Girl Model, David Redmon et Ashley Sabin (2011)

Note : 3.5 sur 5.

Girl Model

Année : 2011

Réalisation : David Redmon et Ashley Sabin

Rencontre de la souris nourrie aux belles promesses et du chat capitaliste. Exploitation des plus fragiles avec au milieu une entremetteuse chargée de rabattre les fillettes. Au Japon, on a gardé la culture de la gestion des prostituées par d’anciennes prostituées, et celle de la pédophilie à peine masquée. Avec le concours bienveillant d’une société proxénète de ses propres enfants : qui donne à lire à des gamines des publicités et de rêves de glamour avec des gueules d’ange ? Qui surexploite l’image des enfants et de la femme ? Si les Japonais ont un problème avec la sexualisation des gamines tout juste pubères, c’est bien la société de consommation toute entière qui exploite et entretient la première ce culte de la jeunesse et de la maigreur.

Le film donne malgré tout peu à voir. On suit une gamine de 13 ans dans son parcours au Japon. Elle en repart pleine de dettes comme au temps des geishas incapables de rembourser la leur. Choc des civilisations, surtout, exploitation ordinaire des forts sur les faibles avec la promesse d’une vie meilleure (la leur, pas celle des exploitées). Le tout sous les yeux complices d’une ancienne mannequin américaine venant glaner les petits culs et les minois innocents au milieu de la Sibérie pour le marché asiatique. Elle et son pote, agent, ont beau disserter sur les risques du métier, la drogue, le passage facile à la prostitution, on les sent à peine conscients qu’ils participent à ce marché de l’exploitation facile des enfants. « Si ce n’est pas nous, ce sera quelqu’un d’autre, alors, autant prendre l’argent, passer quelques mauvais jours en Sibérie ; et puis, on ira se reposer au bord de la piscine », pensent-ils sans doute. Être autant déconnecté du monde tout en passant sa vie à le parcourir. Société aveugle et malade…

Pas de quoi fouetter un chasseur de souris (Arte produit ou diffuse ce genre de films à la chaîne : sur le même modèle, on a déjà vu le film sur la star russe du porno en ligne).

Une pensée pour tous les exploiteurs de la planète pour qui la guerre de la Russie en Ukraine a porté un petit coup à leur business lucratif de la misère (et, du même coup, à celui des documentaires sur la misère humaine et sur les dérives du capitalisme et de la mondialisation).


Girl Model, David Redmon & Ashley Sabin 2011 | Dogwoof, Carnivalesque Films


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Matins calmes à Séoul, Hong Sang-soo (2011)

Retour à Bukchon

Note : 4 sur 5.

Matins calmes à Séoul

Titre original : Bukchon banghyang / 북촌방향

Aka : The Day He Arrives

Année : 2011

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Yoo Jun-sang, Kim Sang-joong, Song Seon-mi, Kim Bo-kyung, Kim Eui-sung, Park Soo-min, Go Hyun-jung

Hong Sang-soo n’aura probablement jamais aussi bien exploré les univers parallèles, les récits répétés, que dans Matins calmes à Séoul. À se demander si dans son cas, ces séquences qui voient double ne sont pas des vies rêvées, oubliées, qu’un alcoolique doit misérablement avoir l’habitude de hoqueter dans sa mémoire avinée.

Aucune cohérence diégétique ou dramatique. Impossible pourtant d’affirmer que ces bizarreries sont les conséquences heureuses et désinhibées d’une volonté consciente du cinéaste d’explorer ainsi les différentes possibilités… quantiques d’une histoire (comme en physique, l’avantage d’une narration éclatée et sans cohérence, c’est qu’on peut toujours avancer l’argument du « récit quantique » : je le fais ici à la place de Hong Sang-soo) ou s’il s’agit des conséquences de divers essais effectués lors du tournage et qui seraient l’intérêt, l’avantage, de procéder par improvisation. Car c’est précisément ce qu’on fait avec les acteurs quand on improvise : on explore. (Au montage et dans les séquences tournées suivantes, on est censé en général trouver une cohérence. Ce dont le cinéaste se moque jusqu’à en faire une marque personnelle).

On ne saura jamais ce qui initie ainsi le mouvement créatif du cinéaste, mais il faut saluer l’audace. Cela a son charme. Et souvent ses limites. L’idée, c’est de trouver jusqu’à quel point cette faculté ou ce désir de jouer avec la cohérence du récit permet de mettre en valeur une histoire. On trouvait les mêmes incohérences (quantiques) dans Oki’s Movie, mais je n’ai pas souvenir de l’avoir vu employer ces méthodes radicales avec le même succès ailleurs que dans Matins calmes à Séoul ou dans Un jour avec, un jour sans.

Pour ses personnages, Hong Sang-soo se contente des recettes habituelles des films romantiques : le thème du croisement est toujours primordial chez lui. On se croise, on se rencontre, mais personne ne regarde vers la même direction. A s’intéresse à B, qui s’intéresse à C, qui s’intéresse à A. Le cinéaste semble nous dire que les personnes se rencontrent en fonction d’ensemble de coïncidences, mais dans de tels triangles où les points tentent toutes les combinaisons possibles pour se rencontrer, on croirait presque les voir danser en rond sans jamais se voir. Lui qui aime tant les allégories animales, je suis étonné de ne pas l’avoir encore vu montrer un chien assez stupide pour chasser sa queue.

Pour ce qui est de la situation de départ, Hong Sang-soo a à nouveau recours au même cliché du retour au pays. C’est pratique, l’occasion est toute trouvée pour multiplier les rencontres, les visites, pour être toujours en mouvement, en quête de quelque chose, en errance même le plus souvent, et les bars finissent toujours par devenir des îles, des havres de paix, derniers endroits possibles où croiser du monde ou les univers, multiplier les occasions et les possibles…

Le plus amusant sans doute aurait été de continuer sur le principe des possibilités parallèles vécues par un auteur alcoolique et révéler (ou suggérer plus précisément comme c’est déjà un peu le cas ici) que la propriétaire du bar (prenant les traits ici d’une femme magnifique) soit en fait une femme quelconque et plutôt laide au réveil. Classique de l’ivresse nocturne. Pour ne pas dire un cliché un peu lourd. Nous laisser, nous, spectateurs, y penser est peut-être mieux… Car en fait, le plus étrange dans cette histoire, c’est que cette femme qui se jette dans les bras de notre héros de passage ne cesse de réagir comme s’il était étonnant « qu’un tel homme » (on parle d’un cinéaste, forcément, qui ne produit plus) puisse s’intéresser à une femme comme elle. Le biais d’autorité masculin semble ici, au mieux, jouer pleinement son œuvre (et produire autant de victimes), mais s’il y a des incohérences dramatiques dans le film en voilà donc une autre psychologique ou logique (je rappelle qu’elle est interprétée par une actrice magnifique). Ça valait le coup d’être aussi odieux avec tout le monde, si c’est pour montrer une telle fragilité une fois que l’ivresse investit son esprit…

À moins que le cinéaste soit en plein fantasme.

La possibilité d’un récit circulaire est aussi fortement envisageable (ce qui ne change rien à l’incohérence du comportement de la fille bien trop facilement attirée par le cinéaste), car le personnage principal reproduit exactement le même type de comportement avec celle qui “ressemble” à l’autre femme chez qui il se rend une nuit (c’est la même actrice). On reste dans l’idée de croisement et de danse où jamais personne ne doit ou ne devrait faire le reste du chemin avec l’autre (concept pratique pour les hommes mariés et les coureurs… en rond).

D’ailleurs, l’alcoolisme apparaît également comme la conséquence possible des relations étranges que le professeur et ancien cinéaste multiplie avec certaines connaissances qu’il vient à croiser dans la ville : certaines, il ne les reconnaît même pas, d’autres, quand il s’approche d’elles, manquent d’amabilité, et lui ne paraît pas comprendre pourquoi. L’alcool vous fait vivre des vies parallèles auxquelles d’autres ont accès à votre place… C’est peut-être toutes ces vies que le cinéaste cherche à retrouver à travers ses films… Et le périple (ou le « retour dans la capitale » pour reprendre la traduction littérale du titre original) sonne alors plus comme un voyage initiatique vers ses vies intérieures : une sorte de retour d’Ulysse sous opium, fait de rencontres étranges et de destins contrariés ou impossibles.

Aussi, si on prend soin de ne relier que les quelques points de rencontre qui sortent du lot et d’en faire à travers un montage une paréidolie qui fait sens, les personnages auront, eux, l’impression de vivre des trajectoires animées par des coïncidences. C’est du moins ce que Hong Sang-soo semble faire dire à son Ulysse (même si on imagine mal le héros d’Homère tenter « in situ » d’expliquer ses mésaventures autrement qu’en évoquant les caprices des dieux). Puisque tout est « quantique », peut-être devrions-nous parler alors de « méta-récit » : le personnage serait à la fois l’auteur de sa propre aventure, le premier spectateur et le meilleur critique. Cela serait sans doute ennuyeux si ce n’était pas si amusant. On songe alors peut-être un peu plus à The Swimmer qu’à Ulysse. Retour absurde et vain.

