Parade d’amour, Ernst Lubitsch (1929)

Note : 3.5 sur 5.

Parade d’amour

Titre original : Love Parade

Année : 1929

Réalisation : Ernst Lubitsch

Avec : Maurice Chevalier, Jeanette MacDonald, Lupino Lane, Lillian Roth

Peut-être le premier film entièrement parlant parfaitement abouti. Une qualité suffisante pour donner le ton à dix ans de comédies musicales et de screwball comedies (en particulier la comédie de remariage).

La même année, Hallelujah de King Vidor peut encore intégrer des aspects de « feu » le cinéma muet. Ainsi, l’un donne le ton pour la suite ; l’autre est une singularité « champêtre » et populaire au milieu de productions en studio, dédiées au public blanc. Le reste des productions est encore massivement muet : L’Isolé et La Femme au corbeau, de Frank Borzage, Queen Kelly, d’Erich von Stroheim. Et la Paramount compte sur le parlant et la scène de Broadway pour faire face à la crise : les Marx Brothers apparaissent pour la première fois dans le « all talking-singing musical comedy hit » Noix de coco. Et le premier Broadway Melody de la franchise est un désastre pour la MGM parce que si un « talking movie » se doit d’être musical, Harry Beaumont n’a aucune idée de comment réaliser un film sonore. Ce qui paraît aujourd’hui évident ne l’était pas. Sauf peut-être quand on regardait l’efficacité déjà bien aboutie et la transparence des réalisations des films burlesques (c’est d’ailleurs un peu eux, déjà, avec Chaplin, qui avaient dicté les codes). On peut retrouver certains de mes commentaires concernant ce passage délicat du cinéma muet au cinéma parlant à travers cette étiquette.

La technique au point, c’est une chose de faire appel au music-hall, comptant un certain nombre de codes en commun avec le cinéma burlesque (si Groucho Marx peut se permettre les regards caméra — l’équivalent d’un aparté sur la scène —, c’est que le burlesque l’autorisait, comme chez Laurel et Hardy), c’en est une autre d’oser adapter à l’écran le style de l’opérette. Si les séquences dialoguées à l’écran offre une expérience nouvelle aux spectateurs et réclament un coup à prendre pour les metteurs en scène (surtout au niveau du rythme ; le cinéma muet mêlait déjà des champs-contrechamps tout en ayant recours aux répliques sur « carton »), rien ne dit que la spécificité de l’opérette qui est de passer tout à coup au chant soit adaptée à ce nouveau cinéma sonore.

Après tout, le cinéma n’avait eu de cesse depuis vingt ans de prendre ses distances avec tout ce qui ressemblait de près ou de loin au théâtre.

Ce sont de nouveaux codes qui doivent émerger. L’opérette se rapproche effectivement du théâtre, voire de l’opéra, s’impose alors une évidence : alors qu’une partie de l’efficacité du cinéma reposait depuis quinze ans sur le montage, sur le montage alterné plus spécifiquement, avec une opérette, on en revient à des séquences inspirées de la scène avec ses entrées et ses sorties. Quel retour en arrière ! (Même si tout l’art consistera aussi à intégrer des éléments de montage alterné pour casser le ronron de l’espace-temps hérité du théâtre.)

Le cinéma muet était en 1929 à l’apogée de son art avec cette capacité à structurer le temps et l’espace à la manière presque désormais de la littérature. Certains pouvaient même rêver de voir ce langage imposer une forme de communication universelle ! Un petit homme avec une moustache rectangulaire allait-il réunir la planète après la boucherie de la Grande Guerre ?… Non. Chaplin s’accrochera encore un certain temps au muet (même si ses films n’ont en réalité jamais été spécifiquement « muet ») et un autre petit homme avec une moustache ridicule rêvera de répondre à sa manière à la Première Guerre mondiale… (En en faisant une seconde.)

Seul le cinéma burlesque obéissait donc encore à ces principes d’un langage théâtral. Et c’est peut-être parce que Lubitsch vient de cette culture qu’il a compris le potentiel d’un retour à un cinéma moins basé sur le montage, plus parlant, plus chanté, dans lequel le quatrième mur pouvait être allègrement traversé (ironiquement, on en reviendrait même au temps des Grecs quand un chœur ou un coryphée pouvaient ponctuer « l’action »). L’opérette sera crédible avec ses passages incessants entre parlant et chant parce qu’elle l’a toujours été sur scène.

Les bons mots, les froufrous et les moulures au plafond vont remplacer les décors pompiers, les surimpressions et les mouvements sophistiqués de caméra. L’âge d’or du cinéma classique à Hollywood est lancé. Et paradoxalement, Broadway lui servira de source principale.

La réalisation de Lubitsch passe par une grande simplicité. Comme certains acteurs du muet ont très vite montré leurs limites à l’arrivée du son, j’ai déjà évoqué ici certaines difficultés de certains réalisateurs à trouver le bon angle et la bonne distance avec les nouveaux usages, plus simples, plus directs, du cinéma sonore (je renvoie une nouvelle fois à cette étiquette).

Lubitsch a compris tout de suite de quoi « il en retournait ». Mais se contenter de quelques champs-contrechamps ou de panoramiques d’accompagnement en plans rapprochés ne vous aidera pas pour autant à réaliser un bon film : hé oui, désormais, ces satanés acteurs, il va falloir les diriger !

Fini la pantomime ! fini les répétitions ou les temps morts qu’on arrive à récupérer au montage ou en foutant un carton ! Les acteurs doivent non seulement trouver le ton juste, comprendre la situation, adopter les mimiques adéquates, être à l’écoute de leur partenaire, trouver un volume sonore adapté au cinéma. Tout cela ne s’improvise pas. Tricher avec des astuces du cinéma muet ? N’y passez pas, la voix trahira les mauvais acteurs, quoi que vous puissiez inventer pour les diriger ou tromper le public.

Pour une opérette comme celle-ci, c’est des semaines de répétitions. Cinéma ou pas, on ne peut pas se reposer sur la possibilité du montage pour diriger en direct un acteur, couper, et refaire. Champs-contrechamps ou pas, il faut respecter un certain rythme, une continuité temporelle et de ton. Plus difficile encore, il faut inventer tout un travail visuel de sous-texte que seuls les acteurs de théâtre (ou de music-hall) sont capables d’offrir (tout en l’adaptant à la distance de la caméra). On chante, on parle, mais plus étonnant déjà : on murmure, on parle naturellement. La révolution n’est pas « parlante », elle est « murmurante » !

Imaginez l’effet sur le public d’un Français qui lui murmure aux oreilles ! » Oh, Maurice ! Oui, Maurice ! Susurre-moi encore ces mots doux, ces mots de tous les jours et ça m’fait quelque chose… » (Wrong track.)

L’année suivante, la MGM assurera la publicité du premier film parlant avec Greta Garbo avec le slogan « Garbo talks ». La Paramount aurait tout aussi bien pu lancer l’ère des comédies musicales avec le slogan « His name is Maurice. He sings, he oui-spurs! ». Des murmures qui sont autant d’éperons dans le cœur de ces dames… « Touché! »

« Oui-oui. »

Plus que jamais, celui qui dirige cela doit connaître le travail avec les acteurs… de théâtre. Et un peu comme chez Shakespeare, la trame romanesque principale se trouve rehaussée et mise en relief par une seconde : celle des domestiques. Si le jeu entre Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald se révèle typique de l’opérette, avec une pointe de théâtre de boulevard, le jeu des deux domestiques, en revanche, relève bien plus du music-hall dans un mélange typique, cette fois, du Broadway des revues de Ziegfeld, supervisées et théorisées par Ned Waybur.

