Minding the Gap, Bing Liu (2018)

Note : 3 sur 5.

Minding the Gap

Année : 2018

Réalisation : Bing Liu

Assez partagé. Il y a un peu de Life of Crime là-dedans, mais aussi de Dear Zachary, un autre documentaire à la première personne que je ne peux pas piffrer.

Le montage est brillant, l’idée de départ d’un ado qui filme ses potes et qui au fil des années en fait un documentaire sur la difficulté de passer à l’âge adulte au milieu de familles “dysfonctionnelles” comme on dit aujourd’hui, c’est intéressant, mais ça prend moins pour moi qu’avec Life of Crime.

Dans l’approche documentaire, on en revient finalement toujours à la question du degré de fabrication d’un film. Un documentaire l’est toujours, mais jusqu’à quel point. Filmer sur plus de dix ans, on pourra difficilement dire que c’est improvisé ou un documentaire de commande. On y met forcément beaucoup de soi : or, dans Life of Crime, le “je” reste malgré tout toujours en retrait. Et paradoxalement, les seuls moments du film qui m’ont touché, ce sont les passages personnels où on voit le jeune cinéaste à l’écran ou derrière pour filmer sa mère (ou de près ses potes faire du skate).

Si j’adhère peut-être plus à ces passages personnels, c’est que je n’ai pas beaucoup d’empathie pour ses potes. J’entre assez peu facilement en empathie avec des gosses qui passent leur temps à faire des figures sur une planche entre les trottoirs ou à faire des barbecues en fumant des pétards et en riant trop fort. Dans Life of Crime, le mode de vie des trois protagonistes est rempli de tels excès qu’ils en deviennent monstrueux (au sens littéral) et donc pathétiques. Ici, ce n’est rien de plus que la réalité pathétique (dans un autre sens) de l’American way of life. Comme dans Grey Gardens, les Américains qui y sont décrits ne sont ni riches ni pauvres, leur misère (ou leur errance) est ailleurs : on sent des gens déracinés d’une quelconque culture qui s’accrochent au mirage construit depuis un siècle sur le rêve américain. Quand tu te rends compte que ce rêve ne touche qu’une part infime de la population, toujours les mêmes, tu dois tomber de haut, et perdre un rêve, un idéal, c’est peut-être un peu comme se retrouver sans père et manquer de repères. À moins encore que ce rêve se soit bourré la gueule et frappe mère et enfants…

J’avais éprouvé le même type de malaise avec Le Journal intime de David Holzman : on y découvre une Amérique qui, perso, m’angoisse assez, remplie de personnages volubiles, bons vivants, sociables, mais aussi beaucoup névrosés et instables. C’est souvent ce qui est décrit dans les fictions, mais quand ça apparaît dans certains documentaires qui se veulent personnels, ça me met encore plus mal à l’aise. Je crois que je peux adhérer aux passages personnels du cinéaste avec sa mère par exemple ou quand lui apparaît à l’écran, parce qu’au contraire des autres, il paraît sain d’esprit, stable et posé… (On s’accroche à ce qu’on peut.)

Le plus déprimant, je dois dire, c’est la manière dont les espaces urbains sont construits dans ces banlieues si caractéristiques du « rêve américain » : autour d’un petit périmètre fait de maisons de même standing, on « fait communauté », on s’invite, se côtoie poliment, etc., et puis quand tu sors de ces territoires standardisés pour aller à l’école, à la piscine, au supermarché ou je ne sais quoi, tu traverses des centres urbains qui ont l’air d’être un pays étranger où tu ne t’arrêtes jamais. En France, tu restes relativement toujours dans un même périmètre et les différences de classes sociales sont relativement lissées à l’intérieur de ce périmètre. Là-bas, c’est comme si tu habitais dans le 17ᵉ arrondissement et que pour aller faire tes courses, tu traversais la Grande Borne. Et ils trouvent ça tout à fait naturel. Tu vois les différences de classes qui te sautent à la figure depuis la vitre de ta voiture et tu te sens relativement protégé de l’étrangeté des lieux tant que tu ne t’arrêtes pas. Donc pas étonnant que les gens y soient si névrosés. L’idée du “eux” contre “nous”, il s’établit clairement dans l’aménagement de leur territoire.

