Fish Tank, Andrea Arnold (2009)

Note : 4 sur 5.

Fish Tank

Année : 2009

Réalisation : Andrea Arnold

Avec : Katie Jarvis, Michael Fassbender, Kierston Wareing

Billy Elliot meets Lilya 4-ever

Depuis Sans toit ni loi ou Rosetta, on sait que les portraits d’adolescentes en marge, réalisés avec la caméra sur l’épaule pour suivre les déambulations souvent pédestres du personnage principal ont du potentiel. Existe-t-il des exemples de films notables qui se situeraient entre Doisnel et le Sandrine Bonnaire/Agnès Varda, voire entre le Varda et le Dardenne, avec le même modèle féminin de l’ado écorché vif dans le cinéma naturaliste ? Je garde en mémoire un très bon court-métrage de Lynne Ramsay, mais le résumé semble me contredire… La Vie rêvée des anges, mais mes souvenirs, là encore, s’évaporent… Et si l’on prend par exemple Insiang, sans être un apôtre du « male gaze » (j’en parle dans ma critique du film), on remarque assez aisément ce qui distingue l’approche de Brocka et celle d’Andrea Arnold : le personnage d’Insiang est victime des agissements des hommes et peut ainsi être perçu comme un objet plus que comme un sujet (d’où l’argument qui consisterait à dire, et qui vaudrait pour tous les films japonais de l’âge d’or centrés sur des protagonistes féminins — j’évoque cette question dans mon article sur les films de femmes indépendantes et célibataires —, que le regard posé sur le personnage est forcément masculin). Mia, en revanche, est pleinement maîtresse de son destin (ou essaie tout du moins de l’être), ce qu’illustre son besoin constant de bouger (je pars, j’arrive, je me déplace, je réagis, etc.). Elle ne subit pas comme Insiang, elle agit (là où un « male gaze » aurait une tendance supposée à faire de ses personnages féminins des rôles passifs, attentistes — et cela ne produit jamais du bon cinéma).

Quoi qu’il en soit, Andrea Arnold façonne une histoire exactement là où l’on pouvait l’attendre une fois les dix premières minutes du film amorcées (et c’est très bien).

Rien de bien original donc : une ligne dramatique principale (la chronique d’une famille pauvre uniquement composée de rôles féminins — une mère et ses deux gamines — alors qu’elles font mine de se détester, que la mère s’est trouvé un nouveau petit ami, et que le récit adopte le point de vue de la fille aînée) et deux ou trois « actions d’ambiance » comme je les qualifiais à une époque (l’axe jument/amour gitan, l’axe de la danse/audition, l’axe services sociaux/école/amis). Mais une exécution sans fausses notes et une efficacité au rendez-vous. La fermeture du volet sur l’audition de danse m’a semblé un peu trop entendue, pour le coup, mais jusque-là, Andrea Arnold parvenait à surprendre avec des passages obligés et un type de récit désormais plutôt bien formaté.

Le sens de tout ça, je n’en ai aucune idée. Je garde ma préférence pour Lilya-4-ever et Ayka. Plus radicaux dans leurs propositions, ils tirent sur la corde sensible sans pour autant provoquer l’effondrement du décor à forcer de manquer de finesse. Ils tiennent aussi de la tragédie contemporaine plus que de l’exploration des limites de la société. Et dans un style plus antonionien (mutique donc, mais avec le même motif, presque symbolique, de la marche censée illustrer une forme d’action vaine et désespérée), récemment, citons le chef-d’œuvre de Hu Bo, An Elephant Sitting Still. Bref, en tant que simple chronique sociale d’une époque, Fish Tank tient… la corde.

On pourra noter surtout l’extrême habilité de la cinéaste à produire sur la toile ce que l’on attend de l’art : qu’il dévoile les limites des principes, des règles, des lois d’une société. Je pointe souvent du doigt ici le manque d’ambiguïté de certains films qui enfoncent les portes ouvertes et qui n’ont rien d’autre à proposer que leur exposition brutale des évidences (Hope, Les Chatouilles…). Fish Tank joue au contraire toujours sur les frontières, les limites, il parvient à évoluer sur la… corde raide. Connor prend ainsi plaisir à séduire les deux adolescentes, mais on ne peut alors savoir s’il le fait par jeu malsain, pour se faire accepter, ou s’il s’agit d’une manipulation pour arriver à ses fins. Le spectateur n’en sait rien parce qu’Andrea Arnold prend bien soin d’éviter les explications et la psychologie.

Dans la grande tradition des films qui mettent à l’épreuve sociétés, environnements et époques, la cinéaste pose un constat et démontre que même en assistant aux événements, il n’est pas simple de juger une situation, un comportement, un acte. La cinéaste ne se limite pas qu’aux motivations troubles de Connor. L’âge du personnage et de l’actrice n’est sans doute pas choisi au hasard. Le spectateur apprend, explicitement, et un peu sur le tard, que l’adolescente a quinze ans, l’âge justement auquel les lois établissent les limites du consentement éclairé. L’actrice, elle, avait dix-sept ans lors du tournage (au-delà de l’âge du consentement, mais toujours mineure). Quand les deux personnages passent à l’acte (préparé de longue date), peu d’éléments vont dans le sens d’une prise par surprise ou d’une sidération. La question du viol ne se pose alors qu’en fonction de l’âge réel du personnage, et tout le film s’appuie sur l’opposition entre l’éveil du désir (et la jalousie de l’adolescente envers sa mère) et l’autorité effective qu’il exerce, par sa position d’homme majeur, sur la fille mineure de son éphémère petite amie : elle souhaitait clairement cette relation interdite lorsque cela reste flou pour lui. Mais, au regard de la loi, lui est responsable de ses actes, tandis qu’elle est à la limite de l’âge du consentement (à la limite, mais théoriquement en deçà). Qu’importent les circonstances (désir réel et exprimé de l’adolescente, excuse de l’ivresse), pour la loi, il serait qualifié d’agresseur.

Andrea Arnold met donc parfaitement en scène les limites que la société fixe pour protéger les victimes. Chaque spectateur prendra alors parti pour une interprétation plus que pour une autre, et il le fera, influencé par ses propres biais (sauf s’il est conscient que le but de l’expérience peut aussi consister à suspendre son jugement). Dans d’autres films moins réussis, le personnage féminin aurait été plus franchement en deçà de l’âge limite, n’aurait pas été consentant ; l’homme aurait très tôt manifesté, à travers des allusions et des expressions, son désir d’avoir un rapport sexuel et aurait nié toute responsabilité ou faute. Fish Tank rejoint ainsi quelques films qui interrogent avec habilité ces limites, non pas pour les dénoncer, mais pour les mettre à l’épreuve, comme La Rumeur ou Les Dimanches de Ville-d’Avray par exemple.

Un film réussi peut rarement faire l’économie d’une bonne direction d’acteurs et de jolies répliques. La palme des meilleurs dialogues revient à la cadette. Arnold semble s’être amusée à lui réserver les insultes les plus colorées dont la pique finale qui résume la sororité contrariée des deux adolescentes, et dont le jeu de mot intraduisible (« baleines »/« Pays de Galles ») a joliment été traduit en français par « Et n’oublie pas de saluer ces lépreux de Gallois pour moi ». Excuse my French, mais, il y a, en effet, un côté « je t’aime moi non plus » typiquement français.


Fish Tank, Andrea Arnold (2009) | BBC FilmUK , Film Council, Limelight Communication


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L’Emploi du temps, Laurent Cantet (2001)

Note : 3 sur 5.

L’Emploi du temps

Année : 2001

Réalisation : Laurent Cantet

Avec : Aurélien Recoing, Karin Viard, Serge Livrozet

Grand admirateur de Ressources humaines en son temps (le film figure toujours dans ma liste de favoris alors que je ne l’ai jamais revu), je connaissais l’existence de L’Emploi du temps et l’avais gardé dans un coin de ma tête en attendant de le voir. À l’occasion de la rétrospective du réalisateur à la tek, c’est donc chose faite.

La méthode.

Dans mon souvenir forcément bien brumeux un quart de siècle après, Ressources humaines mêlait acteurs professionnels et amateurs. Et dans ma logique, l’unité du jeu passait par de l’improvisation. Il est possible que le film m’ait plu davantage pour son sujet, mais c’est en tout cas la conception « postjugée » que je me faisais du film en venant voir celui-ci. L’acteur principal, Aurélien Recoing, présent pour la séance, douche légèrement mes attentes quand il affirme avoir travaillé sur un texte très écrit, malgré la participation d’acteurs amateurs. Et, en effet, on le remarque immédiatement à l’écran : l’exercice naturaliste ne s’appuie pas du tout sur de l’improvisation dirigée, mais sur un respect presque strict de lignes de dialogue.

