Don’t Look Up : déni cosmique, Adam McKay (2021)

Échauffements médiatiques

Note : 3 sur 5.

Don’t Look Up

Année : 2021

Réalisation : Adam McKay

Avec : Leonardo DiCaprio, Meryl Streep, Jennifer Lawrence, Timothée Chalamet, Cate Blanchett, Mark Rylance, Tyler Perry, Jonah Hill, Rob Morgan

Satire poussive qui a peut-être au moins le mérite d’exister. Ou pas. Ce qui a le mérite d’exister, c’est que la satire se double d’une allégorie sans grandes concessions d’un monde incapable de faire face à la réalité d’un réchauffement climatique. Le problème, c’est que si l’allégorie est claire, et si elle emploie le genre difficile de la satire, elle n’a en définitive rien de drôle, et si le film est parsemé d’infinis petits détails bien sentis et cruels, il plonge le spectateur le plus souvent dans une consternation gênée et muette.

La satire est le genre le plus compliqué qui soit, alors quand elle s’attaque en plus à un sujet tragique en gestation lente comprimé ici en quelques mois, le geste est certes louable, mais elle peine largement à convaincre.

L’allégorie donc est simple et plutôt bien trouvée : pour évoquer le réchauffement climatique (cela vaudrait tout aussi bien pour une pandémie), et le quasi-désintéressement du monde face à un désastre annoncé, le film met en scène la quête de deux astronomes soucieux de convaincre la population de la réalité d’une catastrophe imminente, celle qu’une comète foncerait sur la terre et dont l’impact prévu six mois plus tard assurerait à l’humanité une fin certaine. Le ton du film navigue alors tour à tour entre réalisme et farce. Et c’est là le principal défaut du film : chercher d’abord à reproduire plus ou moins bien la manière dont une telle découverte pourrait être faite puis amenée à la connaissance des instances dirigeantes, pour opposer ensuite ces éléments avec d’autres beaucoup plus clairement inscrits dans la farce. Ce mélange incessant de sérieux et de farce (voire de sentimentalisme) a tendance à égarer le spectateur. Si le personnage de Meryl Streep, dans ses outrances et son ridicule, n’a aucun mal à convaincre avec une combinaison présidentielle mêlant Trump et Hillary Clinton, si Leonardo DiCaprio réussit, dans un premier temps, le même exploit avec son rôle de scientifique gauche, on s’écarte définitivement du sujet quand il perd inutilement les pédales, abandonnent ses obsessions premières, et se grise face à sa popularité naissante. En temps de pandémie, surtout en France, cette transformation aurait eu un sens, mais en ce qui concerne le réchauffement climatique, j’avoue ne pas comprendre le message, ou la référence… Les scientifiques qui alertent sur les menaces présentes ou à venir ont le défaut de ne pas être entendus ou pris au sérieux, pas vraiment de tomber dans les travers décrits dans le film. Les grands événements de l’histoire révèlent la nature des individus, et ce dernier travers s’appliquerait davantage aux usurpateurs plus attirés par la lumière que leur offre une crise en mal de sauveurs que par la science.

Les autres personnages ne sont guère plus convaincants. On ne sait trop sur quel pied danser avec ce personnage de la doctorante qui découvre la comète tueuse : difficile de plaisanter à son sujet, le film joue pourtant avec elle dans un comique de répétition aussi peu drôle que malvenu. En appuyant sur le sexisme dont elle est victime et dont son professeur tire profit, à l’image du reste, le film finit par tomber dans ce qu’il semble dénoncer : Leonardo DiCaprio s’étonne d’abord que l’on ne prenne pas plus attention à son étudiante…, puis assume volontiers, seul, le rôle de leader et de caution scientifique (rôle que son étudiante semblait jusque-là assumer — du moins, c’est ce que laisse entrevoir Jennifer Lawrence dans son interprétation — avant de devenir la risée des réseaux sociaux). Ce choix malheureux permet à l’acteur de prendre la lumière, et Adam McKay étouffe dans l’œuf une des propositions intéressantes du film.

Avec celui de la présidente, le portrait fait de la présentatrice télévisée jouée par Cate Blanchett est ce qu’il y a de plus féroce. Seulement, je ne prête pas à l’actrice le même talent que Meryl Streep pour la comédie, encore moins pour la farce. Elle était déjà insupportable dans un Woody Allen de triste mémoire, et c’est à se demander si pour le coup prendre une réelle bimbo de la télévision dans le rôle n’aurait pas mieux fait l’affaire. On devrait pouvoir rire de ses outrances, de son masque botoxé, pas avoir de la peine pour une actrice qui correspond malheureusement un peu trop à la caricature proposée… La satire, comme la comédie, est toujours une question de bonne distance. (Et allez savoir pourquoi, après un début de carrière convaincant, je n’ai jamais pu supporter Cate Blanchett… C’est comme si elle choisissait en permanence des personnages contre-nature.)

Le fils de la présidente quant à lui, s’il a peut-être le mérite au moins de jouer les bons faire-valoir auprès de sa mère, il s’oppose surtout bêtement à la doctorante. Ce n’est pas assez drôle pour se placer réellement dans le registre de la farce, et l’acteur lui-même ne semble pas bien à l’aise à situer la nature ou le registre de son personnage. Un autre acteur est lui aussi perdu dans son rôle, c’est Mark Rylance : mix entre Elon Musk, Jeff Bezos et Steve Jobs, ses allures de téléévangéliste endormi jettent le plus souvent un froid, et la farce supposée jaillir d’une telle caricature d’entrepreneur high-tech patine affreusement dès qu’il a trois phrases à dire.

Deux autres personnages inutiles complètent cette riche distribution : le chef d’une organisation censée gérer les implications d’une telle découverte (personnage tellement inutile que les scénaristes, dans leur bonté, choisissent d’en faire un célibataire sans vie personnelle, sans famille, mais… avec un chat soudain devenu superflu le jour du grand soir — ne l’appelez pas Schrödinger, mais Oglethorpe), et un jeune délinquant joué par Timothée Chalamet dont l’unique utilité dans le film consiste, lui, à appuyer lourdement sur une des seules concessions faites par les auteurs du film à un monde en perte de sens total : la religion. Tout le monde en prend pour son grade, même Hollywood (petite séquence d’autocritique), même les scientifiques qui n’y sont pour rien, et qu’elle est la seule chose qui est préservée dans ce grand dérèglement médiatique ? La religion. On ne peut pas mieux se prendre les pieds dans le tapis. Vive l’Amérique… C’est vrai, quoi, si les scientifiques avaient un peu plus la foi, on n’en serait sans doute pas là tout de même…

Bref, parfois de bonnes idées, de bonnes intentions (difficile d’aborder l’aveuglement de nos sociétés face au grand défi de notre siècle dans un film autrement qu’à travers une satire), mais un résultat mitigé. L’image renvoyée de notre société est consternante, certes, mais ni drôle, ni parfaitement mordant comme il faudrait.


 

Don’t Look Up : déni cosmique, Adam McKay 2021 | Netflix


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Bad Luck Banging or Loony Porn, Radu Jude (2021)

Scénario du film ‘Je t’encule Marie’

Note : 3 sur 5.

