Parade d’amour, Ernst Lubitsch (1929)

Note : 3.5 sur 5.

Parade d’amour

Titre original : Love Parade

Année : 1929

Réalisation : Ernst Lubitsch

Avec : Maurice Chevalier, Jeanette MacDonald, Lupino Lane, Lillian Roth

Peut-être le premier film entièrement parlant parfaitement abouti. Une qualité suffisante pour donner le ton à dix ans de comédies musicales et de screwball comedies (en particulier la comédie de remariage).

La même année, Hallelujah de King Vidor peut encore intégrer des aspects de « feu » le cinéma muet. Ainsi, l’un donne le ton pour la suite ; l’autre est une singularité « champêtre » et populaire au milieu de productions en studio, dédiées au public blanc. Le reste des productions est encore massivement muet : L’Isolé et La Femme au corbeau, de Frank Borzage, Queen Kelly, d’Erich von Stroheim. Et la Paramount compte sur le parlant et la scène de Broadway pour faire face à la crise : les Marx Brothers apparaissent pour la première fois dans le « all talking-singing musical comedy hit » Noix de coco. Et le premier Broadway Melody de la franchise est un désastre pour la MGM parce que si un « talking movie » se doit d’être musical, Harry Beaumont n’a aucune idée de comment réaliser un film sonore. Ce qui paraît aujourd’hui évident ne l’était pas. Sauf peut-être quand on regardait l’efficacité déjà bien aboutie et la transparence des réalisations des films burlesques (c’est d’ailleurs un peu eux, déjà, avec Chaplin, qui avaient dicté les codes). On peut retrouver certains de mes commentaires concernant ce passage délicat du cinéma muet au cinéma parlant à travers cette étiquette.

La technique au point, c’est une chose de faire appel au music-hall, comptant un certain nombre de codes en commun avec le cinéma burlesque (si Groucho Marx peut se permettre les regards caméra — l’équivalent d’un aparté sur la scène —, c’est que le burlesque l’autorisait, comme chez Laurel et Hardy), c’en est une autre d’oser adapter à l’écran le style de l’opérette. Si les séquences dialoguées à l’écran offre une expérience nouvelle aux spectateurs et réclament un coup à prendre pour les metteurs en scène (surtout au niveau du rythme ; le cinéma muet mêlait déjà des champs-contrechamps tout en ayant recours aux répliques sur « carton »), rien ne dit que la spécificité de l’opérette qui est de passer tout à coup au chant soit adaptée à ce nouveau cinéma sonore.

Après tout, le cinéma n’avait eu de cesse depuis vingt ans de prendre ses distances avec tout ce qui ressemblait de près ou de loin au théâtre.

Ce sont de nouveaux codes qui doivent émerger. L’opérette se rapproche effectivement du théâtre, voire de l’opéra, s’impose alors une évidence : alors qu’une partie de l’efficacité du cinéma reposait depuis quinze ans sur le montage, sur le montage alterné plus spécifiquement, avec une opérette, on en revient à des séquences inspirées de la scène avec ses entrées et ses sorties. Quel retour en arrière ! (Même si tout l’art consistera aussi à intégrer des éléments de montage alterné pour casser le ronron de l’espace-temps hérité du théâtre.)

Le cinéma muet était en 1929 à l’apogée de son art avec cette capacité à structurer le temps et l’espace à la manière presque désormais de la littérature. Certains pouvaient même rêver de voir ce langage imposer une forme de communication universelle ! Un petit homme avec une moustache rectangulaire allait-il réunir la planète après la boucherie de la Grande Guerre ?… Non. Chaplin s’accrochera encore un certain temps au muet (même si ses films n’ont en réalité jamais été spécifiquement « muet ») et un autre petit homme avec une moustache ridicule rêvera de répondre à sa manière à la Première Guerre mondiale… (En en faisant une seconde.)

Seul le cinéma burlesque obéissait donc encore à ces principes d’un langage théâtral. Et c’est peut-être parce que Lubitsch vient de cette culture qu’il a compris le potentiel d’un retour à un cinéma moins basé sur le montage, plus parlant, plus chanté, dans lequel le quatrième mur pouvait être allègrement traversé (ironiquement, on en reviendrait même au temps des Grecs quand un chœur ou un coryphée pouvaient ponctuer « l’action »). L’opérette sera crédible avec ses passages incessants entre parlant et chant parce qu’elle l’a toujours été sur scène.