Ce qui ajoute encore plus au malaise, c’est qu’au-delà de l’utilisation des espaces, il est probable que les séparations sociales auxquelles on assiste sans les voir soient les mêmes, tout aussi marquées, que celle que l’on connaît chez nous. Dans Life of Crime, on est dans la misère permanente, ça en paraît irréel. Il y a une forme de sidération compassionnelle et de révolte citoyenne quand on regarde. Ici, le malaise que ça procure chez moi, il est peut-être là encore tout aussi personnel : les deux gusses qui y sont décrits pourraient être des gusses que j’ai croisés en étant gosse dans ma ville de banlieue, et des gosses surtout que j’aurais pris soin d’éviter. Je préfère découvrir des choses dans les documentaires, sans doute moins y trouver de choses qui me paraissent trop familières ou ordinaires (surtout quand elles ne me paraissent pas éveiller quelque chose d’universel). Ça doit être ma drogue à moi : la découverte d’horizons exotiques et de temporalités alternatives pour m’extraire du temps et de l’espace présents.

Le montage reste brillant. Trop peut-être. Formaté, terriblement, parfaitement mis en récit. Du tout cuit pour Sundance.

J’ai souvent des réserves sur les techniques employées dans les documentaires américains. L’utilisation de la musique, mais aussi le recours systématique à la fictionnalisation des événements. Dans le dernier plan, par exemple, on suit la voiture de celui qui migre à Denver : plongée de loin de la voiture qui rentre en ville. Quand le plan arrive, tu as compris que c’est le dernier parce que c’est une technique habituelle dans le cinéma de fiction. Un plan qui n’a rien de naturel. Même problème que pour le dernier plan des Chasseurs de truffes, sauf que là, c’est systématique. Les Chasseurs de truffes avait au moins cette qualité de ne pas mettre en scène cette Amérique qui m’angoisse et que je préfère voir en fiction sans doute, et cette qualité aussi d’offrir une approche plus européenne dans le rythme avec un jeu permanent de distanciation.

Dans le documentaire, une part de distanciation me paraît indispensable : en principe, la distanciation a été “théorisée” pour forcer le spectateur à réfléchir, à prendre de la distance avec le sujet. Souvent, les documentaires américains font tout le contraire : ils te bombardent de sensations et d’émotions sans que tu aies le temps de réfléchir parce que la réflexion, c’est l’ennui. Et même dans le documentaire, en Amérique, l’ennui c’est le mal. On y joue donc sur l’identification à plein en fictionnalisant événements et “personnages” (parcours des “personnages”, musique narrative, etc.). Sundance, c’est souvent un sésame pour les films qui jouent principalement sur l’émotion. Même la misère la plus crue doit y être saupoudrée de sucre glace. Un doc américain, je préfère quand le sujet, la cause presque, l’information rend secondaire, voire invisible, la forme. Dans Making a Murder ou Paradise Lost par exemple, ça n’empêche pas par ailleurs l’émotion et l’empathie envers ces autres antihéros de l’Amérique : ceux qui sont victimes du système judiciaire et répressif. Le thème de l’injustice me touche suffisamment en général pour que je prête peu d’attention à la forme. Le skate, c’est un sujet intéressant, il permet d’embrayer sur celui des violences conjugales ; mais traité comme il est traité, avec les individus exposés et suivis, mon attention se fait plus volatile.


Minding the Gap, Bing Liu 2018 | ITVS International, Kartemquin Films, P.O.V. American Documentary


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Asako I & II, Ryusuke Hamaguchi (2018)

Soapopero

Note : 3 sur 5.

Asako I & II

Titre original : Netemo sametemo

Année : 2018

Réalisation : Ryûsuke Hamaguchi

Avec : Masahiro Higashide, Erika Karata, Sairi Itô

La passion des Français pour ce cinéma japonais plus proche du soap opera que du cinéma d’auteur m’étonnera toujours autant… Presque plus de notes sur SC que sur IMDb et dix fois plus que sur iCM, c’est dire si c’est un intérêt exclusif (quoique, à force de se faire mousser par la critique française, Hamaguchi semble avoir percé à l’international, on verra ça…).