Bad Luck Banging or Loony Porn

Titre original : Babardeala cu bucluc sau porno balamuc

Année : 2021

Réalisation : Radu Jude

Avec : Katia Pascariu

Étrange objet. Si d’habitude le danger auquel doivent faire face les satires est plutôt à chercher du côté du ton à employer, de la difficulté d’en faire assez sans en faire trop (et même si Radu Jude ne manque pas de tomber dans ce piège malgré tout), le film proposé par le cinéaste roumain n’évite pas un autre écueil : une structure bancale, baroque et composite guère convaincante. Radu Jude est habitué aux longues séquences répétées pour appuyer son sujet, faire avancer lentement son récit, et sa qualité apparaît souvent là, dans sa capacité à faire évoluer des détails à peine perceptibles, mais significatifs, dans un film qui traîne en longueur, subtil, à l’abri du démonstratif.

Le film se présente parfois lui-même comme une farce, la spécificité d’une farce ne consiste-t-elle pas toujours à jouer sur l’exubérance ? Dans ce cas, soit, va pour la tonalité. La structure, elle, reste problématique. La farce, donc, est agencée en trois parties. Dans une première partie, forcé de tourner en extérieur pour cause de pandémie, Radu Jude met en scène son actrice principale dans la rue, au téléphone ; on apprend ainsi qu’une vidéo à caractère sexuel tournée avec son mari circule sur Internet. La seconde partie prend la forme d’une suite de pastilles humoristiques et surréalistes présentées parfois comme des aphorismes illustrés. Et la dernière partie met en scène un conseil de discipline réunissant les parents d’une école pour statuer sur le cas de cette professeure dont la vidéo à caractère sexuel a été vue par ses élèves…

Au-delà du fait que ce n’est probablement pas très judicieux de recourir soudain à un type de cinéma non narratif au milieu de deux autres parties narratives, la seconde partie du film donne au spectateur l’impression que son auteur l’a construite dans un premier temps autour de la première et de la troisième partie et qu’il s’est retrouvé coincé à ne plus savoir quoi en faire en plein travail d’écriture. Si le message du film semble clair (démontrer l’hypocrisie et la bien-pensance de notre société de consommation hyperconnectée et désolidarisée), je doute qu’appuyer autant son propos, en cherchant précisément à démontrer plus qu’à illustrer, même s’agissant d’une satire, ou d’une farce, à travers une seconde partie tout à coup expérimentale, didactique, surréaliste, jurant avec le reste, rende le film meilleur… La première partie, même si l’on est chez Radu Jude, a trop de longueurs, le réalisateur s’attardant trop souvent à décrire l’environnement urbain dans lequel son personnage féminin évolue (affiches publicitaires ou électorales, déchets abandonnés issus de la surconsommation, saynètes dévoilant l’incivilité des passants, voire la disproportion grotesque des écarts sociaux illustrés à travers des véhicules toujours plus énormes). Ça traîne dans tous les sens du terme, et gageons que cette première partie aurait fait l’objet, dans un autre contexte, d’une simple introduction. Radu Jude semble donner par la suite dans la seconde partie les raisons, ou la justification, de ces descriptions : selon lui, le cinéma, tel le bouclier de Persée, sert à réfléchir le monde tel qu’il est… Soit. Certains cinéastes font preuve d’une jolie habilité à légitimer leurs intentions a posteriori dans les interviews, désormais on voit des cinéastes expliquer leur démarche en plein milieu du film… Pour gagner du temps, on pourrait vite commencer par proposer des films où des cinéastes viendraient à être interviewés deux heures durant pour justifier de leur interview filmée précédente.

En réalité (celle qui se reflète non pas sur le bouclier de Persée mais dans l’imagination de chaque spectateur), Radu Jude donne surtout l’impression de bâcler son film : au lieu d’intégrer une seconde partie démonstrative et inutile, j’aurais sans doute été beaucoup plus convaincu s’il avait fait de cette réunion de parents d’élèves le cœur de son film, et qu’en guise de troisième partie, et de conclusion, il en avait rajouté une autre qui aurait illustré, non plus seulement l’hypocrisie collective (l’enfer c’est toujours les autres), mais la nôtre, en l’occurrence celle du mari. Dans la première partie, on a juste le temps d’apprendre qu’il y serait pour rien si leur vidéo circulait sur le Net, peut-être une troisième aurait été utile à démontrer le contraire. La pire des hypocrisies n’est pas forcément celle des gens qui nous indiffèrent, celle des étrangers, mais peut-être bien celle de ceux en qui l’on a le plus confiance. Pendant tout le film, les protagonistes portent des masques, Radu Jude joue avec le double sens de cet accessoire. Peut-être a-t-il raté l’occasion de faire tomber le plus problématique des masques : celui de l’homme, du mari, du goujat. Radu Jude a voulu appuyer son propos en insistant sur l’écart entre ce qui était reproché à la professeure et ses « écarts » réels : ainsi il souligne le fait que la vidéo, concerne aussi son mari, pas un hypothétique amant. Peut-être avait-il besoin, certes, que son héroïne reste blanche comme neige, mais est-ce que le plus conservateur dans toute cette histoire, ce ne serait pas plutôt son auteur ? Radu Jude nous dit qu’il se sert du cinéma pour refléter le monde et en dénoncer les écarts. Peut-être suis-je plus emballé de mon côté quand on l’utilise pour illustrer nos propres travers… Il est toujours peut-être plus simple, et peut-être aussi moins glorieux, de faire la leçon aux autres en dévoilant leur bassesse que de se questionner sur soi. Et au cinéma, « sur soi » signifie « sur nous tous » : le sujet principal est une copie qui se reproduit chez les spectateurs plus vite qu’une sextape fuitée sur YouPorn.

Bref, le spectateur a toujours raison d’avoir raté le film qu’il voulait voir… Reconnaissons à Radu Jude la capacité de filmer l’air du temps et de s’inscrire au moins dans une réalité, celle d’une époque où chacun est tenu de se méfier… de l’air qui passe. L’ironie serait peut-être que demain des cinéastes viennent à nous montrer sur les écrans cette triste époque où chacun se trimballe avec un masque sous le nez (rarement sur) en utilisant ce masque comme d’un accessoire visant à identifier l’époque que nous vivons, alors que les films qui se tournent peut-être depuis deux ans (quand ils y arrivent en pleine pandémie) s’appliqueraient à nous révéler une réalité sans masque, sans Covid. Attendons de voir ce qui sort sur les écrans ces prochains mois. Radu Jude aura été soit une exception, soit il aura fait comme la majorité de ses collègues contraints ou non à montrer des visages masqués. Je serais curieux de voir ça.


Bad Luck Banging or Loony Porn, Radu Jude 2021 Babardeala cu bucluc sau porno balamuc | microFILM, Endorfilm, Kinorama

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Les Nouveaux Monstres, Scola, Risi et Monicelli (1977)

Perdre la farce

Note : 2.5 sur 5.

Les Nouveaux Monstres

Titre original : I nuovi mostri

Année : 1977

Réalisation : Dino Risi, Mario Monicelli, Ettore Scola

Avec : Vittorio Gassman, Ornella Muti, Alberto Sordi, Ugo Tognazzi

C’est bien de s’y mettre à trois pour acter la mort cérébrale de la comédie italienne…

La première séquence donne le ton : la mort du cinéma italien viendra par la télévision avec ses tours de chant ridicules. La vulgarité est aussi déjà, ou encore, de la partie. Et on y échappera rarement par la suite.