Et moi qui attends toujours le chef-d’œuvre du cinéaste, peut-être devrait-il pour satisfaire à mes exigences lorgner du côté de Symbiopsychotaxiplasm de William Greaves. Tu viens m’en parler Song-soo ? Avec moi, nul besoin de s’enivrer pour voir double, explorer et tenter l’impossible. Après, je le reconnais, je suis peut-être un peu moins joli que Kim Min-hee. Mais au lieu d’être ta muse, je pourrais être ton alcool. Je suis un déconstructeur : n’écoute pas les flagorneurs qui crient au chef-d’œuvre chaque fois qu’ils voient tes bobines. Tu barbotes depuis vingt ans dans la même piscine : l’eau y est douce et tu y es à ton avantage. Moi, je te propose de sortir de ton confort routinier et de partir à l’aventure, d’explorer la piscine du voisin, et ainsi de piscine en piscine, de rejoindre ton for intérieur, ton Ithaque si longtemps oubliée. Viens Ulysse, réponds à l’appel de ton symbiopsychotaxiplasm ! Mets tes pas dans les miens, laisse l’ivresse limiesque s’emparer de toi, et cours enfin vers ta dernière période créative ! La plus aboutie. Kim Min me suive !

Bref. Toujours pas un chef-d’œuvre, mais peut-être mon film préféré du cinéaste avec Ha ha ha et quelques autres. Peut-être son plus personnel aussi, si on imagine qu’il est (dans une certaine mesure) autobiographique. Et paradoxalement, un film qui lance une période bien plus prolifique en qualité (c’est du moins mon avis). (Période qui coïncide également avec la première rétrospective de ses films proposée à la Cinémathèque française, elle-même suivie par une autre au MoMA : qui sait, peut-être que cela a participé à lui donner confiance, à remettre ses idées à l’endroit après quelques années de gueule de bois, et à lui offrir un peu plus de moyens…)

C’est aussi sans doute l’affiche du film du cinéaste que j’avais vu le plus tourner sans connaître le film. Il fallait, évidemment, que le minois chargé ainsi d’aguicher le public soit celui de Song Seon-mi (qu’on ne reconnaît pas vraiment non plus sur l’affiche). On est cinq ans seulement après Woman on the Beach : à 36 ans, elle cesse enfin de ressembler à une adolescente. Les femmes coréennes commencent seulement à être belles quand elles approchent la quarantaine. De quoi tourner les têtes de nombreux hommes. Et de beaucoup de cinéastes…

Moins glamour : au moment du tournage, l’actrice qui joue la propriétaire du bar, Kim Bo-kyung était atteinte d’un cancer du foie. Après dix ans de lutte contre la maladie, elle en est décédée l’année dernière…

Et, chose plus amusante, le terme “chéri” en coréen est le même qui veut dire “papa” en japonais… L’Extrême-Orient, région des matins calmes et de la piété filiale. Du confucianisme et du confusionnisme.


Matins calmes à Séoul, Hong Sang-soo 2011 The Day He Arrives / Bukchon banghyang / 북촌방향 | Jeonwonsa Film


Sur La Saveur des goûts amers :

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Perfect Sense, David Mackenzie (2011)

Louis l’a vue et s’est senti ému

Note : 3 sur 5.

Perfect Sense

Année : 2011

Réalisation : David Mackenzie

Avec : Ewan McGregor, Eva Green

Le point positif du film, c’est qu’il donne une fois de plus la preuve qu’on peut raconter des histoires de science-fiction pour trois pennies.

Le rôle du cinéma, de mon point de vue, comme les rêves, c’est d’explorer des possibilités, donc des voies nouvelles, pour nos sociétés. La SF est là pour ça, et son variant ici, l’anticipation épidémique, ne semble pas avoir nécessité de grands moyens d’exécution. Inutile non plus d’avoir à proposer un dispositif technique particulier comme pour La Jetée (The Man from Earth en avait également fait la preuve à son époque).

On n’échappe pas, bien sûr, à quelques stéréotypes d’usages : aux quelques dégénérés religieux prédisant la fin du monde (on a bien vu cette année en quoi c’était une idée plus répandue dans les films que dans la réalité, preuve cette fois que, parfois, les possibilités explorées par la SF sont à l’ouest), aux images d’actualités pour donner un aperçu global de la situation, mais sur ce dernier point, c’est assez soft, on se contente de stock-shots ou d’images vidéo semblant presque tirées de banques d’images. On n’échappe pas non plus à certaines images d’Épinal sur la science : une épidémiologiste qui traîne dans un labo avec des animaux en cage, un traitement épidémique pour une maladie inconnue avec des scientifiques qui œuvrent seuls sans en informer leurs pairs ou les autorités.

En revanche, le film aurait pu faire l’économie (dans tous les sens du terme) de tous ses excès hystériques. Allier des sentiments forts à chaque sens est une bonne idée, mais on frise le grand guignol ou à une mauvaise version de Possession de Zulawski. Ensuite, le choix du temps long (ou le traitement de l’épidémie à moyen terme) n’est pas sans poser quelques problèmes dramaturgiques : si on peut y trouver un intérêt quasi technique à voir sur le temps long l’évolution d’une épidémie au sein d’une même communauté, elle dessert tout l’aspect affectif du film. L’histoire d’amour marche ainsi assez mal parce que bien trop déstructurée, d’autant plus qu’au début du récit, on fait un va-et-vient temporel qui nous empêche de suivre convenablement leur première rencontre (le film commence par une scène au réveil après une nuit commune). L’histoire d’amour permet certes d’éviter un des écueils habituels du genre, à savoir s’intéresser à trop de personnages en même temps, mais le film est trop sec sur cet aspect pour qu’on ait réellement envie de croire en leur amour. Et on peut alors légitimement penser que cet aspect romantique du film ne trouve finalement son intérêt que dans la séquence finale (on aurait difficilement pu imaginer une différente fin). Que reste-t-il quand on a ni odorat, ni goût, ni ouïe, ni vue… eh ben oui, c’est la fin des haricots et ça sent le générique.

Perfect Sense, David Mackenzie 2011 | BBC Films, Zentropa Entertainments, Scottish Screen


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Top des films de science-fiction (non inclus)

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L’Exercice de l’État, Pierre Schoeller (2011)

Note : 1.5 sur 5.

L’Exercice de l’État

Année : 2011

Réalisation : Pierre Schoeller

Avec : Olivier Gourmet, Michel Blanc, Zabou Breitman 

J’aurais dû me rappeler à quel point Télérama est rarement une bonne inspiration quand il s’agit de trouver un bon film pour ses soirées. Au siècle dernier, ils n’étaient déjà pas bien brillants pour juger de la qualité du cinéma français, à moins qu’à force de se manger des merdes à toutes les projections presse, on ne finisse par vouloir forcer une mise à niveau de ses exigences vers le bas.

Malheureusement, la réputation du cinéma français actuel n’est pas usurpée. Cet Exercice de l’État est une véritable catastrophe et un petit catalogue de tout ce que les faiseurs de cinéma d’aujourd’hui dans ce pays sont incapables de maîtriser. Et avec une presse allant dans leur sens, à parier qu’une telle somme d’incompétences ne soit jamais à la base d’une remise en question de toute une profession. Les aides à la création permettent au cinéma domestique de se faire, et voir tous ces amateurs vivre de leur médiocrité, c’est en soi pas une mauvaise chose. Le hic, c’est qu’un tel système, s’il aide les gens talentueux, est très probablement un frein à la création, à la création de qualité s’entend.

L’exigence trouve toujours son public, et on a un excellent public en France, peut-être le meilleur du monde, très connaisseur, très exigeant, et qui connaît les limites de son cinéma domestique. J’aurais tendance à penser que si on favorisait la qualité plutôt qu’offrir des aides surdimensionnées à des piètres créateurs, les meilleurs d’entre eux, même avec des styles peu conventionnels, peu populaires, eh bien, ceux-là trouveraient toujours leur public. Or, avec un tel système, on perd sans doute sur toute la ligne : le public se déplace pour des productions dites populaires, souvent des comédies, et souvent là encore de médiocre qualité, mais retourne chez lui probablement toujours un peu dépité, et ce même public, plus confidentiel, mais bien plus important que partout ailleurs dans le monde, très citadin c’est vrai, mais très branché sur Arte et ses découvertes des grands cinéastes internationaux ou sur ses films du patrimoine mondial, lui ira rarement, ou je me trompe, voir des films promus comme celui-ci par une certaine presse (ironiquement parfois aussi produit par les mêmes réseaux). On trouvera alors des exceptions, les exceptions françaises qu’on voudrait tant « conjuguer » au singulier pour en faire une généralité automatique et non des « coups » rares.