Les bons mots, les froufrous et les moulures au plafond vont remplacer les décors pompiers, les surimpressions et les mouvements sophistiqués de caméra. L’âge d’or du cinéma classique à Hollywood est lancé. Et paradoxalement, Broadway lui servira de source principale.

La réalisation de Lubitsch passe par une grande simplicité. Comme certains acteurs du muet ont très vite montré leurs limites à l’arrivée du son, j’ai déjà évoqué ici certaines difficultés de certains réalisateurs à trouver le bon angle et la bonne distance avec les nouveaux usages, plus simples, plus directs, du cinéma sonore (je renvoie une nouvelle fois à cette étiquette).

Lubitsch a compris tout de suite de quoi « il en retournait ». Mais se contenter de quelques champs-contrechamps ou de panoramiques d’accompagnement en plans rapprochés ne vous aidera pas pour autant à réaliser un bon film : hé oui, désormais, ces satanés acteurs, il va falloir les diriger !

Fini la pantomime ! fini les répétitions ou les temps morts qu’on arrive à récupérer au montage ou en foutant un carton ! Les acteurs doivent non seulement trouver le ton juste, comprendre la situation, adopter les mimiques adéquates, être à l’écoute de leur partenaire, trouver un volume sonore adapté au cinéma. Tout cela ne s’improvise pas. Tricher avec des astuces du cinéma muet ? N’y passez pas, la voix trahira les mauvais acteurs, quoi que vous puissiez inventer pour les diriger ou tromper le public.

Pour une opérette comme celle-ci, c’est des semaines de répétitions. Cinéma ou pas, on ne peut pas se reposer sur la possibilité du montage pour diriger en direct un acteur, couper, et refaire. Champs-contrechamps ou pas, il faut respecter un certain rythme, une continuité temporelle et de ton. Plus difficile encore, il faut inventer tout un travail visuel de sous-texte que seuls les acteurs de théâtre (ou de music-hall) sont capables d’offrir (tout en l’adaptant à la distance de la caméra). On chante, on parle, mais plus étonnant déjà : on murmure, on parle naturellement. La révolution n’est pas « parlante », elle est « murmurante » !

Imaginez l’effet sur le public d’un Français qui lui murmure aux oreilles ! » Oh, Maurice ! Oui, Maurice ! Susurre-moi encore ces mots doux, ces mots de tous les jours et ça m’fait quelque chose… » (Wrong track.)

L’année suivante, la MGM assurera la publicité du premier film parlant avec Greta Garbo avec le slogan « Garbo talks ». La Paramount aurait tout aussi bien pu lancer l’ère des comédies musicales avec le slogan « His name is Maurice. He sings, he oui-spurs! ». Des murmures qui sont autant d’éperons dans le cœur de ces dames… « Touché! »

« Oui-oui. »

Plus que jamais, celui qui dirige cela doit connaître le travail avec les acteurs… de théâtre. Et un peu comme chez Shakespeare, la trame romanesque principale se trouve rehaussée et mise en relief par une seconde : celle des domestiques. Si le jeu entre Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald se révèle typique de l’opérette, avec une pointe de théâtre de boulevard, le jeu des deux domestiques, en revanche, relève bien plus du music-hall dans un mélange typique, cette fois, du Broadway des revues de Ziegfeld, supervisées et théorisées par Ned Waybur.

La spécificité de ce duo de domestiques (rappelant le couple Béatrice/Bénédict de Beaucoup de bruit pour rien dans sa manière d’imiter le couple principal de la pièce), c’est qu’il allie techniques de danse, humour et acrobatie. Le couple présente une différence de taille, en faveur de la domestique, et cela ajoute au ridicule de leurs silhouettes quand elles s’animent. Maintenant que Hollywood se tourne vers le sonore, c’est tout naturellement qu’il pillera les usages de la scène de Broadway. Dans beaucoup de comédies musicales à venir, on retrouvera ce principe, l’alliance de l’humour et du glamour. La comédie musicale intégrera soit des éléments burlesques (et acrobatiques), soit des éléments de danse de salon (soit les deux). Les deux personnages principaux, de leur côté, ne dansent pas comme plus tard Astaire et Rogers pour la RKO, mais ils auraient pu. Eux restent dans le registre de l’opérette.

