La Lettre inachevée, Mikhail Kalatozov (1960)

L’Alien inachevé

La Lettre inachevée

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Neotpravlennoe pismo

Année : 1960

Réalisation : Mikhail Kalatozov

Avec : Tatyana Samoylova, Evgeniy Urbanskiy, Innokentiy Smoktunovskiy

Petite déception (voire grosse, compte tenu des attentes). Le film est pourtant bien lancé. Kalatozov sait installer des ambiances, planter ses personnages dans des espaces qui sortent de l’ordinaire… Mais dans la plupart de ses films, j’ai comme très vite une exaspération qui monte devant les prouesses techniques qui se font à mon goût un peu trop remarquer. Je ne sais pas si ce sont ces travellings, ces plongées ou tous ces effets qui me détournent du sujet et des enjeux de l’histoire ou si c’est Kalatozov lui-même qui tournicote autour de ses personnages, cherche la lumière, l’espace vide à saisir, pour combler son désintérêt pour ce qu’il raconte, mais voilà, ça ne marche jamais complètement.

Quoi qu’il en soit, c’est fini. Au bout de vingt minutes, le thriller (puisque c’en est un) échoue. Comme disait ma tante, si le soufflé retombe, quel camouflé !… Elle, je ne l’ai jamais vue faire autre chose que camoufler toute sa vie. Kalatozov aussi camoufle.

Il s’agit d’un thriller de type « who will be the next », comme Alien ou Ten Little Indians, mais c’est là que j’avale ma moufle : avec seulement quatre personnages.

Au bout de ces premières minutes où souvent tout se règle, je ne moufte pas, j’y crois encore, je regarde Kalatozov jouer avec la verticalité des arbres. Et puis je me demande comment Tatyana Samojlova se prononce, si elle est plutôt douce comme la mousse ou rêche comme le lichen. Tiens, prends cette branche dans la tronche s’insurge Kalatozov… Sauf que voilà, c’est fait, je ne suis plus, je n’y suis pas, je ne sais plus, je ne sais pas.

Tu me la refais ? — Ripley.

Ah oui, voilà… C’est bien ça. Le personnage de Tatyana Samojlova n’est pas Ripley. Même avec un carré de fuyards, on peut faire durer le plaisir avec des personnages qui sortent de l’ordinaire et qui ont un quelque chose en plus. Parfois, un détail change tout. Comme quand le dernier homme de la troupe qui reste est précisément une femme. Il y a toujours une question d’alchimie dans une histoire.

La mise en scène y participe sans doute ; le choix des acteurs aussi ; mais parfois aussi, des petits détails qui font passer une histoire dans une autre dimension. Un peu comme quand, à force de rater ses soufflés, maître boulanger-pâtissier Quevillard eut l’idée de remplir son soufflé de compote de pommes. Il avait inventé le chausson. Kalatozov essaie, mais à force de remplir, on triomphe sans gloire. Soufflé, oui, dame ! Mais pas joué…

Tic tac tic tac

Ta tatie t’a quitté

Tic tac tic tac

Kalato t’a triqué

Ôte ta toque et tes claques

Va’t tripoter t’es pété

T’es claqué, t’es cuité

Mange tes croûtes et tes crottes

Écarte les jantes t’es pas fiottes

Quand ta tactique était toc

Que tes toques étaient tacs

T’as fini sans 4X4

T’es perdu dans les bois

Tu finis dans l’eau froide

— Crac

Tic tac tic tac[1]

Et voilà, le monstre s’achève. Alors, oui, la Sibérie est vaste, on nous y entend à peine crier, mais je ne l’ai jamais perçu dans le film (ou d’autres) comme un espace typique propre à alimenter les peurs d’un thriller. Il manque une dimension épique et mythique à cette escapade.

Si un Kubrick parvient à créer l’angoisse avec de grands espaces vierges, c’est qu’il y installe des ambiances froides et pesantes. Kalatozov, lui, enivre, réchauffe, virevolte, et finalement l’alchimie espérée ne vient jamais.

Quelques lourdeurs dramatiques et des maladresses narratives : l’histoire de la radio assez difficile à croire, la séquence du grand feu qui s’éternise sans justification, ce finale qui n’en finit plus au milieu des eaux froides, cette nécessité assez mal comprise de sauver des données géologiques (merde, tu vas crever, lâche la faucille et le marteau ça ira déjà mieux !).

Et bien sûr, bien sûr… Il a fallu qu’on tombe sur le mauvais numéro. Des quatre, c’était Tatyana Samojlova qu’il fallait garder, patate !

« Laisse-moi là ! Je suis un héros… » Il y a quelque chose dans cette volonté infrangible du bon héros soviétique à préserver son honneur jusque dans la mort qui est profondément antipathique…

Un bon film (Kalatozov nous le fait bien assez remarquer) mais dans le même ton (ou pas d’ailleurs), je préfère largement l’histoire et la mise en œuvre, savante mais suffisamment transparente, de La 359ᵉ Section. Une vraie tonalité slave qui s’exprime sous les traits ravissants d’une horde de femmes, mi-nues ni soumises (à la Ripley), et un voyage à travers différentes atmosphères, des plus joyeuses aux plus tragiques. Il n’y a rien de mieux que la douche écossaise pour vous attiser les sens et vous obliger à vous blottir contre le sein douillet de votre tatie russe. Car s’il n’en restait qu’un, toujours, ce serait elle seule, et Kalato sova l’homme plutôt que la femme.

Tatie Kalatosova appréciera.


[1] comptine boby pointée

Ce qui vaut, en revanche, franchement le détour, c’est tout ce panel d’images grand-angles qui ne sont pas sans rappeler pour certaines, en noir et blanc, celles, en couleurs, du Quarante et Unième, de Grigoriy Chukhray (1956).

 


Liens externes :