La Dernière Maison sur la gauche, Wes Craven (1972)

Note : 2.5 sur 5.

La Dernière Maison sur la gauche

Titre original : The Last House on the Left

Année : 1972

Réalisation : Wes Craven

Avec : Sandra Peabody, Lucy Grantham, David Hess, Fred J. Lincoln, Jeramie Rain

Rien de bien folichon. Une histoire inspirée de La Source qui rappelle par certains côtés Délivrance sorti la même année. Je veux bien que le film en ait inspiré pas mal par la suite (surtout au rayon rape and revenge), mais au fond, le cinéma américain se découvre une seconde vie avec les caméras légères et la fin des restrictions, il est normal d’explorer de nouveaux espaces et limites. La fameuse banlieue qui sera si souvent le théâtre des films d’horreur futurs, on la retrouvait tout autant dans les films noirs et séries B d’antan. C’est parfois si mal filmé qu’on pourrait se penser dans un film de John Waters (le début notamment est terriblement statique) : Pink Flamingos est aussi sorti en 1972. L’air du temps. Tous les chemins, après la dernière maison sur la gauche, mènent à l’horreur… L’Italie, notamment, réalisait déjà de son côté des slashers avec des moyens plus conséquents (sans oublier, l’Espagne, avec l’exemple de La Résidence).

Pour recontextualiser les choses, 1972, c’est l’année de sortie aussi du premier film porno exploité aux États-Unis. Quant à Délivrance, déjà cité, il est peut-être moins cru, mais c’est un film à gros budget avec potentiellement plus d’impact qu’un film indépendant qui ne pourra avoir eu son petit effet que de manière confidentielle. Les outrances aident à taper dans l’œil du spectateur alors que Hollywood semble rebattre les cartes. En 72, le spectateur américain était donc servi, à condition que ces films sortis au même moment aient bénéficié d’une exploitation égale (ce qui est rarement le cas pour de tels films). Massacre à la tronçonneuse, que le film aurait pu éventuellement inspirer viendra en 74. Tandis que La Nuit des morts-vivants, pour recontextualiser encore, c’est 1968.

Loin de moi l’idée de minimiser l’importance du film, mais je pencherais plutôt pour une influence tardive et un jalon dans le cinéma d’horreur que les amateurs du genre auront probablement mal identifié à l’époque. Il y a des modes qui sont lancées par le succès de certains films (la mode des films apocalyptiques grâce à Airport ou Colossus), et il y a des usages qui sont des voies explorées par diverses personnes non pas par mimétisme, mais parce que la voie était désormais libre. Si tous se mettent à faire, indépendamment (dans tous les sens du terme), des films, c’est moins parce qu’ils se copient et se connaissent que le fait qu’ils puissent désormais réaliser des films avec de faibles moyens et le distribuer dans des réseaux de distribution alternatifs. Que ce soit pour les films pornographiques, les audaces de Waters, les slashers et les rape and revenge films, l’histoire est la même.

Cela étant dit, aussi mauvais que le film puisse être, il trouve un second souffle salutaire vers la fin, assez cathartique, je dois avouer, quand les deux parents bourgeois s’en prennent à leur tour aux quatre criminels en fuite. L’humour, typique des films futurs de Wes Craven et de toute une génération de réalisateurs, prisonniers volontaires de l’adolescence, est également le bienvenu. Sans cet humour, pas de catharsis, pas de second degré, et le piège de nombreux films de vengeance dans lequel tomberont les films qui en reprendront le principe : on ne s’amuse plus et cela devient au contraire gênant parce qu’on se pose la question de la morale dans l’histoire.

Craven, au moins, me paraît assez peu ambigu ici. L’avantage de ne pas trop se prendre au sérieux. Dans la catharsis, plus de morale, comme au carnaval : on intervertit les rôles, les codes disparaissent, et on s’amuse pour purger les tensions passées… Quand le père prépare des pièges pour zigouiller les meurtriers de sa fille, façon Maman, j’ai raté l’avion, il n’y a rien de sérieux dans cet exercice. C’est purement cathartique. Les adolescents qui feront le succès des films de Wes Craven dans les décennies suivantes ne regarderont pas ses films par goût du macabre, mais bien parce que c’est amusant. Ceux qui sont dérangés sont ceux qui prennent ces films au premier degré. Si parfois certains films tombent un peu trop dans l’ambiguïté et foutent mal à l’aise (Henry, portrait d’un serial killer, par exemple), c’est que le côté ludique et cathartique du genre semble oublié. C’est loin d’être le cas ici, mais ça n’en fait pas pour autant un bon film.