L’Exercice de l’État, Pierre Schoeller 2011 | Archipel 35, Les Films du Fleuve, France 3 cinéma

Je fais brièvement le compte de tout ce qui est rebutant, médiocre, jamais maîtrisé dans le film. D’abord, si le sujet est intéressant, si le développement n’est pas si mal tourné, les dialogues sont affreux. Aucun acteur au monde ne saurait être en capacité de les dire : il n’y a rien de vivant dans leurs tournures, c’est écrit comme des dialogues de roman, c’est sec, on échange des idées, on les exprime dans une langue qui est plus celle de l’écrit que celle de l’orale ; et à ce niveau, la tentative de vouloir coller à la langue des politiques se révèle un ratage complet, la maîtrise de la langue « de bois » n’y est pas du tout, précisément parce que c’est une langue de l’indécision, une langue sans « idée », ou avec des idées et des formules qui se rapprochent plus de la rhétorique que du factuel. Bref, ce n’est certes pas une chose facile, mais quand il faut en plus les dire, pour des acteurs, avec leurs défauts, avec leurs propres approximations, ça devient laborieux. Parce que si on trouve dans le film des acteurs qui pour certains ne sont pas si mauvais, non seulement ils sont rarement dans leur registre : Gourmet, j’aurais tendance à penser que c’est un acteur qui improvise, or rien ne l’est ici ; Blanc n’est jamais aussi bon que quand il joue dans l’excès, or, ici, il est tout en contrôle (et ne contrôle pas grand-chose) ; Zabou à la limite s’en tire mieux dans l’affaire.

Mais s’en tirer le mieux, ça pourrait suffire si à côté de ça, un véritable directeur, avec une connaissance des acteurs, une oreille, un sens du rythme, une capacité à mettre ses acteurs en situation, était capable de faire le job. Et là, je ne sais pas d’où il peut sortir ce Schoeller, mais il donne l’impression de n’avoir jamais dirigé un acteur de sa vie. Je veux bien que pour certains, aider les acteurs à évoluer dans l’espace, définir leur position et posture, ce ne soit pas si naturel, mais l’oreille, l’oreille, ce n’est pas ce qu’il y a de plus difficile : quand un acteur dit mal son texte (et avec un tel texte, c’est assez fréquent), on lui fait redire, on essaie une autre tournure, on lui propose de le dire autrement, de trouver une certaine aisance, ou une liberté, pour que ça sorte mieux et qu’il s’approprie le texte. Parce que sur la composition, il n’y a aucun problème, chacun jouant ce qu’ils sont dans la vie (et en dehors du problème, sur un plateau, de ne pas évoluer dans son meilleur registre) ; le problème, il est bien dans le « dire ». Il n’a pas trois secondes de dialogues qui heurtent les oreilles, comme des fausses notes qui viennent continuellement nous interdire de croire en ce qu’on voit. On voit des acteurs jouer (mal), plutôt que des personnages dans une situation… Pour tout dire, à la limite, celui qui s’en tire mieux que tous les autres, c’est le chauffeur : quelques bricoles à dire, des répliques de taiseux, et ça roule beaucoup plus naturellement que pour tous les autres. Faut savoir adapter ses exigences à ses qualités, Schoeller devrait se lancer dans la suite de La Guerre du feu.

Affligeant donc, comme assez souvent je dois dire. Il m’arrive de succomber, de vouloir y croire, un peu, et d’être intrigué par les appréciations de certains… Et puis, et puis… voilà, c’est tellement mauvais que malgré un sujet qui avait tout pour me séduire, il n’y a plus qu’une chose à faire : fuir.

Seinbol de l’impuissance


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Le Gamin au vélo, les frères Dardenne (2011)

L’échappée inachevée

Note : 3.5 sur 5.

Le Gamin au vélo

Année : 2011

Réalisation : Les Dardenne

Avec : Thomas Doret, Cécile De France, Jérémie Renier

Il y a quelque chose de frustrant chez les Dardenne. On reste toujours plutôt émerveillés par la manière dont ils arrivent à diriger leurs acteurs, mais les histoires ne vont jamais au bout des choses et donnent une étrange impression d’inachevé.

Le procédé est répété à l’infini, film après film (semble-t-il) : un objectif très ancré dans la réalité, on s’y fixe, on montre les à-côtés, puis on ouvre sur autre chose censé être le négatif de ce qui précède (comme une résolution).

C’est habile, sauf que pour illustrer cette simplicité apparente du récit, les Dardenne n’offrent toujours que des séquences bien fichues sur le simple plan formel puisqu’on y est, le savoir-faire naturaliste est indéniable, mais on ne fait jamais que survoler sans prendre le risque de se poser et d’offrir du relief, de la profondeur, du cœur. C’est presque trop clinique, il en faut pour poser des constats, mais si on ne transcende pas son sujet, si on ne le bouscule pas, on reste de bons élèves, on convainc une bonne partie des spectateurs, mais le constat au final sonne creux parce qu’il ne débouche sur rien.

Les grandes limites de l’improvisation dirigée. Parce qu’on ne peut pas demander à un acteur, encore moins un enfant ou un acteur non professionnel, de nous sortir tout d’un coup une bonne réplique, de proposer une interprétation plus nuancée provoquant la fascination chez le spectateur. C’est comme la vraie vie, et c’est bien là le problème. La vie n’apporte pas ce petit plus qu’offrent les excès d’une tragédie ou d’une fable. Les Dardenne semblent réinventer la peinture en utilisant un appareil photo et réclament qu’on s’extasie devant l’authenticité de la reproduction. D’accord, on s’y croirait, mais le propos, le sujet, le fond, ça devient quoi ? On montre une réalité difficile, on est les témoins du monde dans lequel on vit, et après, qu’est-ce que nous, spectateurs, pouvons en faire ? Rien. Il y a des films qui sont lourds à chercher à nous orienter vers une morale, une conclusion, et il y en a d’autres qui par facilité se réfugient dans le refus permanent d’offrir un regard sur ce qui est montré. L’art est toujours question de choix : il y a les choix qu’on nous impose, et ça fait de mauvais films ; les choix qu’on nous présente, ou suggère parfois seulement, et avec lesquels on laisse les spectateurs libres ; et puis il y a l’absence de choix, la facilité du constat timide et bienveillant, et ça, c’est le cinéma des Dardenne.



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Samsara, Ron Fricke (2011)

Peeping Tom, ou l’agonie rêveuse d’un somnambule égaré

Note : 2 sur 5.

Samsara

Année : 2001

Réalisation : Ron Fricke

Samsara est une expérience non verbale ? Eh ben, ce commentaire aussi. Façon diarrhée taillée à la serpe, dans l’amour et la contemplation, malaxée entre les mains de Shiva, contrepétrie au fournil par mes soins.

Désolé de ne pas y mettre les formes. I had a dream. À la vue de cet objet filmique, j’ai rêvé que ma cervelle se répandait tout entière dans une pluie de confettis et qu’un mille-pattes en avait enregistré des bribes. Un âne aux abois n’y retrouverait pas son anus.

C’est beau et vulgaire, donc. Je ne voudrais pas dépareiller avec le film.

Samsara, c’est quoi ? D’abord une épouvantable musique de trou de balle. L’impression d’avoir un micro planqué au plus près de la cuvette d’un Crésus constipé. Les images ne sont là que pour faire patienter sa peine comme on comble sa trouille du marron qui ne vient pas avec les images glacées d’un Geo. C’est aussi… la beauté qui soulage et lubrifie les voies basses avant le grand plouf… Ayant déjà dû me farcir toute la collection, entre Koyunuctaboul, Barakaca, Chronus ou Ashes and Snow, j’ai les intestins lavés de près comme si Hercule y avait mis la langue, je ne peux donc juger des vertus laxatives de ce nouveau morceau et fais confiance à ceux qui se le garderaient au cul. En attendant, il me faut bien évaluer cet opus, la tirelire à sec. Mais le mors aux dents.

Mon poilu, le montage au cinéma est toujours discursif, signifiant, narratif. Un plan répond presque toujours, même sans intention de le faire, à celui qui précède. C’est à la fois la force et la faiblesse du cinéma. Parce qu’à la manière des tireurs de tarot, les signes sont là, reste à celui à qui ils sont destinés de les interpréter. Autant lever les yeux au ciel pour y voir des animaux ou des visages connus dans les nuages. Au début du film, ça ne fait même pas semblant, on cherche désespérément le lien (ou plutôt, on a la flemme de chercher), on se laisse bercer par la bêtise ronronnante du montage en espérant que tout ça défèque un jour à quelque chose. Seulement, on l’aura compris, encore plus qu’avec les autres, rouler à vide n’aide pas à se laisser envoûter par le popo du film. Et à défaut de pouvoir laxer… ça lasse.

