Dillinger est mort, Marco Ferreri (1969)

In attesa della morte

Note : 3.5 sur 5.

Dillinger est mort

Titre original : Dillinger è morto

Année : 1969

Réalisation : Marco Ferreri

Avec : Michel Piccoli

L’impro dirigée s’applique en général aux acteurs seuls. Mais Marco Ferreri est en roue libre et décide d’écrire au fur et à mesure ou presque son film. Le résultat est plutôt étonnant, et souvent réussi.

Le film-concept pourrait tourner court, sauf que Ferreri tient notre attention grâce à un principe vieux comme le cinéma : qu’importe le pourquoi (les causes diraient Bresson), seul compte le quoi (l’effet, ou les faits), autrement dit l’action. Jamais d’explications, juste des pistes, et des interprétations laissées au spectateur (ou les critiques, toujours habiles à nous faire croire que ce qu’ils pensent voir dans les films est précisément ce que l’auteur, ou l’auteur présumé, aurait voulu dire). Il ne se passe rien, Piccoli fait joujou, et pourtant tout se passe : pas de dialogue (Piccoli est de tous les plans, seul, bricole, s’active, cuisine, s’amuse, rêvasse, teste ce qui pourrait animer son ennui ou tuer son insomnie), pas d’enjeux définis donc pas de scénario ou à proprement parler d’histoire, c’est une longue situation et une nuit qui s’improvise sous nos yeux. Pourtant à chaque instant, il y a bien quelque chose qui se produit : on regarde un personnage s’activer à « faire quelque chose », du plus naturel au plus absurde, mais c’est bien ce “faire” qui attire le regard. Le cinéma n’est pas discours, il est action. Cela laisse la vague impression, à la fois d’arriver en plein milieu d’un film, mais aussi que ce film est toujours le même comme un rêve qui tourne en boucle. On ne comprend rien, et il n’y a sans doute rien à comprendre (sauf pour ces inconditionnels de l’analyse toujours habiles à interpréter des intentions auxquels les auteurs ne pensent jamais), mais on regarde, parce que les voyeurs que nous sommes, de la même espèce que les petits vieux assis à la terrasse des cafés regardant défiler le monde devant leurs yeux, espèrent toujours que dans cette grande improvisation de la vie quelque chose se passe, de grave, d’inattendu, de cocasse. Et c’est peut-être ce qui finit par se passer.

Il y a un cinéma dans lequel la tension naît de la peur de ce qui pourrait se passer, c’est le suspense ; et il y a un cinéma où la tension naît de l’espoir au contraire que quelque chose se passe. Pour reprendre, et transformer, la formule d’Otto Frank (dans Le Journal… de George Stevens) parfois attribuée à Tristan Bernard (peu importe) : « Avant nous vivions dans la terreur, maintenant nous vivrons dans l’espoir. »

Malgré ce qu’on y trouve (et sans spoiler ça peut être brutal), c’est un cinéma plutôt réjouissant et lumineux. Un peu nihiliste aussi. Il y a peut-être déjà dans l’enfant qui joue un peu de l’assassin en devenir… (Suggestion de présentation.)


Dillinger est mort, Marco Ferreri (1969) | Pegaso Cinematografica, Italnoleggio Cinematografico

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Invasión, Hugo Santiago (1969)

Note : 4.5 sur 5.

Invasión

Année : 1969

Réalisation : Hugo Santiago

Histoire : Jorge Luis Borges

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Thriller paranoïaque opposant une organisation secrète de résistance et des envahisseurs déjà trop bien acceptés par une population amorphe.

Film quasi muet dans lequel les dialogues ne servent qu’à brouiller les pistes et interdisent toute contextualisation possible avec une situation géopolitique définie. Approche singulière, mais sans doute forcée par la peur de la censure (la dictature en Argentine a commencé en 66, et le film est de 69) ou par le style de son auteur, Jorge Luis Borges (la cité présentée est fictive, mais fait évidemment penser à Buenos Aires).

Tous les passages obligés du film d’espionnage sont réunis : filature, rencontre furtive entre agents, le boss de l’ombre, le conjoint qui cache ses activités, la voiture piégée, le dépôt d’armes, le guet-apens, l’assassinat, la femme-hameçon, l’interrogatoire, la course-poursuite… Tout ça dans une forme quasi miraculeuse entre Melville et Costa-Gavras (voire Matrix), puisque tout y est puissamment cinématographique. Un film d’action et d’ambiance tout du long. Et des acteurs remarquables. Un chef-d’œuvre.


