Quel est le film qui vous a fait prendre conscience de l’analyse filmique ?

Non ! Je ne peux pas analyser deux heures de films plan par plan ! Non, ce n’est pas vrai ! C’est impossible. — Lis dans ton cœur, tu sauras que c’est vrai !


« Quel est le film qui vous a fait prendre conscience de l’analyse filmique ? »

Question posée par Nicolas Martin, animateur radio et podcaster. Merci de l’avoir posée.

Avant l’analyse, tout débute généralement par une sidération : novembre 94, L’empire contre-attaque. Vient ensuite l’analyse grâce à un enregistrement K7 sur lequel il manque dix minutes du début du film. Je passe plusieurs jours à décrypter et annoter chaque plan. À la sidération de départ, s’ajoute la fascination pour la mécanique du montage, la précision du cadrage, les enchaînements d’ambiance. Peut-être le film revu le plus de fois avec Alien3 et Blade Runner. Comme l’impression chaque fois que quelque chose d’essentiel échappe justement à l’analyse.

Pour m’expliquer cette impression, j’utiliserai plus tard le terme aujourd’hui abandonné dans mes “analyses” d’universalisme.

Quelques mois plus tard (oui, je ne réponds jamais à la question initiale), je me dis que faire des séquentiels de films, c’est un peu stérile. Alors je note et annote tous les films vus. J’achète Télérama comme premier guide et pour avoir accès aux classiques. Mon premier film annoté, c’est Un été en Louisiane, de Robert Mulligan. Avec une première phrase qui pourrait rendre vaines trente années de commentaires : « L’essentiel en peu de choses. » Le mec est incapable de répondre simplement à une question simple, et à la première phrase de son premier commentaire, il s’extasie devant la simplicité d’un film mineur. Ça doit être ça l’universalisme.

Mars 95, je mâte À bout de souffle. Pas besoin d’analyser le film, Godard le fait à notre place. Il me faudra un certain temps pour l’apprécier. Le temps que Godard ferme sa gueule : que le film se fasse dans notre tête quand on n’est pas là, avant de le revoir.

Il faut toujours revoir les films. Ce n’est jamais le même. Les analyses sont “quantiques”. Tu regardes une première fois Abysse : bof. Une seconde : woah. Pas besoin d’analyses byss, tu es bien malade. Tu te rends compte qu’il n’y a donc pas que les films à analyser, à commenter. Non. Il va falloir aussi faire tout un séquentiel sur tes perceptions de tel ou tel film pour les comprendre. Et on ne comprend jamais. Ça rend humble « l’analyse filmique » qu’on fait passer par le filtre de « l’analyse perso ».

Chaque cinéphile doit passer un jour ou l’autre par Hitchcock, paraît-il. Alfred, c’est le dépucelage du cinéphage. Tu as vu Psychose et t’es un homme (ou un quelconque autre monstre). Voilà. Moi j’avais vu Godard et Reese Witherspoon avant les premiers vertiges hitchcockiens, alors je connaissais tout déjà d’Alfred. J’étais même probablement déjà capable de parler d’Alfred avant de l’avoir fait. Et puis, tu regardes James Stewart qui regarde par la fenêtre au lieu de prêter attention à la plus belle femme du monde, et c’est là que tu comprends que c’est toi qu’il regarde. Le lendemain, mars 95 toujours, tu te retournes pour regarder si personne ne vient t’assassiner, et tu vois Kim Novak qui sort de chez le coiffeur. Tu n’y comprends pas grand-chose, mais tu es un peu étourdi quand même.

Et puis, un petit côté goujat, tu notes les films comme d’autres notent les filles. 7 mars, Fenêtre sur cour : B. 8 mars, Vertigo : B. Tu attends ta promise ou quoi ? B ? Tu gardes de la marge, histoire d’être sûr de ne pas tomber dans le vide ? 9 mars 95, la voilà la fille idéale :

La Huitième Passagère, un monstre, la plus belle : Alien : A.

Hitchcock m’a dépucelé, et seulement deux jours après, j’ai le ventre qui gonfle.

En réalité, je m’étais fait inséminer depuis des années : mon frère m’avait raconté le film bien avant de le voir. « Alors, c’était comment ? » Avec le monstre. Qu’est-ce que tu veux analyser quand la première fois que tu vois Alien, tu as l’impression que c’est un rêve qui jaillit d’un bond de ta mémoire ?

Alors, tu prends un congé. Et c’est seulement en août qu’on te traîne au cinéma. Personne ne sait ce qu’on va voir. Forcément une daube. Je suis le seul dépucelé. Les autres ne sont pas encore assez grands pour s’intéresser aux blondes et aux autres monstres. Tu es déjà entré dans une salle de cinéma sans savoir ce que tu allais voir, sans connaître le nom des acteurs, du réalisateur, sans rien savoir de l’histoire, juste en mode « on va au cinéma, on verra ce qu’il y a », et de sortir de la salle en ayant la conviction d’avoir vu un chef-d’œuvre ?

Moi non plus. Ce film, c’était Usual Suspects. Sympa ton rencard : C.

Mignonne, mais sans plu. Faut pas charrier, ce n’est pas du Hitchcock non plus. Et puis, tu te remets à écrire. Des conneries. Et plus tu “analyses” la réalisation de ce type au nom de machine à coudre, plus tu la trouves pas si quelconque que ça, pas si usual. Tu analyses, tu te compares peut-être un peu à James Stewart dans Fenêtre sur cour, et tu te demandes finalement qui “réalise” le film. Bryan ? Sérieusement, est-ce qu’un Bryan peut être l’égal d’un Hitchcock ou de la Huitième Passagère ? Eh ben, non. Et si ce n’était pas plutôt…

Keyser Sosé. Machination, réalisation, spéculations. Suffit de pencher un flingue sur le côté pour que tu aies le cerveau de guingois. Keyser Sosé ! Par la puissance du mal de crâne ancestral, c’est toi que j’invoque ! Keyser Sosé !

Le film mettra longtemps à s’imposer. Il n’y a pas que les blondes et autres monstres.

Ensuite, tout s’emballe, je m’emballe. Tu ne sais plus bien ce que tu regardes, apprécies ou commentes. En septembre 95, je vois La Sentinelle de Desplechin. J’y vois un prolongement du cinéma d’Hitchcock. Et depuis, quand je sais que je dis des bêtises (souvent) ou même quand je ne vais pas très bien, je dis que « je fais une Desplechin ». Comme quoi, on peut analyser les films, parfois, la meilleure chose à faire, c’est de se taire.


Ce n’est que le début, Lim. (Usual Suspects, Bryan Singer (1995) | Polygram Filmed Entertainment, Spelling Films International, Blue Parrot)

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