Autant le dire tout de suite, dans le registre du naturalisme, la méthode est loin d’être la plus efficace. Les acteurs se débattent comme ils peuvent. L’exercice qui consiste à mimer la réalité avec un phrasé appris par cœur (et qui n’est par conséquent pas le sien) relève de l’impossible. Comédies et drames s’accommodent d’un texte établi à l’avance (méthode traditionnelle pour genres traditionnels) ; les « tranches de vie » des chroniques naturalistes connaissent des dispositifs de mise en scène capables d’éviter les écueils des répliques figées d’un scénario (le naturalisme, né d’abord dans le roman, profite d’une invention plus récente et trouve rapidement une traduction cinématographique à ses principes théâtraux alors même que le cinéma est encore muet et ne dispose donc pas de « répliques » ; cf., par exemple, Le Coupable). Insuffler le « vrai » à ses répliques, pour un acteur, relève beaucoup de l’exercice de style (ou de la « technique »), donc de la performance. Mais c’est un peu comme demander à des nageurs de traverser la manche en apnée : tout entraînés qu’ils sont, les meilleurs acteurs qui auront appris par cœur un texte écrit pour « faire naturaliste » ne pourront jamais reproduire totalement le souffle, l’élan du phrasé « improvisé ». Ils arriveront à trouver de la justesse sur des bouts de phrase, parfois quelques-unes, mais la perte d’attention, la nécessité de contrôler ce qu’ils font (comme un slalomeur contraint de suivre l’ordre des piquets) les contraindront à reprendre une forme de « souffle » qui inexorablement provoquera le déraillement de leur élan « vrai », de leur phrasé naturel et spontané. Dans n’importe quel style de film, cette artificialité recueille l’adhésion de tous. Elle relève de l’usage. Avec le naturalisme, ça marche différemment parce que très vite les metteurs en scène ont su adopter des dispositifs qui leur permettaient d’éviter l’exercice obligé des répliques apprises par cœur. Les exigences du genre imposent une plus grande spontanéité. Et c’est bien pourquoi l’écriture se définit le plus souvent à travers des situations, des axes de développement, des essais, des tâtonnements. Au centre de cette méthode : l’improvisation. Et si parfois quelques tonalités paraissent plus factices, on peut l’accepter parce que les acteurs possèdent dans l’ensemble cette fluidité, cette spontanéité et ce naturel qu’un texte ne permet pas.

Je m’attarde, mais c’est essentiel pour comprendre mon état d’esprit au début du film. Cette première « déception » ou surprise a certainement conditionné ma capacité à accepter le reste. Dérangeant au début du film surtout, mon attention s’avoue vaincue et s’autorise à mettre de côté la méthode : voir ostensiblement un acteur mentir pour un protagoniste qui ment, ma foi, il y a une forme de logique (on se convainc comme on peut). L’efficacité reste douteuse, car le film a besoin que le spectateur se botte un peu les fesses pour adhérer à la « méthode », mais mon scepticisme trouvera vite une nouvelle matière à se mettre sous la dent…

Le personnage.

Un personnage, pour que le public puisse le regarder, doit répondre à certains objectifs. Chaque spectateur pourra ensuite, à l’évidence, estimer qu’ils sont atteints, différemment les uns des autres, mais l’idée est là… Un de ces objectifs consiste à ne pas se rendre antipathique aux yeux du public. Il ne doit pas agacer. On aime les héros, les gens bizarres, les personnages pathétiques ou misérables, les monstres, mais on aime rarement nous attarder sur de pauvres types qui se comportent comme des salauds.

Vincent, indéniablement, souffre. Est-ce une excuse pour qu’il mente à sa famille ? Bien sûr. Il y a la manière de le faire, mais mentir parce que l’on va mal n’est pas rédhibitoire. Est-ce que la souffrance de Vincent justifie qu’il en vienne à soutirer de l’argent à ses proches ? Eh bien, pas du tout. Que tu te crées une double vie, que tu ne trouves pas la force de le dire à tes proches, que tu t’enfermes dans une spirale de la honte et du mensonge, tout cela, le spectateur (que je suis) peut le comprendre et l’accepter. Que tu embobines ton père, tes amis, tes collègues, interdises certaines personnes à rentrer en contact avec ta femme parce que tu veux mener un train de vie qui n’est pas le tien et que tu veux garder le contrôle et l’influence sur ton entourage alors que tu n’es qu’une merde ? Ce n’est plus acceptable.

Vincent, c’est le symptôme d’une société malade. Son problème, ce n’est pas qu’il souffre d’occuper un job à la con, qu’il se tue à la tâche au point de frôler le burn out. Non, son problème, c’est qu’il rêve de pouvoir et d’argent tout en filant sur l’autoroute des facilités. Si un jour, il décide de ne pas se rendre à un rendez-vous, c’est parce qu’il pense qu’il vaut mieux que ce que son boulot lui propose. Et puisque la vie ne lui offre pas ce dont il estime avoir droit, il décide de vivre son rêve et de l’imposer aux autres. La cause des souffrances de Vincent n’est pas une perte de sens qu’il comble par une mythomanie ordinaire, mais son égo surdimensionné. C’est son égo qui fait de lui un faussaire. Plus que la fonction, Vincent court après la « voiture de fonction ».

Est-ce touchant ? Non. Est-ce fascinant ? Non. (C’est terriblement ordinaire.) Est-ce que dévoiler cette réalité à l’écran dénonce ou illustre quelque chose de notre société ? Non. Le personnage de Vincent enfonce des portes ouvertes. « Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée », certes, mais quand tu ne fais plus que ça, il faut le faire avec style. Et ce n’est pas le domaine de la chronique naturaliste.

Le ton.

Le ton, l’audace, c’est comme le rythme au cinéma, comme la repartie ou comme les apartés au théâtre. La demi-mesure ne convainc personne. Si Vincent souffre et s’il ne manipule pas les autres pour tordre le monde à sa convenance, on peut rentrer en empathie avec lui. Des personnages en souffrance qui surnagent, gardent la tête haute sans jamais tomber dans la médiocrité, c’est le fonds de commerce du naturalisme. Vous regardez un film de Naruse et vous avez tout compris de la dignité et de la force des petites (et honnêtes) gens. Quand ces personnages commettent des erreurs, ils les regrettent amèrement. Quand Vincent est placé face à ses mensonges, il rembourse l’argent qu’il doit à ses proches, mais au lieu d’affronter sa famille pour s’expliquer, affronter la réalité et la conséquence de ses actes, il saute par la fenêtre comme un ado attardé et se barre : « Je vous emmerde, je n’ai rien à vous dire. » Chez Naruse (ou chez d’autres), les hommes sont souvent des lâches. Mais ils sont à l’origine des tracas des personnages féminins au centre de ces récits qui, eux, affrontent ces « opposants » avec dignité. Vincent, lui, est un connard. Le lâche au centre de tout. Ses opposants à lui, ce sont ces personnages qui gravitent autour de lui et dont il voudrait qu’ils s’accordent exactement à ses désirs comme des marionnettes.

Le film aurait pu tendre au contraire vers l’extrême opposé. Pas de demi-mesure. Si vous voulez en faire un escroc, faites-en un qui en vaut la peine. Les spectateurs conservent une fascination pour les monstres. À force de traîner dans le hall du même hôtel, Vincent se fait remarquer par un escroc assez peu convaincu pour son jeu de persuasion. Ils finissent par travailler ensemble. Un soir, son nouvel ami, son confident, son complice lui fait feuilleter sa « biographie » : sa fille avait collé dans un cahier toutes les brochures de presse qui évoquaient les exploits de son père. Un monstre ? Même pas. Un escroc, assurément, mais un qui ne se cache pas et qui garde, en dépit de ses activités, une forme de responsabilité et d’honneur. Un escroc… humain. Un personnage de roman (ou de cinéma) en somme. On pourrait craindre à un moment qu’il dénonce Vincent ou lui fasse du chantage. Au contraire, lui, contrairement à nous, se montre assez empathique à l’égard de ce pauvre type qui ment à sa famille en leur faisant croire qu’il bosse désormais pour une organisation onusienne à Genève. Vincent cherchait un boulot qui a du sens ? Même pas : le fric, la voiture, les fringues, le statut social, c’est tout ce qui l’intéresse. Un vrai connard. Un connard de tous les jours.