Invasión, Hugo Santiago (1969) | Proartel S.A.

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La Belle, Arūnas Žebriūnas (1969)

Comptine d’été

Note : 5 sur 5.

La Belle

Titre original : Grazuole

Titre alternatif : The Beauty

Année : 1969

Réalisation : Arūnas Žebriūnas

Avec : Inga Mickyte

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La Belle fait partie de ces chefs-d’œuvre rares et méconnus qui convainquent à l’instant où on les voit, qui disent l’essentiel du cinéma, voire de la vie, tout de suite, avec la force des évidences. L’alchimie qui s’opère dans La Belle est parfaite : justesse du geste et des échelles de plan, beauté visuelle, délice sonore…, c’est une fable simple, son interprétation, quasi miraculeuse.

Dès le générique, on comprend à quoi on a affaire. Un poème, une ode à la liberté, à la beauté, à la simplicité, à la bienveillance et à l’espérance… Le film commence en contre-plongée vers le houppier scintillant des arbres : lumières d’été, silence apaisant, l’espoir peut-être déjà… Travelling arrière, et la caméra redescend vers la terre des hommes, qui sont en fait ici des enfants. Un petit groupe joue dans le lit d’une rivière asséchée à « La belle », un jeu qui consiste, on l’apprendra plus tard, à se réunir en cercle autour de notre personnage principal, Inga, au physique censé être disgracieux avec ses taches de rousseurs, ses grandes jambes nues, ses yeux ronds et rapprochés, ses grosses joues, et de lui dire combien elle est « belle », de vanter ses multiples qualités, alors qu’elle danse au milieu du cercle, gracieuse, lumineuse, telle une déesse se nourrissant avec bonheur des offrandes qu’on vient lui porter. L’image fait immédiatement penser à ces boîtes à musique souvent utilisées dans les films, censées raviver des souvenirs oubliés, et où parfois on actionne une petite manivelle pour y faire évoluer une danseuse mécanique.

À voir Inga dans cette première scène, difficile de concevoir aujourd’hui qu’un tel ange puisse représenter une image de la laideur, mais la réalisatrice lituanienne Alantė Kavaitė qui présentait le film confirmait toutefois que les taches de rousseurs par exemple n’étaient pas considérées comme des marques de beauté à cette époque dans son pays (et affirmait aussi que le scénario original dont elle avait pu se procurer un exemple ne souffrait à ce sujet d’aucune ambiguïté : Inga était laide).

Si tout est dit en une seconde, dès ce premier plan du générique, c’est qu’à ce moment, grâce au mouvement de caméra, à la situation (tirée d’une scène du film et qui pourrait tout aussi bien achever le film — ce qu’elle fait presque d’ailleurs), à la musique et à la grâce de la jeune actrice, souriante, élégante, malicieuse, eh bien tout est dit. Comme une ritournelle qui s’impose dès la première mesure, et qui revient sans cesse hanter nos oreilles : quelques plans de cette scène reviendront ponctuer le film mais tournés en divers endroits, car dans ce jeu étrange (qui ne peut être que celui des anges, a-t-on vu des enfants se comporter réellement ainsi ?) c’est tout à la fois qui se compose autour de la même harmonie : le dilemme et sa résolution. Du moins une résolution, car si ces anges semblent nous donner dès le générique une belle leçon de vie, le film ira plus loin encore. Alantė Kavaitė encore parlait d’un film impressionniste. Si dès le générique tout est dit, c’est que le film ne s’appliquera pas à suivre le cours d’un récit chronologique. Le film est trop court pour cela, et au mieux il prend la forme d’un conte. Ou pour rester dans le jeu d’enfants et de la ritournelle, la comptine. Différentes séquences serviront en fait à illustrer toujours la même idée, la même obstination : celle d’une beauté pas seulement intérieure, mais une beauté qui peut se révéler à notre regard quand ce qui est défini comme laid sourit à la vie et est embelli par la bienveillance de ceux qui la regardent.