Samsara, Ron Fricke 2011 Bali Film Center, Bang Singapore, Bullet Productions (1)Samsara, Ron Fricke 2011 Bali Film Center, Bang Singapore, Bullet Productions (3)

Plein de bonnes intentions, faute de mieux, je fais un créneau sur mon trône et cale ma lassitude hâtive au fond des talons. Mais rien n’y fait, quand ça fait tout un cinéma d’un catalogue de posters épars, pourquoi chercher encore à se tapisser les yeux avec de nouvelles images « qui en jettent » quand mes larmes ont déjà fait couler de leur orbite, et en un clin d’œil, toutes les affiches des films précédents ?

Bon, ça vient ?… Je vais lire le Geo de novembre en attendant.

Combien de fois va-t-il falloir se farcir ce même patchwork d’images insignifiantes, belles ou laides, trempées dans un discours lâche comme la diarrhée du petit Marcel ? Du champ, nos yeux ne verront qu’un folklore chloré, qu’un monde sous cloche agité pour en animer des figures mortes. C’est beau comme un étron pâtissier. Ça scintille après glaçage, ça chatoie comme un manteau d’Arlequin ou comme des jumeaux vairons, on fait mumuse à comparer les images, à opposer le laid au beau, à scruter les assemblages dépareillés, mixtes et cocasses. Bref, ça nous pisse dans le fond de l’œil et ça permet de nous laver la tête des merdes qu’on aurait bien pu, nous, animaux vulgairement intelligents, se foutre derrière les yeux.

Le beau tomisé.

La lumière fume la rétine, cristallise les neurones, et la vérité du beau doit jaillir comme une boule de feu intérieure. Mais surtout, hein, sans direction, sans signification (ça tombe sous le sens). Car une fois cramés, on doit rester la gueule bée devant le miracle du monde, s’agenouiller devant le Beau, et lui offrir, l’échine courbée comme le “s” vadérétrochristique de “vénération”, la preuve de notre parfaite docilité : notre émotion.

Nous voilà oints de lumière — reflet de notre âme servile. Repus de desserts lactés, on se tient au garde-à-vous devant la quenelle de Saint Jean. On se rince l’œil, on pleure, et ce n’est que bonheur, car on s’en lave les mains. On se sèche alors les yeux : ne reste rien d’autre que cette lumière imprimée dans le fond de l’œil, comme une ombre persistante et claire — souvenir incandescent des festins éphémères.

Sans consistance aussi : c’est un chaos de couleurs sans verbe, des images pronominales bariolées de fausses idées auxquelles le spectateur finira bien par y déposer son compte.

L’illusion s’épuise dans sa merveillescence. La tache fantôme qui illuminait autrefois le cul de l’œil flétrit dans un pesant silence. La lumière diffuse laisse place à la raison, et on comprend que le folklore samsaresque est un package vulgaire de cultures, un foisonnement d’images foutraques, un « savoir ancyclopédique », un guichet vers le ravin aux fraises, un portillon à trois verges bandées comme le tabouret traversier donnant accès à ces peep shows qui nous laissent entrevoir le meilleur à l’entrée pour mieux nous plumer à la sortie. Des guirlandes de belles images dégobillées sur le tapis. De l’abondance fuchsia, affriolante et gesticulante comme un boudin encore fumant dans ses entrailles. Vas-y mon frère, sers-nous ta bouillie d’images pompières, ton éructation de couleurs tous azimuts, dans l’âtre fourbu de notre foie. Oui, encore, oui, oui… ! Que de beautés vulgaires ! Queue de la guiche trou de balle !

Et tout finit en urine. Couronné comme il se voit au trône de nos envies.

Non, Samsara n’a rien d’un documentaire, c’est tout Rome en somme. Le coup de l’humanité vue de loin par les yeux du grand néant, de la bouteille à la mer retournée à son expéditeur faute d’adresse, ça marche peut-être une fois quand Carl Sagan fait plaquer la carte d’identité de la Terre sur un disque en or avant de lancer Voyager dans le cosmos. Pas besoin d’y revenir cent fois, avec mille images différentes, comme pour nous dire : « Ah merde, en fait, toutes exhaustives qu’on pensait être les versions précédentes, on y aurait bien vu ça aussi, et pis ça, et ça… ». Le message est connu de tous et nous sommes incapables d’en faire quelque chose. Si on veut rester sur cette voie, ça ne sert à rien d’enfoncer le clou des évidences comme s’il y avait encore quelqu’un à convaincre du contraire. Il faut se mettre à proposer des réponses, à voir plus loin. Le constat a cela de parfaitement ennuyeux, et de pratique, qu’il n’est jamais remis en cause. La question n’est plus là. Du « on est tous beaux, et putain, vous savez qu’on va en crever ? alors mettons tout ça en boîte ! », on nous le sert à toutes les sauces. Au menu ce soir avec Samsara : la beauté du monde, sauce curry. Est-ce que tu as autre chose à dire ou est-ce que tu comptes t’émouvoir jusqu’à plus soif ? Parce que là, avec tes images belles et dignes comme un catalogue d’obsèques, tu ne fais que t’égosiller comme un âne qui s’émeut de son sort sans capacité ni volonté véritable de s’émanciper. Ta liberté, c’est de t’émouvoir, et de t’indigner… Et après ? bah tu manges ton foin et t’avances. Tous les ânes sont contents : d’abord tu hennis, ensuite tu cavales. « Mais hé ! j’ai henni avant, hein ! J’avance moins con. »

Le monde est toujours beau dans sa laideur. Un lépreux qui se casse la gueule, c’est beau, parce que ça tombe en morceaux et ça fait de belles images au ralenti dans la poussière. Vois, regarde, émeus-toi, mais surtout, évite de comprendre. Regarde, émeus-toi, hennis, et accepte ton sort en chantant le sutra du démon. Parle à mes mains, demande à la poussière, parle à mon cul, ma tête est malade.

Samsara, Ron Fricke 2011 Bali Film Center, Bang Singapore, Bullet Productions (4)Samsara, Ron Fricke 2011 Bali Film Center, Bang Singapore, Bullet Productions (5)

Avant le disque de Voyager, l’humanité avait envoyé une autre bouteille à la mer : la plaque de Pionneer. Et cette plaque présentait un homme et une femme étrangement statiques dans leur posture. On se disait : « Oh, mais l’homme a le bras levé, les extraterrestres ne vont-ils pas penser que tous les hommes ont la main ainsi levée ? ». Samsara fait la même erreur. Comme d’autres films de ce genre qui sont des best of, des cathédrales vides. L’instantané fige l’homme dans une posture qui préfigure déjà sa mort. La caméra glisse sur le monde, et le monde, lui, n’est déjà plus là. Ce sont les travellings de Nuit et Brouillard dans les camps : on ne filme de la Terre que ses fantômes, et il suffit presque d’en saisir un instantané pour lui donner le coup de grâce. Le « c’est dans la boîte » du chef op’ content de ce qu’il voit, c’est le même que celui du fossoyeur quand il nous dit son dernier adieu. Un cliché et tu meurs. Un clic et tu claques. Ces portraits d’hommes et de femmes sont des natures mortes d’hommes lobotomisés, des zoos d’images du monde où on laisse mourir nos beautés et nos laideurs en espérant les préserver telles quelles afin de pouvoir dire : « Voilà, c’est nous, sans fards ». Ou presque, hein, on n’oublie pas le curry.

On laisse la place aux apparences, au superflu, et on estropie le monde et les hommes de ses meilleurs atours : le langage, l’identité, l’histoire, l’intelligence… Tout cela est vaporisé par le 70 mm. Ces hommes robotomisés sont des zombis perdus à danser dans un nuage d’opium, et ceux qui les regardent sont condamnés à devoir y trouver une source de plaisir continu, infini, parce que capté dans la grosse boîte à images qu’est le cinéma. Écran large, écran total, y a plus rien qui rayonne.

Allez, arrête de tortiller du grêle, fume un joint, tu verras des éléphants roses et ça ira mieux.

Ah, la drogue, t’en prends une fois “pour voir”, en reprendre pour se perdre dans les excès folkloriques des contrées lointaines, c’est oser “le tapis”, faire face à la Mort et, en attendant qu’elle nous cueille, regarder défiler devant ses yeux toutes les beautés du monde… « Oh ! comme c’est beau… ! Ces images du monde ! »

Le petit chat est mort, mais je ne veux pas mourir. Assez d’images tendres qui tirent le catalogue des splendeurs du monde, si c’est pour me dire que tout cela sera bientôt crevé ou l’est peut-être déjà un peu. Parce qu’accepter sa mort prochaine quand elle est inéluctable, d’accord, mais ça devient obscène de vouloir montrer l’agonie en carte postale, comme s’il y avait de la beauté à voir disparaître le monde, à le voir tourner en rond, à le voir si absurde, ou beau, et de se dire : « Oh putain, tout cela est préservé parce qu’on a eu le temps de le mettre en boîte ! ». Les éléphants roses, ça ne vole pas dans le ciel, ça crève, ça agonise mais c’est encore là, et quitte à être convaincu de leur disparition, je préfère au moins en savoir plus sur eux, plutôt que me voir proposé des éléphants roses, ou blancs, traçant le ciel comme des comètes et faire un vœu pour sa sale pomme de merdeux ému.