Elle est là la demi-mesure du film. Ni Cantet ni Recoing n’ont réussi à rendre sympathique, empathique, intriguant, fascinant leur personnage. Si son caractère et ses actions étaient exceptionnels, il serait devenu un monstre digne d’être regardé. Et s’il était au moins conscient de sa médiocrité, s’il montrait des remords de se trouver aussi con de courir après quelque chose de si futile et de si méprisable, s’il faisait amende honorable, il pourrait être sauvé à nos yeux. La compassion ou la fascination. Au contraire, Cantet et Recoing multiplient les plans dans lesquels le personnage sourit éhontément. Un contrepoint ? Comme pour en faire un monstre (le personnage est inspiré d’un véritable monstre dont Nicole Garcia avait tiré un film, L’Adversaire) ? Même pas. Les monstres fascinent au cinéma, on y dévoile l’exceptionnel à l’écran. Des crapules misérables, on les regarde s’il reste une part d’humanité en eux, de remords, si on les sent forcés par une force légitime. Le statut social ? Le Land Rover ? Sérieusement, ce sont des excuses légitimes ? Non.

Le seul personnage qui montre un peu d’humanité là-dedans (une humanité cinématographique), paradoxalement, c’est donc l’escroc. Cela aurait pu être le cas de l’ami à qui Vincent rend l’argent, mais lui aussi n’est intéressé que par le gain. À la manière dont il reçoit Vincent en lui avouant qu’il sait qu’il propose des investissements louches, on reconnaît là encore un salaud. Ce n’est pas une famille dans le besoin poussé à demander une faveur à un ami : non, le mec a entendu parler d’une magouille et accueille la personne en question avec le plus hypocrite des sourires afin de voir s’il ne pourrait pas le mettre dans la boucle. Ce serait dans une satire sociale, ce comportement serait parfait. Dans une chronique naturaliste, c’est détestable. Et quand Vincent lui rend l’argent, sa réaction n’est pas beaucoup plus digne… Le père de Vincent ne vaut pas beaucoup mieux d’ailleurs. Et la femme, qui semble comprendre petit à petit que quelque chose se trame, fait preuve aussi de lâcheté en refusant de mettre son mari devant ses responsabilités. Elle s’en tire mieux que les autres parce que c’est elle qui cherche la vérité, mais elle refuse de s’opposer à son mari ou de l’aider. Elle reste à le regarder mentir sans oser le confronter à ses mensonges… Le manque de courage et d’initiatives, à l’écran, ça passe mal.

Et j’en reviens au jeu imposé par les dialogues. Dans le travail préparatoire, en vue d’une improvisation dirigée, tout le monde aurait vu qu’il aurait fallu prendre garde à ne pas faire de ces personnages des salauds. Chaque acteur, chaque écrivain veut toujours défendre ses personnages et ils ont bien raison. Même les crapules, même les monstres. Montrer les bassesses irrécupérables de la psyché humaine, ce n’est pas les défendre.

Maigres espoirs.

Au milieu de ce théâtre d’horreurs, seuls deux personnages nous offrent des éclairs d’humanité. L’escroc, donc. Et la fillette du couple. Cantet trouve une astuce pour amorcer le dénouement et la « révélation » finale : le spectateur comprend petit à petit qu’ils savent, mais n’osent pas lui dire. La femme se réfugie alors dans la cuisine parce qu’elle ne peut plus écouter les balivernes de son mari, et la gamine vient alors, silencieusement, voir si sa mère encaisse le coup. Pas une ligne de dialogue, juste l’attention d’un personnage pour un autre qu’il sait souffrir. Retour au naturalisme d’Antoine : un plan, un décor, une situation et pas une ligne de dialogue. Le silence de la vérité.

En dehors de cet éclair d’humanité, le film n’expose rien d’autre que la bassesse humaine. Une posture faite pour la satire, l’excès, la monstruosité, pas pour le naturalisme.


L’Emploi du temps, Laurent Cantet 2001 | Haut et Court, Arte France


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Yella et Phoenix, Christian Petzold (2007/2014)

Note : 2.5 sur 5.

Yella

Année : 2007

Réalisation : Christian Petzold

Avec : Nina Hoss, Devid Striesow, Hinnerk Schönemann

Note : 2 sur 5.

Phoenix

Année : 2014

Réalisation : Christian Petzold

Avec : Nina Hoss, Ronald Zehrfeld, Nina Kunzendorf

Je découvre ce réalisateur. Qualité allemande, on dira… Je reconnais cependant à son cinéma une qualité, certes essentielle, mais qui ne garantit pas de céder à diverses facilités : sa capacité à créer une certaine tension retenue dans l’ensemble des scènes de ses films. Les dialogues sont souvent insipides, réalistes et, à la fois par instinct et par désir de se mettre en évide, les acteurs s’efforceront toujours de jouer dans un style naturaliste (pas forcément celui qui passe le mieux à l’écran, à savoir un naturalisme minimaliste, mais plutôt un naturel parasité par des élans inutiles, des attitudes exagérément « vraies », des intonations familières, etc.). Petzold se débrouille donc pas mal dans ce registre parfois difficile pour qui n’a jamais travaillé avec un acteur. Ce registre consiste donc à montrer les personnages toujours comme s’ils retenaient quelque chose, comme s’ils agissaient toujours avec prudence, méfiance, ou comme s’ils cherchaient à masquer leurs sentiments et leurs pensées. Ça peut aussi tourner à l’artificialité, créer une intensité uniquement factice et un minimalisme plus proche de la préciosité que de la pertinence, tomber dans le « procédé » et le systématisme. Mais, il vaut mieux perdre en cohérence générale pour gagner en unité stylistique. C’est aussi plus facile à interpréter : les nuances sont réduites à néant et une large partie de l’interprétation est laissée au spectateur (variante de l’effet Koulechov : si vous demandez à un acteur de ne rien faire, de ne penser à rien, le public, à cause du poids et de l’influence de la situation ou de l’intrigue sur le moment présent, se chargera d’en traduire des effets dans l’interprétation des acteurs).

Et ça s’arrête à peu près là au rayon des points positifs. Si l’on reste dans la direction d’acteurs, ce n’est pas le tout de savoir leur demander quel style on veut adopter et de savoir tendre avec eux vers ce que l’on souhaite (et peut-être a-t-il demandé tout autre chose – c’est la beauté de la chose). Il faut aussi être pertinent dans sa manière d’aborder un personnage. Dans Yella, un autre souci se présentait : celui de la pauvreté de la distribution. Le ton était là, mais en dehors de l’actrice principale, les acteurs manquent de justesse. Dans Phoenix, en revanche, c’est la vision du personnage rescapé des camps qui interroge. L’actrice (qui est pourtant la même que Yella) joue trop dans l’émotion, dans la faiblesse, au point (puisqu’on ne simule pas la fatigue, notamment) de perdre la justesse dont elle faisait preuve avec un personnage plus proche d’elle dans Yella. Je vois déjà le public, les festivals ou les collègues-acteurs louer sa « performance ». Le premier parce qu’il est idiot ; les derniers parce qu’il n’y a rien de plus qui satisfait un acteur (après le naturalisme) que de voir des collègues se vautrer dans le sensationnalisme, les larmes, l’apitoiement, etc.

On sait que Nelly sort des camps, défigurée, forcément physiquement et moralement atteinte. L’enjeu est donc d’éviter, autant que possible, le ton sur ton. Cela me paraît d’ailleurs d’autant moins judicieux de se laisser aller sur ce point que l’on sait que pas mal de personnes qui échappent à la mort en ressortent avec une énergie et un désir de vivre dépassant les blessures physiques ou psychiques. Une chanteuse à succès (ce que semble être ce personnage) est déjà une rescapée : échapper à une pression de sélection, une artiste sait ce que c’est, c’est d’ailleurs pour ça que la plupart des stars ont cette présence, ce détachement si caractéristique. Ils n’ont évidemment pas échappé à la mort (même si certains d’entre eux vous expliqueront sans rire qu’ils mourraient s’ils faisaient autre chose que la comédie), mais ça relève malgré tout de la même impression, celle d’avoir échappé à un goulot d’étranglement à travers lequel d’autres ne sont pas passés. Mais même sans cette comparaison que certains ne manqueront pas de trouver disproportionnée ou déplacée, il y a deux choses : oui, un rescapé peut sortir de la déportation en pouvant à peine mettre en pied devant l’autre (mais encore une fois, vous ne pouvez pas montrer ça à l’écran, ça ne se simule pas, et si vous le faites, c’est de l’indécence ; depuis que le mélodrame n’est plus à la mode, on a cessé cette approche racoleuse), et surtout, présenter le personnage ainsi n’est pas souhaitable. Ce n’est pas l’empathie ou la compassion qui font avancer durablement une histoire : le public a besoin de personnages actifs, « résilients », dirait-on aujourd’hui. Ce que les faits rapportent, ce que les dialogues annoncent, il ne sert à rien de le « jouer » ou de le commenter. Une sonate, vous composez la mélodie d’une main, l’harmonie d’une autre, tout se mêle, mais jamais les deux mains ne jouent la même chose. Il s’agit de « composition ». L’acteur doit donc jouer… une portée propre, sa partition, non répéter en canon ce qui ressort des dialogues. Si l’acteur (dirigé) ne se soumet pas à cette logique : ton sur ton garanti. Un acteur ne répète ni ne reproduit : il interprète.