Un seul élément nouveau dans ce que le film tient précisément de narratif viendra mettre à l’épreuve la logique bienveillante de ces elfes en culottes courtes : l’apparition d’un nouveau venu de leur âge questionnant pour la première fois la « beauté » de leur amie. Le perturbateur fera en réalité long feu. S’il remet en doute la beauté d’Inga, ce sera moins pour révéler sa naïveté que l’existence de beautés nouvelles, plus amères, ou moins immédiates.

Ce nouveau voisin, sorte de philosophe panthéiste perdu au milieu d’un manège de libellules, s’obstine à vouloir faire fleurir une demi-douzaine de branches que la joyeuse bande de lutins rieurs prend d’abord pour les rameaux d’un balai mais que lui laisse mijoter avec foi dans un vase de fortune. Ce qu’attend ici notre poète, c’est la liberté, l’espoir d’un temps meilleur… L’autre beauté, elle est là, celle de l’attente et de la foi. Autre préoccupation de sage pour cet étranger : nourrir les chiens délaissés par leurs propriétaires partis en vacances. L’occasion pour Inga (qui suit maintenant cet étrange bonhomme partout) de rencontrer un chien sur les bords du lac, indifférent à leurs caresses, attendant son maître noyé déjà depuis plusieurs semaines. Inga comprend que sa mère est comme ce chien, à attendre le retour improbable d’un mari invisible. Toujours la même attente. L’espoir doux amer, la résignation optimiste du sage convaincu en dépit des apparences que tout est possible… Même de voir des balais fleurir.

Voilà, peu de choses racontées ou montrées en à peine plus d’une heure : l’essentiel, une fulgurance cinématographique. La vie des anges n’aura été dérangée que quelques minutes : le soleil continue à briller, et on peut même inviter sa mère à jouer à « la belle », lui rappeler combien elle l’est, belle, et essentielle, si l’espoir lui venait à manquer. Dans ce conte philosophique, ce sont les enfants qui font la leçon aux parents. Et ils peuvent bien : une fois plus grands, leur balai ayant fini de fleurir, ils pourront les envoyer promener. Les vieux. Qui n’auront alors plus qu’à s’asseoir sur un banc et à contempler le désastre du temps passé. L’immuable marche du monde, comme pour dire à l’occupant et à la tyrannie : la liberté refleurira bientôt.

Inutile de dire que pour convaincre en jouant une telle partition, il faut une maîtrise formelle impeccable. Tout du long la réalisation de Arūnas Žebriūnas est élégante, préférant les mouvements de caméra aux images statiques (on dit souvent que pour filmer les enfants il faut savoir se mettre à leur hauteur, mais il faut aussi savoir les suivre : comme pour L’Histoire de Jiro, les travellings d’accompagnement sont magnifiques, tout comme les zooms, utiles pour éviter un montage heurté, ou les panoramiques en plans rapprochés), la musique prend souvent le pas sur les dialogues (l’atmosphère est volontiers contemplative), et surtout la petite Inga Mickytė est impressionnante de justesse, de poésie, de charme et d’intelligence. Autant de qualités déjà présentes dans Les Dimanches de Ville d’Avray tourné quelques années plus tôt (le film peut également faire penser pour cette scène de danse à Cria Cuervos).


(Le film semble être en voie d’être distribué en France. La copie était magnifiquement restaurée. Espérons que ça se fera un peu moins dans l’anonymat que ce coup-ci à la Cinémathèque. La salle était quasiment vide et le film projeté dans le cadre d’une séance « jeune public ».)



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Karla, Hermann Zschoche (1965)

La leçon

Note : 4.5 sur 5.

Karla

Année : 1965

Réalisation : Hermann Zschoche

Avec : Jutta Hoffmann, Klaus-Peter Pleßow, Hans Hardt-Hardtloff

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Leçon d’intégrité et de lutte contre les apparences.

Une jeune prof idéaliste est-allemande qui doit d’abord se coltiner les interrogations légitimes de ses élèves, se conformer à l’idéologie en rigueur dans l’école et qui décide après six mois de cours, après les lauriers gagnés grâce à ses petites compromissions avec le système, par péter un câble, celui de la docilité, de la lâcheté. C’est déjà formidable de proposer ça à l’époque (le film sera interdit), mais en plus le film évite tous les écueils liés aux stéréotypes des personnages enfermés dans leur fonction, ou de leur utilité narrative : chacun fait des erreurs et cherche à agir en fonction de convictions parfois de circonstance. Faut à la fois préserver les apparences, agir selon les règles et l’autorité (celle qu’impose la tyrannie à ceux qui s’y soumettent de gré ou de force, mais le plus souvent sans avoir à faire quoi que ce soit, la peur, la conformité, comme seule autorité, plus finalement que l’idéologie), et parfois un peu, ne pas céder.