Beauté de catalogue, encore et toujours. Constats sans issue. L’empaillage du monde sur papier glacé… Saloperie de cortège funèbre devant laquelle non seulement on reste impuissants, mais surtout, devant laquelle on doit encore et toujours s’émouvoir, comme forcés de se mouiller les yeux à la vue du Radeau de la Méduse. Posters, posters, posters-cravatte, et encore des posters. Ça s’encadre, ça donne l’illusion de préserver la nature des choses quand on ne fait que précipiter et accepter sa propre mort. Capturer le monde en 70 mm ne nous préserve pas de notre indifférence. Une fois mis en boîte, on l’ouvre, on renifle, on jouit, on pleure, ça disparaît, et on referme tout ça sagement avec la certitude d’avoir vécu quelque chose.

Rince-toi les yeux, et avec tes larmes, lave-t’en les mains.

Alors oui, en plus d’être vide et désincarné, le film, avec son air de pas y toucher, façon customize your own point, ou pose ton cerveau, ceci est une expérience sensassorielle, ça nous fait un chantage en trompe-l’œil. Parce que c’est beau merde, il faut que tu te laisses attendrir. Et pis c’est tout. Montrer cent fois la même chose, ce n’est plus dénoncer, ce n’est plus ouvrir des boîtes, c’est les multiplier industriellement pour les servir prêtes à la consommation. « Un documentaire ? Sur place ou à emporter ? ».

À partir d’un certain seuil, on ne montre plus sans écœurer, on ne dénonce plus, on ne défonce plus les boîtes ouvertes et on ne tire plus dans le poncif flamboyant façon puzzle. On fait, on propose, on expérimente, on ne se contente plus de montrer. On dé-montre. On adopte un discours. On baisse son froc. On ne se flatte plus sinon que de son opportunisme de pompes funèbres. On fusille le monde pour lui donner le coup de grâce.

Un hymne à l’ignorance.

Les images se succèdent sans qu’on ait la moindre idée de ce qu’on regarde. Tu trouves un trésor dans ton jardin, t’en profites pour toi seul, parce que c’est beau, ça brille, et putain merde, un trésor ! tu te fous de savoir ce qu’il y a derrière, les informations qu’il contient et qui ont plus de valeur que lui. On adopterait au moins l’angle du mystère, on simulerait un semblant d’unité à toute cette pièce multicolore, mais non, même pas, on s’en fout. C’est beau, c’est coupé à la serpe et c’est assez. La Mort en fait des confettis et danse le sirtaki ; et nous, on trouve ça joli. « Regarde et chante. » La mort aux dents, et le sourire aux lèvres.

Et celui qui voudrait dire non, qui chercherait un sens à tout ça, qui voudrait en savoir plus sur ce qui se cache derrière ces images, serait comme THX dans le film éponyme de Lucas. Un paria vomissant la drogue qu’on lui inocule et se tirant vite fait du monde sous cloche qu’on a concocté pour lui. L’absence de discours, le constat béat qui n’appelle plus de solution, qui se résigne à crever dans l’opium, en est en fait un, de discours. Le plus terrible : « Il t’est interdit de penser ; ne cesse jamais de t’émouvoir. » Jouis, jouis, toujours, vermine.

Opposer même la beauté du beau à la beauté du laid procède d’un autre triste constat : la mort de la raison.

Des images qui sont la contemplation d’un champ du cygne sans limite. Regarde-toi crever, Dieu. « Hé, tiens, tu ne voudrais pas partir sans la note, tout de même… Hé, voleur ! Au voleur ! »

Et puisque moi aussi, je chie mes commentaires dans une diarrhée contemplative pulvérisée à la serpe, j’en reviens à la musique. Elle peut, parfois, contribuer à la formation d’un discours, à le suggérer tout du moins. Pour cela, il faut user du contrepoint, des fondus de montagne, de divers procédés qui fassent sens, et proposer une unité d’ensemble à tout un fatras d’images sans rapport. Trop compliqué, ou inutile sans doute, quand le but est ailleurs. Décoratif. Le contrepoint ne viendra jamais, et la musique est au contraire une nouvelle injonction à se prosterner devant la beauté hiératique des images. Uniquement des images. Images sans paroles… Des petits riens de pète-culs qui brassent de l’air comme on agonise dans le désert, la langue sèche et pendante, à regarder un mirage comme une révélation tandis qu’on a le cul qui lâche ses derniers paravents et qu’entre deux ou trois spasmes funestes, les viscères rendent leur dernier souffle. Beau finale, je veux la même musique à mon enterrement. Le même gargouillis suppositoire. Aux regards vides et sinistres succèdent divers masques mortuaires, on s’invite aux funérailles du monde et on devrait trouver ça joli.

« Souris, le petit oiseau va sortir. Et tu vas crever, peeping Tom. »


Samsara, Ron Fricke 2011 Bali Film Center, Bang Singapore, Bullet Productions (2)

Samsara, Ron Fricke 2011 | Bali Film Center, Bang Singapore, Bullet Productions


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L’Apollonide, souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello (2011)

Ça bande mou

L’Apollonide

Note : 3 sur 5.

Année : 2011

Réalisation : Bertrand Bonello

Avec : Noémie Lvovsky, Hafsia Herzi, Céline Sallette, Jasmine Trinca, Adèle Haenel, Alice Barnole

Techniquement, en dehors des actrices, c’est tout de même très faible. Suffit pas de foutre des dorures, des lumières tamisées et des filles à poil qui tirent la tronche comme dans un défilé de mode pour que visuellement ce soit réussi. C’est pompeux, oui, mais que c’est pauvre et vide… Au moins, le titre ne ment pas. Il est bien question de « souvenirs ». Parce que le scénario est en carton et ne mène nulle part. Il prétend, il simule, comme dans un rêve, comme ces putains. Des éléments épars, des thèmes récurrents, une pseudo-vengeance en toile de fond pour faire tapisserie, mais ça ne ressemble à rien. Le sens de tout ça ? de cette fin ridicule ? On ne sait pas, et on s’en fout. C’est juste beau. Oui, non, c’est vide comme le cœur d’une pute. Sous les apparences d’un message, il y a la prétention d’un grand vide qui demande qu’on s’y engouffre. On demande juste au spectateur de payer avant.

Il y a deux intérêts au film, toutefois. L’aspect documentaire. En dehors du langage qui est typique des petites Parisiennes du XXIᵉ siècle, j’imagine que les détails sont justes. C’est informatif. Ensuite, il y a les comédiennes. En général, si on a Noémie Lvovsky, c’est que l’on comprend qu’elle, elle a la technique. Toutes les filles sont justes, à quelques détails prêts qui auraient pu être gommés avec une direction d’acteurs digne de ce nom.

Parce que là encore, la mise en place est très pauvre. On sent une volonté de ralentir l’action, d’instaurer une ambiance lourde, seulement le réal n’y parvient jamais. Les acteurs, quand ils sont bons, il arrive aussi qu’ils gesticulent, c’est le revers de la médaille. Le rôle du metteur en scène est d’aller contre ça, surtout quand on veut créer une pesanteur, une lenteur, une certaine artificialité. Alors, il leur fout des masques pour essayer de les déshumaniser, et ça rappelle Fellini ou Kubrick. C’est lourd de sens, oui… Bienvenue dans le monde merveilleux du poncif. Une pute, c’est un pantin. Merci de bien écarter les jambes, je n’étais pas sûr d’avoir bien vu. Contre la futilité, il y a la technique, la rigueur, la suggestion, le non-dit. On gomme le superflu. Pauline disparaît, c’est très bien, on n’explique pas. Tout le reste est trop explicatif et souligné. Tu as vu, tu as compris le message ? Non, je n’ai rien vu. Je vois une pesanteur qui s’aplatit plus qu’elle n’envoûte. Il ne faudrait pas se laisser prendre par les apparences, et la futilité du vide.

Il y a un (non)sens de l’esthétisme ou de l’ambiance, de nos jours, qui me laisse assez dubitatif. Ah, on pouvait bien se foutre de certains réalisateurs à l’époque de l’âge d’or d’Hollywood (ou… de la « qualité française ») qui n’étaient que des décorateurs pour des films sans auteur, des produits de studio… Eh bien, ça manque. Entre une publicité pour un parfum et un grand film, on dépense la même chose, et le résultat est identique. Ah, et, on retrouve des « auteurs » appelés pour « réaliser » ces mêmes films (Godard, l’auteur, ne faisait pas autre chose d’ailleurs, forcément schick). Il y a plus de vie et de magie dans un vieux film de la MGM que dans ce machin.