Voilà pourquoi l’actrice peine à convaincre alors que ses deux principaux partenaires se débrouillent mieux (surtout le mari qui, très nettement, « éclaire » son personnage et multiplie les efforts pour rendre sympathique un salaud – et il y arrive). Soit ces deux acteurs ont plus de talent qu’elle, soit Petzold réclame aux uns ce qu’il ne demande pas à l’autre…

Je dois dire ensuite que j’ai été passablement agacé par les deux histoires proposées. De ce que j’ai compris de Yella, le fleuve représente la démarcation à la fois physique et symbolique entre les deux Allemagnes. À partir de là, Petzold écrit un argument sous forme d’allégorie fantastique visant à opposer l’état de délabrement avancé du côté est et les dérives propres au libéralisme à l’Ouest (individualisme, prédation, escroquerie, etc.). Sur le papier, c’est un bon point de départ. Le problème, c’est d’une part que les personnages n’échappent pas au regard négatif que semble porter de manière un peu trop évidente leur auteur : si dans l’autre film, difficile d’échapper à l’empathie (forcée), ici, Petzold joue la carte opposée, celle de l’antipathie. Or, personne n’aime voir des personnages antipathiques. De l’autre, les situations, souvent répétitives (retour à l’hôtel, nouvelle entrevue), n’ont aucun charme ni intérêt (malgré les efforts de Petzold pour dramatiser tout ça, on est loin de Glengarry). Un écueil que le cinéma préfère souvent éviter : le cinéma d’entreprise. Qui a envie de voir au cinéma parler de fusion-acquisition, de rachat d’actifs, de comptabilité, de brevets ? Qui ? John Galt ?

Phoenix tombe dans un piège plus gênant encore (pour ne pas dire vulgaire) : le récit abracadabrantesque. De manière générale, les quiproquos ubuesques sont réservés à la comédie. Plus c’est gros, plus on en rit parce que l’on rit de notre incrédulité en voyant ce que nous l’on sait et que les personnages ignorent (et que certains feignent souvent d’ignorer pour se jouer d’un autre). Petzold demande au public de croire à la cohérence et à la possibilité d’une histoire dans laquelle une rescapée des camps n’est pas reconnue par son mari ? Désolé Christian, tu changes la tête de ton ex-femme, dont sa présence t’est probablement plus familière que celle de ta propre mère (ou de toi-même – parce que l’on n’a aucune idée de ce à quoi l’on ressemble et de ce que l’on dégage), tu lui fais perdre quelques kilos, tu reconnais malgré tout cette personne. Et souvent du premier regard (même si celui-ci est d’abord incrédule). On serait tous capables de reconnaître des élèves avec qui l’on a partagé le banc des écoles si l’on discutait avec eux sans savoir qui ils sont. Alors une conjointe… Et pardon, vu ce que cette femme a subi, elle devrait porter une perruque et des cicatrices parsèmeraient son visage. Les mains, le corps, les yeux, les oreilles, la voix ! La voix, bon sang, on reconnaîtrait une voix familière au milieu de dizaines d’autres… Qui peut croire à une situation aussi saugrenue ? Qui, Christian ? John Galt ? (Non, ce n’est pas ça. Je suis une mouette.)

[Un dernier point extérieur au film. Chaque fois qu’il en était question dans le film, ça me mettait mal à l’aise. L’amie de la rescapée tente de la convaincre de rejoindre… « la Palestine » : Haïfa, Tel-Aviv qui se construit. Comment a-t-on pu penser que souscrire à la vieille idée de la création d’un État pour les juifs… située EN Palestine pouvait être une bonne idée ? Réparer un génocide en décidant conjointement de provoquer un autre génocide (qui a ainsi commencé au moment même où les puissants ont créé une nation à partir de celle d’une autre que l’on avait étouffée). Une des idées des nazis était d’étendre leur espace vital disponible vers l’est. Israël est né de cette même faute originelle. Quelle triste répétition de l’histoire… La création du pays n’honore pas les millions de victimes juives, il honore leur bourreau et perpétue, sous sa dernière forme, le colonialisme des siècles passés (doublé d’un impérialisme, lui, toujours d’actualité). Et au passage, puisque c’est d’actualité : répondre à l’émotion d’un génocide (même si ce n’est pas présenté ainsi par le concerné) en reconnaissant l’État de Palestine (au plus fort du génocide en cours) pose les mêmes limites qu’une reconnaissance (et la création) d’un État d’Israël pour répondre à l’émotion d’un génocide. Même si ici, la reconnaissance serait purement symbolique et diplomatique, je ne crois pas beaucoup à la solution à deux États (cela ne réglerait ni les problèmes territoriaux ni les conflits opposant les deux populations voisines). L’unique porte de sortie serait un État commun pour tous les Israéliens et tous les Palestiniens sur le modèle multiconfessionnel… du Liban.]

Je passe sur le symbole déplacé du « phœnix »…, l’oiseau qui renaît de ses cendres. Quelle idée « fantastique » là encore, Christian.


Phoenix, Christian Petzold 2014 | Schramm Film Koerner & Weber, Bayerischer Rundfunk, Westdeutscher Rundfunk/Yella, Christian Petzold 2007 | Schramm Film Koerner & Weber, ZDF, ARTE



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Linda Linda Linda, Nobuhiro Yamashita (2005)

Note : 4 sur 5.

Linda Linda Linda

Titre original : リンダ リンダ リンダ

Année : 2005

Réalisation : Nobuhiro Yamashita

Avec : Bae Doona, Aki Maeda, Yû Kashii, Shiori Sekine

— TOP FILMS

Formidable comédie estudiantine et musicale dans laquelle un groupe se constitue autour de la dernière venue choisie comme un défi lancé au hasard, un coup de tête mélancolique et superstitieux : « La prochaine qui passe devant nous sera la chanteuse du groupe. » Après un premier refus (« c’est nous qui posons les conditions »), le sort désigne une Coréenne en échange « interculturelle » dans leur classe. On sait à peine si la lycéenne comprend ce que ses camarades lui demandent et voilà maintenant ce groupe qui semble sortir d’une parodie de film d’Antonioni (les joies de l’incommunicabilité) se préparer pour jouer un morceau à la fête de l’école.

L’histoire ne propose rien de bien original. On prend un peu de Jeunes Filles en uniforme, de Typhoon Club, de Sunny (Kang Hyeong-Cheol, 2011), de Whiplash, et de je ne sais quoi, avec un enjeu couru (connu) d’avance et un crescendo parfaitement familier avec tous ses passages obligés : premières répétitions, découragement, entraînement solitaire au milieu de son environnement familial, conseils extérieurs, jalousie ou circonspection des camarades, rencontres amoureuses, progrès stimulants, deniers écueils et finale en apothéose. Une forme d’exercice de style en somme. Et qu’est-ce qui produit la réussite d’un exercice de style ? L’exécution, l’atmosphère, l’interprétation. Contrat rempli : on ressort du film avec la banane et la larme à l’œil.

C’est surtout dans les détails que Yamashita vise juste : les plans de coupe sur les lycéennes offrent toujours un spectacle tendre, complice et réjouissant, les gestes ou petites attentions sans dialogues illustrent cette idée (assez japonaise) que le langage non verbal, les non-dits importent plus que les vaines paroles (comme les plans sur le prof que l’on devine vivre seul et solitaire, mais qui autorise les filles à venir répéter la nuit ou à laisser les élèves — lui-même peut-être un peu envieux — s’accorder en harmonie sans trop y mettre son grain de sel). La fantaisie douce-amère, presque ozuéenne, joue également son rôle (le choix superstitieux du début, la séquence du rêve, celle de la déclaration d’amour), signe souvent d’un bon film quand les effets sont bien dosés entre comédie et drame. Distance et équilibre parfaits : cette mise à distance ironique, absurde aiguise la curiosité du spectateur. Jean qui pleure et Jean qui rit. L’incertitude profite toujours au récit.

Le montage, déjà bluffant au sein des séquences (en relevant le meilleur des regards, des attitudes et des mimiques des actrices), à l’échelle plus globale de l’écriture (tout en montage alterné et en montage-séquence), nous permet de suivre le parcours du quatuor vers le finale attendu, entre académisme d’un récit sans surprises et juste prise de risque qui vous évite de tomber dans l’effet tape-à-l’œil.

