision ? Une explication potentielle de la mort de la comédie américaine. Maintenant que la télévision, ou plus précisément, les plateformes de streaming produisent des séries de superhéros et de la science-fiction, que restera-t-il bientôt au cinéma américain ? La comédie… musicale ?


Mon mari le patron, Gregory La Cava 1935 She Married Her Boss | Columbia


Sur La Saveur des goûts amers :

99 screwball comedies (par Byrge & Miller & Sikov)

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La Fleur de l’âge, John Guillermin (1965)

Un dimanche en Bretagne

La Fleur de l’âge

Note : 4 sur 5.

Titre original : Rapture

Année : 1965

Réalisation : John Guillermin

Avec : Melvyn Douglas, Patricia Gozzi, Dean Stockwell

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John Guillermin doit avoir été plutôt impressionné par Les Dimanches de Ville d’Avray. On y retrouve d’abord Patricia Gozzi, l’histoire est à quelques détails près la même (un jeune adulte et une mineure qui se rencontrent, tombent amoureux, mais ça donne le vertige, et la chute est douloureuse), et l’esthétique (« l’art design », pour faire mon malin avec un roast-beef dans la bouche), assez singulière (poétique, mélancolique, lente, lourde, douce-amère), là encore est très similaire. Je ne vais pas fouiller dans l’équipe technique (le film, bien qu’en anglais, a été tourné en France avec des équipes techniques françaises), mais la référence, ou l’influence, est évidente.

Le film n’est pas loin de la perfection. Seule l’histoire pioche un peu, surtout sur la fin. Au niveau du casting, de la mise en scène et de tout l’aspect technique, c’est un bijou. Patricia Gozzi prouve ici que non seulement sa performance dans les Dimanches n’était pas due à son jeune âge quand tout le mérite finalement revient au metteur en scène capable de dresser des enfants comme des petits chiens, mais en plus, et donc avec quelques années de plus, elle reproduit sur le spectateur la même fascination… en anglais ! Sens du rythme, imagination, sensibilité contenue et contrôlée… C’était un monstre génial cette petite, c’est à se demander pourquoi elle n’a pas continué. Et le père Guillermin prouve lui aussi que ses choix de casting ne sortent pas de nulle part. Melvyn Douglas, une évidence, il y aurait eu sans doute d’autres acteurs de son âge, confirmés, ayant fait l’affaire. Mais Dean Stockwell ? Lui aussi était un enfant star (il a été notamment le Garçon aux cheveux verts, de Losey), mais surtout je me souviens de lui dans Long Voyage vers la nuit, là encore comme les Dimanches, tourné en 1962. Maîtrise totale de son art. Les mêmes qualités que Patricia Gozzi. Il fallait avoir l’idée de les réunir ces deux-là…

L’autre aspect le plus impressionnant, c’est le travail avec la caméra et l’habilité du montage, du son, à créer en permanence du rythme en alternant les effets : les scènes montent lentement vers un climax, parfois sonore, puis ça explose tout à coup, pour redescendre en gardant la tension provoquée par ce qui précède. C’est du théâtre. L’art de la mise en scène au théâtre (quand les pièces le permettent mais c’est très souvent le cas), c’est justement de créer cette alternance, cette respiration, sinon tout est au même rythme, sur le même ton, et on s’ennuie. Au niveau du travail de caméra, c’est un chef-d’œuvre de mise en place, de cadrage, de recadrage, d’ajustement, de choix de focale, de construction du plan en captant bien comme il faut le moindre détail du décor qui donnera l’impression que tout est à sa place. Les personnages bougent, la caméra bouge avec eux, pivote, tout ça avec fluidité, le but est de ne pas voir tous ces effets. Un personnage sort du cadre, on le rééquilibre en fonction. Toutes les trois secondes, c’est un nouveau plan qui se compose sous nos yeux, parfois même à l’intérieur du même plan, parce que la caméra bouge, les personnages bougent. Tout est réglé comme du papier à musique. Et c’est de la musique. Rien ne dépasse. Harmonie parfaite et technique mise au service d’une ambiance.

Dommage que l’histoire ne vaille pas grand-chose. Le potentiel est là puisqu’on n’est pas loin des Dimanches. Mais l’exécution surtout à la fin n’est pas convaincante. La folie d’Agnès semble un peu forcée, elle apparaît ou se manifeste quand ça arrange l’histoire, et disparaît aussitôt après. Quant à Joseph, il hésite d’abord entre les deux sœurs, puis le choix se fait trop facilement après que son départ a échoué. Dans les Dimanches, on pouvait croire à un amour platonique entre les deux personnages que tout oppose en dehors de leur solitude, mais leur intérêt mutuel prend sens parce que chaque scène sert à répéter cette même situation centrée sur leur relation qui évolue sur un attachement toujours plus grand. Ici, l’histoire est trop parasitée par des personnages certes nécessaires, mais des enjeux qui eux ne le sont pas : la folie, le choix entre les deux sœurs, la recherche de la gendarmerie, l’amour de la mère disparue, cette étrange fuite finale qui se finit en échec… Il y a trop de matière et ne donne pas le temps de nous attacher comme on le devrait, ou de croire, à cet amour ; et même si la mise en scène fait tout pour faire renaître cette magie…