L'Apollonide, souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello 2011 Les Films du Lendemain, My New Picture, Arte France Cinéma (1)_

L’Apollonide, souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello 2011 | Les Films du Lendemain, My New Picture, Arte France Cinéma

L'Apollonide, souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello 2011 Les Films du Lendemain, My New Picture, Arte France Cinéma (2)_L'Apollonide, souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello 2011 Les Films du Lendemain, My New Picture, Arte France Cinéma (3)_


Réponse à un commentaire :

La dramaturgie ? Elle est réduite à néant. Parce que Bonello ne maîtrise pas les codes, les techniques, qui permettent de raconter une histoire.

Les références ? C’est bien pour moi le problème de ce type de cinéma. Raconter une histoire, ce n’est pas balancer des références, jouer des symboles ou faire de citation. Faut laisser ça aux petits-bourgeois qui s’écoutent parler dans un dîner en ville. Faire une citation, il n’y a rien de plus facile. En faire, deux, en faire trois, ce n’est pas plus dur. Et les enfiler comme des perles, pardon, des boules puantes, ça ne prouve en rien une quelconque capacité à « produire du drame ». Puisqu’on est bien dans une maison close, au mieux, c’est un amoncellement de cons qui demandent qu’ils soient payés quand on les tripote. Une référence, il ne suffit pas de l’agiter comme en grelot pour qu’elle vise juste.

On peut parfaitement rester dans une évocation, la chronique. Et c’est probablement l’intention du réalisateur. Le récit est par conséquent a-dramatique (si tant est qu’on puisse s’entendre sur ce que ça pourrait dire). C’est le concept de « production dramatique » rapporté au film qui me paraît être une étrangeté. Je n’en ferais pas un argument contre Bonello. L’intention de « produire » un récit « a-dramatique » me paraît évidente ; c’est l’exécution qui à mon sens poserait plus problème.

On adhère ou pas, c’est certain. Mais ça me paraît un peu facile de juger un film à travers ses intentions (supposées, qui plus est). Si on est dans l’évocation, reste à juger la maîtrise formelle, technique, ce qu’on pourrait appeler « savoir-faire ». Ce n’est plus un travail de scénariste, mais de metteur en scène. Il ne suffit pas d’écarter les jambes et d’évoquer un tableau pour pouvoir qualifier l’image produite de picturale. Encore faut-il mettre en scène cette citation, référence ou évocation. Je citerai de mon côté Kubrick et Fellini. On voit très bien la différence dans la maîtrise formelle entre deux génies de la mise en ambiance, capables de proposer des évocations sans doute pleines de références, mais la poésie émanant des images se suffit à elle-même sans avoir à passer par autre chose. C’est par exemple notable dans la scène du bain au champagne : Bonello ne maîtrise rien de ce qui se déroule devant sa caméra, tout intimidé sans doute qu’il est à devoir mettre en place des corps, des décors, des accessoires ou des angles de caméra.

Chacun sa vision du cinéma, ce n’est qu’une question d’adhésion. Quand on parle pour ce film de « définition de la prostitution », on fait le choix de ne plus être dans l’évocation (ce qui relève pour beaucoup du cinéma), et il n’y a plus de définition à donner… pour le spectateur. Dès qu’on veut forcer le sens et trouver une logique aux images, on tombe dans l’explication (ce qui relève plus de l’exégèse que du cinéma). Toute œuvre, si elle peut user de figures de style pour mettre en scène des idées, pour illustrer une action, n’a pas, à mon sens, à définir quoi que ce soit. Simplement parce qu’on ne trouverait pire moyen pour se faire entendre qu’une « production artistique ». Un auteur à travers elle ne dit pas, il montre. On ne peut pas être à la fois celui qui interpelle et celui qui interprète. L’auteur et le spectateur.

Dans l’interprétation de ce genre de films, il y a donc pour moi non seulement un problème dans l’exécution des « évocations » (un manque de maîtrise, de poésie…), mais une prostitution même du rôle des évocations dans une œuvre quand on veut leur donner un sens. Si l’on prend Eyes Wide Shot par exemple, les interprétations peuvent être multiples, mais la mise en scène reste dans l’évocation, le rêve, et ne force jamais une interprétation ; Kubrick laisse juge le spectateur, qui même sans chercher une « explication » à ce « salmigondis d’évocations » peut se contenter des images présentées avec maîtrise comme un voyage nocturne. Il est certain qu’il faudrait un autre savoir-faire que celui de Bonello pour arriver à nous faire voyager dans le huis clos d’une maison close (à deux occasions d’ailleurs, il est question de l’enfermement dont sont victimes les prostituées, chaque fois, c’est amené par les dialogues ; et jamais la mise en scène ne pense à évoquer justement cette thématique ; plus qu’en enfermement, ce qui ressort de la mise en scène, c’est l’ennui des prostituées ; et quand elles viennent à sortir ensemble, c’est présenté comme une simple sortie au bord de l’eau en référence sans doute à Manet et à Renoir père et fils ; le thème de la prostitution est déjà loin).


L'Apollonide, souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello 2011 Les Films du Lendemain, My New Picture, Arte France Cinéma (4)_L'Apollonide, souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello 2011 Les Films du Lendemain, My New Picture, Arte France Cinéma (5)_L'Apollonide, souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello 2011 Les Films du Lendemain, My New Picture, Arte France Cinéma (6)_


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The Tree of Life, Terrence Malick (2011)

Je suis une pomme… Non, ce n’est pas ça.

The Tree of Life

Note : 3 sur 5.

Année : 2011

Réalisation : Terrence Malick

Avec : Brad Pitt, Sean Penn, Jessica Chastain

2011 : Odyssée de l’espèce

Autant Kubrick, je peux rentrer dans son trip, je vois la cohérence ; autant là, Malick, c’est une espèce d’ennui cosmique… Poème de la destinée humaine à travers le cycle de la vie, la nécessité de suivre la grâce des éléments (je n’ai pas capté la différence entre la « nature » et la « grâce », mais c’est un philosophe Malick, attention…, si on est largué, c’est parce qu’on n’a pas été attentif en cours de philo…), et essentiellement le rude apprentissage d’un père plus exigeant avec ses gosses qu’avec lui-même. Un homme donc, un vrai. Un con. Parfaitement antipathique ce personnage de Brad Pitt. Difficile à suivre quand un personnage est aussi lourd tout au long du film, avec ses leçons de morale à deux balles. Eh oui ! C’est ça la destinée de l’homme : prétendre qu’on vaut mieux que ses paires, exiger de ses gosses qu’ils fassent mieux que nous. C’est le progrès… Malick voudrait au contraire qu’on pose notre cul sur l’herbe et qu’on compte les étoiles. C’est beau la grâce…, mais qu’est-ce que c’est chiant. Un film personnel, oui. Wako, I guess, c’est là qu’il a passé son enfance… Bien gentil tout ça, c’est un poème qu’il s’adresse à lui-même. Ça ne nous concerne pas. En quoi ai-je besoin d’un mec qui me dise que la nature, c’est beau ? Je le sais déjà. Ode à la niaiserie, au gnangnan. Ah ça, des portes ouvertes sur les jolies plages au coucher du soleil, il sait faire. C’est beau, ça n’en reste pas moins un cliché. Il n’y a rien derrière sinon du pipi de chat. C’est qu’il faut se les farcir les déclarations pompeuses à la vie, à la grâce, à je ne sais quoi. Sauf que Malick avec ses leçons perpétue la tradition familiale du paternel donneur de leçons. Les leçons, c’est bien quand il faut tout un film pour nous y amener. La morale chez La Fontaine, elle est à la fin. Il faut tout un cheminement pour nous ouvrir les yeux. Là, il commence direct avec les leçons. Il ne faut pas le dire, il faut le montrer. Ah, ça parle peu dans un Malick, mais dès qu’il l’ouvre, c’est pour enfoncer des gros poncifs dans la pierre.

Sur le fond donc, zéro. Beaucoup d’efforts pour un message niais et simpliste, qui ne se donne même pas la peine de faire la démonstration de ce qui est avancé.