On fait rarement de bons films avec des personnages exécrables. Ici, la jeune fille est une caricature de fille timide, kawai, adulée par tous les hommes n’appréciant jamais autant les femmes que quand elles sont fragiles et réservées. Le premier jules, un connard, est un beau gosse sur qui on ne peut pas compter, mais qui représente justement le modèle d’homme idéal pour les jeunes filles mièvres parce qu’il est insolent et irrespectueux. Le second a le physique de beau gosse du premier (et pour cause, il s’agit là d’une ficelle surexploitée dans les mélos qui ne pourrait être crédible dans un film sérieux), mais représente l’autre face plus lumineuse des stéréotypes masculins nippons : le gendre idéal.

Le film ne manque pas par ailleurs de surfer sur nombre de clichés japonais pour éveiller l’intérêt des lecteurs de mangas habitués aux mêmes stéréotypes chez le public occidental. Lecteurs nippophiles qui sont sans doute les mêmes qui apprécient ce genre de niaiserie. Les films français s’exporteraient sans doute mieux si les « auteurs » français prenaient soin un peu plus de mettre à l’honneur vins et champagnes ou sacs Vuitton dans leurs films…


Asako I & II, Ryusuke Hamaguchi 2018 | C&I Entertainment, Bitters End, Comme des Cinémas, Elephant House


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The Haunting of Hill House, 2018

Note : 3.5 sur 5.

The Haunting of Hill House

Année : 2018

On comprend aisément ce qui a pu plaire à Mike Flanagan dans cette histoire… Le bonhomme semble obnubilé par Shining… Beaucoup d’éléments similaires ici. Je suis bien étonné de ne pas voir de référence à la hache…

Le début est un peu poussif, puis le puzzle temporel qui se met en place dans la seconde moitié de la mini-série (ou devrait-on dire, « confetti temporel ») est efficace. Il y a une fascination certaine à voir les morceaux de l’intrigue s’agencer un à un.

Il faut aussi reconnaître au dernier épisode notamment une certaine qualité… littéraire (oui, oui) dans les dialogues, très probablement des emprunts directs au roman initial.

Joli épisode 6 également dans lequel l’emploi de miettes de plans-séquences permet de s’échapper le temps d’un épisode au ronron pénible et habituel des mises en scène léchées. Voir comme jamais les acteurs en pied, se perdre dans des détails du décor, profiter de la continuité et du souffle donnés seuls par les acteurs, ça fait du bien. Parfois. Sans compter que Flanagan n’en fait pas pour autant un exercice de style tape-à-l’œil. Vu la spécificité de l’épisode, c’était parfaitement justifié (dans un ou deux épisodes précédents, le recours un peu trop systématique aux raccords entre séquences tournait là au contraire à l’exercice de style un peu vain).

Bon, sinon, les flics, ils n’ont pas eu l’idée de l’ouvrir cette satanée chambre rouge après le suicide de la mère ? La dame se jette du haut de l’escalier donnant accès à cette pièce, mais personne n’aura l’idée d’y jeter un coup d’œil ? (Mince, je viens de faire appel à la police et ç’a mis un grand coup de pied dans le joli tas reconstitué de confettis. Principe hitchcockien qui vaut donc à la fois pour les thrillers et les films d’horreur : ne jamais faire appel à la police.)


The Haunting of Hill House, 2018 | Netflix


Poutine, l’irrésistible ascension, Vitaly Mansky (2018)

Un cheval… !

Note : 4 sur 5.

Poutine, l’irrésistible ascension

Titre original : Svideteli Putina

Année : 2018

Réalisation : Vitaly Mansky

On dirait l’ascension de Richard III. Eltsine obligé de lui céder le pouvoir pour qu’il le blanchisse, l’amertume le soir de l’élection quand Poupou oublie de lui passer un coup de fil, jusqu’au « ça sent le rouge » lâché au réveillon 2001 quand il entend la resucée de l’hymne soviétique. Eltsine avale toutes les couleuvres que Gloucester avait fait avaler aux futurs « fantômes » qui hanteront son sommeil. Y avait qu’une crapule pour le blanchir, il l’a compris bien trop tard.

