Le démon s’éveille la nuit, Fritz Lang (1952)

Le Démon de midi

Le démon s’éveille la nuit

Note : 3 sur 5.

Titre original : Clash by Night

Année : 1952

Réalisation : Fritz Lang

Avec : Barbara Stanwyck ⋅ Robert Ryan ⋅ Paul Douglas ⋅ Marilyn Monroe

Film étrange que voilà… Entre deux eaux. Présenté comme un film noir, c’en est pourtant pas vraiment un.

Ça oscille sans cesse entre les genres, pas un film noir donc parce qu’il n’y a aucun crime, aucun flic (et aucun procédé propre au genre), pas une romance parce que les violons ne sont pas assez accordés, mais pas non plus à fond dans le réalisme comme on aurait pu le faire avec une tentative d’aller vers le néoréalisme à l’italienne. L’histoire s’y prêtait : on est tout près des Amants diaboliques, sauf qu’on touche plus aux amants ordinaires. On serait plus du côté du drame réaliste et moite à la Tramway nommé désir (tourné un an plus tôt), mais si parfois il y a des accents similaires, on n’y est pas vraiment non plus. La Californie, ce n’est pas la Louisiane. Les fantômes ne sont pas les mêmes. L’ironie, c’est de trouver ici Marilyn Monroe dans un de ces premiers rôles. Rôle mineur, mais la première scène du film est saisissante : long travelling d’accompagnement où elle papote avec son jules en sortant d’une… poissonnerie. L’ironie, c’est bien d’y trouver ici la future star en toc d’Hollywood (incroyable de justesse dans une séquence semblant avoir été tournée dix ans trop tôt), mais aussi actrice attachée à la méthode de l’Actors studio (pas besoin d’y faire un tour d’ailleurs, elle montre qu’elle n’avait rien à y apprendre), face à une Barbara Stanwyck plutôt sur la fin et symbole à la fois des années guimauves d’Hollywood et de quelques films noirs… Comme un passage de témoin.

Le film semble aussi comme coincé entre deux époques. Le film noir est plus sur la fin qu’à son début, et très vite les productions en cinémascope et technicolor vont se multiplier, notamment grâce à une certaine blonde platine plus raccrochée dans notre esprit à Numéro 5 qu’à une douce odeur de poisson. C’est aussi l’époque noire du maccarthysme où les œuvres ancrées à gauche ne sont pas les bienvenues.

Il y aurait eu un crime, du vice, quelque part, je n’aurais rien eu à y redire. Comme les deux films suivants de Lang, ça aurait été un film noir. Autre signe particulier qui est rarement le propre des films noirs : il s’agit d’une adaptation d’une pièce (d’un auteur attaché à l’Actors studio pour ajouter un peu plus à la confusion).

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Le démon s’éveille la nuit, Fritz Lang 1952 | Wald/Krasna Productions

Ce n’est pas si important de définir un film, ça peut même parfois être un atout, le film possédant une identité et une atmosphère propre. Mais là, c’est assez troublant parce qu’on ne sait pas ce qu’on est en train de regarder, surtout que la structure même du film crée un peu la confusion. Comme s’il y avait deux films : un avant et un autre après le mariage.

Je suis assez attaché à la thématique du renoncement, et souvent on reconnaît dans les films une structure centrée sur cette thématique. Mais il s’agit d’un parcours simple. Le héros est rempli d’illusions, avec lesquelles il se bat tout le film, jusqu’à l’acceptation de ce qui s’impose : le renoncement à ses rêves. Autre possibilité : tout le parcours décrit dans le film est déjà la description de ce renoncement décidé antérieurement (le renoncement est alors plus imposé que choisi).

Or, ici, le thème du renoncement est traité comme s’il y avait deux films, deux parcours.

Une première partie d’abord qui décrit le renoncement à la vie citadine de l’héroïne, obligée de revenir chez son frère dans le village de pêcheurs où elle est née (ce dont on a déjà du mal à croire : leurs parents par exemple n’étant jamais évoqués, et Barbara Stanwyck, c’est tout de même le symbole de la femme qui réussit — vingt ans plus tôt elle tournait Baby Face). Ici, c’est ce renoncement, qui même assez peu crédible avec Stanwyck, est intéressant à montrer et plutôt bien réussie.

Mais dès qu’elle accepte les avances d’un pêcheur, on change tout d’un coup de sujet. Elle a à peine fait « le deuil » de sa vie citadine, qu’elle se marie ? Vient ensuite un nouveau départ, un nouveau film où elle va peu à peu… renoncer à être fidèle à son homme. Ça n’a pas beaucoup de sens. Et c’est là que le film devient un vulgaire drame de la vie conjugale. Qu’y a-t-il de plus banal et de plus antipathique qu’une femme qui trompe son mari avec son meilleur pote ?… On n’est plus dans le film noir, mais dans le roman à l’eau de rose. Trop ordinaire pour être attachant, ou pas assez de soufre pour avoir la fascination des films noirs.


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Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1952

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