La comédie italienne, ce n’est pas toujours de la grande subtilité, c’est souvent aussi parfois de la farce, du grotesque, voire de la satire lourde tirée par les poils des fesses. Alors, le mieux qu’on puisse tirer de tous ces sketches lourdingues est sans doute à trouver du côté de la satire ; mais comme il est toujours question de mesure dans « l’art de la fable », que ce soit dans le drame, dans la comédie, et plus encore dans la satire qui est une mayonnaise complexe et délicate, la vulgarité de ces Nouveaux Monstres explose les limites supportables de la mesure… Et difficile alors, au milieu de ce brouillard grotesque et vulgaire, de tirer ce qui pourrait appartenir à la satire.

On se contente donc de sauver ce qu’on peut de cette horreur. Des intentions tout au mieux. Satire sur l’église, sur le petit-bourgeois, sur les jet-setteurs, sur les pauvres, sur les artistes (mais pas trop, on est toujours moins durs avec les copains), sur le vieux fils ingrat…

Ça tâche, ça dénonce, ça se moque, avec le plus mauvais goût, alors comme le tableau nous donnerait presque des aigreurs d’estomac, on se rabat sur le seul rayon de soleil du film : et paradoxalement, il faut le trouver sans doute dans le seul sketch destiné à ne pas être comique du film, d’une noirceur rude et brutale, celui où Ornella Muti apparaît pour la seconde fois. Après l’auto-stoppeuse, l’hôtesse de l’air. Du rire jaune un peu moqueur, au rire noir embarrassant. Allez comprendre…

Le cinéma italien s’est sans doute fait d’abord à travers ses acteurs, et un des trois vieux réalisateurs de ce chant du cygne ne s’y est pas trompé en voyant à travers cette actrice la dernière bombe éphémère mal exploitée du cinéma domestique. D’une beauté ravageuse, pleine d’assurance, l’œil joueur et insolent, on devine derrière ce charme fatal et pourtant encore toujours adolescent l’intelligence des grandes actrices, celle qui était familière aux actrices des années cinquante et soixante du cinéma italien et qui n’est plus, bientôt remplacée par la vulgarité, télévisuelle celle-là, des années 80…

Ornella Mutti, un talent évident : un mélange de spontanéité (la justesse sans forcer des grands acteurs) et de maîtrise. Il est rare pour une si jeune actrice d’être capable de jouer autant déjà sur la maîtrise : elle sait jouer de son regard, mais elle sait aussi, comme disait un vieux professeur, « retenir les chevaux », autrement dit, tenir son audience (ou son partenaire) au creux de sa main (les grands acteurs savent jouer principalement sur le sous-texte : il y a ce qu’on dit, et ce que le corps, l’intonation ou l’expression du visage disent, parfois en contradiction avec les mots). Une alliance des contraires qui fascine toujours autant…

Dans le premier sketch, elle était déjà parfaite ; dans le second, elle se contente de parler avec le regard, et Ornella Muti qui regarde, ça pourrait presque faire un film à lui seul — et quelques paragraphes supplémentaires. (Dino Risi en était sans doute aussi convaincu et enchaînera avec l’actrice avec Dernier Amour, à peine plus inspiré.)

Au rayon des vieux acteurs, Alberto Sordi étouffe la concurrence dans deux sketches où il assure à lui seul le show : d’abord en jouant un propriétaire stoïque de Rolls-Royce, puis dans un rôle d’acteur comique faisant l’oraison funèbre de son comparse mort qui lui permet d’étaler toute l’étendue de son talent d’acteurs de music-hall (de ses talents devrait-on dire, puisque l’art de cette scène, aujourd’hui pour beaucoup disparue, est précisément de savoir manier différents talents : comique, chant et danse, au minimum).

Puissent ces laborieuses, et monstrueuses, années 70 italiennes reposer en paix… Rideau.


 

Les Nouveaux Monstres, Scola, Risi et Monicelli 1977 I nuovi mostri | Dean Film


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Dernier Amour, Dino Risi (1978)

La fin du jour

Note : 3.5 sur 5.

Dernier Amour

Titre original : Primo amore

Année : 1978

Réalisation : Dino Risi

Avec : Ugo Tognazzi, Ornella Muti

Dernier amour pour un des derniers grands films de Risi et, c’est presque habituel, un dernier acte qui jure légèrement avec ce qui précède. Un dernier coup au ton résolument satirique, mais une satire tendre, voire mélancolique. Jusqu’à ce dernier acte au-dessous du reste qui nous propose de suivre ce couple mal assorti, le vieux Ugo (lui, pour son dernier amour, le titre français du film) et la jeune Renata (elle, pour son Primo amore, le titre original), dans son escapade vers Rome, le style était acerbe mais enjoué. Risi trouvait toujours le bon mot pour nous faire sourire, surtout quand Ugo faisait la cour à Renata. Un vieillard qui n’a pas renoncé à séduire les jeunes filles, ça peut prêter à sourire, surtout quand la fille en question a de la repartie. Peut-être pense-t-on à tort que lorsque l’on s’installe dans un hospice pour anciennes vedettes du théâtre, c’est pour ne plus en sortir, sinon pour prendre occasionnellement l’air de la mer… Dino décidera de leur faire prendre le large.

Avant cela, comme Ugo, on ne peut résister au charme de la jeune Renata, et l’on voudrait peut-être continuer à la séduire sans réussite comme Ugo tout au long du premier acte. Car séduire, c’est peut-être vivre… ou survivre. Rêver peut-être. C’est que Renata est interprétée par Ornella Muti dans sa prime jeunesse. Si l’on dit que pour certains rôles il faut avoir la chance de disposer de l’acteur idéal, Dino Risi qui vient de la croiser sur les Derniers Monstres, a probablement eu la bonne idée d’écrire ce rôle pour elle.

S’il a fallu à Greta Garbo passer par le muet et par les mélodrames, puis par une série de films faisant leur publicité avec le slogan « Greta Garbo parle » pour la voir enfin rire dans un Lubitsch écrit par Wilder, quelques minutes ici suffiront à Dino Risi pour nous montrer Ornella Muti, habituée aux moues boudeuses et tristes, d’abord sourire, et enfin rire. Si certaines beautés froides restent imperturbables et ne se dévoilent jamais, le secret du charme d’Ornella Muti, il est de s’illuminer d’un coup au moment parfois où l’on s’y attend le moins. D’une beauté d’abord mystérieuse et secrète, inaccessible, qui vous toise de ce regard plein de dédain, Ornella est un mur qui, quand elle sourit, fait trembler la terre à vos pieds. La barrière qu’elle dresse entre elle et ceux qui lorgnent derrière sa carapace disparaît, et une petite fille timide pleine de joie éclot enfin devant nous.

Quand son personnage part avec Ugo, Ornella semble prendre dix ans d’un coup : moins froide, moins naïve. Le voile des apparences, une fois tombé, en révèlera un chouïa trop… On craint qu’elle soit devenue calculatrice, intéressée. La petite fille qui dédaignait le monde pour mieux s’en protéger se transforme en femme fatale, en séductrice, et c’est encore là un registre où excelle Ornella Muti, parfaite dans ce registre de la comédie en parvenant à ne jamais sombrer dans le premier degré. La distance et la connivence, deux ressorts subtils de la comédie. Regard fixe par le dessous, léger sourire en coin : elle sait envoûter son partenaire (et le spectateur avec lui) en dodelinant lascivement de la tête. Un signe qu’on prendrait presque pour une invitation… à lui servir d’apéritif : de ses yeux de chat prêt à vous bondir dessus et de ce grain de beauté sur le nez placé comme une mire lançant des rayons cosmiques, on ne peut s’en défaire, comme hypnotisé. Ugo d’ailleurs ne s’en remettra pas.