Il y a même en arrière-plan tous les autres coups tordus de Gloucester : tentatives d’amadouer les médias / le peuple : « Regardez, il a un livre de prière à la main ! ». Le FSB qui planque des bombes, ça pourrait être le meurtre des enfants à la Tour. Toutes les futures « disparitions » des alliés de Poutine le soir de son élection : tous les alliés de Gloucester qu’il assassinera méthodiquement une fois attaché leurs services. Après l’agression de l’Ukraine, il n’y a plus qu’à se demander qui tiendra la vedette dans le dernier acte et viendra charcuter les jarrets de ce salopard.

Le soir même où Eltsine passe le relais à Poutine, la femme du réalisateur a déjà tout compris. Un soir du réveillon. Shakespeare n’aurait pas fait mieux. Le roi abusé qui fait un cadeau empoisonné au peuple à qui il avait, dix ans auparavant, rendu la liberté. Du grand art.

Ce qui est fou aussi, c’est de percevoir les fragilités de Poutine. On est dans la même classe des Zemmour, Goebbels et compagnie, de tous ces mâles complexés avec des rêves de puissance. Le réalisateur a presque pitié pour lui quand il essaie de gagner sa sympathie ou de le convaincre que le retour de l’hymne soviétique c’est une bonne chose, que le peuple a besoin de se rattacher à la fierté du passé. On sent un petit garçon déçu, pas très sûr de ses opinions, mais follement aussi contrarié de voir qu’un « intellectuel » dont il essaie de gagner le respect trouve ce qu’il fait parfaitement idiot voire dangereux. C’est un gamin, un type avec clairement un gros problème d’ego. Et avec zéro empathie pour les gens : le passage fabriqué chez son ancienne prof où on le voit presque aussi timide et froid qu’une Lady Di, puis faussement touché quand il se rend à l’anniversaire d’un attentat… C’est de la communication au ras des pâquerettes, pas encore de la propagande parce qu’on se doute que, derrière, les médias gardent encore un esprit critique, mais la population n’est pas armée pour apprécier l’exercice. Les larmes de crocodile, là encore ça rappelle tellement Richard III. Le type joue tellement grossièrement l’émotion qu’il ne peut pas être pris au sérieux, et pourtant si, un peu comme si on décelait déjà dans cette émotion feinte le tyran impossible à contredire qui se développera peu à peu.


 

Poutine, l’irrésistible ascension, Vitaly Mansky 2018 | Vertov SIA, GoldenEggProduction, Hypermarket Film


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An Elephant Sitting Still, Bo Hu (2018)

Elephant

Note : 5 sur 5.

An Elephant Sitting Still

Titre original : Da xiang xidi erzuo

Année : 2018

Réalisation : Bo Hu

Avec : Yu Zhang, Yuchang Peng, Uvin Wang

Le film résume presque à lui seul une certaine mouvance du cinéma de ces dernières décennies.

Dans la forme : distanciation et immersion dans la durée. On se situe entre Bela Tarte et Gus van Sant, voire Haneke.

Dans le fond : encore un peu de Haneke pour la violence (souvent hors-champ ou ponctuelle, inattendue quand elle se manifestement physiquement, brutalement) qui jaillit surtout après une souffrance contenue, résultat d’injustices, façon coup de boule de Zidane. Et puis, il y a la violence morale aussi, psychologique, constante, avec ces gens qui s’aboient dessus en permanence, qui vomissent leur mépris sur leurs voisins ou les membres de leur famille. On y reconnaît là la noirceur de Haneke, la même désespérance (« vous pouvez partir, mais vous ne trouverez rien de différent ailleurs » dira finalement le vieux à ses compagnons fatigués, harcelés comme lui par les emmerdes relationnelles).

Enfin, dans la construction, on y retrouve le génie d’Asghar Farhadi par exemple qui s’attache à structurer des histoires autour de leitmotivs et de détails significatifs parfois imperceptibles, et à travers des croisements permanents de tranches de vie qui s’opposent, se supportent, se mêlent, se contredisent même souvent dans ce que l’on croit en comprendre. On pense aussi à la distance crue et lancinante de Jia Zhangke, en particulier pour ce qui est de la violence et de l’incommunicabilité, à la A Touch of Sin.