La Dernière Maison sur la gauche, Wes Craven (1972) The Last House on the Left | Sean S. Cunningham Films, The Night Co, Lobster Enterprises


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Le Professeur, Valerio Zurlini (1972)

Deux heures moins le quart après la fin du monde

Note : 4 sur 5.

Le Professeur

Titre original : La prima notte di quiete

Année : 1972

Réalisation : Valerio Zurlini

Avec : Alain Delon, Sonia Petrovna, Giancarlo Giannini, Alida Valli, Renato Salvatori

TOP FILM

On pourrait être tenté de croire qu’avec des acteurs tirant de telles tronches de « trente mètres Delon », ou qu’avec un tel concours de cernes, le film soit d’un glauque assez peu ragoûtant. Il faut pourtant avouer que cet état dépressif constant à bien quelque chose… de réjouissant. C’en serait presque mystérieux d’ailleurs, et j’avoue ne pas entièrement en saisir le secret. Il est vrai qu’Alain Delon est de ces individus gâtés par la nature qu’il serait impossible de rendre laids. Mieux, il trouve pour une fois une femme capable de lui tirer la bourre dans ce registre : car Sonia Pretovna a ce je-ne-sais-quoi qui la rend, elle, cent fois plus belle quand on la voit tirer une tronche de mannequin drogué, que quand elle sourit, et sa beauté est renversante, parfaite alter ego dans ce film de Delon. D’ailleurs, ça pourrait être assez simple, ne pourrait-on pas résumer la carrière de Alain Delon à cette simple règle : il n’est jamais aussi bon acteur que quand un autre acteur (souvent une actrice) peut lui rendre la pareille dans un film.

Alors, Delon faisant la gueule et se contenter d’être beau, ce n’est pas une nouveauté, et cela ne peut expliquer l’étrange alchimie qui donne au film cette ambiance fascinante malgré ses franches tendances à vous plonger dans un univers aux consonances postapocalyptiques (cette proposition de l’apocalypse serait à la Renaissance, très présente dans le film, ce qu’aurait été la Réforme à la religion catholique : un désenchantement lucide du monde). Mystère. Peut-être est-ce alors l’humour, le détachement, dont fait souvent preuve le personnage de Delon dans ce film : il est imperméable à tout, ne se sépare que rarement de son imperméable d’ailleurs, comme s’il se foutait du temps qu’il faisait ; il se fout tout autant des directives hiérarchiques qu’on peut lui donner (aucune ambition ou respect pour l’autorité, encore moins la sienne pour ses élèves) ; imperturbable mais jamais méprisant ou agressif à l’égard des autres personnages (au contraire même, et il le dit bien à sa femme, plus déprimée encore que lui au début du film ; on peut même dire que son personnage fait montre d’une certaine douceur, d’une réelle empathie pour tous les cadavres ambulants qui traînent dans ces rues de Rimini) ; et la clope toujours au bec comme pour prendre la température de sa dépression chronique. Ce ne serait alors plus la beauté de Delon qui fascine, mais son charisme eastwoodien, cette capacité qu’il a encore ici au début des années 70 à présenter une image de lui-même préservée de toute autosatisfaction, d’assurance masculine déplacée et ringarde, qui seront sa marque les années suivantes. Mystère, mystère.