La spécificité de ce duo de domestiques (rappelant le couple Béatrice/Bénédict de Beaucoup de bruit pour rien dans sa manière d’imiter le couple principal de la pièce), c’est qu’il allie techniques de danse, humour et acrobatie. Le couple présente une différence de taille, en faveur de la domestique, et cela ajoute au ridicule de leurs silhouettes quand elles s’animent. Maintenant que Hollywood se tourne vers le sonore, c’est tout naturellement qu’il pillera les usages de la scène de Broadway. Dans beaucoup de comédies musicales à venir, on retrouvera ce principe, l’alliance de l’humour et du glamour. La comédie musicale intégrera soit des éléments burlesques (et acrobatiques), soit des éléments de danse de salon (soit les deux). Les deux personnages principaux, de leur côté, ne dansent pas comme plus tard Astaire et Rogers pour la RKO, mais ils auraient pu. Eux restent dans le registre de l’opérette.

Pour ce qui est du fond de l’affaire (l’histoire), la première séquence est un bijou ; les premiers échanges entre les deux futurs époux royaux prolongent un peu le plaisir ; la suite s’essouffle vite, et la fin est consternante. En épousant la reine, le futur prince consort accepte de se mettre à ses ordres. Plutôt progressiste, pourrait-on penser. Mais le prince s’ennuie et veut bientôt reprendre les « reines » du couple. Et la reine cède. C’est maintenant lui qui commandera.


Parade d’amour, Ernst Lubitsch 1929 The Love Parade | Paramount


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1929

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Wonder Bar, Lloyd Bacon (1934)

Note : 3.5 sur 5.

Wonder Bar

Année : 1934

Réalisation : Lloyd Bacon

Avec : Al Jolson, Kay Francis, Dolores del Rio, Dick Powell, Guy Kibbee

Comédie musicale sans grandes prétentions tournée juste après la trilogie à succès de la Warner des Gold Diggers. On profite des chorégraphies kaléidoscopiques de Busby Berkeley, mais bien plus encore des pitreries chantées d’Al Jolson, l’interprète du Chanteur de jazz. Ses numéros de cabaret, typiques du music-hall de l’époque, consistent à proposer différentes vignettes chantées et dansées des cultures du monde (le bar en question possède une enseigne lumineuse écrite en plusieurs langues, ça donne le ton cosmopolite du film).

À noter quelques sketches en russe pleins de jeux de mots malheureusement incompréhensibles (un côté Marx Brothers), un duo sadomasochiste de domination du mâle sur la femme où Dolores del Rio danse et se soumet au fouet avant de poignarder son amoureux… Et surtout un finale où Al Jolson reprend son numéro qui l’a rendu célèbre, dit-on, celui du blackface : les visionneurs contemporains qui ne comprennent rien à cette représentation positive (c’est souvent le cas au cinéma) des Noirs du sud pourront être scandalisés parce qu’on y trouve un numéro rempli de centaines de blackfaces façon Busby Berkeley (disponible ici).

En réalité, ces artistes, dès l’époque du ragtime, puis avec le jazz, n’ont jamais cessé de servir de ponts entre les cultures. Si certains minstrel shows dans le Sud étaient clairement racistes, ragtime et jazz étaient dans un autre registre et ont définitivement cassé les barrières culturelles d’alors : chacun empruntait aux autres pour ne finalement plus constituer qu’une culture commune, qu’une histoire commune. Celle des artistes.

Sur d’autres extraits, Jolson reprend les gants blancs rapportés aux grooms ou aux gentlemen, costume repris quelques années après par Eleanor Powell, puis des années après par Michael Jackson, qui poursuivra et finira d’achever cette tradition de passerelles entre les cultures pour ne constituer qu’une seule communauté, celle des artistes.

Sacré interprète que cet Al Jolson : un formidable chanteur, une autorité certaine.


Wonder Bar, Lloyd Bacon 1934 | First National Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

Le rehearsal movies

The Matinee Idol, Frank Capra

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L’Accordéon, Igor Savchenko (1934)

L’Accordéon

Garmon/ Гармонь Année : 1934

3/10 IMDb

Réalisation :

Igor Savchenko

Avec :

Zoya Fyodorova, Pyotr Savin, Igor Savchenko

Stupide comédie musicale qui fait semblant d’apporter au milieu de son néant un peu de subversif en moquant le zèle d’un secrétaire d’une coopérative agricole. Mais il n’y a finalement pas grand-chose à sauver sinon l’intérêt folklorique de la chose.

Si on ne juge que l’aspect musical, c’est bien pauvre. L’aspect visuel passe encore, mais la postsynchronisation des chevaux, des pas, ou pire des routines de danse, alors là bravo.

J’ai cru comprendre qu’on réalisait ce même genre de comédies musicales champêtres en Corée du Nord. Le vide absolu. La consensualité mièvre avec le pouvoir à travers l’exaltation de valeurs faussement populaires.


L’Accordéon, Igor Savchenko 1934 Garmon /Гармонь | Mezhrabpomfilm


Eleanor Powell êtes-elle surcoté ? [article interdit aux – 18]

Cinéma en pâté d’articles   

Fabulations articulaires   

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[Attention spoilers sous les bras]

Alors voilà, je voulez vous demandé qu’est-ce que vous pensé, vous les fans qui s’y trouvent dans la sale, de cette soi disante actrice qui depuis maintenant dix ans est considéré ,par l’inteliengentia critique du gotta de la crème en costard, comme la meilleur actrice depuis Sarah & Bernard. Ne pensiez vous pas qu’une vulgaire danceuse puisse être considéré au même point que d’autres actrices j’ai nommé Mary Pickford, Greta Garbo, Mary Pickford, Irene Dunne, Barbara Standwick? Susait-elle autre chose qu’une danceuse, Elaenor Powell ne mérite pas à mon humble opinion tout se tourletintouin. Est-ce que vous ête vous donc des moutons à ne pas avoir les yeux en face des trous pour faire de cette diva la « meilleur actice de son temps » ?

Pour vous montrez à quel point cette danceuse de cabaret ne mérite pas ce titre dicerné il y a encore pas si long temps à Mary Pickford, je vous propose de faire le point sur sa carrière (qui ditons est sur le point de sa chevée, ouf).

Première pi_èce à convcition : George White’s 1935 Scandals

Tout le monde connait George White et la qualité de ses revus surtout depuis l’apparition de ses sucenommés « scandals ». Fort de son succès ,il décide d’en faire une série de films à Hollywood qui doit faire face alors à une crise depuis l’événement du parlant (le procédé technique n’est pas fameux et surtout Mary Pickford a décidé de ne pas poursuivre l’aventure temps qu’on ne refera pas des films sérieux). C’est là qu’il propose à cette Powell (ne lui faisont pas l’honneur de lui attribuer un prénom) de venir faire tapette dans son show. Ce qu’elle fut avec plus ou moins de succès dans ce numéro affligeant comme nous pouvions le voir dans cette vidéo. Remarquons déjà que loin d’adopter le tutu d’usage ,Eleanor (ne lui faisont pas l’honneur de lui affubler un patronyme) arbore avec insolence un pantalon. Et plus qu’une dance nous parlerions plutôt de gymnastique digne des pires gitanes enflammée.

Deuzième pièce : The Broadway Melody Of 1936 D’accord, c’est déjà loin, dix ans, mais rappelez vous combien ce film fut insensé par la presse aux Oscars !

Un voile n’a pas de costume, je commence par la fin du film (ce qui devait être un soulagement fut une seconde couche sur la tartine). Je vous le mets dans le mille ,cette Powell (aucun lien de parenté avec Dick Powell, mon acteur favori malgré sa collaboration au cinéma parlant) continue de se trémousser en pantalon ! On l’y voit aussi massacrer ce classique du musical all vu souvent dans les revues de George White : Got a dance, et qui apparaît ici transformé en Gotta dance (voyez la nuance du saboteur plagiste). Un peu avant on la vois dans un numéro qui est selon ses tracteurs celui qui lui vaut le titre de queen of taps (titre qu’elle arbora souvent avant de se faire passer pour la meilleur actrice avant que la terre est jamais porté depuis Sarah & bernard) :

Un belle affront pour le talent français (son accent est pitoyable et l’interprétation gloabelemnt médiocre) , lui manquerait seulement une plume dans le derrière et voilà! (encore une fois Robert Taylor sert de faire valoir gominé pour faire passer la pilule).