La recherche de références, c’est peut-être ce qui nous sauve quand on reste béat devant un tel chef-d’œuvre. Ils nous échappent souvent et nous laissent une rare et étonnante impression de finitude, d’accomplissement. On sent (ou l’on sait) que le film (ou son auteur) dépasse (ou ignore, digère) toutes ces références passées, mais on n’a plus que ça pour étalonner, jauger, identifier, ou verbaliser ce qui paradoxalement ne prend jamais aussi bien une forme finie, accomplie, que dans un chef-d’œuvre. On le voit, il est là, il nous assommerait presque, mais c’est comme si notre entendement ne pouvait faire le point sur lui. Alors, on tâche de le regarder et de l’identifier autrement. À travers ce que l’on connaît déjà. D’où les références. Avec la conviction, bien sûr, que ce n’est qu’effleurer l’objet. Le trahir aussi.

Bref, ce portrait du monde, ce constat absolument déprimant de ce que sont aujourd’hui nos sociétés, avec des élites et des institutions défaillantes, faisant régner la loi du plus fort et de l’individualisme sur des populations désorientées et livrées à elles-mêmes, représente à la fois ce que j’ai pu voir de plus juste et de plus désespérant au cinéma ces dernières années… Brillant.


 

An Elephant Sitting Still, Bo Hu 2018 Da xiang xidi erzuo | Dongchun Films


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Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares, Radu Jude (2018)

Note : 3 sur 5.

Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares

Titre original : Îmi este indiferent dacă în istorie vom intra ca barbari

Année : 2018

Réalisation : Radu Jude

Avec : Ioana Iacob, Alex Bogda, Alexandru Dabija

Radu Jude reproduit ici un dispositif assez similaire à celui qu’il avait mis en place sur La Fille la plus heureuse du monde : ma mise en scène dans la mise en scène. La promesse d’un joli bazar. On quitte cette fois le monde de la publicité et les promesses ridicules faites à une gamine venue de la campagne avec ses parents pour une mise en scène d’un événement plus imposant devant prendre place pour une fête nationale. La metteuse en scène au milieu de toute cette affaire bancale essaie d’imposer un angle qui ne semble convenir à personne, à certains figurants comme à la « censure ». Paradoxalement, sur un malentendu, son spectacle ravira le public. Sur ce dernier point au moins, Radu Jude touche juste.

C’est bien rendu, les acteurs sont formidables, c’est du naturalisme convaincant, mais le sujet semble un peu trop appuyer son message, et aller finalement dans le sens de son personnage pour qui le travail des Roumains vis-à-vis de leur implication dans le massacre des juifs n’aurait pas été fait. Si le film répond à une situation bien réelle en Roumanie, ç’aurait sans doute un sens d’appuyer autant le message, mais sans la connaître on ne peut que regretter un sujet qui enfonce autant les portes ouvertes.

Souvent avec ce genre de sujets, manque peut-être la légèreté, l’absurde. Ils sont plus capables à mon sens d’apporter une nuance dans des sujets lourds et complexes ; le cinéma roumain (et Radu Jude même) l’a déjà montré à l’occasion. (Même si avec la dérision, on peut, c’est vrai, frôler la faute de goût.)


Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares, Radu Jude (2018) | ZDF/Arte, Les Films d’Ici


Solo: A Star Wars Story, Ron Howard (2018)

Solo: A Star Wars Story

Note : 3.5 sur 5.

Solo: A Star Wars Story

Année : 2018

Réalisation : Ron Howard

Avec : Alden Ehrenreich, Woody Harrelson, Emilia Clarke, Thandie Newton

J’ai l’impression d’être le seul à aimer ce film, et j’avoue que ça me fait bien rire. Je m’attendais au pire film depuis… il y a très longtemps, et passé le choc des premières minutes ridicules, une fois accepté que ce jeune Solo n’avait en réalité pas grand-chose en commun avec le charisme de Harrison Ford et semblait semblé même être le fils caché de Luke, une fois encore accepté l’actrice tout aussi embarrassante choisie pour le rôle féminin principal, eh bien, le film compte pas mal de jolies trouvailles qui ne font pas que satisfaire les fans en leur montrant pêle-mêle (et il faut bien l’avouer assez peu de vraisemblance) l’origine de nombre d’éléments iconiques et parfois accessoires vus dans la trilogie initiale.

