Les Nuits blanches, Luchino Visconti (1958)

In the Mood for…

Les Nuits blanches

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Le notti bianche

Année : 1957/1958

Réalisation : Luchino Visconti

Avec : Maria Schell, Marcello Mastroianni, Jean Marais

Visconti a tenté de faire un grand film avec une petite histoire, une sorte de nouvelle filmée. On retrouve ici pratiquement toutes les unités chères au théâtre : unité de temps (toujours ou presque la nuit, pas plus de trois ou quatre nuits rythmées par des flashbacks), unité de lieu (les rues d’une ville portuaire aux ruelles étroites), unité d’action (rencontre de deux jeunes adultes, s’aimant, ne s’aimant pas, etc.).

Ces trois règles sont respectées. Peut-être trop, c’est le problème. L’unité de temps empêche l’action de prendre de l’ampleur, même si c’est voulu, ça pose un problème de rythme, et ça n’avance pas.

L’unité de lieu, avec ces rues magnifiques reproduites en studio, fait trop artificiel. Comme dans un rêve, c’est sûr, comme au théâtre, c’est sûr, tout ce qu’a sans aucun doute cherché Visconti, mais c’est trop singulier, trop invraisemblable pour le cinéma.

Et enfin l’unité d’action est tout aussi invraisemblable : on a du mal à comprendre et à croire aux revirements permanents des deux personnages. Je pense que dans l’histoire de Dostoïevski, les personnages sont plus jeunes, plus naïfs. Ils veulent faire comme les grands, mais ne savent pas comment s’y prendre. Ils s’aiment sans se l’avouer, n’osent pas s’approcher l’un à l’autre. Puis la fille s’invente un grand amour, une romance trop invraisemblable pour réellement exister. Une manière d’échapper à l’attirance qu’elle porte pour son nouveau jules… Sauf que le rêve s’évanouira à la première lueur du jour. Tellement cruel pour lui, son amant de la nuit… Or tout ça c’est bien joli, mais Maria Schell, si elle peut jouer parfaitement les grandes naïves, est vieille pour le rôle ; trop d’assurance pour jouer un tel personnage, pas assez idiote, ou illuminée. Même chose pour Mastroianni, déjà trop adulte (sans compter qu’on a dans la tête tous les rôles de ces personnages et que ça n’aide pas à les imaginer « purs » et naïfs ; on remarque trop souvent ce défaut, et il n’y a guère que dans le Roméo et Juliette de Zeffirelli qu’on a des personnages avec l’âge et la fraîcheur des personnages). Si bien que tous les revirements du récit, les « oui, je t’aime, ah non, attends, j’en aime un autre ce n’est pas possible » paraissent artificiels, forcés. Il y a probablement une grande réalité psychologique à la base dans ces contradictions et revirements permanents. On a juste du mal à y croire.

On pense parfois à l’esthétique de Wong Kar-wai, dans le minimalisme, l’unité, le ton. Il ira plus loin que Visconti, et c’est là que lui arrivera à trouver le ton juste. Il insistera sur l’unicité, le lyrisme, l’impossibilité de s’aimer, l’interdit de la rencontre, un peu comme sa musique qui revient sans cesse à la charge, rappelant obstinément la même scène. Tandis que le récit dans ces Nuits blanches semble nous faire croire à une évolution dans la situation. Or, ça, on n’y croit pas une seconde. Une fois qu’ils se connaissent, c’est entendu, en trois nuits, ils ne peuvent que discuter et parler si peu, ne prendre aucune décision parce qu’ils sont prisonniers du lieu, de l’action, du temps… Ce qu’ils se disent, ce qu’ils se racontent devient alors accessoire. Comme dans un rêve, où le fond importe peu, ce qui compte, c’est juste l’ambiance, les impressions, le ton. Et ça, c’est ce qu’arrive à faire le cinéaste hongkongais dans In the Mood for Love par exemple. Avoir un sujet, et tourner autour sans cesse comme un disque qu’on écoute encore et encore. Comme une obstination à reproduire une séquence statique, déjà vue, nostalgique, parce qu’on en devine trop bien l’issue.

On pense alors plus à La Fille sur le pont de Leconte, tout aussi esthétique, claustrophobe, glauque… et inabouti. Et une œuvre charnière sans doute pour Visconti qui, après Senso, se cherche encore au bord de l’eau et des petits ponts… entre néoréalisme et gattopardisme. L’aboutissement de ce style, il le trouvera finalement en adaptant Thomas Mann.

Reste le sourire molaire et les yeux toujours enjôleurs de Maria Schell qu’on retrouvera dès l’année suivante à Hollywood, à nouveau dans une adaptation de Dostoïevski, celle des Frères Karamazov par Richard Brooks.



Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1957

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