Troisième pièce à convition : L’Amiral mène la dance

Le plus mauvais film du jeune James Stewart assuréement. La production, la même année que le précédent pourtant, semble faire marche arrière et cette …Powell apparait en jupe. Mais quelle honte! Si on a inventé le parlant pour voir ça, non non non !

Quatrème pièce Broadway Melody of 1938

Ah, cette mode des séries ! j’en peux plus de cette facilité ! Encore heureux que les Oscars cette fois ne s’y seront pas laissez prendre …Encore une fois, c’est le final qui fait l’objet de toute mon attention. Une fille (en pantalon, je vous le donne dans le mille) qui parade au milieu des hommes, gesticulant comme une pie et se laissant tripoter sans le moindre tutu ! Je cherche encore où ce situe la « grande actrice » dans ce numéro lamentable ! Il n’y a pas une larme de Mary Pickford dans toute cette vulgarité!

Broadway Melody of 1940

Le supplice continut! Et cette fois, ce n’est plus Robert Taylor qu’elle humilie de sa présence mais le grand Fred Astaire (plus connu de son nom de scène, Adele & Fred). Robe blanche un tentinet trop similaire à la couleur du costume de Fred (on subodore déjà la tentative de plagia), et encore une fois, les genoux sont visibles (aucun tutu et en prime une musique de jeune pour être dans le vent …). Même entant que danceuse, cette Powell (aucun lien filatoire avec The Thin – moustache — Man ; William Powell) ne vaut pas un orteil de la grande Adele Astaire !

Dans Honolulu (le titre annonce déjà la couleur !)

Comment elle se la tap… Et le pompon sur le gâteau :

Et la goutte d’eau qui a fait déborder la valse :

Plus grande actrice de tous les temps ? Sérieusement messieurs les senseurs?!!!

Quand je vois que son dernier film est en passe de dépasser Fight club en terme de nombre de notes sur IMBd, je tombe de mon pied d’estal ! En parlant de Fight, voici celle proposé dans un des Broadway Melody (ce serait trop d’honneur d’en siter le millésime) :

Quelle violence …S’il suffisait de savoir dancer pour être considéré comme « grand acteur » Sarah & Bernad ne furent jamais les plus grands (avec leurs jambes de bois, ditons) :

(cette musique du diable me rend malade …comment peut-on supporter un tel bruit… Mary Pickford a bien raison de ne pas vouloir participer à cette décadence !)

J’attends les avis de ceux qui disent qui sont fans de cette actrice. Qu’on m’explique. Argumentez s’il vous plaît et n’oubliez pas que tout ce que vous diseriez n’engage que votre opinion subjective.

Désolé pour ma prononciation quelle que peu bucolique.


Fabulations articulaires


Autres articles cinéma :


Carioca, Thornton Freeland (1933)

I have a good feeling about this…

Note : 2.5 sur 5.

Carioca

Titre original : Flying Down to Rio

Année : 1933

Réalisation : Thornton Freeland

Avec : Dolores del Rio, Gene Raymond, Raul Roulien, Ginger Rogers, Fred Astaire

Il y a un avantage certain à évoluer parmi les seconds rôles dans un film médiocre. Quand l’histoire ne tient pas la route, quand les numéros proposés sont globalement pitoyables, le spectateur, ou les critiques, cherchent à se raccrocher à ce qui semble sortir du lot. Ginger Rogers et Fred Astaire, ici, steal the show, non pas parce que leur performance est remarquable en comparaison de ce qu’on connaît de la suite, mais parce que le scénario les place plus que nécessaire sur le devant de la scène, que les premiers rôles sont mal définis et plutôt quelconques, et bien sûr parce que grâce à leur(s) talent(s), ils parviennent malgré tout à créer un peu de vie dans ce grand néant.

L’histoire est probablement un prétexte à proposer aux spectateurs un peu d’exotisme, à travers le personnage de Dolores del Rio et de l’environnement (Floride, puis Rio). Alors, c’est très joli, le design est parfait, la photographie tout autant. Seulement, si on peut accepter pour certains films basés sur des numéros que l’ensemble ne soit qu’un prétexte, ici on met l’accent sur le romantisme et le classique triangle amoureux. Et quand ça ne tient pas la route, on regarde ailleurs.

Dans les vaudevilles, les revues, à Broadway, il y a toujours un maître de cérémonie qui fait le lien entre les numéros. Il présente la suite, propose lui-même de courts numéros, commente souvent avec ironie… Ici ce rôle est tenu par Ginger Rogers et par Fred Astaire. Ils survolent en quelque sorte cet océan de médiocrité, regardent avec ironie et distanciation le monde qu’on nous présente, et c’est bien pour ça qu’ils captent non seulement notre attention, mais reçoivent immédiatement notre adhésion. Ils sont à la fois à l’intérieur de l’action, et à côté, avec nous. Un peu comme le duo C3-PO R2D2 de la Guerre des étoiles ou Statler & Waldorf dans le Muppet Show… Et puisqu’on s’emmerde pendant tout le film, on se met à fantasmer sur la vie qu’ils pourraient mener en dehors de ce monde.

Ginger Rogers apparaissait la même année dans deux des trois chefs-d’œuvre musicaux de la Warner de 1933 (elle n’apparaît pas dans Footlight Parade) et se faisait surtout remarquer pour son tempérament et son talent comique. Elle tient ici un rôle tout aussi acerbe et la RKO gommera cet aspect grincheux dans les films où elle tiendra le haut de l’affiche avec Fred Astaire, mais si on peut rêver tout à coup à une idylle entre ces deux énergumènes, il est fort probable qu’on les ait réunis ici pour leur tempérament comique. C’était plus délicat avec Fred Astaire, qui comptait bien commencer une carrière solo maintenant que sa sœur Adele avec qui il avait dansé plus de vingt ans, était mariée. Officiant ici en maître de cérémonie, il doit également jouer les comiques et ne s’en tire pas trop mal. On retient surtout cette carioca interprétée avec Rogers. Pas franchement très emballant, mais on voit la maîtrise, et déjà l’alchimie du couple qui fera sensation par la suite : difficile à dire ce que pouvait donner Astaire avec sa sœur, car il n’en reste aucune image, mais il adopte bien ici la fantaisie de Ginger Rogers, comme elle profitera sans doute de la rigueur et de l’aisance d’Astaire. Comme il le fera par la suite, on sent que c’est lui qui dirige, commande. Avec sa sœur, c’était elle qui était mise en lumière. Et Astaire sait probablement comment faire en sorte pour que ce soit lui qu’on remarque, à moins que cette aisance lui prodiguant une autorité immédiate, vienne précisément de l’habitude de mettre l’autre en lumière, sans jamais à avoir à forcer son talent. De l’autorité, et un œil surtout attentif à la performance de sa partenaire. Un œil à la fois bienveillant, mais aussi l’œil du professeur guettant les erreurs de ses élèves. Sa maîtrise à lui est telle qu’il n’y a que des certitudes dans le moindre de ses gestes, et de la facilité aussi, car on sent qu’il en garde toujours sous la pédale, ce qui est clairement le signe des génies. De la désinvolture aussi, celle que seuls les plus grands encore peuvent laisser apparaître pour gommer tout ce qui est technique et effort (l’art de rendre les choses simples et faciles comme le soulignera Eleanor Powell en lui rendant hommage cinquante ans après). Notre C3PO dansant a également l’occasion de se produire ici en solo, et même de pousser la chansonnette, mais il ne sera jamais aussi bon, ici ou ailleurs, qu’avec une partenaire, justement parce qu’il savait comme personne les rendre meilleures (toujours le même principe dans le jeu des acteurs, certains ont la capacité d’écouter et de regarder leurs partenaires : et celui qui sait écouter et voir, c’est lui qu’on écoute se taire et qu’on regarde ne rien faire…).