Ainsi, l’aspect politique est plutôt bien amorcé (avec, d’une certaine manière, la naissance d’une frange probable de la rébellion future) ; les revirements incessants ont tout leur sens dans un tel milieu de bandits. Je me doute que certains spectateurs doivent trouver cette ronohouarderie risible, mais le film joue clairement sur la note humoristique, et je ne pense sincèrement pas que ça rende le film plus involontairement risible ; ça en fait surtout un film qui joue totalement cette carte de la fantaisie comme Star Wars l’avait au fond toujours fait. Et si on ne met pas soixante twists et filouteries dans un film sur un chasseur de prime comme Han Solo, on ne le fait jamais. En faisant un film sur Solo, on sait que les jedis ne seront pas présents (ou peu, loin de sa portée) parce qu’on sait que dans la trilogie initiale, c’est affirmé clairement que le Corellien n’avait jamais rencontré encore, dans son monde bien à lui (celui des hors-la-loi), de tels personnages, tout aussi étrange que cela puisse paraître à la vue de la première trilogie. C’est donc l’occasion, et l’obligation, de montrer autre chose. Et franchement, voir un film Star Wars oublier totalement pour une fois la magie pour se concentrer sur d’autres aspects plus « western » et « gangster », tout en s’exemptant enfin des gégécadrabrammesseries, c’est pour le moins rafraîchissant.

Le film est de plus assez dense, pas si laid en dehors des premières séquences ratées (ou traumatisantes) et des autres dans le repère du chef de l’Aube chéplukoi, et si pour le charisme et la tonalité (malgré l’humour) un peu renfermée de Solo on repassera, cet humour, parfois maladroit et gaffeur, plein d’arrogance attachante, eh bien, je le trouve très bien rendu ici.

Bref, on a le droit d’aimer, j’espère — ou d’être agréablement surpris.


 
Solo: A Star Wars Story, Ron Howard 2018 | Lucasfilm, Walt Disney Pictures, Allison Shearmur Productions

Les Chatouilles, Andréa Bescond et Eric Métayer (2018)

Les Chatouilles

Note : 1.5 sur 5.

Les Chatouilles

Année : 2018

Réalisation : Andréa Bescond et Eric Métayer

Avec : Andréa Bescond, Karin Viard, Clovis Cornillac

Quel cauchemar. Gros malaise dès la première séquence de viol. Le recours par la suite à la mise en abîme quand viennent les scènes de la psychanalyste est digne des Clés de bagnole de Laurent Baffie. La psychanalyste, puis l’ostéopathie, pour en remettre une couche dans les pseudo-sciences. Viennent ensuite la vulgarité globale de l’actrice, le retour des scènes de viol, l’opposition caricaturale entre le comportement du père et celui de la mère. Le déni de la mère toujours est tellement caricatural qu’il en devient réaliste, seulement au cinéma, ça ne peut pas passer (ce qui peut par ailleurs être vrai n’est pas pour autant vraisemblable dans un film).

Alors, on pourrait se dire que tout horrible que le film puisse être, il pourrait au moins avoir l’intérêt de dévoiler des comportements révoltants et criminels avec des répercussions sur des individus sur toute une vie, mais même pas en fait, parce que toutes ces situations, on les connaît déjà, elles ont été maintes fois décrites par ailleurs à travers le récit des victimes, et les montrer dans toute leur horreur n’apporte absolument rien sinon de l’exaspération et du dégoût. Le film pourrait-il avoir un rôle au moins éducatif ? Là encore, même pas, d’ailleurs le film est interdit aux moins de 12 ans, et je ne pourrais même pas dire si c’est justifié ou non en voyant à quel point je suis choqué par le film et par conséquent jusqu’à quel point le film pourrait être déstabilisant à voir pour un enfant (il y a une différence entre informer contre des risques et mettre en scène ses risques dans un film mal maîtrisé).

A-t-on besoin d’un film aussi peu subtil pour parler de ces choses-là ? Si on en est à ce point, c’est tout de même grave. Or, on le sait, l’éducation sexuelle, avec ses composantes criminelles, n’est pas faite là où elle devrait d’abord être faite : à l’école, voire chez les parents. Est-ce que c’est le rôle du cinéma de montrer ce genre de situations ? Suggérer ce n’est pas montrer. Je suis dubitatif. Avec beaucoup plus de tact, d’insinuation, de complexité, de dilemmes, de retenue, bref de génie, certainement oui, parce que le cinéma doit jouer avec les limites pour nous questionner, nous mettre face à nos contradictions, à notre aveuglement, nos petites compromissions, pour nous dire ce que le père pourtant dit très bien à un moment : ça ressemble à quoi un pédophile ? Ben oui, ça ressemble à quoi ? Celui-ci, puisqu’unidimensionnel, il ne fait aucun doute qu’il ne passe que pour être l’autre, l’étranger. Ça saute tellement aux yeux que ça devient irréel, que les parents ne voient rien.