C’est beau autant de précautions pour reproduire la complexité de la vie, en particulier dans un milieu éducatif… totalitaire. Entre la compromission totale et l’insoumission suicidaire, il y a une fine ligne qui ne cesse de bouger et que certains s’appliquent parfois à suivre avec le risque de tomber dans le vide. Alors quand un tel film parvient à rester debout malgré tout, à avancer, à questionner, à se refuser en permanence de tomber dans les facilités ou les réponses attendues, on dit bravo, et merci.

Le rôle du philosophe dans l’histoire, et ce n’est pas une blague, il est tenu par un inspecteur venu de Berlin qu’on imaginerait plus rigide sur les principes, plus endoctriné, et qui donne raison à Karla l’insubordonnée : « Il faut discuter des réalités pour les changer » (suivi d’un aphorisme incompréhensible : « Le prix du courage baisse, celui de la raison augmente »). (Un dirigeant intelligent, et poète — donc individualiste —, ça n’a pas dû plaire à la censure.)


Karla, Hermann Zschoche 1965 | Deutsche Film (DEFA)


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Andreï Roublev, Andreï Tarkovski (1966)

Andreï Roublev

Andreï Roublev

Année : 1966

Réalisation :

Andreï Tarkovski

10/10 IMDb

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On se fait chier, l’histoire de Roublev a très peu d’intérêt, mais ce n’est pas du cinéma, c’est du ballet. Il y a la musique, et il y a des chorégraphes de l’image, comme Stanley Kubrick ou donc Tarkovski. Il pourrait faire réciter le bottin à des jouets animés que ce serait pareil.

Beaucoup d’appréhension à le revoir, et c’est parfois éprouvant mais quel dieu… Il a l’art de toujours faire apparaître quelque chose à l’écran. C’est comme une partition d’orgue de barbarie, ça défile, il bouge la caméra et de nouveaux éléments apparaissent à l’écran (on voit ça dans Rouges et Blancs de Jancso de mémoire, ou dans les German, mais je n’aime pas du tout). L’anti-Eisenstein. Avec une caméra tellement virevoltante qu’elle donne l’impression d’avoir un récit à la première personne : une sorte de présence mystérieuse, un dieu qui regarde ça de haut (d’où les vues à la grue, flottante…).

Le jeu d’acteurs est parfait… Celui qui fait le chef tatar est formidable. L’école russe…, la meilleure avec l’anglaise.


Andreï Roublev, Andreï Tarkovski 1966 | Mosfilm


La Porte d’Ilitch / J’ai vingt ans, Marlen Khoutsiev (1962-1965-1988)

Les cosmonautes cinéphiles

La Porte d’Ilitch / J’ai vingt ans

Note : 4 sur 5.

Titre original : Zastava Ilitcha / Mne dvadtsat let

Année : 1962-65-88

Réalisation : Marlen Khoutsiev

Avec : Valentin Popov, Stanislav Lyubshin, Nikolay Gubenko

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Notes de découpes

Version Porte d’Ilytch

Tarkovski joue les acteurs de second plan, en fait des tonnes et est incapable d’oublier la caméra, comme tout mauvais acteur. 32 ans, il en fait déjà le double et joue un type de 20. Normal. Il est d’ailleurs de tous les faux raccords dans sa séquence, à croire que c’est une private joke. Une scène typique d’ailleurs de ces fêtes qu’on rencontre dans tous le cinéma des années 60, d’Antonioni à Fellini ou dans le cinéma de l’est… L’errance existentialiste de la jeunesse des trente glorieuses… Plus amusant encore, la scène qui suit pompant allègrement (ou hommage du coup) l’esthétique de L’Enfance d’Ivan : caméra et lenteur flottante, sonorités sourdes et répétitives, le tout dans les tranchées, et une rencontre hallucinée avec le papa disparu. « Tu peux pas me donner des conseils, popa ?… » « Tu as quel âge ? » « 23. » J’en ai 20, quel conseil voudrais-tu que je te donne ?… » (Une fin toute autre donc dans la version remontée — et retournée en partie — pour sa version autorisée — et primée — d’origine « J’ai vingt ans ».)