Pour ce qui est du fond de l’affaire (l’histoire), la première séquence est un bijou ; les premiers échanges entre les deux futurs époux royaux prolongent un peu le plaisir ; la suite s’essouffle vite, et la fin est consternante. En épousant la reine, le futur prince consort accepte de se mettre à ses ordres. Plutôt progressiste, pourrait-on penser. Mais le prince s’ennuie et veut bientôt reprendre les « reines » du couple. Et la reine cède. C’est maintenant lui qui commandera.


Parade d’amour, Ernst Lubitsch 1929 The Love Parade | Paramount


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Perle éternelle, Hiroshi Shimizu (1929)

Convenances et passions éteintes

Note : 3.5 sur 5.

Perle éternelle

Titre original : Fue no shiratama

Année : 1929

Réalisation : Hiroshi Shimizu

Avec : Emiko Yagumo, Minoru Takada, Michiko Oikawa

Comme Un héros de Tokyo, tourné six ans plus tard, Perle éternelle est un mélo de bonne facture, sentimental plutôt ici, et là encore assez similaire à ceux que Naruse réalisera au début du parlant (Ma femme, sois comme une rose, Les Vicissitudes de la vie) quand Shimizu aura définitivement abandonné le genre pour la comédie. Il adapte ici un roman de Kan Kikuchi, créateur du prix littéraire Akutagawa et futur directeur de la Daiei, auteur, justement, des Vicissitudes de la vie, la même année de La Marche de Tokyo, ou plus tard de La Porte de l’enfer (produit par la Daiei).

Le film repose en grande partie sur l’expressivité, tout en retenue et en regards fuyants et dignes, de son actrice principale : Emiko Yagumo. L’homme qu’elle aime s’éprend de sa sœur et la demande en mariage, et ce nigaud se rend compte trop tard qu’il l’aime aussi et que la frangine ne vaut pas grand-chose. 

Dilemme passionnel on ne peut plus classique. Le dilemme, dans le mélodrame japonais, est un admirable moteur d’action (ou plus précisément d’inaction, voire d’action avortée, impossible, interdite ou retardée), car en phase avec le principe du « mu » qu’on pourrait relier à celui du « non-agir » taoïste, et loin des mélodrames tout en débordements et en péripéties, le mélodrame japonais ira probablement plus vers ce statu quo des passions non consommées, vers une tension de l’indécision et du non-dit, ou vers des reproches rarement exprimés (conforme là encore à l’esprit japonais de n’exposer ses sentiments qu’à de rares occasions, principe du tatemae). L’aveu d’une telle passion serait déjà une forme d’action, alors on s’échine surtout à observer les conséquences de ses erreurs passées plutôt qu’à agir pour tenter d’y trouver une solution au risque de braver ses obligations sociales.

On se regarde ainsi en chien de faïence, et on constate le tour tragique des événements en acceptant de ne rien pouvoir y changer et de ne rien laisser paraître. Pour mettre en évidence ces rapports impossibles (et qui constitue tout le sous-texte envahissant du film), le récit s’applique surtout à opposer ces deux amoureux platoniques à la sœur vers qui la préférence de l’homme avait été dans un premier temps : ses manières libérales très occidentales, présentées d’abord comme une qualité, finissent par poser problème, et c’est en tentant, ensemble, de la ramener dans le droit chemin (des convenances) qu’on mesure le poids des erreurs passées pour ces deux amoureux impossibles. Il y a déjà là tout des mélodrames fins et sans heurts de Mizoguchi ou de Naruse, voire un peu aussi d’In the Mood for Love.