Quoi d’autre encore… Pas d’alchimie possible sans doute, sans contrepoint efficace. Si tout était continuellement gris, l’absence de nuances nous ferait inévitablement tomber vers le ton sur ton. Et la nuance, si Alain Delon et Sonia Pretovna sont des amants maudits (et plutôt à ranger dans la case des stéréotypes à maudire pour les scénaristes), c’est dans les personnages qui tournent autour d’eux qu’il faut la trouver (la nuance) : le directeur du lycée est une autre caricature et une représentation de l’autorité qui laisse Delon indifférent (c’est son absence de volonté de réagir aux excès du directeur, son flegme intériorisé, qui donne le ton au film, et qui ferait donc pencher bien plus celui-ci vers la satire nihiliste que le mélodrame sentimental) ; les élèves sont de jeunes adultes turbulents que le personnage de Delon parvient à amadouer un peu en leur laissant les libertés qu’ils demandent ; ses collègues sont tout à la fois joueurs, obsédés sexuels et fêtards, soit l’exact opposé de ce qu’il est (là encore des stéréotypes grinçants, signe toujours de la causticité recherchée du film et de son caractère satirique et désabusé), et à l’exception peut-être du vice pour le jeu que le professeur Delon partage avec eux et qui permet à tous de se retrouver, l’occasion ainsi pour ce personnage de professeur de pratiquer la seule relation sociale qu’il s’autorise (mais qui permet à nous spectateurs de comprendre par cette opposition que si le jeu a peut-être encore la capacité de le divertir, il n’entretient plus vraiment d’espoir ou d’intérêt à entretenir des relations humaines avec ces nouvelles fréquentations) ; puis, les amis que lui présentent ces mêmes collègues de travail, fêtards aussi, riches et/ou prostitués on ne sait trop bien, mais il est encore question de caricatures, et offrant là toujours un contraste marqué avec les humeurs d’éternels désabusés proposés par les personnages de Alain Delon et de Sonia Pretovna…

Leur rencontre à tous les deux, leur relation naissante, n’en est que plus convaincante. Ces deux-là parlent la même langue, semblent avoir un peu trop vécu et porter sur leurs épaules, toujours accablées par le poids du passé et des soucis présents (surtout pour Delon), et paraissent se reconnaître comme deux égarés de la même espèce, ou tels deux morts résignés sur le chemin des enfers quand tous les autres se débattraient encore ignorant se savoir déjà condamnés… D’aucuns y verront les accents d’un cinéma italien des années 70 porté vers le sentimentalisme ou y retrouveront le parfum de scandale d’une époque où les libertés sexuelles recouvrées profitaient en réalité plus à un même type d’hommes, mais j’y verrais plus volontiers les accents, ou les prémices, d’un cinéma désabusé, presque déjà punk, désillusionné qui courra tout au long de ces années 70 et satire d’une société qui connaîtra bientôt la crise.

Car cet amour-là, loin du détournement de mineur, est plus platonique que réellement sentimental ou sexuel (ils mettent longtemps avant de passer à l’acte d’ailleurs, et ils en seront presque immédiatement punis). On peut même se dire qu’il n’y a rien d’amoureux entre ces deux paumés et que s’ils se retrouvent, et se reconnaissent sans même avoir recours à la moindre séduction, c’est bien parce qu’ils sont deux cadavres errants sur le chemin de l’apocalypse. Leur relation est presque aussi sensuelle qu’une paire de chaussettes sales oubliées sur un lit. Les morts n’ont rien de sensuel, et tout étranges, ou paumés, qu’ils sont, c’est peut-être la seule chose qui les unit. Et quand on ne se sent déjà plus vivants, les relations pseudo-sentimentales et charnelles, c’est peut-être la dernière chose qu’on tentera d’expérimenter pour constater la ruine de notre existence…

Leur relation n’en est pas pour autant toute tracée : ce qu’on lit d’abord dans les yeux de Sonia Pretovna quand elle regarde le professeur, c’est de la défiance désabusée, une invitation à la laisser tranquille. Puis, en génie de la mise en scène des regards (Cf. Les jeux de regards dans Été violent), Zurlini n’oublie pas de nous montrer les différentes étapes qui, dans les yeux de Sonia Pretovna, seront le signe évident de l’intérêt de plus en plus certain qu’elle porte pour son professeur. Un intérêt ni intellectuel, ni sentimental donc, ni sexuel, non, juste la conviction d’avoir trouvé chez le personnage de Delon un autre paumé, un autre cadavre ambulant qu’elle. Seuls contre tous.