Reste la forme. Je passe vite fait sur les images. OK, c’est beau. Malick prend le temps de filmer tout ce qui l’entoure en attendant que quelque chose se passe, au crépuscule de préférence ou en faisait mumuse avec l’eau, les feuilles. Ce n’est toujours pas ça l’essentiel. Car il y a quelque chose qui sauve le film dans la forme narrative. Dans la forme générale, vu qu’il faut raconter une histoire et qu’il n’y en a pas (c’est un poème qui est une suite d’évocation de vie, de tranches d’éducation, de sensations vécues durant l’enfance, etc.). Mais au niveau du récit à l’échelle des séquences, c’est là que c’est plus intéressant. Malick use à plein des leçons de déconstruction de Godard ou de Lars von Trier. Pas de continuité chronologique. Des cuts partout. Des inserts avec des plans d’une autre scène d’une autre époque. Tout se mélange. Bref, c’est un peu comme tout était écrit avec des phrases nominales. Il y a des chapitres (séquences), mais s’il y a des phrases, elles n’ont pas forcément de verbe. Il n’y a pas de paragraphe. La phrase nominale permet à un mot, un verbe, de n’être qu’une évocation. Ça permet surtout un mode de récit plus rapide, plus intuitif, mais aussi du coup, — et c’est là où ça devient un peu gavant — totalement incompréhensible. Ça l’arrange bien le Malick, vu que c’est de la poësie. Ce n’est pas fait pour être compris… C’est sa vision des choses. Il montre plus qu’il ne raconte. Il ne prend pas le risque d’être contredit puisqu’il ne parle une langue que lui seul peut comprendre. Alors certains vont s’extasier devant la beauté de sa langue comme on s’émeut devant un Opéra chinois, devant un cantique, un morceau de Bach. « On ne comprend rien mais c’est beau. » On voit ça au théâtre, tu peux dire « passe-moi le sel » comme on dit « je t’aime » et tout le monde trouve ça formidable. Aucun sens, mais tellement poignant. Ce qui compte, c’est l’émotion…, le sel de la vie.

De bons moments sympas, mais creux. Probablement plein de sens pour Malick. Des images qui lui sont tout à fait personnelles. Mais il se fout pas mal de partager ce qu’il ressent. Évoquer c’est bien, en général. Quand on peut déceler où on nous mène. Là, on n’aura jamais le fin mot de l’histoire. On a fait un joli voyage sur la grande roue. On a pris un peu de hauteur. Mais au final, on n’a rien vu de plus que ce qu’on connaissait déjà. Il ne nous révèle rien sur la vie, le monde ou nous-mêmes. « La vie, c’est beau. » Comme dit le personnage de Brad Pitt à un de ses gamins : « Essaye cinq minutes de ne dire que quelque chose qui te paraîtra essentiel pour voir ». Pari perdu, Terrence. Tu as de la chance que je ne me sois pas levé de table : j’ai écouté ton chinois jusqu’à la fin, je peux partir maintenant ?


The Tree of Life, Terrence Malick 2011 | Cottonwood Pictures, River Road Entertainment, Fox Searchlight Pictures

 


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Une séparation, Asghar Farhadi (2011)

Juste la vérité

Une séparation

Note : 5 sur 5.

Titre original : Jodaeiye Nader az Simin

Année : 2011

Réalisation : Asghar Farhadi

Avec : Peyman Moaadi, Leila Hatami, Sareh Bayat

TOP FILMS

Quel film ! Quand on voit : film iranien, on pourrait se dire, d’accord, ça va être du Guédiguian en Iran… ultra naturaliste, rien à se mettre sous la dent… on va se faire ****. Eh ben, c’est naturaliste, c’est sûr. Mais alors… quelle densité ! Un rebondissement toutes les deux minutes. C’est justement le naturalisme qui permet tous ces revirements. Parce qu’autant de péripéties dans un seul film, ce serait en temps normal difficile à croire. Sauf qu’on le sait, la réalité dépasse souvent la fiction. On le sait, et pourtant, je n’ai jamais vu un film arriver aussi bien à montrer ça.

Les gens heureux n’ont pas d’histoire. Tout le monde a des problèmes, mais c’est une autre histoire d’arriver à en faire un film. Tout est ordinaire ici. Un divorce, des motifs de divorce assez flous. Un homme qui doit prendre une femme pour se faire aider à la maison. Parce que son père est atteint d’Alzheimer. Tout se met en place, ça devient un énorme sac de nœuds, tout s’enchaîne, on n’a pas le temps de réfléchir, et tout d’un coup, on comprend qu’il y avait là comme une sorte de préparation qui va être la base de toute une histoire judiciaire. Jusque-là, c’est déjà magistral, ensuite, c’est parti pour le grand huit des apparences et des mises en danger involontaires. Un personnage dit quelque chose, n’en mesure pas les conséquences, et c’est l’engrenage.

Dans tout conflit qui termine devant la justice, il faut trouver qui a tort, qui ment. Sauf que parfois, on peut mentir sans être coupable. Et les personnages mêmes doutent de leur propre culpabilité. Et d’abord, les deux concernés. Ce sont ceux qui devraient savoir qui ont le plus de doutes. La fille finit par comprendre que son père a menti, elle lui demande d’aller dire la vérité, son père lui dit qu’il peut y aller si c’est ce qu’elle veut, et au final, c’est elle qui va mentir pour lui… Si c’est crédible, c’est que ça sonne chaque fois juste. Tous les autres sont prisonniers des apparences et croient déceler la vérité, donc la culpabilité de l’un ou de l’autre, en fonction de ces mêmes apparences. Mais comment pourraient-ils avoir des convictions alors que les deux concernés ont eux-mêmes des doutes ?! Il n’y a pas de vérité. En justice, le père le dit très bien, si telle ou telle chose s’avère être vraie, ça vous identifiera définitivement comme un coupable… La demi-culpabilité n’existe pas, elle sonnera toujours faux. Ainsi, tout n’est qu’apparences, et l’on en est totalement esclave parce qu’on en arrive même à les préserver pour cacher une autre vérité.

Sauver les apparences, toujours. Celles qui nous préservent du pire. Parce que ce qui se révèle plus important que la vérité, ce sont elles… On ne se compromet jamais par vice, mais pour sauver son honneur, sa réputation, son rang. Le mensonge, quand on le regarde à l’extérieur de soi, il est toujours dégradant ; quand c’est nous qu’il égratigne, on le pare d’excuses, d’explications, de circonstances atténuantes…

Voilà tout le côté judiciaire qui vous retourne le cerveau. Il y a ensuite une énorme qualité dans le film, c’est la sensibilité, la complexité non plus du jeu des apparences, mais des non-dits, des actions qui appellent une réaction, toutes les infimes subtilités de la vie qui font de nous des êtres complexes, souvent contradictoires, ne sachant pas précisément ce que nous voulons ; nous faisons des choses tout en espérant en être empêchés. Tout cela, c’est l’histoire intime de ce couple de divorcés. Avec, au milieu, leur fille. Ça ne peut être aussi simple que « je ne t’aime plus, je te quitte ». Pourtant, la première scène, du divorce, c’est presque ça. On est en Iran, passé le commentaire du juge, le divorce à l’amiable, ils l’ont. Au revoir les clichés. Surtout, on comprend vite, par des petites phrases, des aveux, qu’elle voulait que son mari la retienne. La fille était au courant mais ne l’a pas dit à son père… Et sa mère finit par douter de ça… Toujours la quête impossible de la vérité… Quand il est question un instant de revenir, c’est la même chose, ça se joue à rien pour que ça se fasse ou non. Le mot nécessaire à ce que tout rentre dans l’ordre et qui ne vient pas, alors tout dérape… Le même principe, rien n’est acquis, les choses ne sont jamais telles qu’elles paraissent être. L’ex-femme paie la caution de son mari, l’aide, pourtant…, elle le croit coupable… Parce qu’elle voudrait que son mari la rappelle, lui prouve son amour en exprimant son refus de la voir partir…, quand lui accepte la séparation parce qu’il la respecte. Plus on communique, moins on se comprend. Rencontrer l’autre, c’est prendre le risque de le brusquer. Un sac de nœuds, un imbroglio familier, parce que la vie est remplie de ça, de malentendus, de non-dits, de choix contradictoires, de revirements irréfléchis. Et qui, là, est montré avec une intensité et une justesse inédites.

Difficile de trouver des références à ce style de cinéma. On pense naturellement à Bresson pour le naturalisme, ou d’une manière générale, tout le cinéma français des rapports humains. Sauf qu’il faut bien l’avouer, c’est souvent lent et ils nous racontent en deux heures ce qu’il se passe en trois minutes ici… Le rythme s’affole. Pas le temps de s’appesantir, pas une pause, pas d’instant poétique pour respirer. Non, on est pris à la gorge, tout s’enchaîne rapidement, mais dans un même élan, dans la même continuité, donc on n’a aucun mal à suivre. Là encore, pour arriver à ça, soit c’est une belle chance, une alchimie trouvée par hasard, soit il y a derrière tout ça, un vrai savoir-faire. S’il fallait une référence, ce serait peut-être Cassavetes (il faut bien passer par là au moins au début pour situer une forme). C’est vrai que chez Cassavetes, tout s’enchaîne aussi vite, avec intensité et réalisme. Les thèmes diffèrent, même si l’on retrouve le couple au milieu de tout.