La vraie difficulté, et le défi dans ce genre de films, c’est de nous forcer à nous identifier à lui, nous le rendre sympathique, nous mettre comme dans la peau des parents pour comprendre leur aveuglement, et s’interroger sur notre propre déni, sur notre propre capacité à voir, comprendre les bons signaux. Elle est là, la véritable problématique d’un film de ce genre, pas de poser une évidence qui est celle que l’agresseur est un monstre ; qu’est-ce qu’on aurait à y apprendre ? Quel dialogue peut-on nouer avec nous-mêmes si tout paraît et devient tellement si évident ? Un sujet dur ne doit pas nous le rendre pénible à voir en cherchant à nous identifier à la victime, au contraire, il doit nous questionner, nous surprendre à ne pas nous mettre dans la position forcément enviée de celui qui juge.

Il ne peut y avoir que deux approches avec ce type de films avec en son cœur un monstre : montrer les conséquences, donc prendre le parti de ne faire que suggérer les agressions (citer deux exemples, mais c’est de loin l’angle le plus largement adopté : Du silence et des ombres, Le Fils du pendu), ou s’identifier au monstre pour comprendre ses motivations, ses déviances, sa monstruosité (approche plus difficile, souvent source de films ratés — Tueurs nés —, mais parfois aussi de chefs-d’œuvre : The Intruder).

En fait, on retrouve dans Les Chatouilles les mêmes ingrédients forcés et vulgaires de Hope. Le film n’apporte ni plaisir (c’est le moins qu’on puisse dire, une torture à tous les niveaux), ni informations nouvelles, ne pose absolument par les bons problèmes, ne soulève aucun dilemme, et joue sur l’évidence stérile des stéréotypes. Bref, un cauchemar.


 
Les Chatouilles, Andréa Bescond et Eric Métayer 2018 | Les Films du Kiosque, France 2 Cinéma, Orange Studio

Liens externes :


Cold War, Pawel Pawlikowski (2018)

Note : 3 sur 5.

Cold War

Titre original : Zimna wojna

Année : 2018

Réalisation : Pawel Pawlikowski

Avec : Joanna Kulig, Tomasz Kot

Histoire d’amour plutôt banale et tristement académique. Les péripéties s’enchaînent au gré des sauts de puce géographique du couple, des séparations ou des retrouvailles.

Deux défauts majeurs dans cette construction : d’abord l’introduction des personnages est bâclée, voire inexistante (et on pourrait en dire autant de leur amour naissant auquel on ne croira par conséquent jamais) ; ensuite, les péripéties et les personnages secondaires sont totalement délaissés au profit du couple, ce qui ne poserait problème si le récit nous faisait entrer en profondeur dans leur intimité, comme ce n’est pas le cas, tout paraît sec et vain.

Si dramaturgiquement, c’est assez vide, en revanche, techniquement, la qualité est là. Direction d’acteurs parfaite, réalisation et montage idem, jolies reconstitutions et photo. 1h20 pour un tel sujet, ça en dit long sur les manques du film.


Cold War Zimna wojna, Pawel Pawlikowski 2018 Opus Film, Polski Instytut Sztuki Filmowej, MK2 Films

 


 

Liens externes :


The House That Jack Built, Lars von Trier (2018)

Où est la maison de mon ami ? (Lars)

Note : 2.5 sur 5.