J'ai vingt ans La Porte d'Ilytch 1965 Marlen Khoutsiev Kinostudiya imeni M. Gorkogo, Pervoe Tvorcheskoe Obedinenie 8

Manspreading forcé du cabot Tarkovski dans J’ai vingt ans / La Porte d’Ilytch, 1965 Marlen Khoutsiev | Kinostudiya imeni M. Gorkogo, Pervoe Tvorcheskoe Obedinenie

Version J’ai vingt ans

Encore meilleur à la deuxième vision malgré des coupes impardonnables. Si le congrès des poètes (inexplicablement longue dans la version remontée vingt-cinq ans après par le réalisateur) gagne énormément à être raccourcie, autour de cinq minutes, avec pas un plan sur les récitants, on perd le passage magnifique des bougies lors d’une soirée avec ses « Tu m’aimes ? — Et toi ? — Tu m’aimes ? — Et toi ? », c’était un des meilleurs passages de la Porte d’Ilich. On perd aussi quelques plans pourtant essentiels et que Khoutsiev a bien fait de rajouter : à la fin sur les passages piétons quand les trois se retrouvent sans se voir, on ne sait pas s’ils se voient, vont se retrouver, ça jouait sur l’incertitude, l’incompréhension…, ça aussi, c’était une séquence magnifique qui perd beaucoup et qui pourtant n’était pas si long ou bien subversif. La scène du père a été en partie retournée à la demande de Khrouchtchev avec un nouvel acteur, l’autre étant parti pour son service militaire… et son finale imaginé par Khoutsiev était pourtant bien meilleure, là encore parce qu’elle laissait planer le doute. La transformation risible aussi du « Tu seras quoi dans dix ans ? — Cosmonaute » en “cinéphile”…

Mais superbe film, quelle que soit sa version. Encore meilleur au second visionnage, comme beaucoup de chefs-d’œuvre, c’est rempli de détails qu’on ne peut voir ou comprendre la première fois. Ici par exemple, lors d’une première fête improvisée, la petite blonde que Sergeï rencontrera plus tard en passant une nuit avec, apparaît en figuration et lui jette un regard très intéressé… Sans connaître la suite, on ne peut pas remarquer ce détail. Et il faut tout de même oser aller foutre ça en sachant qu’aucun spectateur ne sera capable de s’en rendre compte au premier visionnage…

Une séquence sur deux est à classer dans une anthologie. L’utilisation de la musique, souvent diégétique, est remarquable, en particulier lors de la scène avec le père d’Anya, rythmée par le son de la télévision qui semble changer de chaîne en fonction des humeurs de Sergeï…


Quelques images :


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Les Plaisirs de la chair, Nagisa Ôshima (1965)

Le Casanova d’Ôshima

Etsuraku

Note : 4.5 sur 5.

Les Plaisirs de la chair

Titre original : Etsuraku

Année : 1965

Réalisation : Nagisa Ôshima

Avec : Katsuo Nakamura, Mariko Kaga, Yumiko Nogawa

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Ce n’est pas aussi subversif qu’on pourrait le penser (ou l’espérer). C’est très sage même. Une sorte de Casanova du pauvre. Le personnage principal commence puceau, puis gagne en quelque sorte au loto en s’appropriant de l’argent sale, et va s’échiner à dépenser tout son fric en se payant des bonnes femmes infréquentables. Comme s’il ne pouvait y avoir au Japon pour un type même fortuné que de la place pour de l’amour tarifé. C’est plus noir, nihiliste, que subversif ou cochon. La trajectoire est un peu la même que dans le Casanova de Fellini : l’un finit avec un pantin mécanique, l’autre avec une prostituée muette, laide et décérébrée. Le seul lien qu’on pourrait faire avec l’Empire des sens par exemple, c’est la quête extrême de la jouissance physique jusqu’à l’absurde et forcément la violence infligée aux autres ou à soi-même ; mais c’est très léger, l’accent est surtout porté sur la vacuité d’une quête qu’on sait dès le départ qu’elle sera sans issue.