La grande idée du film consiste bien sûr à faire d’une Coréenne avec qui la communication n’est pas facile le moteur du groupe et l’élément épicé qui donne en réalité tout le sens de cette quête initiatique. On n’assiste pas seulement à la naissance d’un groupe cherchant à tirer le meilleur de lui-même pour répondre aux attentes, mais à une rencontre de l’altérité, à l’altérité vue comme un atout. On réussit ensemble, avec nos différences, nos différends. Une idée lumineuse et universelle, mais les relations Japon/Corée étant ce qu’elles sont, cette promotion de la différence exogène, de la singularité (contraire aux principes d’unité de l’esprit japonais, que ce soit au sein de la nation, de l’entreprise ou du lycée), doit avoir une saveur particulière pour les spectateurs des deux pays. Depuis 2005, l’industrie de la Kpop et des dramas a inondé l’archipel (du moins dans les jeunes générations).

(Je suis en train de lire Claudine à l’école, le ton se fait plus mélancolique, plus réservé, là où le caractère vif et rebelle du personnage principal anime le récit de Colette, mais l’un, chez moi, a sans aucun doute infusé dans l’autre…)

On y retrouve ici une interprète qui participera à pas mal de films coréens ou internationaux du début du siècle (des navets surtout) : Bae Doona (Sympathy for Mr. Vengeance, Cloud Atlas, The Host, A Girl at My Door, Je suis là, avec Alain Chabat). À mon sens, c’est de loin la meilleure performance de l’actrice (même si dans le film de July Jung, dans un registre opposé à celui qu’elle tient ici, elle était déjà remarquable malgré la faiblesse du film) : le handicap de la langue l’a sans doute obligé à s’exprimer davantage à travers les yeux et le corps. N’en faisons pas pour autant une spécificité : toutes les actrices du groupe (et les acteurs du film) semblent communiquer davantage de cette manière qu’à travers la parole. L’actrice nous dévoile par exemple son sens comique dans la scène dans laquelle un adolescent lui déclare sa flamme (à la japonaise, de manière très formelle, assez peu subtile) : d’un côté, on sent le gouffre culturel qui sépare les deux lycéens, un ou deux détails absurdes accentuent le ridicule de son aveu (il la croise près des poubelles, et elle n’a jamais prêté attention à lui) ; d’un autre, elle n’a qu’une envie, aller retrouver ses copines pour répéter (rock sororité, mec, n’encombre pas le passage).

Quelques astuces de scénario révèlent également un petit brun d’humanité (ou d’humilité) qui va bien. Après avoir répété toute la nuit, les adolescentes tombent de sommeil juste avant de passer leur chanson. Et pour couronner le tout, il pleut à verse. Dans un film américain, on aurait placé la réussite au cœur de tout. Ce qu’on honore ici au contraire, ce sont plus les clubs de musique (et tous les autres) auxquels les Japonais participent l’après-midi et les événements auxquels ils doivent prendre part tout au long de l’année dans un esprit à mille lieues de l’individualisme occidental. Le public suivait ainsi très sporadiquement les performances musicales qui se tenaient sur scène (c’est une kermesse, chaque « club » propose des activités différentes au public dans l’ensemble du lycée). Puis, avec la pluie, les visiteurs s’abritent dans la salle/gymnase. Se succèdent alors deux filles à la guitare et a cappella en attendant le groupe. Après un premier groupe de rock capté sur le tard (avec l’effet chez nous de les faire passer pour des nuls hurleurs), les deux adolescentes (que l’on avait déjà brièvement croisées au cours du récit) se pointent sur scène, et c’est dans leur simplicité qu’elles sont émouvantes. Quand le quatuor arrive enfin, le public s’est massé devant la scène, prêt à les écouter. Après une intro tranquille, le rythme s’accélère d’un coup et les spectateurs deviennent bouillants. L’art du contrepoint et de la douche écossaise (c’est le cas de le dire). La fin attendue, en apothéose. L’humanité en plus. Ce n’est pas la réussite d’un groupe, mais la réussite du vivre ensemble. Avec un brin de nostalgie : l’amour attendra.

Parmi tous les films cités, dans sa tendresse, sa simplicité, sa description des amitiés féminines, c’est encore à Sunny que le film ressemble le plus (Sunny, étant un film d’époque, il jouait davantage encore sur la fibre nostalgique).


Linda Linda Linda, Nobuhiro Yamashita 2005 | Bitters End, Covers & Co, Vap/Cave


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Les Lumières du faubourg, Aki Kaurismäki (2006)

Note : 3.5 sur 5.

Les Lumières du faubourg

Titre original : Laitakaupungin valot

Année : 2006

Réalisation : Aki Kaurismäki

Avec : Janne Hyytiäinen, Maria Järvenhelmi

Voilà presque une allégorie du monde moderne. Le travailleur idéaliste et un peu naïf qui rêve de monter son entreprise, et qui en sera empêché (sans raisons bien identifiées) par un entrepreneur véreux n’hésitant pas à employer une femme pour séduire ce moins que rien et finir par le faire poursuivre (et tomber) pour un vol de bijoux.

Cynisme aberrant et acharnement contre un petit employé qui ne cherche même pas à se défendre. Complicité de la bourgeoisie et de la justice : rien ne doit jamais changer, il ne faut surtout pas changer l’ordre établi, même et surtout si cet ordre est régi par des voyous. Le travailleur doit rester à sa place et ne surtout pas jeter un regard envieux sur la condition des personnes qui lui sont supérieures.

Kaurismäki ajoute à ce tableau bien noir de la société une note romantique absurde : alors qu’il court une poupée sans intérêt, la femme de sa vie est sous ses yeux. L’autre morale de l’histoire venant s’ajouter à la première, comme une seconde lame : le monde nous fait courir après des rêves inatteignables, alors que le bonheur est à portée de main.

Comme d’habitude, tout dans les rapports chez Kaurismäki est mécanique, presque robotique, désincarné, hiératique, et ça sert merveilleusement bien ici la finalité du film (en tout cas celle que je lui trouve) en s’éloignant du vraisemblable et du réalisme pour se rapprocher d’une dimension allégorique presque mythologique et cruellement fataliste. Tout ce qui brille… L’humour pince-sans-rire et l’autodérision sont également comme d’habitude de la partie.

Jusqu’à présent sans doute mon préféré du cinéaste finlandais.


Les Lumières du faubourg, Aki Kaurismäki (2006) | Sputnik


Quatre Minutes, Chris Kraus (2006)

Chris Kraus’ll make ya (Jump jump)

Note : 4 sur 5.

Quatre Minutes

Titre original : Vier Minuten

Année : 2006

Réalisation : Chris Kraus

Avec : Hannah Herzsprung, Monica Bleibtreu

Je suis bon public. Dès les premières secondes du film, j’avais comme la certitude que ça allait me plaire. Je partais avec plein d’espoir si on peut dire… Souvent, dès les premières secondes d’un film, on sait s’il y a du talent ou non. On ne peut pas garantir encore que l’histoire nous plaira ou tiendra la route, mais pour ce qui est de la mise en scène, du montage, de la direction d’acteurs, du travail sur les ambiances, on remarque ça finalement très vite. Il est rare qu’un film ne tienne pas par la suite toutes les promesses aperçues dans ses premières secondes.

Il sera temps plus tard de dégager quelques réserves sur la nature et l’emploi effectif de ces qualités premières. On est franchement dans un type de mise en scène et d’écriture qui colle aux principes commerciaux du cinéma hollywoodien — pas le cinéma de bourrin et d’effets spéciaux qui s’est imposé depuis quelques années, mais celui à Oscars, pas forcément toujours le meilleur non plus, celui qui raconte de belles histoires sur des sujets un peu tape-à-l’œil, mais réalistes, à hauteur d’homme, pas de superhéros. Et ce style de cinéma sous influences, à la fois classique et sophistiqué, peut rebuter et possède ses propres limites. Je n’aime pas un type de cinéma plus qu’un autre et je laisse sa chance à tous les styles. Ce que je réclame avant tout à un film, c’est de la justesse et de la mesure dans son approche (ce qui n’interdit pas des effets pour illustrer une histoire). Tout est toujours question d’angle, de savoir-faire et de distance.

Si, par exemple, je souscris totalement au montage resserré, à l’emploi de la musique pour souligner des avancées dramatiques et renforcer l’identification, à l’absence de trop d’effets de caméra, à l’usage parfois de montage-séquences, de flashbacks et de tout un tas de codes narratifs courus d’avance (la rencontre de personnages que tout oppose, le contraste entre la nature du héros et son activité, son prétendu « don », les opposants un peu trop opposés, le parent gênant et le passé lourd, les séquences d’initiation, les autres de « révélations », puis la séquence à faire annoncée longtemps à l’avance, ici, le concours), mes réserves concerneront surtout le degré vers lequel le cinéaste s’autorise à aller vers le pathos : son penchant pour le ton sur ton aurait de quoi me heurter. Je préfère les personnages plus nuancés, plus contradictoires, plus foncièrement rebelles, autonomes, singuliers ou imprévisibles. L’actrice principale, la jeune, on aurait gagné à la voir jouer moins sur la rébellion, justement, moins sur le côté loubard, et voir cette nuance apportée plus du côté du personnage du professeur. Celle-ci est censée être austère, et les quelques moments où le récit se laisse aller à la montrer sous un jour plus humain, la mise en scène (et l’actrice) joue trop sur ce que le récit met déjà bien en évidence. Certaines émotions n’ont pas besoin d’être prononcées à ce point ; le faire ne ferait qu’enfoncer des portes déjà ouvertes par l’évolution de l’intrigue. C’est dans ces moments que le ton sur ton me fait faire la grimace, mais c’est un défaut assez récurrent dans des productions où on préfère prononcer les propositions et avancées dramatiques plutôt que d’instiller ici ou là de la profondeur, de la contradiction ou du contrepoint comme dirait Beethov’.