Pourtant, si cette escapade d’amour consommée entre le vieux et la jeune produit un certain déséquilibre avec ce qui précède, la satire, beaucoup plus féroce, moins drôle, n’en est pas pour autant moins réussie. Si l’on rit facilement du ridicule d’un vieil homme qui fait la cour à une jeune fille, on rit jaune, et l’on s’attend à ce que ça devienne plus cruel, même si ces deux-là arrivent à s’entendre. L’exploit de Dino n’est pas de nous faire croire en cette amourette, mais de parvenir à ne pas nous rendre ces personnages que tout oppose antipathiques. Si Ugo reste ridicule dans son audace et dans ses espoirs, il aurait été plus aisé de faire de Renata une fille intéressée. Or, si sa panoplie vestimentaire et ses activités ne font pas de doute sur ce qu’elle est devenue, en comprenant son parcours et en suivant ce qu’en ont fait Dino Risi et Ornella Muti, on ne peut réellement jamais en vouloir à cette fille. D’abord, parce qu’on sait que c’est Ugo qui l’a incitée à le suivre alors qu’elle n’avait aucune vocation artistique (certaines femmes, souvent belles à se damner, se laissent ainsi influencer par les fausses promesses d’hommes mûrs attirés par leur jeune âge) ; Renata, en quelque sorte, est une fille facile, mais facile dans le sens où elle peut trop facilement se laisser imposer les désirs que d’autres projettent à sa place. Dans la dernière scène où elle fait face à Ugo, on voit qu’elle est sincèrement attachée à lui. Autant que peut l’être une femme corrompue attendrie par le souvenir de son premier amant…

Ainsi, Dino Risi tire fort sur les fils de la satire, le point d’arrivée des personnages étant particulièrement cruel, mais le cinéaste sait encore parfaitement faire en sorte qu’ils gardent la sympathie du spectateur. Si pour lui la comédie est un genre irrévérencieux (son humour dans la première partie du film est principalement basé sur une gentille cruauté, donc de l’irrévérence), il sait aussi ici, comme bien souvent, ajouter une grande part d’humanité dans ses films malgré le destin souvent noir qu’il promet à ses personnages. Ce sont des caricatures, ils sont ridicules, le regard porté sur eux est féroce, mais quand ils sont réussis, Dino Risi nous dévoile à travers certaines nuances ce qu’ils ont de plus humain en eux. Quant à Ornella, rien ne serait possible sans sa capacité à s’autoparodier comme dans une de ces séquences finales face à une caméra de télévision où, censée sourire, elle montre ostensiblement, d’un doigt sur les lèvres, qu’elle ne le fait pas. Elle ne sait que trop bien après quoi les hommes courent. Un peu plus de vingt ans et déjà la roublardise d’une vieille chatte.


 

Dernier Amour, Dino Risi 1978 Primo amore | Dean Film


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Il gaucho, Dino Risi (1965)

Faccia a faccia

Note : 3.5 sur 5.

Il gaucho

Année : 1965

Réalisation : Dino Risi

Avec : Vittorio Gassman, Amedeo Nazzari, Nelly Panizza, Nino Manfredi, Annie Gorassini, Maria Grazia Buccella

One-man-show ébouriffant de Vittorio Gassman au milieu d’une palanquée de seconds rôles presque réduits à n’être que spectateurs de l’artiste dans son rôle de capitan moderne. Le déséquilibre est évident, seulement, il n’est jamais bon de tuer la concurrence dans un film en attirant trop la lumière sur un seul élément : le rôle des faire-valoir consiste précisément à mettre en valeur cet élément principal… Quand ils font défaut, la farce peut mal tourner. La prouesse comique de l’acteur du Fanfaron, pour ce détour baroque vers l’Argentine, vaut toutefois le coup d’œil si l’on est fan du personnage (ou curieux des limites théoriques d’une farce construite autour d’un seul homme).

D’ailleurs, la règle se confirme : dans les films de Dino Risi, quand un acteur vampirise toute l’attention, ou qu’au contraire on ne sait pas à quel saint se vouer dans une troupe d’acteurs mal achalandés, le film pourrait être drôle et cruel (ce qui arrive toujours à faire Dino Risi), il manque toujours le petit quelque chose en plus qui fait la marque de ses grands films. Mais Dino peut se contenter à l’occasion de réaliser de bons petits films, on ne s’en plaindra pas.

Comme souvent chez Dino Risi, l’histoire importe moins que la création d’un contexte lui permettant d’insérer des personnages caricaturaux au milieu de situations nouvelles amenées à changer leur nature et la perception que l’on s’en faisait : ceux qui passaient pour de simples caricatures, se révèlent plus humains et attachants qu’annoncés. Ce voyage en Argentine (destination de cette petite bande d’acteurs de cinéma venant présenter un film dans un festival local) permet, dans un premier temps, d’opposer l’exubérance coutumière de Vittorio Gassman à celle quasi similaire d’un riche industriel italien venu faire des affaires en Amérique du Sud et accueillant toujours à bras ouverts ses compatriotes de passage.

La confrontation reproduit un classique de la farce : l’entrepreneur argentin aux racines italiennes incarne la caricature de l’Italien, plus italien que le plus italien des Italiens, un lointain Italien qui ne revendique plus son origine tout en en parlant la langue, nostalgique de ses racines qu’il glorifie à l’envi, l’image aussi de la réussite ostensible et fanfaronne de l’Italie qui s’exporte, un vrai matamore, double grotesque, accentué, du personnage déjà arrogant qu’interprète habituellement Vittorio Gassman. Mais le face-à-face comique entre le pitre crâneur et son modèle plus accentué encore se double d’une autre confrontation : celle avec son clone, l’entrepreneur à l’ambition arrêtée net par une suite de déveines fatales, l’immigré à qui les poches autrefois toujours ouvertes de ses amis ne sont plus accessibles, celle avec son double moins chanceux, devenu moins exubérant et vantard.

L’eldorado et la galère. Les deux faces d’une même pièce que nombre de personnages de Risi (on pense par exemple à celui d’Une vie difficile) regardent tourner inquiets avant d’en connaître l’issue.

L’opposition comique, amusante, finit toujours chez Dino par la satire. Ici, elle tend même parfois au mélodrame ou au réalisme. Vittorio Gassman peut encore, lui, à la fois tenir des chanceux (il n’est pas riche, mais c’est lui qui mène la troupe, signe qu’il a encore du crédit auprès de ceux qui le suivent) et des malchanceux (il tente sa chance au casino, il tente sa chance avec les femmes, et comme à son habitude, il ne fait pas dans la dentelle, accumulant piteusement les revers comme le rappellera sa nouvelle amie industrielle en le qualifiant d’italissimo). D’autres, en revanche, ont cessé de se situer dans cet entre-deux incertain et penchent plus volontiers du côté des poissards ou des losers. Et celui qui fait ici office de double vautré de Gassman, celui qui lui rappelle à quoi il pourrait ressembler s’il ne s’y prend pas mieux, c’est le personnage qu’interprète Nino Manfredi. Un vieux compagnon à qui le personnage de Gassman espère un temps pouvoir tirer quelques sous…

Dommage que Dino Risi ne parvienne pas à recentrer son film autour du duo que représentent ces vieux complices, amis longtemps séparés, contraint qu’il est de retourner à l’entrepreneur, et donc, à la farce.