The House That Jack Built

Année : 2018

Réalisation : Lars von Trier

Avec : Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman

Il faut s’appeler Lars von Trier pour oser produire un film à sketchs sur un tueur en série. Problème inévitable, comme avec beaucoup de films à sketchs, on peine à comprendre le lien logique qui réunit cette suite de meurtres grand-guignolesques. On me répondra que ce n’est pas réellement un film à sketchs, et je dirai que je doute que Lars ait construit son film autour de ce seul fil grotesque, mystique et vaseux qui prend essentiellement sa « logique » dans son épilogue. Parce que, oui, ça ressemble vraiment à un film écrit autour de meurtres sans rapport les uns avec les autres, commis par un même personnage qu’on tend peu à peu à dessiner un profil psychologique forcément dérangé, et sur quoi on a brodé un semblant de fil conducteur pour donner à voir une unité que le film ne gagnera jamais. C’est froid et mal compartimenté comme le frigo de Jack, et probablement comme Lars : seuls la mise en scène et le récit des meurtres intéressent le cinéaste danois déjà mort depuis quelques décennies, ce qui fait que, par manque d’unité, on se moque, de notre côté aussi, des liens que leur meurtrier peut avoir avec ses futures victimes. On peine surtout à comprendre ses motivations (les explications psychologiques se révèlent laborieuses et assez peu crédibles). Les spectateurs qui prennent plaisir à se voir à la place d’un psychopathe sans aucune empathie pour ses victimes doivent être rares. En tout cas, pour moi, le cinéma a pour fonction de montrer comment les gens tissent des liens, se déchirent, se rabibochent, et pourquoi. Suivre une succession de sketchs de Grand-Guignol pour voir comment Matt Dillon va s’y prendre pour tuer ses nouvelles victimes, ça ne met franchement pas en appétit. Quant à connaître les motivations refoulées de ce charmant monsieur, ça me laisse, là encore, totalement indifférent. Le film n’aura d’intérêt que pour les maniaques de tueurs en série venant y assouvir leur curiosité morbide pour les différents modes d’exécution d’un tueur — un peu comme on regarde un film porno des années 70, construit sur le même principe dramaturgique d’une suite de saynètes ou de tableaux reliés grossièrement entre eux (une scène n’étant qu’un prétexte à mettre différents personnages dans diverses situations en train de se faire des mamours).

Un mot sur la distribution parce que je n’irai pas plus loin dans le massacre afin de ne pas réveiller les instincts masochistes de Lars (je sais que tu me lis, mon kiki). Grand plaisir de retrouver Matt Dillon avec une partition pourtant difficile : jouer l’apathie d’un psychopathe apprenant lui-même à jouer l’empathie, voilà qui relève de l’impossible gageure pour un acteur. Si ce n’est pas toujours convaincant (mais s’interroger sur les excès de l’acteur revient à s’interroger sur celles du personnage… feignant, grossièrement, des émotions), ça l’est toujours plus que la jeune actrice interprétant la simplette victime du sadisme du tueur. L’actrice semble assez mal à l’aise à l’idée de jouer une imbécile et paraît bien trop sur la retenue pour être réellement aussi bête que nécessaire. Je vante souvent le mérite des acteurs capables de jouer parfaitement les imbéciles. Il y a chez eux une forme de spontanéité, de fraîcheur et d’innocence enfantine, qui est impossible à retrouver par des acteurs en contrôle, conscient de ce qu’ils font, et donc des acteurs intelligents. L’intelligence est souvent la première ennemie d’un acteur. En voyant ce personnage, je me disais que Lars von Trier avait dû fureter sur les réseaux sociaux et tomber lors de ses recherches sur la vidéo d’un type se moquant de sa petite amie incapable de comprendre un simple jeu de division avec des portions de pizza (la vidéo est ici, et le couple propose tellement de vidéos de ce type que ça sent le fake, ce qui en serait d’autant plus bluffant : en dehors du fait que ça donne une image de la femme assez exécrable, il y aurait du génie à feindre une telle bêtise). Bref, je ne saurais trop rappeler à Lars ce qu’une actrice comme Shelley Winters a été capable de faire tout au long de sa carrière. Les acteurs chez Lars, c’est comme le décor au théâtre, quand on s’ennuie et qu’on ne prête pas beaucoup plus attention à la maison que construit Jack, on ne voit que ça… Reviens au mélodrame, Lars. Le dogme de l’horreur proposé depuis quelques films peine à combler les attentes du vieux butineur que je suis, plus attiré par la lumière que par le lugubre. Bisous.


 

The House That Jack Built, Lars von Trier 2018 | Zentropa Entertainments, Centre National du Cinéma et de l’Image, Copenhagen Film Fund


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