Certains parlent du manque de lumière, ou d’élévation, je n’ai vu que ça. Montrer les hommes tels qu’ils sont, c’est-à-dire avec leurs faiblesses, mais aussi la complexité de leurs rapports, pour moi, c’est une élévation. Glorifier les valeurs supérieures de l’être humain, c’est bien, mais c’est un peu facile et pas très productif (et c’est souvent lourd à voir).

La force du film, c’est justement de ne pas proposer de jugement sur ses personnages. Le film constate. Il nous présente tels que nous sommes, et c’est ensuite la réflexion du spectateur qui provoque cette « élévation » ou cette lumière. Après le constat, les conclusions paraissent évidentes. Mais elles sont posées à l’intention du spectateur, non imposées. Oui, le sujet est en quelque sorte l’incommunicabilité des êtres, l’impossibilité d’établir un jugement en rapport avec la réalité. Noir tableau, sans doute, mais éclairer un problème pour envisager une élévation, un meilleur, c’est mieux que de rester dans ses illusions, esclave de ces apparences.

On peut aussi voir le film comme un exercice de style. Chaque scène apportant son lot de révélations, contredisant ou précisant un élément antérieur pour en montrer la complexité. Au début, tout est simple, on se laisse prendre par le jeu des petits conflits qui prennent forme. On a la possibilité de disposer de tous les points de vue, si bien que l’on comprend tous les enjeux de chacun, sans les juger. Parce qu’à chaque rebondissement, ils sont obligés de s’adapter. Peu importent les faiblesses : on condamne les faiblesses humaines quand elles sont gratuites ou cruelles, quand quelqu’un agit en conscience de cause contre les autres et pour son seul profit. Mais les faiblesses qui s’expriment au milieu d’un grand dédale de confusions et d’incompréhension, sans volonté de nuire à autrui, quand elles sont l’expression non pas de faiblesses individuelles, mais quand elles sont propres à des situations inextricables, on peut les excuser (au contraire des personnages qui continuent de s’opposer). Parce qu’on a sans doute tous vécu ce même genre d’expériences dans lesquelles les apparences semblent nous trahir et dans lesquelles notre bonne foi demeure invariablement vaine ; ou au contraire, dans lesquelles on se laisse aller à des petites bassesses, par facilité, par méconnaissance, par bêtise, et par peur des conséquences…

Ces personnages n’apparaissent jamais antipathiques. Quand ils s’opposent, ils sont dans leurs illusions, esclaves et ignorants, à travers le prisme étroit de leur seul point de vue. Aucune agressivité ne se manifeste en eux, même quand ils s’emportent les uns contre les autres. Ce n’est pas de la haine qui est montrée (ce qui les rendrait antipathiques), mais de l’incompréhension. Tous réclament justice. « Comment avez-vous pu lui faire ça ? » Ces personnages possèdent leur propre lumière. Ils se refusent toujours à cette facilité du mépris de l’autre. Leur véhémence naît de l’incompréhension. Et ils ne font ainsi que mettre en lumière, un peu plus, pour nous, cette incapacité qu’ont les hommes à adopter un même point de vue ou à imaginer celui de son voisin. C’est d’autant plus réussi que Farhadi prend deux familles aux mœurs différentes qui auraient tout pour s’opposer. Plus il les oppose, plus on comprend leur trouble, plus on prend les deux camps en sympathie. Qu’importent leurs différences, ils se ressemblent, non pas par leur origine ou leur rang, mais par leur vulnérabilité. Si deux familles que tout oppose peuvent être si semblables, c’est que nous sommes vulnérables aux mêmes pièges des apparences, à la même justice aveugle, et à la même incompréhension.

Élever les hommes avec des injonctions simples et toutes faites, du genre « il faut être heureux » ou « il faut être entreprenant », ce n’est pas bien compliqué et ça ne mène nulle part. On n’a pas besoin de films pour nous rappeler ce qu’on sait déjà et qui est facile à exprimer. Enfoncer des portes ouvertes, c’est en général assez pénible à voir, alors qu’être dans le constat, la démonstration de situations peu évidentes, qui nous sont toutes familières mais que l’on peut difficilement exprimer, c’est déjà plus enrichissant et plus stimulant. Comment faire entendre à quelqu’un que les choses sont compliquées, qu’on n’a pas voulu agir mal ou que les choses sont différentes de ce qu’elles semblent être ? On se retrouve, comme dans le film, à ne pas pouvoir en faire la démonstration. Au moins ici, en deux heures de film, la plupart des spectateurs ressortiront avec ce même constat que les choses sont compliquées à juger, à interpréter, à voir. La lumière, elle est là : au moins pour une fois, tout ce petit monde sera sur la même longueur d’onde, et pourra, par la suite, bénéficier de cette expérience pour regarder autrement les choses. Se garder de tomber, par facilité, ignorance ou intérêt, dans un jeu qu’on pourrait tout aussi bien perdre. Croire aux apparences, c’est s’en rendre esclave et avoir déjà perdu. Une leçon de vie, ça élève toujours plus qu’une prière béate faite de poncifs à la gloire de la grandeur humaine.

« Soyez heureux (et cons) ! Gavez-vous ou un autre le fera pour vous ! » Hum, oui. Préférons rester béats d’admiration devant un film (un mensonge) qui illustre l’idée de vérités partielles, et qui rappelle que la vérité qui prétend se montrer toute nue n’est parfois rien d’autre qu’une pute.

Un mot sur la mise en scène. Un réalisateur qui arrive à faire deux scènes de tribunal (une à la fin et une au début) sans montrer la gueule du juge tout en nous laissant croire que c’est la plus évidente des choses, est un génie. D’accord, il y a peut-être une volonté de rappeler que la justice n’a pas de visage…, un de ces symboles quelconques… Je veux y voir surtout l’expression la plus élémentaire de ce qu’est la mise en scène : faire des choix, montrer ou ne pas montrer, se focaliser sur certains éléments et pas d’autres. Ce sont deux scènes de tribunal, pourtant c’est déjà un tête-à-tête entre les deux personnages. Le reste, on s’en moque. Le sujet, ce n’est pas qu’ils divorcent, c’est qu’ils s’étripent au milieu d’une dernière salade de malentendus. On montre ce qui est significatif à la loupe ; les personnages secondaires, hop, hors-champ !


Une séparation, Asghar Farhadi 2011 Jodaeiye Nader az Simin | Asghar Farhadi Productions, Dreamlab Films, MPA APSA Academy Film Fund


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Drive, Nicolas Winding Refn (2011)

Frein moteur

Drive

Varoum

Note : 3 sur 5.

Année : 2011

Réalisation : Nicolas Winding Refn

Avec : Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston, Oscar Isaac

Histoire copiée sur celle du Driver de Walter Hill avec Ryan O’Neal). Même job, même désir de ne pas être mêlé aux affaires, même apathie, même jantes émasculées. Mais si la mise en scène est excellente et rappelle les effets du duo David Lynch-Badalamenti, on se lasse du peu d’unité dans l’action et du manque de destination même feinte… On rêve d’un Vanishing Point cotonneux, sans but véritable, sans histoire, une ligne droite dans le récit sur la tragique route du nihilisme. Mais non, ça devient une histoire d’amour. D’accord, on suit, ça se tient, pourquoi pas… Puis, ça se casse la gueule quand après un nouveau coup de volant ça devient un film de gangsters. De Lynch, on passe à Tony Scott. Parfois (même souvent), il faut prendre le risque de ne rien dire et faire confiance à la simplicité, surtout quand on vise le minimalisme, l’atmosphère.

Un film raconte d’abord une histoire. Le scénario peut avoir l’épaisseur du papier à cigarettes comme Vanishing Point, ce n’est pas un problème. Ou d’une blague Carambar. Suffit d’être cohérent. Une idée peut faire un film. On lance, et on la regarde planer jusqu’à se mettre en orbite. Là, une fois la fusée lancée…, ça drive. Un bolide qui gesticule n’a aucune chance d’être mis en orbite. On tire le rideau au lieu d’y grimper… La faculté d’un Vanishing Point, toujours, c’était de filer droit. Un vrai engin de gars : le Point G ne se trouve pas, il s’enfile. Droit. À l’essentiel.

 

Drive, Nicolas Winding Refn 2011 | FilmDistrict, Bold Films, MWM Studios

Le metteur en scène a du talent, il y a d’autres histoires à se mettre sous le nez quand même…

(Piqûre de rappel :) Ah, d’accord, le réal c’est le mec qui avait fait Pusher… Y a du progrès, mais il y a fort à parier qu’il soit incapable de choisir un bon scénario ou de les écrire lui-même…

(Bis, ter :) Je ne suis pas rancunier avec Nicolas. Je me suis également farci Only God Forgives, et on y trouve indéniablement la même patte (en carton) de l’auteur : du vide, de la pesanteur molle, du sexe coupé (je n’ai rien contre, cela dit, même si ça me laisse quelque peu circoncis) et des images même pas jolies.

Et je crois être assez maso pour être capable de regarder Valhalla Rising. J’ai de l’espoir. (Done).


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