Shimizu semble encore s’inspirer beaucoup du cinéma expressionniste allemand en multipliant les mouvements de caméra expressifs dans les séquences de studio et de ville. Le cinéma japonais à cette époque souffre de ces séquences filmées en intérieur, et on le voit ici lors des quelques scènes tournées loin des studios, c’est tout de suite plus naturel, plus réaliste, plus dépaysant, plus frais et plus simple…

Le cinéma japonais des années 30 deviendra beaucoup plus itinérant et abandonnera presque totalement les séquences tournées non seulement en studio, mais aussi celles censées se dérouler dans des intérieurs peu réalistes, des bars à l’occidentale, bien trop citadins. De nombreux aspects encore présents au muet s’effaceront petit à petit : la place de l’automobile, des portes, de tout ce qui fait moderne ou nouveaux riches à l’écran, tout cela changera du tout au tout pendant l’âge d’or du shomingeki en s’appliquant à décrire minutieusement la vie de la classe moyenne japonaise, évitant ainsi les grands écarts mélodramatiques du muet et ses oppositions (ou ses dégringolades/ascensions) de classes.

Un spécimen rare et réussi de mélodrame sentimental avant l’émergence du cinéma parlant.


 

Perle éternelle, Hiroshi Shimizu 1929 Fue no shiratama | Shochiku


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Rotaie, Mario Camerini (1929)

Note : 4 sur 5.

Rails

Titre original : Rotaie

Année : 1929

Réalisation : Mario Camerini

Avec : Käthe von Nagy, Maurizio D’Ancora, Daniele Crespi

Deux tourtereaux pris par l’urgence de survivre : résister à la tentation du jeu, de la convoitise de l’étranger, et retrouver les bonnes vieilles valeurs populaires.

Les quinze premières minutes sont magnifiques. Les deux amoureux échouent dans un hôtel, accablés par les dettes ; ils osent à peine se regarder, se demandant comment survivre. Tout est affaire ici de regards : la manière de les faire dialoguer dans le montage. Un peu comme trente ans plus tard, Valerio Zurlini réussira à le faire dans le magnifique Été violent.

Le montage suit littéralement le langage des yeux : une situation, une atmosphère, une attitude pensive suivie d’un roulement d’yeux tout ce qu’il y a de plus simple au monde et qui est le signe qu’on cherche à chasser une pensée par une autre ; et puis un regard qui en cherche un autre parfois hors champ ; et hop, on coupe pour montrer ce qui est vu ; et rebelote. Les yeux, rien que les yeux. Pour montrer ce qu’on pense, pour montrer la détresse, la solitude (parfois partagée), il suffit de regarder, mais de manière très épurée, sans autre mouvement, celui qui regarde et n’est pas censé être vu. On se passe ainsi pas mal d’intertitres, car on lit tout dans un regard, surtout l’indéchiffrable. Et en effet, en un peu plus d’une heure, le film n’en contient qu’une vingtaine. In the Mood for

L’influence allemande, celle de Murnau tendance Kammerspielfilm (voire celle de L’Aurore, avec l’attrait pernicieux des lumières de la ville, le personnage tentateur) est évidente, même si on joue moins sur les décors : l’accent est plutôt ici mis sur la psychologie des personnages (on est loin de l’expressionnisme, si le jeu est plein d’intensité, on est dans une veine beaucoup plus naturaliste, voire stanislavskienne), et la caméra est parfois virevoltante sans jamais tomber dans les excès.

Le cœur du film est peut-être moins convaincant. Le jeune délaissant sa belle, accaparé qu’il est par ses gains, puis ses pertes, au casino ; et la belle voyant fatalement rôder autour d’elle un bellâtre bien né dont elle n’a que faire.

Cela a au moins le mérite d’être vite expédié et d’être efficace. Même en Italie, 1929 semble avoir été un cru exceptionnel pour le muet…


 

 

 

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Le Sabre pourfendeur d’hommes et de chevaux, Daisuke Ito (1929)

Note : 4 sur 5.

Le Sabre pourfendeur d’hommes et de chevaux

Titre original : Zanjin zanbaken

Année : 1929

Réalisation : Daisuke Ito

Avec : Ryûnosuke Tsukigata, Hiroshi Kaneko, Misao Seki

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Je crois avoir rarement eu autant l’impression de relief face à un écran au cinéma.