Le pouvoir des critiques était tel à l’époque que la RKO s’est laissé convaincre de les réunir en adaptant La Joyeuse divorcée. Ceux qui font la publicité, à l’époque, c’est avant tout les critiques. Et les critiques iraient difficilement se contredire… Il n’y avait de toute façon pas de quoi. L’histoire était belle, alors que dans le duo avec sa sœur, Fred n’avait jamais semblé être autre chose qu’un faire-valoir de sa sœur, voilà qu’il laissait supposer dans un film médiocre, assisté d’une autre partenaire, qu’il pouvait, et méritait, les premiers rôles. On connaît la suite. C3PO et R2D2 formeront le duo le plus célèbre de la comédie musicale, et on cherchera longtemps l’ombre d’Adele dans les pas de son frère… Les héros sont rarement là où on le croit.

Les premiers pas de Ginger & Fred (juste un doigt) :

Carioca, Thornton Freeland 1933 Flying Down to Rio | RKO


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The Broadway Melody, Harry Beaumont (1929)

Les misères de Broadway

Note : 2.5 sur 5.

The Broadway Melody

Année : 1929

Réalisation : Harry Beaumont

Avec : Bessie Love, Anita Page, Charles King

Il faut l’avouer, quand on est amoureux des belles choses…, il est instructif de réévaluer certains films à la lumière de ses contemporains, de ses petits frères, tous oubliés — eux, éventuellement — pour de bonnes raisons. L’occasion donc de ré-étalonner la valeur des choses, et ainsi mieux comprendre, peut-être, ce qui fait de ces œuvres, des œuvres uniques et indispensables. Quand on s’intéresse à l’histoire de la représentation, en particulier au cinéma, ce genre de films (médiocres), si on sait ne pas en abuser, recèle des trésors inattendus ; c’est que bien qu’étant des objets affreusement quelconques, ils peuvent contenir malgré eux des informations éclairantes sur une époque oubliée ou méconnue du cinéma, ou tout simplement sur une époque qu’on n’a pas connue.

Ainsi, par exemple, il y a dans ces hésitations de mise en scène, dans cette approximation (inhérente à la métamorphose que le cinéma était en train de produire), une variété de déchets qui donne le tournis (les archéologues adorent les déchets). Les attitudes, les cadrages, le rythme, le découpage, le design, le jeu des acteurs, tout trahit la réalité d’une époque. C’est à ça que servent les codes, à se programmer des trajectoires, des routines, des usages, capables d’éviter ces erreurs grossières (on risque alors le formatage, mais c’est une autre histoire).

Si ces « déchets de réalité » ont une si grande importance ici, c’est que pour la première fois, on a avec le cinéma parlant la retranscription quasi crédible du monde telle qu’on le perçoit. En devenant parlant, le cinéma rend le spectateur un peu moins sourd. Ne lui manque plus que la couleur, mais déjà, avec le mouvement des images et le son, le pouvoir de fascination est total. Il faut donc imaginer l’émotion des spectateurs face à cette vision du monde qui s’offrait pour la première fois devant leurs yeux. Plus réelle que les photographies, plus réelle que le cinéma muet, et plus réel aussi qu’un film maîtrisé, résultat d’un savoir-faire qui a précisément pour objet de gommer tous ces déchets propres à la banalité du monde. Si ces premières images animées et sonores pouvaient sidérer le spectateur de l’époque, elles nous sidèrent aujourd’hui pour tout autre chose. D’abord bien sûr par la médiocrité de leur composition, mais surtout, encore une fois, par la retranscription accidentelle d’un monde, celui des années 20, qui ne s’était jamais laissé approcher avec une telle authenticité par le passé, et qui fuira très vite les écrans dès qu’on adoptera certaines habitudes ou codes de tournage.

L’un des aspects les plus amusants dans ce spectacle des médiocrités qui se joue devant nos yeux comme à travers le trou de serrure du temps, c’est la manière dont est retranscrit « le rêve américain ». Parce que si on sait que tout ce qui est lié à ce rêve, et en particulier à New York ou à Broadway, réveille chez les spectateurs d’aujourd’hui quelque émoi, on sait par ailleurs que ce rêve n’est qu’un leurre. Très tôt pourtant, les films hollywoodiens nous ont révélé cette illusion à travers l’exposition souvent innocente de ce qui se joue en dehors de la scène et des projecteurs. Mais il y a ce qu’on sait parce qu’on nous l’a appris, et ce qu’on sait par ce que l’on voit et le comprend par nous-mêmes. Or, ce rêve, à la lumière de ces « déchets de réalité » peine à être crédible. On sent bien que le film cherche à nous le vendre, pourtant entre ce qu’on nous dit et ce qu’on voit, rien ne correspond. On se trouve alors comme face à ces nouveaux riches qui, en d’autres périodes, qu’ils soient russes, chinois ou qataris, ne font qu’exposer leur désir de paraître. Paradoxalement, le folklore US tel qu’on le connaît, maladroitement retranscrit ici, ne nous apparaît jamais aussi crédible que quand il sent fraîchement le carton-pâte.

The Broadway Melody, Harry Beaumont 1929 MGM (1)The Broadway Melody, Harry Beaumont 1929 MGM (4)

Dès la seconde séquence, en nous vendant du rêve, on ne voit que cauchemar.

Les deux personnages principaux arrivent dans leur chambre d’hôtel à New York ; elles se rêvent actrices à Broadway, elles ont le sourire, tout va bien malgré leurs poches, leur estomac et leur tête vides… On pourrait se dire que ça correspond au folklore américain. Sauf qu’émane de cette scène une sorte de solitude froide, d’angoisse sourde et pesante, qui ne tient qu’à la manière dont l’espace nous est représenté. Plus qu’une chambre d’hôtel, il s’agit plutôt d’un appartement, ni trop grand ni trop petit, ni luxueux, ni miteux, juste impersonnel et confortable comme il devait en exister « réellement » à New York à la fin des années 20. Un hôtel, me dira-t-on, est forcément impersonnel, et en quoi le confort serait-il un problème ? Eh bien, concernant l’hôtel, le problème vient surtout du fait qu’on n’a aucune idée du contexte. Ce n’est pas qu’il est impersonnel pour être impersonnel, c’est qu’il est impersonnel parce qu’il n’existe pas : aucune vue d’ensemble, aucune vue de transition montrant l’arrivée des filles en bas de l’immeuble ni à la réception. Juste un carton pour nous dire « vous êtes dans un hôtel ». C’est juste flippant. Imaginez, vous vous réveillez dans une chambre, on vous dit que vous êtes dans un hôtel, mais vous ne voyez rien d’autre que cet appartement qui pourrait tout aussi bien être… situé dans une cave ! Il ne suffit pas de me le dire (ou l’écrire), il faut me le montrer pour que j’y croie ! Ainsi, quand les deux actrices regardent par la fenêtre et rêvent de « se voir en haut de l’affiche », aucun contrechamp pour nous montrer la rue, les immeubles d’en face, nous vendre du rêve, le leur ! Et le confort pose un problème justement parce qu’il fait faux, on ne peut y croire. Le luxe ostentatoire fait rêver, mais le miteux aussi ! Le mythe de l’artiste maudit, l’atmosphère des petites chambres où les bas sèchent sur les abat-jours à 15cents… La promiscuité, le charme et la sueur presque latins. La vie de Bohème ! On verra tout ça dans les films qui suivent, et on l’a vu dans les muets qui précèdent. Non là, ça sent grave la réalité, le rêve américain comme il est (ou devait l’être) dans la vraie vie : un cauchemar de solitude. « Fais-toi tout seul ! ». C’est bien ça. Tout seul. Pas de voisin insupportable, pas de rue bruyante, pas d’humidité aux murs, pas de vie. La mort, le silence. Démerde-toi, et surtout, crève dans ton appartement, on n’en saura rien, il est insonorisé, désinsectisé, désinfecté, hermétique au monde comme à nos cœurs.