Je dois aussi avouer que la structure narrative m’a tout de suite emballée. Une exposition à montrer dans les écoles d’écriture. Une exposition de maître. En deux séquences et trois dialogues, Zurlini produit une exposition rarement aussi rapide et efficace : d’abord, pour apprendre que Delon arrive tout juste dans la ville (et quelle ville), on le montre en train de répondre à deux étrangers perdus. (Habile.) Puis, pour connaître la profession et le cursus de Delon, on le fait passer un entretien d’embauche. (Pratique.) Les deux séquences suivantes le montrent respectivement pour l’une face à ses élèves, pour l’autre, faire la rencontre de ses collègues et futurs compagnons nocturnes. En cinquante mots, on sait tout sur Alain de long en large.

La fin toutefois se révélera peu convaincante : les deux amants « consomment » d’abord leur amour, ce qui offre au film sa première fausse note (on tombe presque dans les excès des années 80, et on cesse d’être pleinement dans la satire désabusée pour tomber dans le sentimentalisme sordide et grossier ; et cela, même si en toute logique, il devait passer par là pour achever le travail — quoi que, une autre solution aurait été de rester vague, suggérer l’acte, mais ne pas montrer la séquence qui a, d’un point de vue narratif, ou pour un certain moral, assez peu d’intérêt). Enfin, les deux amants macchabées se retrouvent séparés trop tôt au cours de ce dernier acte, reléguant l’adolescente de personnage central à un autre accessoire en faisant passer leur relation pour une simple intrigue de passage, et remettant le récit sur les rails d’une intrigue rance et bourgeoise (la relation entre Delon et sa femme) ce qui, il faut bien l’avouer, ne correspond plus vraiment au no future des années 80 mais aux nanars vulgaires et sexuels des mêmes années.

Le Professeur, Valerio Zurlini 1972 La prima notte di quiete | Mondial Televisione Film, Adel Productions, Valoria Films

Avant cela, dans le développement narratif plus réussi, on retrouve certaines des errances (beaucoup nocturnes) familières aux films de Fellini ou d’Antonioni. Au lieu de suivre une trame classique censée résoudre un objectif défini et des conflits intérieurs, les personnages suivent une trajectoire sans but, fait de rencontres successives et de divers îlots festifs échouant tous à donner un sens à leur voyage introspectif. Ce cinéma italien de l’âge d’or avait quelque chose de nihiliste et de désabusé, et il avait peut-être raison de l’être, car il mourra bientôt. Et quand ce n’est pas des fêtes qu’on écume comme un intrus secouru par des papillons de nuit, ce sont les villas abandonnées, empreintes d’une lointaine histoire, reflet là encore d’un monde flamboyant disparu qui jamais ne revit le jour, l’histoire d’une Renaissance jadis resplendissante, témoin paradoxale du déclin d’un monde plongé dans sa dernière nuit et qui l’ignore encore.

Zurlini s’est fait aider au scénario de Enrico Medioli, et lui aussi pourrait avoir ce même attrait pour les ruines des villas de la Renaissance : Delon, déjà, s’y amusait avec sa fiancée cardinale dans Le Guépard ; et il avait participé avec bien d’autres au scénario d’Il était une fois en Amérique où on peut reconnaître parfois cette ambiance fin de siècle (avec ces mêmes « passages à l’acte » assez peu finauds, cf. le viol de Deborah dans la voiture), et souvent associé de Visconti. Medioli savait peut-être donner à ses scénarios ces ambiances sinistres propres à certains films du cinéma italien de la fin de l’âge d’or, qui sait. Un cinéma qui se perd dans les ruines et qui ne sait pas encore qu’il est lui-même en train de péricliter. Les films précédents de Zurlini adoptaient cependant déjà souvent cette même tonalité. L’errance est une manière de porter sur son monde un regard décalé, désabusé, de prendre de la distance avec lui. Aux auteurs (et aux spectateurs) de ne pas confondre le regard porté avec les objets ainsi éclairés.

En dehors d’une fin décevante, une franche réussite.



Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1972

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Pink Flamingos, John Waters (1972)

Note : 3 sur 5.