C’est encore ailleurs que je trouve mon bonheur : le récit file droit, avec un rythme répétitif comme pour ressasser la même logique absurde et le côté inéluctable et toujours dérisoire d’un pauvre type qui ne cesse de chercher un corps pour combler ses désirs mais qui au fond ne cesse toujours plus de s’éloigner des autres (à la Casanova encore une fois). C’est rempli aussi de montages-séquences* ou des procédés foutrement inventifs qui donnent du relief à l’histoire plutôt que de faire prétentieux et maniéré. La maîtrise narrative est hallucinante (si on arrive à ne pas voir le film comme un film noir), l’utilisation de la musique aide bien, et les surimpressions dans ces montages-séquences laissent rêveur…

On pourra juste regretter un Katsuo Nakamura (l’acteur qui se fait peinturlurer la face dans Kwaidan) peu convaincant (le passage vers l’assurance que lui procure l’argent est trop brutal pour qu’on puisse y croire), et la présence trop rare à l’écran de Mariko Kaga, l’actrice sublime, énigmatique, de Fleur pâle, des Lundis de Yuka, de Silence sans ailes, ou plus tard de la mère dans La Rivière de boue. Une icône à la présence fantomatique qu’il semble bien idiot de ne pas exploiter comme il le faut.


Les Plaisirs de la chair, Nagisa Ôshima 1965 Etsuraku | Sozosha

Les Poings dans les poches, Marco Bellocchio (1965)

Les Poings dans les poches

I pugni in tascaAnnée : 1965

Réalisation :

Marco Bellocchio

10/10  IMDb

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MyMovies: A-C+

Un film qui a la rage. Des personnages de dégénérés. Du Imamura des années 60. Comme souvent, beaucoup de rapports entre ce cinéma japonais et italien des années 60.

Qui a la rage, la haine, qui exprime cette envie de tout envoyer valser dans le cinéma en France ou ailleurs aujourd’hui ? Passage devant un cinéma où étaient projetées trois ou quatre comédies à la française. La société devrait exploser et voilà les merdes qu’on nous propose…

L’esprit de révolte est mort. On s’indigne comme on prend un morceau de camembert à table, et on passe au dessert.

Qui ira jeta la table par la fenêtre et les souvenirs de grand-mère avec ?… (À pardon, les souvenirs de grand-mère, je garde, quelle révolutionnaire, elle !…)

Les Poings dans les poches, Marco Bellocchio 1965 I pugni in tasca | Doria


China Is Near, Marco Bellocchio (1967)

China Is Near

La Cina è vicinaAnnée : 1967

Réalisation :

Marco Bellocchio

8/10  IMDb
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MyMovies: A-C+

On retrouve la même volonté féroce de décrire les comportements troubles d’une bourgeoisie provinciale rétrograde qu’on trouvait déjà dans Les Poings dans les poches. L’Italie produit dans ces années 60 ce qu’il se fait de mieux en matière de satire. Le rire y est moins prononcé dans celui-ci qu’ailleurs, c’est de la satire froide et cruelle mais tout aussi efficace. Bellocchio, avant de faire n’importe quoi, essayait d’imiter la rage de son premier film, sans jamais se mettre à son niveau. Mais cela reste un bon cru.

China Is Near, Marco Bellocchio 1967 | Vides Cinematografica


La Vallée des poupées, Mark Robson (1967)

Crépuscules de gloire

Valley of the Dolls

Note : 2.5 sur 5.

La Vallée des poupées

Titre original : Valley of the Dolls

Année : 1967

Réalisation : Mark Robson

Avec : Barbara Parkins, Patty Duke, Sharon Tate, Paul Burke, Susan Hayward, Martin Milner

Mélange étrange et plutôt barré de A Star is Born (Judy Garland aurait été un temps pressentie pour jouer le rôle tenu ici par Susan Hayward), Les Feux de l’amour (les frasques vulgaires et dégoulinantes des riches décérébrés) et Le Grand Sommeil (pour le côté incompréhensible). Ça rappelle assez au fond ce que Hollywood peut produire aujourd’hui avec des films aux recettes toutes faites et des budgets énormes mais qui ne tiennent pas la route une seconde.