Mais ce ne sont vraiment que de légères réserves. Je n’en demande pas beaucoup plus à ce type de films : une histoire qui sorte un peu de l’ordinaire (alors même que la manière reste donc, elle, parfaitement codifiée) et qui illustre surtout un sujet qui me touche. Et les rebelles qui maltraitent les pianos avec de la musique de « négros » ou des percussions expérimentales, ça me parle. Sans oublier que malgré ces légères fausses notes au niveau de certains choix dans l’interprétation des acteurs, ces derniers, dans d’autres secteurs du jeu, sont remarquables (justesse, notamment). Une sorte de mix entre Whiplash et Adam’s Apple.


Quatre Minutes, Chris Kraus (2006) Vier Minuten | Kordes & Kordes Film GmbH, Südwestrundfunk, Bayerischer Rundfunk


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Woman on the Beach, Hong Sang-soo (2006)

Les Quat’Sang-Soo

Note : 3 sur 5.

Woman on the Beach

Titre original : Haebyonui yoin / 해변의 여인

Année : 2006

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Kim Seung-woo, Go Hyun-jung, Song Seon-mi, Kim Tae-woo

Voilà ce qui traduit bien ce que je disais concernant les films du bonhomme avant sa rencontre avec Kim Min-hee. Un homme est au centre du récit, et c’est un connard. Difficile alors de s’enthousiasmer pour une telle histoire.

Et souvent, comme toujours, la différence se joue aux acteurs. Je n’aurais pas été contre l’idée d’intervertir les rôles du réalisateur avec celui de son assistant afin de voir si l’autre acteur s’en serait mieux sorti : ça aurait fait, tout du moins, moins ton sur ton. Ici, c’était comme si Hong Sang-soo prenait un malin plaisir à opposer les qualités et les défauts de ses personnages : le cinéaste est odieux, parle mal à tout le monde, baise avec la femme de son assistant sans la moindre honte, baise avec une autre deux jours après alors qu’il envisage de la prendre sur son film, nie plus tard avoir couché avec elle… Et au contraire, l’assistant tient à s’excuser auprès du restaurateur maltraité, traite bien sa femme, tandis que sa femme tombe amoureuse de l’enculé, aime les chiens, emprunte une canne pour son amant, remercie vivement les inconnus qui l’aident à se sortir de la panade avec sa voiture sur la plage…

On sent que tout cela est très bien construit, mais au-delà de la moralité assez douteuse et même revendiquée des personnages, quand c’est trop, c’est trop. Encore une fois, j’aurais aimé voir si ma vision du personnage aurait été lissée avec l’autre acteur. Et puis, le cinéaste à de quoi laisser sur la grève des détails qui ont le don de m’agacer : le cinéaste se barre avec la canne alors qu’elle n’est pas à elle, et qu’est-il advenu de ce chien que le couple semblait avoir tout à coup recueilli ? On laisse les bêtes sur un coup de tête sur la voie publique, on s’en débarrasse sans remords, si l’idée est de forcer une comparaison avec les relations amoureuses, c’est assez bien trouvé, mais c’en est pas pour autant passionnant à voir. Les allégories animales de Hong Sang-soo sont, au mieux, incompréhensibles, au pire, un peu lourdes. Dans le même genre, le cinéaste introduisait La Femme qui s’est enfuie avec des poules…

Reste le talent des acteurs. L’improvisation, toujours, a du bon. Et je retrouve Song Seon-mi rajeunie de quelques années. Assez étonnant de voir combien certaines femmes coréennes peuvent être plus belles à quarante qu’à trente. Pas la même élégance non plus. Mais une élégance dans les gestes et l’attitude.


Woman on the Beach, Hong Sang-soo 2006 Haebyonui yoin / 해변의 여인 | BOM Film Productions


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Trois ou quatre films que je sais de Hong Sang-soo

Premiers films

Le Jour où le cochon est tombé dans le puits

Année : 1996

Le Pouvoir de la province de Kangwon

Année : 1998

La Vierge mise à nu par ses prétendants

Année : 2000

Note : 4 sur 5.

Note : 3.5 sur 5.

Note : 3 sur 5.

Premières impressions après avoir vu les six premiers films du cinéaste. Un certain attrait pour la structure narrative, les leitmotivs, les histoires croisées amoureuses, les destins capricieux, etc. Tout cela ne serait pas sans trop me déplaire si le fond n’était pas si souvent délaissé au profit de la forme et de ces astuces, habitudes ou obstinations formelles. Le fond, c’est toujours dans un film la qualité de l’histoire proposée. J’admire la forme quand elle se met au service du fond… Et que cela paraisse étrange ou non, bien qu’ayant vu ces six premiers films dans un ordre aléatoire, mes notes ne cessent de descendre.

Ainsi, dans son meilleur film vu jusqu’à présent (et son premier), Le Jour où le cochon est tombé dans le puits, j’ai trouvé le jeu à quatre et en parallèle parfaitement exécuté. Le récit en forme de jeu de l’oie ou de jeu des sept erreurs permet des retours en arrière ou des perspectives différentes adoptées à partir d’un même événement, cela crée une certaine tension jusqu’à l’accomplissement final et relance en permanence la curiosité, ce qui au bout du compte sert au mieux l’histoire.

Le Pouvoir de la province de Kangwon joue sur les mêmes ressorts formels, mais la nature des fils narratifs révélés petit à petit, leur nombre, et surtout leur intérêt général, tout ça perd un peu par rapport au précédent film : les astuces formelles sont toujours là, mais le type de relations proposées et la facilité narrative de départ qui fait croiser deux personnes qui se connaissent dans un même lieu sans se voir (ou quelque chose comme ça) n’aident pas à voir clair dans le récit. Avec ce type de structures, on peut accepter une fois qu’on a compris, une certaine suspension de jugement parce qu’on sait que des éléments seront compris ou évoqués ailleurs, mais il ne faut pas en abuser, et parfois, pour diverses raisons, l’élastique cède, on refuse alors de suspendre son jugement et on demande à sortir de la salle.

La Vierge mise à nu par ses prétendants est peut-être encore plus un jeu de sept erreurs parce que les propositions temporelles revisitées dans le récit font clairement état de différences qui mettent à l’épreuve la cohérence dramatique d’ensemble. Excellente idée de départ, sauf que là encore, si la forme séduit, le sujet qu’elle doit mettre en lumière me paraît, au mieux, un peu trop anodin, au pire, incomplet. On peut bien sûr garder des zones d’ombre dans un film qui joue essentiellement sur des bribes d’événements, mais quand une part de ces séquences ont individuellement peu d’intérêt, on se dit que c’est un peu du temps perdu (le film est long, pourtant il ne laisse pas l’impression que chacune de ces séquences était indispensable — les limites peut-être d’un récit où chaque séquence peut contredire la cohérence dramatique de ce qui précède).

Le Jour où le cochon est tombé dans le puits, Hong Sang-soo 1996 Daijiga umule pajinnal | Dong-a Exports Co. Ltd.

Dernier point qui me semble affecter la qualité de ce que le spectateur perçoit, c’est l’interprétation et le choix des acteurs (sinon parfois, le choix même du cinéaste à choisir telle ou telle activité pour un personnage : dans ce registre, on aurait presque l’impression que le cinéaste revendique son minimalisme et la répétition des types de lieux ou activités proposés). Hong Sang-soo fait dans l’incommunicabilité, là encore, cela a de quoi me séduire… et de quoi me lasser quand c’est mal fait. Certains acteurs ne sont pas à l’aise avec cette forme d’interprétation : ils manquent de spontanéité, de créativité (pierre angulaire de l’improvisation) et se perdent parfois dans des silences qui au lieu d’être dans le rythme général de l’incommunicabilité (ou de la pesanteur, de la contemplation, peu importe comment on interprète ça) laisseraient plutôt penser qu’on a affaire à des prises ratées. On retrouve l’œil vide des acteurs perdus qui imposent des silences prolongés et qui témoignent plus d’un flottement chez l’acteur que chez le personnage. Dans les films suivants, toutefois, le cinéaste corrige le tir : preuve d’abord que ce rythme trouvé dans ses premiers films n’était pas le fait du hasard (c’est un rythme tellement compliqué à obtenir des acteurs que c’est rarement un hasard), mais signe aussi soit que le choix des acteurs n’était pas le bon, soit qu’Hong Sang-hoo n’obtenait pas d’eux ce qu’il cherchait (ce qui n’est pas loin d’être strictement la même chose, mais je vous laisse avec mes propres jeux des sept erreurs).