La Fleur de l’âge, John Guillermin 1965 Rapture | Panoramic Productions


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1965

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Le Plus Sauvage d’entre tous (Hud), Martin Ritt (1963)

Les cow-boys et les fusées

Le Plus Sauvage d’entre tous

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Hud

Année : 1963

Réalisation : Martin Ritt

Avec : Paul Newman, Melvyn Douglas, Patricia Neal

Western sans doute plus proche d’un drame conventionnel qu’un véritable produit du genre. C’est peut-être même un peu la mort du western à l’américaine. La route de l’Ouest est d’ores et déjà construite et elle ne se traverse plus qu’en cheval mécanique. On y retrouve nos cow-boys, rangeons donc ça dans les westerns, même si l’histoire est contemporaine (1963).

Le film repose sur une opposition intéressante entre deux personnages, deux cow-boys de générations différentes. D’un côté, Hud joué par Paul Newman, cow-boy égoïste, séducteur, méfiant à l’égard des services de l’État, qui vit avec l’idée de ce qu’est être cow-boy, celui des films, sans en être véritablement un, même s’il élève des bêtes. De l’autre, son père, joué par Melvyn Douglas (l’homme distingué qui fait rire Greta Garbo dans Ninotchka), attaché aux vieilles valeurs du cow-boy, le vrai (si, si… Melvyn Douglas), celui attaché à ses bêtes, à ses terres, à certains principes de justice (ceux qu’on voit rarement triompher avant la fin des films).

Tout commence quand une bête du troupeau est retrouvée morte. Le vieux se décide à appeler les services de l’État pour savoir de quoi elle est morte, il connaît les risques : c’est le spectre de la fièvre aphteuse qui est derrière tout ça, c’est-à-dire une quarantaine puis l’élimination de tout le bétail… Hud, lui, voudrait fermer les yeux, et ne pense qu’aux pertes s’ils préviennent le vétérinaire. On fait alors des tests dont les résultats ne tomberont qu’à la fin, et pendant ce temps, le jeune et le vieux se déchirent. Au milieu le neveu de Hud, tout juste sorti de la puberté, est à la fois soucieux de préserver les valeurs de son grand-père et idolâtre son oncle, incarnation parfaite du mâle à qui tout réussit. On apprendra plus tard les circonstances de la mort du père du gamin, dont Hud est pleinement responsable. Hud n’en éprouve aucun remords, mais son père lui dit aussi qu’il a fait longtemps le deuil de son fils et que s’il ne l’aime pas parce qu’il lui reproche la mort de son frère…

On n’est pas chez Tenessee Williams, même si parfois, surtout avec la présence de Newman, on y pense, mais les relations entre les personnages ne sont pas aussi poussées, pas aussi verbalisées, pas aussi tendues autour d’une ou deux scènes fortes et d’un unique lieu. Au contraire, on s’échappe, on fuit le conflit pendant tout le film. Les conflits sont suggérés, et les oppositions éclatent à travers la question si délicate des valeurs. Vers la fin du film, quand on sait qu’il s’agit de la fièvre aphteuse et qu’ils vont perdre toutes leurs bêtes, on leur conseille de se lancer dans le pétrole, mais le grand-père n’est pas intéressé, l’occasion pour lui de prouver son attachement à la terre et à ses bêtes : « On ne tourne pas autour d’un puits de pétrole comme on le fait autour d’un troupeau »… Hud au contraire y voit une occasion de s’enrichir.

Curieusement le film me fait un peu penser aux films de Naruse sur la transmission douloureuse d’une culture à une génération nouvelle qui se tourne plus vers la modernité et la vie facile.

Le film est un peu bancal, parce qu’il aurait pu traiter ce sujet en se fixant sur la double opposition entre le père et le fils, au niveau des valeurs, face à une situation de crise, et au niveau de l’histoire commune traversée par le drame de l’autre fils. Au lieu de cela, il fuit la plupart du temps ces conflits en ne faisant que les survoler, mais surtout il se croit obligé d’ajouter à cette histoire une femme. Les froufrous c’est bien, ça fait joli, c’est séduisant, mais là on se demande bien ce que vient faire le personnage de Patricia Neal dans ce traquenard rural (même si je l’adore, et même si sa seule présence évoque, certes, la ville, la sophistication, la modernité mangeant peu à peu l’ancien monde). Sa présence moite, indomptable, comme une sorte de Stan Kowalski au féminin, est très utile pour illustrer le désir du fils et du neveu, leur différent traitement des femmes…, mais à part ça, c’est une bonne avec son histoire à elle, rien ne la relie au sujet du film. Un peu étrange.


Le Plus Sauvage d’entre tous (Hud), Martin Ritt 1963 | Salem-Dover Productions