Les flous épars, dus probablement à la faible sensibilité des pellicules, offraient paradoxalement une profondeur de champ inattendue à l’image en jouant sur notre regard une sorte de trompe-l’œil : d’habitude les flous sont homogènes et obéissent plus au type d’objectifs qu’à la lumière, mais avec une pellicule peu sensible et un tournage en extérieur chaque espace apparaissant dans le champ est susceptible d’apparaître plus ou moins flou en fonction de l’extrême variabilité de la lumière en extérieur et avec une caméra le plus souvent mouvante, si bien que la perspective se fait en quelque sorte à travers le contraste de différents points du champ plus ou moins flous, plus ou moins scintillant de netteté. Le vieillissement doit jouer aussi, le défilement de la pellicule, l’émulsion imparfaite, que sais-je. L’effet produit est étonnant, la 3D, elle est là.

Alors quand en plus Ito joue parfaitement avec la profondeur de champ en ne manquant pas de saisir des personnages au premier plan avec un second voire un troisième plan souvent actif, et que le tout est le plus souvent en mouvement, que ce soit les acteurs, toujours bondissant, courant d’un bout à l’autre de l’image, ou bien sûr avec la caméra (qui a fait sa réputation), eh bien tout ça donne une énergie fabuleuse à ce petit film.

Et je n’ai rien compris à l’histoire, signe que le film est peut-être plus intelligent qu’il n’y paraît. (Non ?) On parlera plutôt de sidération des images.



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Chantage, Alfred Hitchcock (1929)

Note : 4 sur 5.

Chantage

Titre original : Blackmail

Année : 1929

Réalisation : Alfred Hitchcock

Avec : Anny Ondra, John Longden, Sara Allgood

Premier Hitchcock vu depuis des années voire des décennies. Jamais vu celui-ci.

Mise en scène très maniérée, toute en gros plans et en mouvements de caméra. Tout cela est peut-être un peu trop systématique, ou forcée, mais c’est vrai aussi qu’on est encore dans le muet et qu’il faut bien séduire le spectateur avec du visuel plus qu’avec le reste. La composition des plans est remarquable, Hitch profite d’une jolie profondeur de champs. Et le rythme est forcément (c’est sa force, au gros), irréprochable, plein de tension. Jamais on ne s’ennuie.

Ce pervers de Hitchcock nous trouve les jambes de blonde les plus belles du monde, et il ne se prive pas de nous les montrer sous tous les angles (suggestif avec ça, parce qu’il sait rester correct : les bas sont blancs opaques, merci pour le symbole).

L’impression d’avoir vu cette histoire mille fois (ça me rappelle du Lang, La Rue rouge, il me semble). Mais peu importe ce qu’on raconte, seule la manière compte. Et Alfred Hitchcock connaît son affaire sur le bout des doigts.


Chantage, Alfred Hitchcock 1929 | British International Pictures


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Le Piège d’amour, William Wyler (1929)

The Love Trap

The Love Trap
Année : 1929

Réalisation :

William Wyler

Avec :

Laura La Plante
Neil Hamilton
Robert Ellis

8/10 IMDb iCM

Listes sur IMDb :

L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

Lim’s favorite comedies

Un de ces films composites de la période de transition vers le parlant. L’occasion de virer étrangement vers une screwball comedy dès les premières séquences parlées (la petite virée en taxi à la campagne, muette, avait déjà c’est vrai, un peu la saveur d’un New York – Miami), le tout devenant savoureusement bavard.

La longue séquence dans laquelle Laura La Plante prend à son propre piège son beau-père qui tentait de se débarrasser d’elle préfigure nombre de situations du parlant où c’est la femme qui se joue des hommes : au lieu d’entrer dans son jeu, elle renverse le piège avec malice en tentant de le mettre dans son lit, ou du moins de le laisser croire mais si le beau-père à cet instant ne comprend pas le piège dans lequel sa bru tente à son tour de lui tendre, la connivence avec le public est totale. On sait que quand son mari arrivera en les surprenant tous deux, cela obligera le beau-père à se tirer, lui, de cette impasse en abandonnant son propre chantage, ou du moins le rendant inopérant…

La comédie américaine comme meilleur moyen d’émancipation de la femme. C’est qu’il en faut de la jugeote pour se moquer ainsi d’un homme si respectable (par son statut, pas par ses agissements).