Voir ce film, ça a dû en déprimer plus d’un à l’époque… Si, si ! Ils ont dû voir les auditions désertées et les acteurs se suicider (certains découverts dix ans plus tard, le corps parfaitement intact et prêt à pavaner chez Madame Tussauds en laissant une note d’hôtel à 20 000 $). Parce que pour les films suivants, les acteurs itinérants arriveront souvent dans des pensions d’artistes. L’occasion de décrire une galerie de personnages autrement plus vivants que ceux qu’on trouve chez Madame Tussauds… Du folklore… Des personnages qu’on prendra plaisir à voir aimer se haïr… Parce que quand on aime se haïr (c’est souvent de la jalousie ou des querelles de vieux couples), c’est qu’on s’aime, c’est qu’on ne laisse pas indifférent. Pour un acteur, haïr, c’est exister ; mourir, c’est dormir, rêver peut-être… En tout cas, c’est être indifférent au regard des autres. Quoi de plus mortel pour des acteurs qu’une chambre d’hôtel impersonnelle ?

Alors voilà, ce Broadway Melody sonnerait plutôt en fait comme une oraison funèbre.

Autre particularité « réaliste », et cassant tout autant l’idée du rêve américain : l’évocation des répétitions. Dans l’esprit du spectateur, ouah, on va voir des répétitions, l’arrière du décor, c’est magique ! Sauf que pas du tout. En vrai, ce n’est pas glorieux (c’est comme quand on se prépare pour un combat de boxe, on n’a pas toujours Eye of the Tiger au cul des oreilles). Et dans le film, ce n’est pas glorieux non plus. Ça doit être fait tout à fait innocemment : « Voici comment on bosse à Broadway, ça vous fait envie n’est-ce pas ? » Eh ben, non, merde, de la sueur, de la mauvaise ambiance, et pis surtout… des numéros franchement pas au point. « Eh, bah, c’est qu’on répète, c’est normal ! » Oui, et quand une vedette de cinéma est filmée au lever du jour, on la montre mal coiffée et non maquillée ? Eh, MGM quoi !… On ne voit pas Garbo lever le doigt pour une pause pipi !… Bref, plus tard, on verra que quand on montre des répétitions, les numéros sont toujours… déjà au point (c’est con, mais en plus ça ne m’avait jamais titillé l’esprit, pourtant le metteur en scène on l’y voit les reprendre, mais nous, on ne voit rien — l’exigence légendaire des chorégraphes de Broadway sans doute…). Le voilà donc le rêve (et le mensonge) américain : la vie facile. On répète, et ça doit être parfait. Et là, non. C’est un cauchemar tellement ça fait amateur…

The Broadway Melody, Harry Beaumont 1929 MGM (5)The Broadway Melody, Harry Beaumont 1929 MGM (6)

Un des premiers films sonores oblige, on n’échappe pas aux approximations des débuts ou aux impératifs d’une technique (ou d’ingénieurs du son) pas encore… au point. Là encore, on imagine la difficulté pour les acteurs, le metteur en scène et le studio, de juger de ce qu’ils voient et surtout entendent. Sans autre repère, sans pouvoir comparer… Le résultat est donc étrange. Souvent dans les premiers films sonores, on sent le passage entre les parties sonores et muettes, comme si on ouvrait les robinets, les lavabos, et glou et glou et glou… Pas de ça ici, au contraire, tout semble sonorisé. Non, le problème, c’est que la prise sonore s’est faite trop loin. On n’entend qu’un son d’ambiance, et il se trouve que parmi ces sons, on capte les voix des acteurs (qui sont donc obligés de jouer comme au théâtre pour se faire entendre). Ça donne une impression étrange, mêlée de réalisme et de distance. D’être là sans l’être vraiment. Comme invité, de trop, ou de passage dans une salle de bains qui n’est pas la nôtre… Manque donc l’intimité de la capture du son prise à la commissure des lèvres, aux premières gouttes de bave, dans cette bulle de l’acteur que les spécialistes nomment « le postillon ». Cette proximité avec l’acteur, le personnage, ne laisse aucun doute sur notre omniscience. Notre regard n’est pas celui, distant, de celui qui observe, caché avec la peur de se faire attraper, mais celle du narrateur qui voit et peut tout savoir. La réalité, face à la magie du rêve.

Par souci de réalisme (moi aussi, je répète), on y montre également les acteurs littéralement (ou presque) se chier dessus avant d’entrer en scène. C’est tout à fait exact (la fameuse odeur des coulisses qui mêle sueur de six mois, poussière du siècle dernier, chaleurs de terreur, sperme de quatre jours, café froid, cendre de cigarettes, préparatifs pyrotechniques, cuir moisi, taffetas brûlé, et donc… trou de mémoire). Sauf qu’il n’est probablement pas très judicieux de le montrer ainsi au public. Que les acteurs aient le trac, le public s’y attend, mais il faut le montrer de manière positive. Le trac, ça revigore les sens ! ça exalte ! ça électrise !…

Les revues présentées, et en particulier les éléments qui les composent (ces machins insaisissables et éphémères qu’on appelle « acteurs »), puent l’amateurisme. Là encore, c’est sans doute très réaliste, sauf que ça ne vend toujours pas du rêve. Les canons de beauté n’ont pas officiellement changé (c’était le 24 mars 1931 à midi pour les tatillons), et pré-code oblige (même les statues grecques sont pré-codes, en vrai), on se paie le luxe de voir de beaux morceaux, bien blancs, bien gras, se dodeliner sans grâce ni coordination. On sera plus regardant par la suite quant au casting des petites fesses musicales…

C’est que le manque de repère, sans doute, laisse croire à la possibilité de réinventer des codes nouveaux. Ce qui est en partie vrai, mais certains principes demeurent les mêmes. La découverte du son permet de s’émouvoir des moindres bruits, et on en vient à montrer l’insipide, à se focaliser sur le détail, un peu comme on devait s’émouvoir des premières images animées. On peut comprendre que tous soient un peu perdus (ou intimidés), mais le parlant, s’il peut en effet adopter des usages particuliers, ne répondra pas autrement à d’autres principes qui sont, là, communs à tous les arts de la représentation : la nécessité du rythme, l’inventivité, la justesse de ton, le respect des enjeux, la rigueur dramatique, la mise en évidence des points forts…

Par exemple, les transitions doivent, quel que soit l’art dans lequel on s’exprime, user d’une ponctuation pour souligner la structure du récit, imposer des respirations et offrir au spectateur des images reconnaissables lui permettant de comprendre où il se trouve. Or, ne sachant trop se situer, le film réutilise des éléments devenus inutiles du muet pour les utiliser de manière pas du tout appropriée, et ne propose aucun des artifices de ponctuation qui seront utilisés par la suite. L’effet produit sur un spectateur d’aujourd’hui est plus qu’étrange. Ce ne sont pas seulement ces cartons qui viennent s’insérer bizarrement pour dire comme chez Shakespeare où on se trouve, mais c’est par exemple l’absence de musique d’accompagnement. Le procédé n’a pas été inventé par et pour le cinéma, il existait déjà très probablement dans les vaudevilles et les revues à Broadway pour passer d’une scène à une autre… Donc là, carton ou pas, on se trouve un peu perdu entre deux séquences, et plus encore à l’intérieur, car le découpage technique, sans avoir la créativité des dernières heures du muet, n’adopte pas plus le découpage, déjà en vigueur dans la plupart des films muets et qui s’est imposé par la suite dans toutes les productions de l’âge d’or hollywoodien. Les raccords dans le mouvement, dans l’axe, les contrechamps de réaction, tout ça c’est de la chimie qui permet de recréer une impression de réalité tout en gommant ces affreux « déchets réalistes » qui sont communs à toutes les productions médiocres (le savoir-faire, c’est précisément d’arriver à fixer sa caméra et donc l’attention du spectateur sur des mouvements essentiels au lieu de lui mettre sous les yeux des mouvements parasites qui brouillent le message).