On pourrait résumer le film par deux situations qui se répondent et qui illustrent bien la nature du cinéma de Dino Risi :

En guise de courtes séquences de transition pour passer d’un lieu à un autre dans la rue, le groupe rencontre un clochard, ce qui soulève la réflexion suivante à Vittorio Gassman : « il est venu tenter sa chance en Argentine il y a cinquante ans, et voilà ce qu’il est devenu. »

Bien qu’anodine, il y a tout dans cette remarque. La cruauté, l’insolence, la lucidité, mais aussi paradoxalement l’inconscience. Le personnage de Vittorio Gassman sait que le monde se compose de gagnants et des perdants, il en accepte les règles, mais semble oublier, ou se moquer, qu’il pourrait lui aussi sombrer dans la même misère. À moins que ce soit une manière pour lui quasi cathartique de déjouer le sort et d’exprimer sa peur de finir de la même façon. C’est toute la beauté des matamores : ils se croient beaux et tout-puissants quand on ne voit que des misérables qui s’ignorent.

Seconde situation : dans la toute dernière séquence du film, l’ami (Manfredi) que Vittorio Gassman retrouve sur le tard, à qui il avait réclamé de l’argent et qui s’était révélé fauché comme les blés, vient le saluer à l’aéroport, de loin, depuis la passerelle. Vittorio (qui s’est fait offrir les frais d’hôtel par le riche industriel) tente par ses gestes de faire comprendre à son vieil ami que s’il souhaite revenir en Italie qu’il l’appelle : il lui paiera le billet retour. Évidemment, son ami ne peut pas l’entendre… La seule fois où cet égoïste fait preuve de générosité, celui à qui il proposait opportunément son aide ne pourra pas en profiter…

La cruauté de Dino Risi. Toujours. Une forme de tragédie dans la comédie capable de dépouiller les espoirs des hommes ou de ne jamais les autoriser à se retrouver. La comédie ainsi ne fait pas figure de fin en soi, mais de seule alternative possible face à l’implacable férocité de la vie.

Si le film parvient bien malgré tout à alterner les séquences comiques et cruelles, voire mélodramatiques, il souffre toutefois d’un léger manque de rythme dû à un enchaînement trop mécanique, trop frénétique, des séquences. Les respirations (séquences, ou simples plans, plus lentes, plus émouvantes, utiles au développement des personnages) sont quasi inexistantes. C’est qu’avec le nombre de personnages proposés, de petites histoires personnelles, le film aurait pu faire trois heures, si bien qu’il donne l’impression d’avoir été raboté partout où cela était encore possible.

Un Dino Risi mineur, mais un Dino Risi toujours.


 

Il gaucho, Dino Risi 1965 | Clemente Lococo, Fair Film


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Le Veuf, Dino Risi (1959)

Una vita di… avidità

Note : 4 sur 5.

Le Veuf

Titre original : Il vedovo

Année : 1959

Réalisation : Dino Risi

Avec : Alberto Sordi, Franca Valeri, Livio Lorenzon

Le film est d’une drôlerie folle pendant les trois quarts du film grâce au talent ineffable d’Alfredo Sordi, à la fois parfait pour jouer la prétention maladroite et bouffonne, la vénalité obsessionnelle doublée (malheureusement pour son personnage) d’incompétence, la bêtise accablée, la forfanterie matamoresque… bref, pour faire du Alfredo Sordi.

Le point culminant du film et qui aurait dû être son dernier acte, c’est quand la chance se retourne d’un coup pour le personnage de Sordi quand on lui annonce la plus mauvaise nouvelle qui soit dans sa situation… Le film se prolonge alors, peut encore convaincre jusqu’à la retraite monastique de Sordi, et doit trouver un dernier rebondissement, une chute finale, et celle-ci, malheureusement, même si elle fait presque littéralement tomber le film dans la franche satire, patine en réalité en peinant à retrouver le rythme, et n’est pas à la hauteur comique de ce qui précède. Le récit abandonne, par exemple, tout d’un coup le personnage de la maîtresse (ainsi que toute sa famille) après avoir justement essayé de la refourguer auprès du riche industriel, et donne ainsi l’étrange impression de regarder un autre film construit sur les chutes du film idéal n’ayant pu se faire ici.

Je crois avoir rarement autant ri, cela dit, avant cette chute ratée, en voyant les bêtises de ce faux-cul d’Alfred Sordi jusqu’à ce que son personnage accède d’une manière inespérée à ces rêves de veuvage précoce et se croie propulsé d’un coup roi du pétrole.

Peut-être également que Franca Valeri n’était peut-être pas l’actrice idéale pour jouer ce rôle d’héritière sans illusions, sans amour, et moins stupide que son mari. Excellente actrice de second rôle, elle me paraît surtout plus efficace en idiote et victime, notamment dans un film pour lequel elle avait participé au scénario : Le Signe de Vénus (tourné par Dino Risi quatre ans plus tôt et où elle était parfaite aux côtés de Sophia Loren). Difficile toutefois de trouver une actrice avec suffisamment de classe aristocratique et de second degré pour s’opposer à ce pitre de Sordi (la même année, Silvana Mangano prouvait qu’elle pouvait être crédible dans une comédie, La Grande Guerre ; et c’est sans doute Lea Massari qui aura été son meilleur pendant féminin dans Une vie difficile). Rendons néanmoins hommage à Franca Valeri qui vient de nous quitter (en août de l’année dernière), une semaine après avoir fêté ses cent ans.

Par toutes ses qualités et ses défauts, ou par les thèmes développés (Alfredo Sordi en homme cupide rejeté par la haute société), Le Veuf rappelle Il boom, de De Sica, tourné quatre ans après. C’est une constante dans la comédie italienne, ce n’est pas le tout de disposer de quelques-uns des meilleurs acteurs de comédie de l’histoire du cinéma, pour faire de grands films, il faut leur trouver des acteurs, plus vraisemblablement des actrices, capables de leur faire face. Les meilleures séquences du film, les plus amusantes, sont celles dans lesquelles Alberto Sordi fait, seul, le show. Cela fait d’excellentes comédies, mais ne fait pas culminer le film à la hauteur des grands chefs-d’œuvre de la comédie italienne. Ceux-ci parviennent presque toujours à proposer une dimension supplémentaire à la comédie. Qu’elle soit dramatique ou satirique.


Le Veuf, Dino Risi 1959 Il vedovo | Cino del Duca, Paneuropa

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Susana la perverse, Luis Buñuel (1951)

Les pervers

Note : 4 sur 5.

Susana la perverse

Titre original : Susana

Année : 1951

Réalisation : Luis Buñuel

Avec : Rosita Quintana, Fernando Soler, Víctor Manuel Mendoza

C’est fou de voir à quel point la période mexicaine de Buñuel est aussi sous-évaluée par rapport à sa période française… Je trouve la française profondément ennuyeuse, parfois un peu trop directe dans les allusions, brouillonne dans son surréalisme, maladroite même en voulant dénoncer la bourgeoisie (il y montre des personnages antipathiques, et en moquant l’Église, il enfonce un peu les portes ouvertes).