Je vais continuer sur ma lancée, mais s’il persiste à raconter des histoires avec des gens du cinéma ou s’il se répète comme c’est déjà pas mal le cas, je vais vite me lasser. Mais il faut parfois insister quand on est spectateur avec les cinéastes qui reproduisent sans cesse le même film parce qu’il arrive que parmi leurs cinquante films (ou essais), par hasard ou non, se cache une perle. Pour Hong Sang-soo, le défi, ce sera donc de voir s’il est parvenu dans la suite de sa filmographie à retrouver la qualité de son premier film, voire à le surpasser… Des cinéastes ayant produit un grand film à leurs débuts qui ne retrouveront jamais la même efficacité, ou la même fraîcheur, ce ne serait pas un cas isolé. Soyons optimistes (mais prudents).

Jamais trois sans quatre.

J’avais des raisons d’être méfiant. Night and Day (2008)

Tout ce qui chez le réalisateur m’indiffère (et manifestement des points sur lesquels il insistera de plus en plus après ses premiers films) : des histoires de cul chez des artistes. Tellement français. Le film a en plus le mauvais goût ici de mettre un seul homme au milieu de plusieurs femmes. Le côté plus choral et la parité des rôles de ses précédents films lui réussissaient mieux à mon sens. Surtout que les femmes qui tournent autour du personnage principal sont assez médiocres (à l’exception, peut-être, de l’élève des Beaux-Arts qu’il retrouve dans son rêve). La performance des actrices n’aide pas beaucoup. L’acteur qui joue le peintre, lui, s’en sort plutôt bien, parce que sans lui, il faut bien reconnaître que le film aurait totalement manqué du seul charme qu’on peut lui reconnaître : l’humour. Ça donne un côté Bruno Dumont appréciable au style habituel d’Hong Sang-soo. Pour le reste, on oublie les structures alambiquées, les leitmotivs, les plantings. Deux ou trois choses pour révéler une ou deux informations, mais ça ne va pas plus loin. Ça me manquerait presque…

(J’avais vu trois des autres films des années 2000 bien avant, c’est pourquoi je suis directement passé à Night and Day.)

La suite aux prochains numéros.


Concernant Le Jour où le cochon est tombé dans le puits :

Sur La Saveur des goûts amers :

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Tout est pardonné, Mia Hansen-Love (2007)

Fille aux pairs

Note : 1.5 sur 5.

Tout est pardonné

Année : 2007

Réalisation : Mia Hansen-Love

Avec : Paul Blain, Marie-Christine Friedrich, Victoire et Constance Rousseau

Les dommages collatéraux des bourgeois quand on leur ouvre en grand les portes du cinéma. Des actrices au minois photogénique sont castées dans la rue, on leur fait croire qu’elles ont du talent, la critique parisienne se masturbe sur le film parce qu’ils dînent une fois ou deux chez des amis, des amants, des dealers qui apparaissent au générique, et des gamines de quinze ans décident ainsi, du jour au lendemain, de devenir actrices. Avec les conséquences prévisibles similaires à un trisomique à qui on promet les podiums de mode.

Voilà comment on paupérise les actrices. Les premières années, encore, ça ne va pas si mal, on continue de vous inviter dans les cocktails en ville, mais vous comprenez aussi beaucoup plus que vous êtes une proie pour les prédateurs sexuels du milieu qui ne font jamais un film, et puis, plus ça va, plus on vous oublie. Vous vieillissez, alors vous tentez le théâtre, on vous rit au nez parce que votre voix ne porte pas à plus d’un mètre. Vous revenez au cinéma, vous faites jouer votre carnet d’adresses, mais voilà, personne n’ose vous dire que si vous aviez décroché un premier rôle la première fois, c’est grâce à votre visage poupon et vos grands yeux de dessin animé. On ne vous le dit pas tant qu’on espère tirer encore avantage de vous.

Vous tâtez un peu de courts, de téléfilms, essentiellement parce que d’autres fils à papa ont été très impressionnés par vos beaux yeux quand vous étiez à peine pubère, et parce que les filsdeux, ça préfère faire tourner les relations plutôt que le talent. Parce que le talent, on n’en a jamais vu la couleur, on ne sait pas à quoi ça ressemble. Alors on s’invente de jolies histoires de casting à la Béatrice Dalle. Parce qu’on ne sait pas quoi inventer d’autre. Les belles histoires en marge. L’imprévu pas du tout prévisible. Guidé par ceux qui osent (la chance sourit aux audacieux, mais « c’est aussi à ça qu’on les reconnaît »). Et voilà comment tout ce petit monde sans talent se retrouve à faire des films, à trente ou quarante ans totalement paupérisés dans un milieu de filsdeux auprès desquels on vient guetter les miettes pour retrouver du travail. Honore toujours la main qui te nourrit. Le mérite, le talent, qu’on nous dit. Non, la bourgeoisie parisienne. Filsdeux et critiques, main dans la main pour produire un cinéma de la nouvelle qualité française, un cinéma de cour et de courtisans où plus personne ne sait ce qu’est un film, un acteur. Et en plus des spectateurs obligés de se taper des films scolaires aussi inoffensifs qu’un verre d’eau, où chaque prise semble être un exercice de cours de théâtre en entreprise, c’est surtout bien triste pour ces actrices qui n’ont pas une once de talent et qui malgré cela ont dédié leur vie à la comédie…

Ah, et pour être plus précis, pour donner une idée de comment se monte une distribution dans un film de la bourgeoisie parisienne, le mieux s’est encore d’écouter ce qu’ils en disent eux-mêmes. J’ai vu le film dans le cadre d’une rétro de la réalisatrice à la Cinémathèque française. Le directeur de la maison est là, mais sur la passerelle, pour regarder de loin le bébé monstrueux produit par sa classe sociale. Il ne ferait pas ça pour un cinéaste de bien meilleur standing, et il laisse le soin à un autre de présenter la réalisatrice et les acteurs présents. Chacun nous dit à tour de rôle comment il a été choisi pour faire le film. La même constance. L’actrice principale a été repérée dans la rue. L’acteur qui joue le père est le fils de l’acteur-réalisateur Gérard Blain (ah, tiens, un filsde), et la réalisatrice l’a rencontré lors d’une projection d’un film du père au Champo (cinéma d’art et d’essai parisien), le « fils de » étant par ailleurs ami avec le petit ami de la réalisatrice (envoi du scénario un mois plus tard ; casté ? des essais ? Pour quoi faire ?). La petite qui joue le rôle du personnage principal à six ans…, ben c’est la sœur de la première. Du propre aveu de la réalisatrice, elles ont un caractère opposé, et ça se voit forcément à l’écran. La cohérence ? Pour quoi faire ? L’histoire est trop belle. On ne sait pas les écrire, alors on les provoque pour pouvoir les raconter en projection presse… Et puis, une actrice qui a un petit rôle, et qui peut-être s’en tire le mieux avec le peu qu’elle a à faire dans le film : castée d’abord à partir de photos envoyées alors qu’elle suit des cours à un conservatoire d’arrondissement (pour les curieux, c’est comme un club de théâtre), donc c’est bien, elle ne sort pas de nulle part. Petit indice de l’actrice : elle a eu le père de la réalisatrice comme prof de philo. Encore une « belle histoire », une histoire de relations.

Les provinciaux, ce n’est même pas la peine de tenter votre chance à Paris. Ou tâchez de bien soigner votre carnet d’adresses dès votre arrivée, le talent ne vous servira à rien. Remarquez que ça marche aussi bien pour les acteurs, les réalisateurs ou… les critiques. La réalisatrice ayant, paraît-il, travaillé aux Cahiers du cinéma lors de sa relation avec Olivier Assayas. Assayas étant par ailleurs, membre du bureau à la Cinémathèque. Vous n’avez pas le bras long ? Pas de rétrospective pour fêter vos vingt ans de carrière. Les Fillon auraient dû faire du cinéma plutôt que de la politique.

Un peu perdue, Constance Rousseau imite les acteurs de soap opera quand elle est en gros plan : ses yeux passent d’un œil à l’autre de ses interlocuteurs, ça lui donne un air agité et absent. Évidemment, personne pour lui dire en plateau. Les acteurs, démerdez-vous.