Le film souffre aussi d’un scénario calamiteux. L’histoire n’est pas si mauvaise (Edmund Goulding en est l’auteur). Mais les dialogues ne sont pas d’un grand raffinement et peinent à trouver le bon rythme (on ne le comprend sans doute pas encore mais au contraire du théâtre où on peut s’étendre, là, il faut aller à l’essentiel). Du coup, on se pose dans une situation et on attend presque que les choses se passent. Manque cette situation d’urgence qu’on retrouve plus tard dans la plupart des grands films (et déjà présente au muet).

(Je juge en fonction de ce qui vient immédiatement après, à savoir, les codes du cinéma classique qui s’établissent très vite dans les années 30. Quand on regarde un Altman par exemple, il aime utiliser cette distanciation, mais ces histoires sont souvent des chroniques avec des enjeux propres à chaque personnage et inconnus souvent du spectateur ; alors qu’ici, l’argument est tout à fait classique : les enjeux, on les connaît, ils ont été présentés dès les premières scènes).

Il y a à parier que la production ait été pressée par le temps (le film avait commencé à être filmé en muet) et dans cette situation, difficile non seulement de se faire écrire des dialogues de qualité, mais surtout d’avoir assez de recul pour comprendre qu’autant de dialogues si superficiels et mal (ou pas du tout) décomposés (soulignés) par le découpage ne laisseront qu’une impression de spectacle lointain, étranger au spectateur. L’impression de réalisme due à tous ces éléments mis bout à bout a probablement joué à l’époque un rôle important dans la perception du film, en provoquant cette sidération commune à toutes les avancées techniques dont on devine immédiatement l’importance, mais ce qui saute aux yeux surtout aujourd’hui, ce sont ses défauts.

Dernière particularité (et faiblesse quand on connaît la suite). Le choix de se focaliser sur l’aspect dramatique. La présence du producteur nommé Zanfield ne trompe pas, on privilégie l’aspect « revue » par rapport à la comédie. L’un des numéros présentés est même très « opératique », loin de ce qu’on présentera par la suite dans les films du genre. L’esprit « comédie musicale » n’est pas encore là, celui des vaudevilles, celui des petits artistes pouvant se faire un nom du jour au lendemain grâce à un numéro qui sera intégré entre deux séquences dénudées… et chorégraphiées… On y voit certes un ou deux personnages chargés d’amuser, seulement il semblerait qu’au lieu de choisir des artistes rodés sur un numéro, le leur, comme on le fera par la suite, ou de s’appuyer sur des seconds rôles de génie (comme Una Merkel, pour ce qui est précisément des Broadway Melody suivants), on ait fait confiance aux dialoguistes… Et comme, à travers son découpage, Harry Beaumont ne semble pas du tout intéressé par ces dialogues, aucune chance de nous divertir par ce biais.

Thalberg était pourtant aux commandes de la production (peut-être pas assez justement). Tout comme Cédric Gibbons, designer principal de la MGM (et on sait à quel point le design jouera un rôle important par la suite, non seulement pour la MGM mais pour toutes les autres compagnies). La dernière demi-heure du film est sur ce plan plutôt satisfaisant (mais loin des futurs standards) alors que les séquences de coulisses paraissent trop réalistes (tourné in location sans doute ou tout simplement mal filmées).

On sait que ce passage du muet au parlant a été crucial pour de nombreux acteurs, et il est probable que pour beaucoup d’entre eux, pas aidés par les circonstances (dialogues moisis, techniques approximatives, metteur en scène aux noisettes), ait fini par disparaître injustement. Ça ne semble pas être le cas ici cependant. Charles King est plutôt minable et ne fera rien par la suite. Anita Page est assez quelconque pour être gentil (morte en 2008…). Bessie Love en revanche, bien qu’affreusement employée ici (comme tous donc, mais elle a clairement plus de talent que les autres) aura une carrière bien remplie.


The Broadway Melody, Harry Beaumont (1929)  | MGM


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Broadway Melody of 1938, Roy Del Ruth (1937)

Mille milliards de mille sabots…

Mélodie de Broadway, Le Règne de la joie

Note : 3 sur 5.

Broadway Melody of 1938

Aka : Le Règne de la joie

Année : 1937

Réalisation : Roy Del Ruth

Avec : Eleanor Powell, Robert Taylor, George Murphy, Buddy Ebsen, Judy Garland

Le plus mauvais de la trilogie, et de loin.

Ça sent l’artifice et l’avoine. Le scénario d’abord ne tient pas la route : l’histoire se perd dans une histoire de pari et de canasson tout à fait hors de propos en nous éloignant trop longchamp de la scène. Écart classique du scénariste qui pour prétexter l’introduction d’un élément de son canevas décide de multiplier les pirouettes pour y arriver… Faut aussi savoir se décrotter de ses idées quand elles mènent nulle part. C’est une comédie musicale, bordel ! Rien à foutre des chevaux !… Tout ça, donc, comme prétexte à trouver du fric pour un show… Il fallait faire tout ce foin, alors qu’une fois que son associé (dont le dada c’est précisément les dadas…) se barre, il fait ce qu’il aurait dû faire depuis le début : faire la tournée des popotes, voir les directeurs de théâtre, les producteurs, et tout ça dans un montage (montage-séquence) réalisé par le maître en la matière, Slavko Vorkapich.

La réalisation ensuite… Je veux bien m’enfiler des faux raccords à la pelle quand l’histoire est bonne, le cadrage à peu près correct ou la direction d’acteurs plutôt bonne, et quand ils ont quelque chose d’intéressant à dire !… Mais je me fous de vos canassons de merde !!!… Oui, certes, c’est joli, c’est amusant… un cheval joue, aussi, des claquettes, avec ses gros sabots… Je vous vois venir… et je me planque déjà sous la selle. N’y pensons plus…

Avant-dernier film produit par Irving Thalberg, le génie MGM, mort d’une pneumonie… qu’il s’était chopé sur le tournage de… Un jour aux courses ! Ah, on comprend pourquoik’il y a pas de cheval dans la savane africaine… Le lion MGM les a tous bouffés pour se venger !…

Bref, je dis des conneries pour changer, je me donne du mal pour me mettre à la hauteur de ces grands chevaux… Je disais… Roy Del Ruth s’en était tiré plus qu’honorablement dans le premier opus (9, ma note, pas le cheval gagnant). Mais là rien ne marche. C’est vrai que le scénario n’aide pas, difficile de mettre en scène des répliques stupides et des gags qui sont loin de faire crack boom hue ! (comme cette grossière réplique du spécialiste des ronflements changé ici en spécialiste des éternuements… désolé, ça marche une fois — et ils refont même une autre redite avec le maillot de corps de Buddy Ebsen, sur lequel apparaissait dans le premier un Mickey, et donc ici… un Donald — dis donc, 1937, il n’a pas perdu de temps sur le merchandising le Disney…).

Le ton, le rythme n’y sont pas, c’est une horreur. Quant à la réalisation des numéros dansés, ils sont pathétiques (surtout celui sous la rotonde — sorte de Singin’ in the Rain qui fait plouf, avec la boue et tout…, manquaient que le crottin de cheval et les rires de hyènes enregistrés).

Quant aux acteurs, ils sont tous, en dehors de Robert Taylor (qui a juste besoin d’être beau — ce qui explique remerciements à ses parents lors des remises des prix quand les autres préfèrent louer les qualités évidentes de leur femme — ou de leur poulain) et d’Eleanor Powell (qui a juste besoin d’être là), mal employés. George Murphy (en plus d’être un futur sénateur républicain — ça paye bien de présenter son programme sur des maillots de corps pendant toute sa carrière) est un danseur… de claquettes, et puis, pas grand-chose d’autres. L’acteur ça peut encore aller (beau sourire hypocrite, c’est bien le minimum syndical pour celui qui sera également président de la Screen Actors Guild), mais si on lui demande de valser… sur des escaliers, alors là, ça va plus. On dit que les chevaux regardent où ils marchent… eh ben George aussi !… À chaque marche, un petit coup d’œil (« où sont passées mes lunettes ?!)… et puis un maintien déjà sénatorial… Buddy Ebsen à côté, c’est le prince Charles. Et du coup, voyant que Murphy ne faisait pas l’affaire… ils ont casté Fred Astaire pour le troisième film (la belle ironie c’est que tout le film tournera sur une seule idée : la méprise sur un nom qui fera que Murphy jouera à la place de son pote Fred Astaire pour partager la vedette avec Eleanor Powell).