Pink Flamingos

Année : 1972

Réalisation : John Waters

Petit organon pour le théâtre trans-happening.

Distorsion indigeste et sympathique des convenances sociales pour mieux les dézinguer. Ce ne serait pas aussi mal joué, sans cette hystérie constante presque enfantine, que ce serait insupportable. C’est même étonnant, des films révoltants, pouvant être à la fois scatologiques, pédophiles, trans ou homo, porno-trash, qu’ils soient japonais, italiens ou hollandais, j’en ai vu, mais le plus souvent ça se prenait tellement au sérieux que la pilule de merde passait mal.

Le génie peut-être involontaire de Waters ici, au-delà de l’écriture minutieuse, théâtrale et même poétique de ses dialogues (ça pourrait être du Artaud ou du Jean Genet, voire du Brecht pour rester dans la distanciation), c’est que les acteurs sont si mauvais, tout en sachant qu’ils sont excessivement mauvais, que ça crée une forme de distanciation nous interdisant chaque instant de prendre au sérieux toutes leurs excentricités. Comme des enfants jouant à tester leurs limites, et celles du public. On pourrait être amenés à penser ainsi qu’ils sont inoffensifs. C’est presque le cas. En fait, s’ils se font du mal, c’est certainement plus à leur propre corps…

Et au-delà de l’écriture magnifique, il faut noter l’excellence de la satire. Du moins, ce que j’en comprends. Un truc qui pourrait sonner comme : « Vous pensez que Divine est un monstre dégoûtant ? Mais que sont alors ces Marble, tout aussi odieux et qui font tout en douce : kidnapping de femmes pour les engrosser puis revente de bébé à des couples lesbiens, etc. ? » Divine au moins ne fait a priori de mal à personne en dehors de lui-même et exhibe ses limites aux yeux de tous. Un monstre, certes (plus de cirque que criminel — quoique, il le devient à travers sa vengeance), mais inoffensif. Du théâtre cru.


Pink Flamingos, John Waters 1972 | Dreamland


 

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Les Indispensables du cinéma 1972

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L’Amour l’après-midi, Éric Rohmer (1972)

Note : 4 sur 5.

L’Amour l’après-midi

Année : 1972

Réalisation : Éric Rohmer

Avec : Bernard Verley, Zouzou, Françoise Verley

Catalogue La Redoute Automne-Hiver 1971. Pages sous-pulls et robes à fleurs.

Rohmer nous dirait presque que chaque homme devrait commencer par balayer devant sa porte, et que toutes les autres (portes), ne sont que des mirages. Voir Rohmer en boute-en-train, s’imaginant sonner à toutes ces portes (et une en partie commune, peut-être pour pallier toutes les autres) avant de s’avancer le balai entre les jambes, c’est amusant. Bref, je ne crois pas avoir jamais vu un Rohmer aussi drôle. On s’amuse avec les secrétaires des écarts supposés, rêvés ou peut-être réels de Frédéric, on se demande comme lui en riant un peu moins si sa femme n’en ferait peut-être pas autant, et si elle ne serait pas passée à l’acte. Dans ce finale pompidolien (antonyme bourgeois du sexy poupoupidooïen), c’est tout la crainte, la jalousie confuse et timide qui s’évapore quand Frédéric, un temps toqué pour une autre, vient taper à sa porte…

Cette collection de sous-pulls, de cols roulés, de chemise à rayures, si ce n’est pas magnifique.

Et puis, drôle, Rohmer, pas seulement. Le garçon arrive avec une subtilité que je ne lui connaissais pas, en suggérant assez fortement un hors-champ, en jouant de ce qu’on sait et de ce qu’on ne sait pas, de ce que les personnages désirent, disent désirer, et pourraient en réalité désirer, ou de ce qu’ils font même (on ne sait rien des journées et des relations de la femme de Frédéric, et quand Chloé quitte Paris, ou rejoint ses amants, on ne sait rien de tout cela, et on pourrait se demander si tout ça est “vrai”).

Le début, tout en montage-séquence* et voix off (globalement toutes les séquences introspectives, narratives et rêveuses de Frédéric) est magnifique.