Tout est pardonné, Mia Hansen-Love 2007 | Les Films Pelléas, CNC, TPS Star


Sur La Saveur des goûts amers :

La nouvelle qualité française

Liens externes :


Lucia et le sexe, Julio Medem (2001)

Irrésistible

Note : 1.5 sur 5.

Lucia et le sexe

Titre original : Lucía y el sexo

Année : 2001

Réalisation : Julio Medem

Avec : Paz Vega, Tristán Ulloa, Najwa Nimri

Formidable cinéma bourgeois où un écrivain avec le physique de Dominique Pinon et le talent additionné de Philippe Djian et de Marc Levy peut se retrouver au milieu d’une histoire de cul avec trois femmes folles de lui toutes plus belles les unes que les autres…

On pourrait presque avoir l’impression que ce cinéma de personnes sans problème a comme finalité de troller le spectateur moyen, laid et pauvre tellement le film multiplie les clichés puants de la bourgeoisie ‘cultivée’ sans histoire. Ce bourgeois bohème, du moins tel que représenté ici et qui s’apparente plus aux fantasmes extravagants et sexuels de petit garçon gâté par la vie, vit dans un grand et bel appartement où le ménage se fait tout seul, écrit des histoires idiotes le matin avec un mug de café sur sa table de travail, achève son chapitre sans grandes difficultés, puis vient embrasser la femme qui a passé la nuit avec lui et qui l’attend devant la fenêtre en train d’admirer les premiers rayons du soleil. Que calor. 37,2° le matin.

La veille, ils ont fait l’amour (« le meilleur coup de sa vie », on parle du Dominique Pinon écrivain), et la femme en question s’était présentée à lui dans un bar en lui disant qu’elle avait lu tous ses chefs-d’œuvre et qu’elle en était déjà tombée amoureuse sans même le connaître. Quel charme, Dominique !

Con comme la…

Lui, parce qu’elle est jolie, et lui sentimental, lui raconte qu’il l’aime aussi (c’est fou ce qu’on peut être sentimental quand la fille est jolie). Non, non, rien à voir avec des fantasmes strictement masculins, voilà un véritable épisode de la vie standard d’un petit-bourgeois espagnol : toutes les femmes, surtout les plus jolies, ne peuvent que succomber à mon charme. La vie facile, tu devrais essayer, spectateur pauvre et laid. Essaie la sapiosexualité aussi. Et devient riche et célèbre. Tu fais pas d’efforts (d’imagination).

D’ailleurs, le roman que notre écrivain à succès local est en train d’écrire raconte une autre histoire tout aussi crédible et sentimentale. Ne t’y trompe pas, spectateur : nous les bobos, des histoires folles où des femmes canon nous tombent dans les bras, ça nous arrive tous les jours, alors crois-le ou non, on édulcore quand même un peu notre vie trépidante qu’on décrit dans les romans et qui n’en sont pas tout à fait, sinon ça pourrait t’énerver.

Un jour donc, c’était il y a six ans, notre jeune bourgeois écrivain se tape une serveuse au beau milieu de la mer (t’as déjà fait l’amour dans l’eau, toi ?, moi je te conseille pas, mais peut-être que les femmes ont des pouvoirs super-lubrifiants quand des super-bourgeois les pénètrent). Aventure facile et sans lendemain, les femmes adorent ça (du moins, celles fantasmées par les gentils garçons). Surtout la génération sida. À la fin des années 90, comme en tout temps, si on tombe enceinte, c’est qu’on n’a pas utilisé de capote. Alors voilà, enceinte. Paf. Hé, oui, parce que le jeune bourgeois, c’est à savoir, il déborde tellement de fertilité que parfois avec un simple regard, il peut féconder les jolies serveuses qui travaillent aussi chez Elite.

Et s’en foutre royalement. Parce que l’écrivain bourgeois, il a autre chose à faire que de se soucier de ces histoires de gosses. Surtout quand c’est les siens : une serveuse ne devrait avoir aucun problème à élever son gosse seule d’ailleurs. La routine. La vraie vie. Hé, le jeune bourgeois, il a des mannequins différentes chaque nuit dans son lit, et le matin il leur dit au revoir avant de bosser, lui, sur Word 95… pas de place pour la vie de famille. Ou le respect des femmes. La liberté, quoi. La vraie, sexuelle. Pour les hommes sans problème. La vie de famille, hein, c’est bon pour les pauvres, les gens ordinaires. Et puis, pour les femmes qui n’ont pas eu de chance.

Le monde regorge de mannequins Elite, y a qu’à se servir. Une d’engrossée, dix de retroussées.

Manger dans la main de l’homme.

Mais, tout de même, au bout de six ans, comme le bourgeois a l’esprit curieux quand il enfante avec son foutre explosif et divin, il veut voir la gueule de son mioche. Au bout de six ans. Gentleman. Pas pour rien qu’il est irrésistible. Au bout de six ans. Une fois que le mioche a passé l’âge de chier dans ses couches et avant la crise d’adolescence. La belle vie. Les femmes voient que c’est un connard, mais elles continuent d’en vouloir à sa bite. Irrésistible.

Le Marc Levy avec la gueule de Dominique Pinon en profite pour culbuter la baby-sitter de sa fille, parce que pourquoi pas. C’est tout de même pas sa faute si c’est encore une baby-sitter de l’agence Elite et si lui est ir-ré-sis-tible. Car oui, le bourgeois bohème a une chose à dire au monde réel : les femmes, surtout si elles sont jolies, elles sont forcément sexualisées. Donc baisables. Toujours. Une femme que tu désires, c’est une femme qui forcément est disponible. Hé, n’est pas Dominique Pinon qui veut.

Tu ne savais pas ? Essaie dans la rue la prochaine fois, avec la première venue : présente-toi avec ta gueule de Dominique Pinon, dis-leur que tu écris des histoires à la con, et elles te suivront direct dans ton pieu. Les femmes servent à ça. Répondre à tes instincts primaires, à tes besoins, à tes fantasmes. La vraie vie quoi. Tu savais pas ?

Et là c’est le drame, ta mioche est bouffée par le clébard de la maisonnée alors même que tu t’enfilais vicieusement la baby-sitter dans la chambre de sa mère (l’ex-serveuse désormais maquée avec un footballer). Je rigole pas, c’est forcément un accident terrible et injuste. Crédible aussi. Tellement improbable dans ce monde où tout te sourit. Un signe malheureux du destin qui n’a pas compris qui tu étais. Un mec bien (riche et connu). Ou le signe que te pousse le bouchon un peu loin. Dans le cliché ou dans les fantasmes, tu choisis.

Hé oui, de la culbutée à la culpabilité, il n’y a qu’un pas…

Lolo, il baisait avec la baby-sitter pendant que toutou bouffait ma fille.

Après le drame, elle, la baby-sitter de chez Elite, fera une tentative de suicide (et puis, on en entendra plus jamais parler : faut pas pousser, la déprime, c’est moins sexy). Mais lui aussi, rongé par la culpabilité (ou la honte d’inventer de telles conneries, on peut nous aussi rêver), en ferra de même (la tentative de suicide, seul recours du bourgeois en détresse post-traumatique). Bon, entre-temps, il a tout de même eu la présence d’esprit pour échapper au scandale de s’échapper par la fenêtre la nuit de l’accident (les bourgeois ont décidément tous les droits — ou leurs fantasmes sont révélateurs de leur courage).

Heureusement, tout est bien qui finit bien, parce que la serveuse Elite 2 quitte son fiancé de footballer et se retire dans un gîte dans le trou du cul du monde (mais ensoleillé) et y rencontrera par hasard la femme Elite 1, celle qui était tombée amoureuse de l’écrivain en lisant ses histoires à la con. Le destin est à nouveau gentil avec le bourgeois, il peut sécher ses larmes de crocodile. Y a pas mort « d’homme ». Et bientôt, il pourra commencer une vie polygame heureuse et sans phare ni mioche ou clebs entre ses pattes. Le bonheur bourgeois en somme. Ou le fantasme de ceux qui aspirent à le devenir. Un bonheur qui s’achève baigné de lumière. Avec les promesses d’une vie meilleure (enfin). Assez de l’errance sexuelle et des filles faciles de chez Elite, place à la vie tranquille d’un ménage à trois. Dominique Pinon se sacrifie pour leur bonheur à elles : ce sont elles qui le réclament. Oh, non, ce n’est pas moi qui rêve que toutes les femmes tombent à mes pieds, ce sont elles qui me supplient de devenir les pantins sexuels de mes fantasmes. La preuve, on appellera cette histoire : Lucia et le sexe. Je n’ai rien à voir là-dedans, c’est son histoire à elle. Moi, je me contente d’être…

Irrésistible.

(En vrai, je revisite un peu, mais je suis pas très attentif quand c’est aussi vulgaire.)


 

Lucía y el sexo, Julio Medem 2001 | Alicia Produce, Canal+ España, Sogecine


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