Broadway Melody of 1938, Roy Del Ruth 1937 Metro-Goldwyn-Mayer (4)

Broadway Melody of 1938, Roy Del Ruth 1937 | Metro-Goldwyn-Mayer

C’est aussi un premier rôle (après un passage éclaire à la 20th) pour Judy Garland, 15 ans. Ah, ça, elle gueule, du coffre, elle en a. La voix, les larmes sur Clark Gable, tout ça, très bien. Les claquettes à la fin aussi, elle se débrouille très bien. Mais Dieu… quelle patate ! Des bras…, ce sont mes cuisses. Un nez comme une autoroute. Des sourcils qui croisent le fer (à cheval). Regard mièvre et hagard… Bah, Thalberg parti, ils vont foutrement la transformer la paysanne… Sauf que là… Elle n’est pas vraiment aidée. Première apparition : couettes et sucrerie à lécher, pis quand elle vient à pousser la chansonnette, les figurants restent à rien foutre derrière sinon à lancer des « boooh booohh booh bahaa ». Hé…, le mélange de son extra et intra-diégétique, les gars ! c’est une comédie musicale… Vous entendez les violons ? Dansez !… « Booh booh booh booh »…

Une chose sauve le film. Une !… Sorte de fer à cheval lancé sur la ligne… : le finale. Les cinq dernières minutes, qui méritent à elles seules que je cadenasse le film dans mes musicals préférés. Tout ce trajet trottin-trottant pour en arriver là. Bien sûr, on est venu pour ça. Dans le rehearsal movie, si on répète, c’est pour monter un spectacle… Alors, certes, de répétitions, on n’en verra pas grand-chose (je rappelle que c’est la fête aux canassons), du finale pas beaucoup plus… Mais cinq minutes d’Eleanor Powell valent bien le détour après tout ce foutoir ! L’effet est immédiat d’ailleurs. La scène est immense, Eleanor est encore entourée de son… chevalier servant, et hop ! Tout le monde s’écarte, place à la pro. D’autres “chevaliers” viendront jouer les haies d’honneur, porter la reine, bref, la mettre en valeur, même si elle se suffit à elle-même. Tout ça pour ça. Pour ces cinq minutes d’anthologie. De la grâce, de la précision, du charme, et du mitraillage en règle façon garçonne de prohibition pour la tap-dancing queen. Elle danse pas, elle mitraille.

Et elle achève bien enfin toutes ces saloperies de chevaux :

Tada, tatatata, tada, tatatata, tada, tatata !!!!… Crevez !

A rehearse ! My Kingdom for a rehearse !

Yo mi lasso jamás !

Et puisque je suis d’humeur partageuse, foin de mots, place aux images :

Si on y voit une similitude avec un certain Jackson (qui lui aussi a fini par se délaisser d’encombrants compères), c’est normal, le Jackson en question était un amateur.

(Désolé de n’avoir commenté que les plus mauvaises partitions de cette série des Broadway Melody : le meilleur est bien ailleurs.)

Broadway Melody of 1938, Roy Del Ruth 1937 Metro-Goldwyn-Mayer (1)


En supplément et en brouillon, quelques notes diverses à propos de la franchise des Broadway Melody pour les nuls :

Avec Prologues, on épatait la galerie avec de jolies chansons et du pompier à tous les étages. Tout de suite après, les vrais danseurs sont arrivés : Fred Astaire d’un côté (associé à Ginger Rogers dans les productions de la RKO) et Eleanor Powell de l’autre (lancée aux claquettes par Broadway Melody). Les deux se retrouveront pour le dernier Broadway Melody avec deux ou trois morceaux d’anthologie.

Parce que la Powell, elle ne chante pas (ou fait semblant) mais elle tambourine des pieds, et c’est elle qui mène la danse (Fred préfère être seul ou avec une partenaire en bon spécialiste de danse de chambre).

C’est compliqué de s’y retrouver dans la franchise. Ce sont les Broadway Melody avec Eleanor Powell qu’il faut voir. Le premier à la sortie du parlant peut être intéressant à regarder, mais c’est très mauvais. Il faut donc voir les trois suivants. Celui de 36, de 38 (il n’y a que le finale de bien), et celui de 40 avec les battles de claquettes entre Fred Astaire et Eleanor Powell.

Le premier du nom (enfin celui de 36 si on snobe celui de 29) a était nominé pour l’Oscar du meilleur film de l’année, ce n’est pas un petit film.

Les franchises ne sont pas nées avec James Bond ou Star Wars. Depuis toujours on cherche à reproduire un succès (même des succès sur scène) à la chaîne. Parfois, seulement avec un simple nom puisqu’ici ce n’est que le nom d’une revue ; d’autre fois c’est le nom du producteur qui attire. C’est un peu le Vivement Dimanche de l’époque. Tu as le titre, tu as Drucker, et tu sais qu’il reçoit des personnalités… Ou le Saturday Night. Donc c’est souvent avec la même équipe, c’est jamais la même histoire, c’est rarement des films qui se suivent, et pour cause, ce ne sont pas les mêmes personnages même si ce sont les mêmes acteurs (comme dans la trilogie des Chercheuses d’or — qui forment plus une unité temporelle, mais au-delà de celui de 1933, on cherche encore les pépites). Dans George White’s Scandals, George White, le producteur-acteur-danseur arrive dans une petite ville et voit qu’on joue un spectacle à son nom sans son accord. Comme quoi, on en riait déjà à l’époque de tout cet embrouillamini).

Du Cagney de Prologue, ici, il y a les prémices de ce qu’on verra dans Broadway Melody, c’est à dire qu’il danse littéralement sur les tables (ou un bar, me rappelle plus très bien) et c’est ce qui constitue un numéro en soi. Berkeley, ce sont les danses typiques des revues c’est à dire avec des chœurs. Manque juste le clou du spectacle, ceux capables d’assurer comme Cagney la tête d’affiche avec une routine de danse. Cagney n’est pas le plus grand danseur du monde, mais il y apporte de la personnalité et dans les revues de l’époque, c’était ce qui comptait parce qu’on n’est pas à l’Opéra de Paris, mais dans une tradition vaudevillesque. Donc pas de style Berkeley dans Broadway Melody, mais du Dave Gould (il a participé, par exemple, au premier film où apparaît Fred Astaire). Mais c’est moins important, parce que le travail chorégraphique des chœurs et de la caméra ou des décors a moins d’importance puisqu’on juge surtout la performance de la vedette au milieu de tout ça. À ma connaissance, pour ce qui est de ses numéros (en dehors des chœurs autour), Eleanor Powell, comme Fred Astaire, a toujours été responsable de ses propres pas de danse. Ce qui est facilement compréhensible parce qu’il y a la notion de routine. On ne dit pas au danseur de faire tel ou tel pas à tel moment, c’est le danseur qui invente des pas qui lui sont propres, sa routine, les enchaînements dont il est capable. Dans l’un, le chorégraphe demande des choses basiques qu’en principe tout danseur de bon niveau peut exécuter, de l’autre le danseur exécute lui-même ses pas parce qu’il connaît lui-même ses limites et travaille sa routine qui fait de lui justement la vedette. C’est notable dans le Broadway Melody de 36 sous-titré « naissance d’une star », il est probable que l’idée de remonter un film (sept ans après le premier) soit directement lié au talent de Powell. C’est son premier film, même Fred Astaire, qui était une des plus grandes stars de Broadway mais dont on croyait qu’il était fini après le retrait de sa sœur avec qui il formait un duo connu, et dont on s’imaginait qu’il n’avait pas d’avenir au cinéma, avait dû commencer par un rôle secondaire dans Carioca. Là, Powell est directement propulsée tête d’affiche, et le film décroche des nominations pour la prestigieuse statuette. On est plus du tout dans le style pompier de Berkeley. Et tout est prétexte à faire un nouvel opus. Fred Astaire, libéré de son contrat par la suite, en profitera donc pour apparaître dans celui de 42 pour se mesurer à la spécialiste des claquettes qu’est Eleanor Powell. Et là, on a deux danseurs avec de la personnalité comme Cagney et les deux danseurs de claquettes à la technique la plus parfaite qu’il soit (avec un mélange de danse de chambre et à deux dont est issu Fred Astaire et de danse de revue pour Powell, mais dans la revue, ça reste Powell le centre d’attraction, pas le chœur, le décor ou la caméra).