Hollywood s’empresse d’acheter les droits d’un roman à succès, décide (la Fox ou quelqu’un d’autre, peu importe, c’est Hollywood) de mettre le paquet sur la production, on ne regarde pas à la dépense, on veut le meilleur, tout ce qui est en haut de la vague ou paraît prometteur. On y retrouve ainsi par exemple John Williams pour orchestrer on ne sait trop quoi entre les morceaux sirupeux chantés (certaines ritournelles sont répétées une demi-douzaine de fois), le jeune Richard Dreyfuss qui passera dix secondes à l’écran le temps de taper à une porte back stage, ou encore Patty Duke, ancienne enfant star, remarquée dans son rôle de sauvageonne quelques années plus tôt dans Miracle en Alabama. Si les deux premiers résisteront aux dommages collatéraux du film sans y avoir été trop impliqués, Patty Duke sera un peu grillée et on ne la retrouvera plus qu’à la télévision…

Le problème, c’est qu’un film n’est pas un assemblage de talents, et qu’il ne suffit pas d’adapter un roman à succès (quoique, le film aurait été très rentable, vu qu’il aurait coûté cinq millions de dollars pour en rapporter près de dix fois plus) pour pondre une jolie bobine. Jacqueline Susann, l’auteure du roman original, aurait même dit que le film était une belle merde. Il faut reconnaître que si le matériel change finalement assez peu de ce qu’on pouvait produire durant l’âge d’or d’Hollywood quand l’industrie posait déjà un regard non conciliant sur elle-même (tout ici y est juste plus extrême, plus audacieux, plus vulgaire, plus extrême), ce qui en est fait dans La Vallée des poupées ressemble plus, en revanche, à un massacre en règle, involontaire et même autodestructeur. C’est probablement l’une de ces méga-productions où les responsabilités sont tellement éparpillées entre les différents services qu’on se retrouve face un paquebot géant sans commandant à bord.

Et le résultat, dans son étalement de richesses et d’excès en tout genre, est plus qu’étrange, grotesque même, et parfois foutrement amusant. Parce qu’encore, prises à part, ou au hasard d’un visionnage, on pourrait se dire que tout cela à une certaine tenue. Ce n’est pas mal dirigé, c’est très bien éclairé, les décors, les costumes, tout est parfait, et le plus souvent les acteurs ne sont pas si mauvais. Seulement, le gros hic, c’est qu’on n’y comprend strictement rien. Comme l’impression de tomber sur un film en plein milieu, d’en prendre un autre en vol à la séquence suivante, de naviguer d’un chapitre à l’autre en en oubliant la moitié en route. Avec trois personnages principaux, le film devait suivre le parcours parallèle de trois héroïnes en seulement deux heures, quand il en faudra plus par exemple avec un seul dans A Star is Born. C’est vrai qu’on retrouve ce procédé dans certains rehearsal films des années 30 mais c’est le plus souvent un prétexte et une base pour proposer des numéros de music-hall ; on se contente le plus souvent de miettes, des trajectoires de vie, et on comprend parfaitement l’essentiel, même ainsi raccourci. Or ici, les numéros musicaux sont assez rares (une seule des trois chante et danse), et le parcours des unes et des autres est plus qu’incompréhensible. Il semblerait par exemple qu’on ait échappé à certaines séquences d’introduction, souvent ennuyeuses, lentes, peut-être, mais nécessaires pour comprendre les rapports entre les personnages… Ici, non, on charcute, et on ne garde que les séquences reposant plus ou moins sur un climax. On a la tension, mais on ne peut plus y croire parce qu’on n’a pas suivi toute la montée qui précède. On se retrouve avec un best off des séquences d’une pelloche qui aurait pu faire quatre heures, mais ce n’est plus un film, c’est une longue bande-annonce d’un film qui n’existe pas. Imaginons cinq saisons des Feux de l’amour résumées en deux heures. Les personnages se retrouvent, se séparent, s’invectivent…, bien souvent, on ne sait même pas qui est qui. Et on rigole presque quand, à un moment, Neely (inutile de préciser de quel personnage il s’agit, on s’en fout) dit qu’elle a besoin d’une épaule sur laquelle se reposer, et là, joli lapsus, elle dit « Mel » avant de se reprendre et de dire « Ted », sauf qu’on ne sait déjà plus qui est qui, et surtout on n’a toujours pas assimilé avec qui elle était censée être à cet instant de l’histoire. À l’image du Grand Sommeil, on se prend à rire parce qu’on imagine bien tous ces nigauds sur le tournage essayer de démêler cette affaire, et on rêve que le lapsus de l’actrice en soi un vrai, « Mel, I mean… Ted. », et de se faire engueuler sur le plateau, le réalisateur se retournant vers ses assistants pour connaître la réplique exacte et se demander s’il n’y aurait pas eu une erreur dans la retranscription des noms… Une autre fois, lors d’une séance de projection, on imagine bien un assistant relever aux pontes du studio qu’on n’y comprenait strictement rien et proposer à un moment d’y insérer une voix off explicative…, ce qui sera fait… une fois, et puis plus rien ! Ce n’est pas du montage, c’est du rafistolage. À l’écriture, les deux scénaristes ont dû vouloir chercher à appliquer un principe lu dans un manuel, et en lisant « ellipses », elles auraient compris alors « éclipses », ce ne sont pas des coupes mais des tunnels obscurs. Le Titanic coule et on essaie de sauver ce qu’on peut. Il y a quelque chose de plutôt affligeant de voir autant de luxe tomber à pic dans les profondeurs du ridicule, mais il faut avouer que c’est souvent assez réjouissant, aussi.