Alors, on ne va pas dire qu’avec Susana la perverse, Buñuel ne verse pas déjà dans les allusions directes, clairement sexuelles, parce que c’est franchement le cas. Tout est outrancier, mais c’en est presque drôle. Au lieu de tomber dans le pseudo-intellectualisme ou dans le surréalisme à cause d’un rythme à la con, à cause du bavardage, Buñuel, ici, fait du vrai cinéma populaire, et surtout une satire, certes, une satire outrancière, mais finalement assez juste sur la conception que peuvent avoir les hommes vis-à-vis d’une femme qu’ils convoitent. Sur le seul plan thématique et personnel, la satire générale des hommes (il est peut-être plus question ici de leur perversité plus que de celle de Susana), sujet bien plus général et universel que celui de la bourgeoisie, saura toujours mieux me convaincre.

Bien sûr, on pourrait voir le film au pied de la lettre et penser que toute la faute des petits drames qui se jouent en sa présence repose sur les épaules (et quelles épaules…) de ce personnage féminin clairement pervers, voire quelque peu sadique. Après tout, c’est bien elle qui est l’élément perturbateur d’une petite société bien organisée… En réalité, c’est probablement plus les hommes qui en prennent pour leur grade et qu’il se doit de considérer comme fautifs. Et je ne suis pas loin de penser que, quel que soit le comportement de cette jeune femme, tous les hommes auraient eu des pensées salaces à son égard et auraient, au moins, essayé de surinterpréter le moindre signe qu’elle aurait pu leur donner. Les hommes, de manière générale, surinterprètent d’autant plus facilement ces signes que la taille de l’élue est fine et ses cuisses brillantes. Au fond, dans ses manipulations perverses, elle ne s’y prend pas si mal pour éviter que ces hommes aient l’impression qu’ils se marchent sur les pieds en lui courant après : après tout, tout le monde aspire au bonheur (même sexuel), et l’on se convainc assez vite que le bonheur promis nous est exclusif… et dû. Et l’on devient vite aveugle, et plein d’espoir, quand la fille est jolie… La seule chose qui motive en fait les hommes à qualifier une femme de « salope » (ce qui serait l’attribut actuel de « perverse »), c’est qu’elle se soit refusée à eux ou qu’elle leur est de toute évidence, et après quelque espoir, inaccessible. Or, puisqu’elle donne à chacun des preuves de bonheur futur, même fugace entre les foins, aucune raison pour eux de suspecter, encore, qu’elle en est une (de salope).

Tout le monde est coupable dans le film. C’est en ça qu’il est fascinant. La satire du genre humain (particulièrement masculin) est parfaite. Les hommes, pervers, jaloux, éconduits, pourront bien la désigner, elle, comme une perverse : pour une perverse dévoilée, c’est qu’il en faut des gros pervers qui se seront laissés « innocemment » mener par le bout du…


 
Susana la perverse, Luis Buñuel 1951 | Internacional Cinematográfica 

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L’obscurité de Lim

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Il boom, Vittorio De Sica (1963)

Note : 3.5 sur 5.

Il boom

Année : 1963

Réalisation : Vittorio De Sica

Avec : Alberto Sordi, Gianna Maria Canale, Elena Nicolai

Fable satirique qui aurait gagné à trouver un pendant au génial Sordi. Tout à la fois drôle et touchant, nous n’avons d’yeux que pour lui. La comédie à l’italienne me semble toujours meilleure avec des vis-à-vis efficaces et une satire mordante mais plus fine.

Il faut probablement penser que De Sica et Zavattini aient voulu reproduire la réussite d’Une vie difficile, sorti l’année précédente, et où Sordi réussissait à la fois à nous amuser et à nous attendrir en jouant admirablement les chiens battus en attente d’un sucre ou d’une caresse consolatrice (même si ça doit être une constante dans les films de Sordi quand on ne tombe pas dans le piège des caricatures).

Il boom, Vittorio De Sica (1963) | Dino de Laurentiis Cinematografica

Les péripéties me semblent moins nombreuses ici que dans le film de Dino Risi (le sujet, littéralement anecdotique, limite les possibilités), ce qui laisse un petit arrière-goût d’inachevé, et donc les vis-à-vis sont bien moins réussis que dans le Risi (si le rôle de la femme me paraît assez bien réussi, la focalisation sur la femme cette fois de l’entrepreneur borgne l’est beaucoup moins).

Le plus dur à suivre sans doute dans cette histoire, ce n’est peut-être pas les pirouettes que doit faire Alberto Sordi pour éponger ses dettes et préserver son train de vie ; non, le plus dur à admettre, le plus triste, c’est sa solitude. Or, là encore si on l’oppose à Une vie difficile dans lequel cet aspect était parfaitement exploité, et était même un moteur important du film, Il boom tire plus franchement vers la farce, voire la fable satirique, et peut-être moins vers une comédie dramatique comme pouvait le faire le film de Risi ou nombre de comédies italiennes réussies de la même époque. Si Il boom rate cette dernière marche, c’est peut-être là, sur son humanité. Manque quelques plans ou séquences de Sordi pitoyable, non plus en essayant de feindre et de jouer la comédie, mais pitoyable justement parce qu’il se rend compte de sa solitude, de ses sacrifices, et de sa condition de misérable arriviste prêt à tout pour être accepté d’une classe qui le méprise.


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Okja, Bong Joon-Ho (2017)

Veau d’or sous soleil vert

Note : 3 sur 5.

Okja

Année : 2017

Réalisation : Bong Joon-Ho

Avec : Tilda Swinton, Paul Dano, Jake Gyllenhaal, Ahn Seo-hyun

Il faut noter l’ironie de dénoncer la nourriture industrielle tout en faisant un film foutrement formaté. La cuisine de Bong est par moment indigeste, entre la farce Tex Avery (Jake Gyllenhaal est insupportable), le film émotif à la Disney, l’humour potache et l’action de charcutier. Ça fait trop pour moi.

Si le sujet malgré tout (celui de la satire antispéciste) vaut le coup d’œil, l’ennui l’emporte globalement. J’ai du mal par exemple à comprendre comment on peut s’émouvoir d’une telle relation avec un rythme aussi relevé où les temps morts sont rares (la séquence la plus lourde est une réunion explicative entre tous les personnages du groupe des Américains : Bong Joon-Ho est trop poli avec ses acteurs et ne contrôle rien). Il y aurait moins d’action, la fillette serait moins contrainte dans ses mouvements (un personnage principal impuissant, c’est chiant), et on aurait utilisé un poulet ou un bœuf à la place de ce machin porcin numérisé et sans charme, je me serais plus régalé… Okja, qu’elle parte à l’abattoir, ça me faisait ni chaud ni froid.

On m’a aussi fait remarquer certaines incohérences dans l’histoire. C’est vrai par exemple qu’il y a un petit côté étrange à voir débarquer le commando antispéciste et la petite, à la fin, dans l’abattoir, avec ses hectares de bétail porcin enfermé dans des enclos à ciel ouvert, et ne pas s’en émouvoir plus que ça (c’est bien là que la réalisation ne prend pas assez son temps pour nous montrer l’étendue du désastre, trop concernée qu’elle est à cet instant pour nous faire participer à une grande cavalcade).