Eleanor Powell fait une simple apparition dans George White’s Scandals où elle assure un numéro, très bon d’ailleurs — mais le film est nul, on peut voir sa routine directement sur YouTube pour ne pas s’abîmer les yeux.


Sur La Saveur des goûts amers :

Fabulation : 

Eleanor Powell êtes-elle surcoté ? [article interdit aux – 18]

Article

The Rehearsal Movies

Listes sur IMDb : 

Lim’s favorite musicals

Liens externes :


Hallelujah! King Vidor (1929)

Nina Mae!

Hallelujah!

Note : 4 sur 5.

Année : 1929

Réalisation : King Vidor

Avec : Nina Mae McKinney

TOP FILMS

On est en pleine émergence du film parlant. La technique est surtout utilisée pour des films musicaux dont celui-ci fait partie sans être véritablement un « film musical ». La transition se fait en douceur : en Europe et au Japon, on continue de faire exclusivement des films muets. C’est l’année où Pabst par exemple en Allemagne fait Loulou, avec Louise Brooks, où Bunuel tourne Un chien andalou. Bref, ce con de cinéma sonore tue irrémédiablement l’utopie d’un cinéma réunissant les peuples autour d’une langue commune. Dès lors, ce sera les studios hollywoodiens qui imposeront leur vision et leur culture au monde. Le chaos en Europe obligera plus tard les créateurs européens à enrichir la production hollywoodienne. Parce qu’il s’agit bien de production : au pays du fordisme, il est question de créer des œuvres de masses, à succès. Le procédé du parlant, plus qu’un outil de création pour de nouveaux auteurs, est surtout au début, un gadget publicitaire pour faire venir les foules.

Pour être franc, je ne connais pas bien cette période de transition qui ne semble pas bien prolifique en chefs-d’œuvre (ce serait comme pour les films 3D : ce qui compte, ce n’est pas l’histoire mais le procédé donc les bons films…), contrairement aux derniers muets sortis cette même année 29. Cela faisait donc un moment que je voulais voir ce film de Vidor, son premier sonore, reconnu lui comme un grand film. Les chefs-d’œuvre montrent la voie, celui-ci se contentera donc d’être un grand film en… montant la voix.

Hallelujah ! est un ovni. Le parlant n’a encore aucun code, il faut les inventer. On est encore parfois dans le muet… avec du son. Le résultat est assez particulier.

Parmi les particularités des films, son sujet d’abord. L’un des premiers films tournés avec une distribution composée uniquement d’acteurs noirs. La première image du film sonore qui reste dans les esprits, c’est cette figure d’acteur blanc grimé en Noir du Chanteur de jazz… Ici ce sont donc de vrais Noirs, qui dans leur vie du Sud, la journée, récoltent le coton. Le soir venu, ils dansent et chantent. Pas de misérabilisme, au contraire, on se croirait presque au paradis. La même vision de l’humanité de Vidor qu’on retrouvera cinq ans plus tard dans Notre pain quotidien. À ma connaissance, on ne tournera plus de film de ce genre jusqu’à Cabin in the Sky de Minnelli (autre ovni dans son genre). Hollywood avait là la possibilité de créer un genre, de mettre les Noirs au cœur de celui-ci, de leur donner une légitimité au cœur du système et ainsi leur donner une visibilité dans la culture populaire américaine en même temps que la musique noire américaine (jazz et blues qui tirent leurs racines des chants religieux et chantés dans les champs qu’on voit dans le film) : la Californie ne devait pas être encore mure pour le Jazz… Il en aurait peut-être été autrement si Hollywood était née à la Nouvelle-Orléans ou à Chicago… Un peu plus tard on retrouvera Paul Robeson dans Show Boat, chantant Ol’ Mand River, occasion manquée encore. Les génies noirs tapent à la porte du cinéma, mais ne seront pas aussi bien accueillis que les scénaristes blancs d’Europe centrale. Déjà Robeson (plus tard blacklisté pour ses engagements politiques) avait retrouvé en Angleterre où il avait étudié, Nina Mae McKinney, héroïne éphémère de cet Hallelujah!

L’histoire du film semble tout aussi “endémique”… Une famille récolte le coton dans les champs. Le petit fils, Zeke, commence à devenir adulte, et certaines pulsions le tyrannisent. Envie de sexe (sans le dire aussi explicitement), c’est surtout pendant tout le film une lutte dans son esprit entre le côté clair et obscur… Lui dirait qu’il est tenté par le diable. Ce n’est pas un mauvais garçon, mais il succombe vite à la tentation, à la facilité, à la luxure… Zeke est donc chargé avec son frère d’aller vendre en ville le coton récolté. Il en tire une grosse liasse de billets. Au même moment, dans la rue, des joueurs de dés sont hypnotisés par la danse de la belle Chick, surnommée « café-crème » dans les sous-titres français. D’une beauté à tomber. Nina Mae McKinney bien sûr. Elle n’a que 16 dans le film, et en fait dix ans de plus. Ces yeux, ces yeux !!!… Zeke tombe sous son charme. Elle le suit en voyant son d’argent, et l’entraîne dans un bar. Un petit déhanché, histoire de nous faire tourner la tête, puis elle présente Zeke à Hot Shot, un dandy un peu louche qui va lui piquer son fric aux dès. Zeke est persuadé que Hot shot a triché. Il prend un arme et tire accidentellement sur son jeune frère…

La péripétie paraît peu crédible : revenant avec le corps de son cadet chez ses grands-parents, il n’est jamais ennuyé par la police, et sa famille ne l’accueille pas non plus comme un assassin… Pour se racheter une conscience toutefois, Zeke devient prédicateur. Il donne des leçons à ses ouailles quand lui est sans cesse tiraillé par « le démon ».

Un jour qu’il traverse une ville à dos de mulet, il est reconnu par Chick et son ami Hot shot, qui ne manqueront pas de se foutre de sa gueule… L’opposition entre les crapules de la ville, et l’innocent campagnard. Seulement Chick n’est pas insensible au charme de Zeke et finit par se faire baptiser de ses mains (il faut la voir se la raconte grave, imaginer les séances d’hystérie lors des baptêmes collectifs dans la rivière du coin). Elle finit par s’enfuir avec lui, laissant en plan toute sa famille, sa future promise et sa communauté…

On les retrouve quelques mois après. Zeke travaille dans une scierie. Chick en desperate housewife reçoit toujours la même crapule qui lui ressemble si bien : Hot shot. Chick embobine Zeke à son retour de travail et s’enfuie avec le dandy escroc par la porte de derrière… Zeke les poursuit dans le bayou. Chick meure dans les bras de Zeke après être tombée de la charrette, et Hot shot est tué par Zeke. Après une période au bagne, Zeke revient auprès de sa famille. Quoi qu’il fasse le mec reste un saint…

Pas le film du siècle, mais une vraie singularité. À voir et à apprécier surtout pour les chants et les deux ou trois pas de danse de Nina Mae McKinney. Ainsi que pour voir l’unique réussite d’un genre mort-né. Si le parlant utilisera bien la comédie musicale pour faire son âge d’or, les gold diggers on ira les chercher du côté de Broadway. Les Niggers, avec leur gospel ou leur jazz, pourront bien rester où ils sont. « Niggers all work on de Mississippi, Niggers all work while de white folks play »… in Hollywood.


Nina Mae McKinney, pendant sa danse endiablée. Hallelujah! King Vidor 1929 | Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)


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