Le plus touchant sans doute au milieu de ces vomissures luxuriantes, c’est d’y voir le charme et le talent (oui, oui) de Sharon Tate. Elle joue une gourde qui ne cesse de répéter qu’elle n’a qu’un seul atout, son cul, qu’elle ne sait faire qu’une chose, se déshabiller. Et ce n’est guère que le seul personnage attachant, lucide et drôle du film. Un petit symbole lugubre, alors qu’elle sauvait un peu le film, puisque c’est un peu son meurtre (survenant quelques mois plus tard) qui mettra comme un frein aux excès hypocrites d’un système et d’une société fatiguée par trop de conservatisme (il faudra peut-être toute la décennie pour voir ce tournant désenchanté s’opérer, jusqu’à l’orée des années 80, quand John Lennon se fera à son tour assassiner, les années de la contestation faisant alors place aux « années crises »). L’âge d’or du cinéma de studio était révolu, il fallait en finir avec le papier glacé, les décors en studio, les lumières artificielles, les bellâtres, et le rêve américain…

1967, c’est aussi l’année de la pilule contraceptive. Étrange symbole, là encore. Car si Hollywood, du moins durant tout son âge d’or, et en dépit du code Hays, a toujours été un lieu privilégié pour répandre à travers le monde l’image d’une femme occidentale émancipée, le système n’a cessé, face aux crises successives auxquelles l’industrie devait faire face, de retirer chaque année un peu plus aux femmes (aux actrices, plutôt) ce qu’il leur avait donné. Non seulement les actrices de cet « Hollywood décadent » sont le plus souvent d’anciennes stars vieillissantes, mais quand elles ne le sont pas, elles ne sont redevenues comme ici que des jolies idiotes, ambitieuses, et surtout le joujou naïf de la morale conservatrice. Une femme qui boit, qui fume, qui baise, qui travaille même, aura parfois droit… à une seconde chance, parce qu’elle sera forcément fautive, même si ça doit passer par l’hôpital psychiatrique (chaque fois qu’on y passe, on y ressort toujours heureux, comme lavé de ses péchés, c’en est flippant). Celles qui ne reprendraient pas le droit chemin (telle Anne Welles, l’ancienne secrétaire devenue mannequin star, qui décide de retourner chez sa tante à la fin du film) pourront crever, finir dans la rue ou tout aussi bien se suicider. Elles n’auront que ce qu’elles méritent, pourrait-on lire en filigrane. De la pilule contraceptive, en cette année 67, il n’en est donc ici pas question ; au contraire, les femmes, quand elles en « consomment », des pilules, c’est comme coupe-faim, et elles mènent à la dépendance, à la dépravation et à la folie… Le message subliminal adressé aux femmes ne pourrait pas tomber plus mal.

Bref, il était temps que toute cette bien-pensance se foute en l’air. Pour un temps seulement, car la contestation laisse toujours place à de nouveaux conservatismes… Dix, quinze ans plus tard, George Lucas et Steven Spielberg seront les nouveaux rois de Hollywood, et on passera d’un cinéma où l’image de la femme était plutôt rétrograde à un cinéma où elle aura quasiment disparu. À la Vallée des poupées succédera la Vallée des jouets.


(Remerciements polis et amusés au chimpanzé autiste responsable des sous-titres à la Cinémathèque.)


La Vallée des poupées, Mark Robson 1967 Valley of the Dolls | Red Lion


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