Amusant encore, au milieu de toutes ces filles magnifiques, je trouve cette Zouzou particulièrement laide et vulgaire. L’alchimie, si improbable avec Frédéric, en est peut-être plus belle et réussie. Une relation pas forcément évidente, dont on ne sait au juste si eux-mêmes pourraient y croire, mais que Rohmer s’acharnerait, là encore avec amusement (ou comme un Dieu masochiste, voire réaliste, parce que c’est si commun), à poursuivre pour voir ce qui en découlerait. Comme deux aimants qu’on s’acharnerait à vouloir rapprocher sur la mauvaise face.

Une des astuces du film, peut-être involontaire du film d’ailleurs, c’est, du moins ce que j’en ai perçu, l’absence chez Rohmer de vouloir nous en imposer une lecture. Un conte moral, je n’en suis pas si sûr… On aurait vite fait d’interpréter toutes ces galipettes d’élans refoulés pour une ode à la bienséance bourgeoise. La fin ne dicte pas tant que ça le film : ce qui la rend inévitable c’est peut-être moins l’intention, ou la philosophie supposée du cinéaste, que le caractère même de Frédéric qui l’impose et la rend crédible. Et même belle : un petit-bourgeois qui redécouvre sa “bourgeoise” et qui rejoue à sa manière une comédie de remariage, c’est beau ; peut-être plus que de voir un petit-bourgeois chercher à être quelqu’un d’autre, à forcer une nature qui ne serait pas la sienne et qui collerait plus à l’humeur du temps, etc. (Ce ne serait pas d’ailleurs une sorte de Nuit chez Maud éparpillé façon puzzle ? Le principe, de mémoire, est un peu le même : un gars tenté par une autre femme, et pis non, le désir se suffisant tellement lui-même, pourquoi tout gâcher en le noyant sous l’éphémère et toujours inassouvi plaisir…)

L’Amour l’après-midi ou l’anti Monika. On dirait Rohmer en train de siffler la fin de la “modernité”, de la nouvelle vague et de la révolution sexuelle. « Bon, les enfants, vous êtes bien gentils, mais moi je vais baiser ma femme. »


*article connexe : l’art du montage-séquence


L’Amour l’après-midi, Éric Rohmer 1972 | Les Films du losange

Meurtres dans la 110e rue, Barry Shear (1972)

Meurtres dans la 110ᵉ rue

Across 110th Street
Année : 1972

Réalisation :

Barry Shear

Avec :

Anthony Quinn
Yaphet Kotto
Anthony Franciosa

8/10 IMDb

Listes sur IMDb :

L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1972

Polar sale et méchant avec un parti pris très en faveur des Noirs against ze rest of ze world. Qu’ils soient flics ou criminels, les Noirs sont toujours ou presque présentés de manière positive. Ce n’est pas que c’est particulièrement bien finaud (peut-être même un peu opportuniste quelques mois après les révoltes raciales dont il est question dans le film), mais le pari, il faut le reconnaître est très bien tenu, parce que les séquences entre les criminels ayant pour but de les rendre plus humains (c’est la faute de la misère, de la société, etc., loin des monstres sans relief de nombreux films) sont de loin les meilleures séquences du film.

Direction d’acteurs et interprètes impeccables, un peu comme si une même classe d’acteurs de Cassavetes s’immisçait dans un même polar. Difficile sans doute aujourd’hui de s’en satisfaire, mais ça devait être à l’époque un petit exploit (puisque ces acteurs sont noirs, je le rappelle) et on n’est pas encore (ou pas tout à fait) dans la blaxploitation. De leur côté, Yaphet Kotto et Anthony Quinn sont parfaits dans leur rôle respectif mais leurs chamailleries sont trop répétitives. L’intérêt, paradoxalement est ailleurs.