On oublie que William Wyler a aussi tâté de la comédie sentimentale, et avec brillance. Ces objets hybrides à moitié sonorisés ne sont pas les meilleurs témoins d’une telle évidence.


Le Piège d’amour, William Wyler (1929) The Love Trap | Universal Pictures


Son chemin, Aleksandr Chtrijak (1929)

Note : 4 sur 5.

Son chemin

Titre original : Yeyo put

Titre alternatif : Le Chemin de souffrance

Année : 1929

Réalisation : (Dmitri Poznansky) Aleksandr Shtrizhak

Avec : Emma Tsesarskaya, Aleksandr Zhukov, Karl Gurnyak

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Voilà le film jusqu’à maintenant le plus intéressant de cette rétrospective soviétique. Par certains côtés, l’histoire de départ rappelle celle du Village du péché tourné l’année précédente et où apparaissait déjà Emma Tsessarskaïa, à savoir une femme de la campagne qui se marie avec un homme qui fichera vite le camp et qui se liera (elle) pendant l’absence de son mari avec un autre homme. Si le précédent film traitait du thème de l’inceste, dans mon souvenir, ici on est plus dans l’adultère. La plus vieille histoire du monde : celui qui part à la chasse perd sa place. D’ailleurs, on pourrait également faire le rapprochement avec un film tourné trente ans après, Le Passage du Rhin où un prisonnier français s’amourachait d’une jeune Allemande : notre belle ici se lie avec un prisonnier autrichien.

Le film est tout acquis à la cause de la paysanne, ça n’étonnera personne, mais peut-être un peu plus de son amant. L’amour bourgeois serait presque considéré comme contre-révolutionnaire tandis que l’adultère, en voilà une valeur d’avenir sur laquelle le communisme pourrait s’appuyer (!). C’est que l’amant, bien qu’étranger, est un grand gaillard qui amasse une somme de travail importante aux champs et finira par rejoindre les rouges. « Dis, tu as entendu parler de Lénine ? C’est un homme juste. » Et puisque l’amant se laisse convaincre par la cause communiste (c’est un bon garçon), notre paysanne (bientôt maman d’un petit autrichien) rejoindra les mêmes forces révolutionnaires. Quant au mari absent, lui, s’était écrit, s’embrigadera chez les blancs (méchant garçon).

Rien d’exceptionnel dans cette histoire, elle a au moins le mérite d’être assez simple, voire archétypale. On est en 1929 et le cinéma muet un peu partout dans le monde a atteint un niveau d’expression qu’il ne retrouvera jamais, et pour cause. La manière dont Chtrijak (ou son directeur photo, ou son monteur, ou tout ce petit monde à la fois) arrive à rendre au mieux cette histoire est tout bonnement exceptionnelle. Oublié le grotesque et l’insignifiance du montage des extractions, il en reste une influence, plus gancienne presque, basée sur l’efficacité d’un montage, certes parfois sensoriel ou excessif, mais surtout concis, rapide. Et la concision au cinéma comme dans tout art narratif, c’est la possibilité de viser l’efficacité et de raconter beaucoup avec peu d’éléments. Jusque-là rien de bien innovateur, sauf que le talent du découpage de Chtrijak, c’est que si la concision bien souvent sert à accélérer le rythme et à donner profusion d’éléments s’additionnant les uns aux autres dans une visée strictement quantitative du récit (on parlera alors de densité), lui fait ici tout le contraire, autrement dit, son découpage sert à ralentir l’action, la tendre, parfois la répéter en en variant légèrement la forme, un peu comme en musique avec ses motifs répétitifs. Pour faire simple, le cinéaste qui viendra bien après et qui est connu pour ralentir l’action, c’est Sergio Leone. Mais il y a d’autres exemples, moins évidents, où des cinéastes, peut-être poussés par les indications scénaristiques, se sont essayés au ralentissement de l’action tout en adoptant un montage rapide. On est en Union soviétique, et l’image qui vient immédiatement en tête, c’est celle du départ de Jivago laissant sa Lara seule dans sa datcha (le ralentissement léger de l’action serait plutôt un procédé du classicisme, alors que l’accélération artificielle, on peut l’imaginer, aurait un côté peu noble employé dans des films usant d’effets faciles et sensationnels). La scène n’est pas forcément très ralentie, mais Lean prolonge la scène, insiste sur le drame d’une telle séparation en prenant son temps tout en offrant assez de matière au montage pour les yeux du spectateur, au point que la forme illustre au mieux le fond puisqu’elle prend son temps pour une scène importante dans le récit. On a exactement la même scène ici, et Chtrijak prolonge bien plus la séquence, la ralentit pour en faire un épisode tragique majeur de son film. Il y a un petit côté wagnérien dans la forme, on pense que ça va se terminer, et hop, la musique repart avec le même motif un peu différemment, pour répéter une émotion et bien insister, et tout cela n’en finit pas, et on prend plaisir à suivre ainsi la douleur de nos héros décomposée en petites rondelles temporelles. L’effet recherché est évident, quand on parle de tendre l’action, viser une certaine forme de suspense (non pas lié à la peur sur quoi Hitchcock plus tard s’appuiera essentiellement, mais ici sur la compassion, le déchirement de la séparation, la pitié aristotélicienne…), c’est pour émouvoir le spectateur, surligner les passages du récit qui font appel au pathos.