(Me voilà moi aussi lancé dans une longue course, puisque j’entame avec Okja un mois gratuit sur Netflix. Et je compte bien saigner leur catalogue de films récents — il n’y a de toute façon rien à se mettre sous la dent en termes de classiques, c’est même le grand désert.)


 

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Parasite, Bong Joon-ho (2019)

Note : 4.5 sur 5.

Parasite

Titre original : Gisaengchung

Année : 2019

Réalisation : Bong Joon-ho

Avec : Kang-ho Song, Sun-kyun Lee, Yeo-jeong Jo, Woo-sik Choi, Hye-jin Jang

— TOP FILMS

Il y a une fable amusante dans Parasite rappelant un peu la fourberie du coucou pondant ses œufs dans le nid d’autres espèces pour que ses petits soient élevés par d’autres. L’ironie ici serait qu’il y aurait double filouterie avec une morale assez noire. Parce que si chez Molière ou dans la commedia dell’arte, les rôles sont inversés et on montre que les valets, s’ils n’ont l’argent, disposent au moins de l’intelligence, ici les pauvres accepteraient presque leur situation de pauvres en adoptant une posture de « parasite » vis-à-vis des riches qui seraient alors intouchables. Et la réelle lutte en fait n’aurait lieu alors qu’entre les pauvres pour s’assurer la meilleure place dans le nid des riches. Il y a toujours plus bas que soi (bien symbolisé dans le film par les deux sous-sols). L’ambition des « pauvres » à ce moment-là n’est pas de prendre la place des riches, mais de correspondre le plus à ce que les riches attendent d’eux (ne jamais « dépasser la ligne ») pour bénéficier d’une place de choix à leurs côtés. Ils éjectent les employés de la maison un à un comme un coucou jette dès sa naissance les œufs de ses hôtes, mais ils ne cherchent pas à prendre réellement la place des maîtres, peut-être parce qu’ils savent intuitivement qu’ils ne feront pas long feu dans leur monde : si le fils s’amuse lors de la beuverie « quand le chat n’est pas là les souris dansent » à noter que sa sœur passerait, elle, incognito dans ce milieu, il s’interroge plus tard sur sa propre capacité à se fondre dans cette société où les riches sont tout à leur aise (d’ailleurs, celle censée être la mieux adaptée à ce monde sera celle de la famille qui ne survivra pas — peut-être un signe que le dieu Wi-Fi veille et châtie ceux qui chahuteraient un peu trop l’ordre établi). Et si au final, le « maître » est agressé, c’est moins pour lui piquer sa place que par un geste non prémédité (le père ne fait jamais de plan comme il le dit) et en réaction à la condescendance un peu forcée de son « maître » à le pousser à associer la classe des individus à leur odeur (un cliché peut-être un peu facile mais tellement représentatif de nos préjugés).

Il y a peut-être d’ailleurs dans cette fable la même incongruité que peut inspirer l’escroquerie du coucou, parce qu’une des grandes réussites du film de Bong Joon-ho, c’est de ne pas avoir fait des « maîtres » des personnages antipathiques. Pas seulement parce que l’opposition réelle viendra une fois nos « coucous » bien installés dans leur nid et se fera avec d’autres « parasites », mais parce que ç’aurait été pousser la farce un peu loin que de faire des pauvres les gentils et des riches les méchants. Je dois avouer qu’on n’a pas toujours connu le cinéma coréen aussi subtil… Aucun doute sur la nature de ces riches : ils sont victimes d’une escroquerie, et pour beaucoup, de leur crédulité. On gagne alors à ne pas avoir de personnages réellement antipathiques, chacun étant parfaitement nuancés (sauf peut-être les deux enfants de la famille riche qui restent toutefois en retrait tout au long du film), et on se rapproche alors bien de la fable du coucou, qui pourra bien devenir trois fois plus gros que ses parents adoptifs, ces derniers seront toujours aussi dévoués et crédules. Tout au plus le « maître » pourra relever l’étrange odeur de l’élément parasite placé insidieusement dans son nid, mais ne s’en offusquera pas plus que ça (jusqu’à ce qu’au contraire, ce dégoût passager irrite tragiquement celui qui est censé en porter la marque…). La fable aurait pu être grossière, au lieu de ça, elle fascine et on tente longtemps après à en démêler les fils, les implications comme les conséquences. À la fois simple à comprendre, mais assez floue pour qu’on s’y arrête avec l’impossibilité d’y trouver une image nette et établie avec le temps. C’est à mon avis cette capacité à dépeindre des espaces flous où l’attention du public s’arrêtera sans être capable d’y trouver la netteté attendue qui fait souvent une grande œuvre. On s’approche de ces espaces, on tente une approche différente dans l’espoir d’y voir enfin un objet clairement défini, mais on n’y trouve jamais qu’une tache floue qui se dérobe à notre entendement. Comme un effet de sfumato.

La fable concerne tous les parasites qui luttent plus ou moins pour gagner les faveurs des maîtres. Ainsi quand la mère prétend que si elle était riche elle serait tout aussi gentille (voire probablement naïve) que sa maîtresse, elle ponctue sa phrase par un geste violent à l’égard d’un des chiens (autres parasites) la ramenant bassement à sa condition de parasite. On rit jaune, parce que si la plaisanterie est amusante car paradoxale, il n’en reste pas moins que la morale en creux qu’on peut lire dans cette situation, c’est qu’on ne s’élève jamais de sa condition (de parasite). Le constat suggéré est noir : l’ascenseur social est un mythe.

Le récit est parsemé de petites incohérences, mais on les accepte comme on accepte de voir les animaux parler dans une fable. Le réalisme n’est pas un souci, même si parfois, on peut être en droit de se demander si l’absence de cohérence de certains éléments ne nuit pas un peu à une certaine forme de bienséance en nous sortant du film quelques secondes (perso j’ai levé un sourcil quand le père est censé rester plusieurs mois dans le sous-sol, se nourrit dans le frigo des Allemands quand ils sont là, mais se contente de boîtes de conserve pendant les mois où il n’y a personne dans la maison, alors qu’on nous a précédemment fait comprendre qu’il n’y avait pas assez pour vivre : sinon pourquoi la gouvernante s’inquiéterait-elle de son mari après son renvoi ?). Par exemple, quand on sait que chacun des membres de la famille finit par se faire employer dans la maison, et cela en quelques semaines, on n’est pas si choqué que ça de les savoir habiter toujours leur sous-sol miteux : parce que ça relève précisément plus de la fable que du réalisme. Il y a un souci de fabulisme comme il y a un souci de réalisme. L’erreur (et peut-être Bong Joon-ho s’y est-il laissé prendre à deux ou trois reprises) aurait été de vouloir rendre chaque recoin de la trame en cohérence les unes avec les autres avec le risque de dénaturer la fable.