Meurtres dans la 110e rue, Barry Shear 1972 Across 110th Street Film | Guarantors


Les flics ne dorment pas la nuit, Richard Fleischer (1972)

Les flics ne dorment pas la nuit

The New Centurions
Année : 1972

Réalisation :

Richard Fleischer

Avec :

George C. Scott
Stacy Keach
Jane Alexander

9/10 IMDb

Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1972

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Listes sur IMDb :

Limguela top films

L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

Carnet sociologique d’une justesse de ton remarquable. Film qui devrait figurer dans le catalogue du National Film Registry : culturellement, historiquement et esthétiquement significatif d’une époque et d’un certain milieu…

Sympa de débuter la rétrospective bad cop, good cop à la Cinémathèque avec un film aussi remarquable…

On se croirait presque parfois dans du Wiseman, avec la bonne distance et en permanence ce refus des clichés, la bienveillance à l’égard des petites gens, voire des connards.

Du neo-noir très très sombre.

Les seules réserves que je ferais concerneraient la musique de Quincy Jones. Même si ça permet finalement aussi d’apporter un contraste dans des séquences purement d’action ou… domestiques. (« Hum, la bonne soussoupe pour son chéri ! »)


Les flics ne dorment pas la nuit, Richard Fleischer 1972 The New Centurions | Columbia Pictures, Chartoff-Winkler Productions,


Les Arpenteurs, Michel Soutter (1972)

Conte divers

Les ArpenteursAnnée : 1972

Réalisation :

Michel Soutter

7/10  IMDb

Cent ans de cinéma Télérama

Avec :

Marie Dubois, Jean-Luc Bideau, Jacques Denis

Sympathique. On dirait du Rohmer joué comme du Bresson torché par du Blier. Autrement dit des histoires de culs amusantes, des dialogues très écrits flirtant avec l’absurde, joués de manière très distante, voire fausse. La distribution est malheureusement inégale, mais Marie Dubois et Jean-Luc Bideau, c’est quelque chose. V’là de l’acteur.

Un petit avant-goût des répliques. Un type demande à Léon (Bideau) à quoi on reconnaît une pute. « Je crois que ma voisine, c’est une pute. Tu pourrais me dire toi, si c’en est une ? – Ah, je crois bien, je suis pas sûr. – Tiens, regarde cette photo, à ton avis, c’est une pute ça ? – Ah… je dirais qu’il y a des chances oui. – C’est ma femme. – Ah, excuse-moi ! »

Du Blier joué comme du Bresson, et ça donne comment Rohmer aurait toujours dû écrire et diriger ses films. Avec l’insolence et la fantaisie qui va avec.


Les Arpenteurs, Michel Soutter 1972 | TSR Group 5


La 359ème Section, Stanislav Rostotsky (1972)

Taïga eiga

La 359ème Section

A zori zdes tikhie

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : A zori zdes tikhie

Aka : Ici les aubes sont calmes

Année : 1972

Réalisation : Stanislav Rostotsky

Avec : Andrey Martynov, Irina Dolganova, Elena Drapeko

— TOP FILMS

J’étais déçu par La Lettre inachevée. Impossible ici de ne pas penser au film de Kalatazov. Y avait-il à l’époque soviétique une volonté du pouvoir d’offrir au public des films à grand spectacle inspirés du western ? Des taïgas films ?… Peu importe.

La Lettre inachevée souffrait d’un manque d’originalité dans son sujet et d’une trame assez faiblement construite (on peut suspecter Kalatazov d’être toujours plus intéressé par sa caméra que par son sujet). Ici, l’originalité, on l’a, et l’intrigue est parfaite.

Film de propagande bien sûr. Les personnages sont de braves soldat(e)s, et l’Union soviétique, c’est la belle et grand-mère patrie. Au fond, en dehors des satires, un film n’est-il pas toujours un film de propagande ? L’intérêt est ailleurs…

Après la première demi-heure, ça ne s’engageait pourtant pas très bien. Humour douteux et flashbacks kitsch (le passé en couleurs…). Cette introduction n’était probablement pas très utile, mais c’est ensuite que tout se met magnifiquement en place. On pense à Délivrance ou à Voyage au bout de l’enfer (voire à Alien). Une fois que les personnages sont lâchés dans la nature, l’action se resserre et l’intensité ne quitte plus jamais le film (l’opposition avec le début doit jouer, c’est certain, une manière comme dans Psychose d’annoncer quelque chose et de tout foutre en l’air au bout d’une demi-heure).