Pour ralentir l’action toujours, Chtrijak ira jusqu’à utiliser des ralentis sur les pattes de chevaux au galop, et qui montés avec d’autres actions produira un effet émotionnel immédiat et efficace sur toute une bonne partie de la séquence.

Les gros plans, là encore, feraient presque plus penser à du Sergio Leone qu’à du Eisenstein. Il y a toujours chez Eisenstein une volonté de tirer ses portraits vers le grotesque (principe du montage des “attractions”), voire des images statiques de personnages qui exultent ou qui sont parfois étrangers à l’action principale. Chez Leone comme ici chez Chtrijak, ces gros plans servent d’abord les personnages centraux, si les images peuvent être figées c’est qu’elles répondent plus à une sidération ou à une quelconque émotion du personnage « en attente » souvent d’une action ou d’une réaction placée hors champ, et si on peut suspecter Leone de tirer parfois vers le grotesque, ce sont des visages impassibles, tandis que chez Chtrijak, c’est surtout plus pour montrer les tourments d’un personnage principal, comme pour nous inciter à compatir avec lui et nous aider à percer ce qu’il ressent. Alors le “grotesque” ou l’excentrique ne sont pas totalement absents du montage, mais cet aspect est plus laissé aux plans sur les villageois ou sur le mari pour renforcer l’antipathie qu’on éprouve pour lui. D’ailleurs, au retour de ce mari encombrant, Chtrijak, choisira la meilleure manière pour nous en faire une figure négative : contre-plongée alors qu’il reste perché sur son cheval et toise les villageois de sa détestable hauteur blanche…

On trouve également quelques mouvements d’appareil efficaces : timides travellings arrière à la Kubrick (sur un personnage regardant face à lui) comme pour rester sur une émotion, de face, et forcer la mise à distance en changeant ostensiblement la valeur du plan ; ou des travellings d’accompagnements dont un magnifique, en gros plan et de côté, avec le sujet qui marche devant des villageois qui eux restent statiques en arrière-plan, renforçant le contraste et la séparation symbolique entre ce qui bouge (nous, avec le personnage principal en mouvement) et ce qui reste statique. De tels procédés ne sont pas rares aujourd’hui, mais quand on emploie plus que ça et avec la fluidité d’un steadicam, l’effet recherché en devient nul. Quand on allie au contraire des images plus volontiers statiques à de rares plans en mouvement, l’effet est bien plus garanti.

Voilà comment on fait d’une histoire un peu banale un grand film. Il n’y a pas d’histoires stupides, ou de propagande, il n’y a que des films bien ou mal racontés. La forme doit se mettre au service du fond. Et c’est ce que Chtrijak parvient magnifiquement à faire ici.