S’il n’est pas recommandé de raconter les différents détours d’un film, avouons qu’on échappe pour cette fois à un twist final trop souvent de rigueur dans les thrillers. Au mieux assiste-t-on à deux coups de théâtre : un, une fois que le « plan » s’achève et qui sert à relancer efficacement l’intrigue et lui faire prendre un détour plus violent (la lutte des classes inférieures pour l’accès aux ressources détenues par les « riches ») ; et un autre dans le dénouement. Rien de plus classique. Aucun retournement qui vous oblige à remâcher ce que vous avez vu ou qui subrepticement vous fait avaler votre chewing-gum. Si le film tire à la fin légèrement sur le pathos et sur les fils de la cohérence (faute notamment à l’emploi un peu trop grossier des possibilités du morse), c’est tout de même appréciable de ne pas tomber dans un excès de retournements gratuits malgré la touche ludique, divertissante, du film (c’est le principe de la satire à l’italienne). Arriver à jouer sur les deux tableaux sans que l’un n’empoisonne ou ne finisse par phagocyter l’autre, c’est assez rare. Une forme réussie de symbiose par parasitage.

Autre réussite rare, l’usage narratif des smartphones. Il n’est jamais facile d’intégrer ces nouveaux objets dans une histoire tant la place qu’ils peuvent prendre dans la mise en scène et dans le montage peut vite devenir un problème. Le défi est alors d’apporter du contenu, du sens, à travers l’écran et par le biais de quelques mots. On revient presque un siècle en arrière quand il fallait jauger le nombre d’intertitres dans son film. Et Bong Joon-ho s’en tire très bien en se limitant le plus souvent à un plan, un message, intervenant dans le montage. L’information donnée fait avancer l’action, mais la réaction à cette information sera toujours visuelle : jamais (ou rarement), un texto ne répondra à un autre. Ce serait déjà une répétition. Les Coréens étant des fous de Kakao Talk (l’équivalent de WhatsApp), on remercie Bong Joon-ho de ne pas nous noyer (comme dans la vie) dans un tunnel de plans de messagerie (deux plans d’écran de smartphone qui se suivent, c’est déjà trop : on s’inquiète déjà d’en voir apparaître d’autres).

Il est assez rare de trouver chez un même réalisateur deux talents cohabiter, celui de la direction d’acteurs et celui de la réalisation (le montage technique comme on disait à une époque). Ceux capables de faire les deux comptent parmi les meilleurs. Reste alors plus qu’à savoir raconter une d’histoire, et on peut dire qu’on a affaire à un maître. Tous les acteurs sans exception sont parfaits, et ce n’est pas seulement dû à un choix de casting ou à la chance : la mise en scène de Bong Joon-ho est si précise, qu’aucune raison de penser que certains détails dans l’interprétation des comédiens soient le pur produit du hasard. Diriger un acteur, c’est souvent l’aider à se débarrasser de tout le superflu, c’est-à-dire l’expression, le geste, le regard, qui au moment voulu donnera du sens à la situation, éclairera le récit, les intentions ou l’état d’esprit de son personnage. Un acteur, ç’a toujours tendance à vouloir en faire beaucoup ; le metteur en scène doit donc être là pour le canaliser et l’obliger à respecter une sorte de ligne claire. Voilà pour la direction d’acteurs. Quant à la réalisation, elle se met justement au service du contenu. Les acteurs doivent servir le récit pour le mettre en lumière, la réalisation aide les acteurs (et à travers eux les spectateurs) à éclairer encore plus le sens (quitte à éclairer une zone de floue comme dit plus haut). En ce qui concerne le cinéma coréen actuel, on pourrait être toujours un peu tenté de craindre une réalisation sophistiquée à l’excès, maniérée. Et étonnamment, si Bong Joon-ho se fend de quelques mouvements de caméra, ceux-ci sont toujours justifiés : un travelling latéral d’accompagnement sur un personnage marchant vite, ça aide à suivre, et à coller, à son humeur ; un travelling lent commençant sur le visage d’un personnage révélant en une seconde ce qu’il pense en laissant échapper juste ce qu’il faut pour qu’on comprenne la situation (parce qu’il se pense observé par personne, en tout cas pas par l’autre personnage qui lui fait face mais qui ne le regarde pas à cet instant), puis bougeant lentement vers cet autre personnage, ça aide à comprendre l’opposition des personnages, à les inclure dans un même espace narratif qu’un champ-contrechamp aurait moins bien rendu (dans cet exemple, c’est moins le mouvement de caméra qui importe, mais le temps de latence entre les deux visages) : le mouvement de caméra permet de garder les personnages dans le même plan et d’insister sur leur nature (d’un côté le prédateur, de l’autre, la proie). Tout se tient : le metteur en scène dirige des acteurs pour donner sens à son histoire, il dirige sa caméra pour rendre au mieux les interactions entre les personnages, et au final, le but est de raconter au mieux son histoire… Pas de faire un film spectaculaire, drôle, non, raconter une histoire. La fable avant tout.

Notons encore le rythme assez échevelé du film : ce ne serait pas une qualité si Bong Joon-ho ne savait distiller parfaitement ses effets, ralentir quand il faut la cavalerie. Parce que faire un film haletant de bout en bout, rien de plus simple. Ici, jamais on ne s’ennuie : curieux et amusés au début, on profite à la fin du premier acte, et avec les membres de notre famille d’escrocs d’un repos bien mérité. L’objectif défini au début du film est atteint, on se questionne alors de ce vers quoi pourra alors s’orienter le film. Et ça repart de plus belle. Dans les deux cas (ou les deux actes), deux procédés me semble-t-il ponctuent assez souvent parfaitement le film pour diversifier les rythmes : si la comédie use d’effets lents et laisse toute la place aux acteurs pour nous faire entrer en empathie avec eux, la seconde partie, plus thriller et action, les deux sont parsemés ici ou là à la fois de montages-séquences pour nous montrer les avancées rapides de la trame (notamment dans l’évolution de l’escroquerie, et avec toujours un choix de musique judicieux), mais aussi de montages alternés (trois sections : les trois familles en prise le plus souvent avec un membre d’une des deux autres familles). (On notera à ce propos peut-être un épilogue certes maîtrisé du côté de l’emploi du montage-séquence, avec cette fois la voix du fils servant de lien entre les plans au lieu de la musique. Il fallait certes conclure le récit, et c’était sans doute le moyen le plus pratique pour ce faire, mais Bong Joon-ho en fait à ce moment peut-être trop, trop longtemps sur ce qui n’est plus du ressort de la trame principale.) Je n’avais pas vu une telle réussite en matière de montages-séquences (de mémoire) dans un thriller depuis Gone Girl (avec le même emploi du ralenti pour évoquer l’inéluctable majesté d’un plan se déroulant comme prévu).

Je ne vois guère que certaines comédies italiennes (ou un Molière) pour rivaliser avec la maîtrise de Bong Joon-ho en matière de satire. Je pense particulièrement à Une vie difficile pour l’alliance réussie de la comédie satirique (sociétale) et le drame attachant, et au Pigeon, pour l’aspect choral et branquignolesque. Mais la réussite encore plus palpable chez Bong Joon-ho, c’est en plus sa capacité à y adjoindre encore dans ce pot-pourri déjà bien garni de styles, une pincée de thriller. Et là, en plus d’évoquer cette fois Shakespeare pour son habilité à finir assez souvent ses films dans un joyeux carnage (ce n’est pas si commun de voir autant de personnages principaux disparaître de nos jours à moins de faire un film à élimination), on ne peut s’empêcher de penser à l’archiconnu Servante, œuvrant dans les mêmes sphères domestiques et le même rapport malsain entre maîtres et serviteurs (inversement des rapports entre maîtres et domestiques, appropriation par la plèbe du bon vieux sweet home cher à la classe « moyenne »).


 


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