Notre petit groupe de soldates, pas franchement destiné à participer à la guerre, finit par prendre en chasse deux ou trois soldats allemands. Et à partir de là, on suit la trame classique d’un film de chasse et d’élimination. Les péripéties sont connues et attendues (qui sera le suivant ?) et le piège tendu est parfaitement mis en œuvre. Parce que c’est cette exécution qui compte. Le comment. Un peu comme dans un western où deux bandes, groupes ou personnages se feront face au milieu de nulle part. Un monde sauvage où c’est d’abord la brutalité qui parle, l’instinct de survie, et où seule une infime part de civilisation finit par se faire jour. Celle que les hommes (des femmes ici donc) apportent dans leurs bagages. La société et leurs lois sont loin, on est seuls avec nous-mêmes, nos compagnons de galère, nos blessures, nos humiliations, notre rage, notre fierté, notre honneur, notre lâcheté, nos actions… C’est pourquoi le principe même du western est si efficace à nous proposer des films si intenses avec des histoires simplettes. Il y a quelque chose qui nous ramène à notre nature primitive. Quoi de mieux qu’une situation dans laquelle on est tour à tour le chasseur et le chassé ?

L’originalité du film, c’est bien le fait de voir tout un peloton de femmes soldats à la poursuite d’Allemands invisibles alors qu’elles ne partaient à l’origine que pour se « promener dans les bois ». L’alien n’est jamais aussi bien réussi que quand on ne le voit jamais et qu’on le devine. On peut se rincer l’œil avec, non pas une Sigourney Weaver sévèrement burnée, mais cinq. Un rêve de spectateur comblé par la propagande soviétique. Elles sont belles, fragiles mais déterminées, potelées à croquer, et inexpérimentées… Colin-maillard, fourrés dans les bois. De quoi rendre totalement gaga… Si on voit si peu les Allemands, ces « aliens », c’est finalement parce que c’est un peu nous… Et on se sait inoffensifs (mais si, voyons, dans un rêve, on a toujours le beau rôle).

Pour unique compagnon masculin, là encore, la réussite c’est d’en faire un personnage (sexuellement) inoffensif. L’image paternelle de l’officier protecteur. Un caporal formateur. Droit et affectueux, dont le seul charme apparent se dresse bien au-dessus de la ceinture : celui rustique de la moustache à papa. Des femmes qui aiment leur père, le suivent et l’écoutent ; et un père qui saura disparaître au moment opportun. Le bonheur. Et si dans Alien, Ripley remplace la console « Maman » comme dernière mère patrie dans une humanité décimée (celle qui cesse d’être sexuellement active pour nous protéger, nous ses enfants, des méchants aliens), ici, les filles restent bonnes à marier. Et la mère patrie, cette belle-mère acariâtre qu’on fait semblant de vénérer, regarde de loin et approuve, car il faut bien répandre ses douces progénitures dans la nature… On est seul avec elles et on se porte mieux ainsi, merci. Après la brutalité sauvage des forêts, quoi de plus tendre qu’un petit cœur de femme avec qui créer une nouvelle civilisation ?

Polygamie acceptée… Je suis au 359ᵉ ciel !


Silent Running, Douglas Trumbull (1972)

Silent Running

Silent Running Année : 1972

Réalisation :

Douglas Trumbull

5/10  IMDb

Trumbull est surtout réputé pour être un grand maître des effets spéciaux (souvent spatiaux). 2001, c’est lui, Blade Runner, c’est lui… J’avais plutôt bien aimé Brainstorm, mais là ce Silent Running, ce n’est vraiment pas terrible. Le scénario n’est pas si mal que ça, mais la mise en scène est hasardeuse et les effets spéciaux d’un ridicule affligeant… à croire que les effets de 2001, sont à mettre au crédit (unique) de Kubrick et que ceux de Blade Runner aient juste profité des avancées techniques effectuées pour Star Wars par son copain John Dykstra (mais j’en doute aussi parce que Dykstra a lui aussi réalisé un film, avec des effets spéciaux très douteux…).

Le film est sympathiquement écologiste, les deux robots semblent avoir inspiré les droïdes de la Guerre des étoiles… Les idées sont dans l’air stratosphérique.


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