 

Son chemin, Aleksandr Chtrijak 1929 Yeyo put, Le Chemin de souffrance | Sovkino


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The Younger Generation, Frank Capra (1929)

 Transmutation

The Younger Generation

Année : 1929

Réalisation :

Frank Capra

5/10 IMDb   iCM
Avec :

 

Jean Hersholt
Lina Basquette
Ricardo Cortez

Film sans grand intérêt tant son caractère hybride entre film muet et sonore en fait un objet pour le moins étrange et bâtard…

Ce qu’il y a de pire c’est encore toutes les séquences sonores dans lesquelles les acteurs peinent à trouver le rythme et le ton juste.

La fin échappe encore à tout ce marasme avec déjà une forme de vision optimiste dans la tragédie propre au cinéaste de La vie est belle.

Ce n’est pas une comédie, plutôt un drame bourgeois, un conte moral… L’argent ne fait pas le bonheur. Du Capra, oui, mais très brouillon.


The Younger Generation, Frank Capra 1929 | Columbia Pictures


L’Assommeur / La Rafle, Josef von Sternberg (1929)

Crépuscule de gloire… pour George

Note : 2.5 sur 5.

L’Assommeur / La Rafle

Titre original : Thunderbolt

Année : 1929

Réalisation : Josef von Sternberg

Avec : George Bancroft, Fay Wray, Richard Arlen

Un des premiers parlants, et ça se sent. En dehors de quelques répliques bien senties, l’histoire est lente et statique. On voudrait croire après Les Nuits de Chicago se trouver face à un film de gangster, mais on tombe très vite dans le vaudeville. Trio amoureux de circonstance. Pour la violence, l’action, il faudra repasser. Les flingues sont présents, mais ils apparaissent comme des sexes d’exhibitionnistes : « C’est bien une arme ? Oui, c’en est une. Tu la vois bien ? Regarde-la encore. T’es sûr que tu l’as bien vue ? Tu ne veux pas la regarder encore un peu ? »

Cette lenteur est valable un peu pour tout en fait. Josef von Sternberg peine à instaurer une atmosphère (les décors, il faut le dire, ne sont pas à la hauteur ; et le travail sur la lumière inexistant ; signe sans doute d’une production faite à la va-vite pour proposer un film sonore). Surtout, le rythme des scènes dialoguées est pataud, n’offrant aucun mystère et intensité… C’est un peu terrible à dire pour George Bancroft, si charismatique dans Les Damnés de l’océan (il me faut revoir Underworld) : il n’est convaincant que dans une scène où il fait le pitre… à appâter un chien en tortillant du cul. Une scène muette, bien sûr. Il est incapable de penser seulement ce qu’il raconte et adopte un débit affreusement lent et appuyé dans le désir sans doute de créer une tension. Je l’ai déjà dit, von Sternberg n’est pas un grand directeur d’acteurs, et malheureusement ça se ressent ici. Le jeu de corps pour Bancroft reste excellent, mais Dieu qu’il paraît idiot et perd toute autorité dès qu’il ouvre la bouche… Richard Arlen n’est pas bien meilleur, mais dans des personnages ingrats (ceux de bellâtres), il s’en sortira, de mémoire, un peu mieux dans L’Île du Docteur Moreau.

Une bonne moitié du film se déroule en prison. Excellente idée pour annihiler toute possibilité d’action et renforcer l’idée d’un cinéma parlant statique.

Après cette horreur, Josef von Sternberg retourne en Allemagne pour retrouver Emil Jannings (son acteur de l’excellent Crépuscule de gloire) et lancer la carrière d’une certaine Marlene dans L’Ange bleu. Dès l’année suivante pour son retour à Hollywood, bon nombre des acteurs muets auront été mis au placard, et Josef aura appris sa meilleure leçon de direction d’acteurs : se contenter des meilleurs. Autrement dit, au revoir George Bancroft, bonjour Cary Grant et Adolphe Menjou (on se rappellera que William Powell était déjà présent dans Crépuscule de gloire, son heure arrive).


L’Assommeur / La Rafle, Josef von Sternberg 1929 Thunderbolt | Paramount


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