
Les meilleurs films de femmes indépendantes
… et souvent fières de l’être
Y a-t-il des films féministes ?
Difficile d’appliquer un tel qualificatif à des choses inanimées. Ce que l’on peut faire en revanche, c’est établir une liste de personnages de femmes indépendantes dans le cinéma.
Voici donc le meilleur des films avec des femmes indépendantes. Quelles qu’en soient les raisons : des féministes, des femmes sexuées et libres, des femmes asexuées, des célibataires non consentantes et cabossées par la vie, des femmes de pouvoir, des travailleuses du sexe, des femmes de la haute société, des femmes homosexuelles ou… des femmes « parce que c’est comme ça ».
Parce que, oui, à travers l’histoire, le cinéma a proposé des films ouvrant parfois cette porte-là, celle d’une société différente. L’indépendance d’une femme peut faire l’objet du sujet d’un film (sans être présenté comme un problème), comme n’être qu’un élément anecdotique, un trait de personnalité comme un autre. On remarquera toutefois différents niveaux d’émancipation : certains personnages appartiennent à une société avancée, d’autres sont des exceptions, d’autres sont vulnérables à l’oppression des hommes et raconter leur histoire suggère l’idée que cette quête d’indépendance n’en est encore qu’au stade du constat.
Le cinéma s’est-il toujours rangé du côté des sociétés patriarcales ou a-t-il au contraire toujours été en marge de la société en étant plus progressif qu’elle ?
Une liste d’une cinquantaine de films annotés et quelques mentions spéciales.

Ripley, dans toute la série, reste indépendante. Il n’y a que dans Alien3 qu’une séquence la montre après un rapport sexuel dénué de sentimentalité.
Peu de personnages féminins auront sans doute représenté aussi bien l’indépendance du personnage de Ridley Scott. On comprend mieux les raisons de cette porte ouverte quand on sait que le lieutenant Ripley avait été écrit au départ pour un homme. Si le personnage est totalement dénué de signes liés à la séduction, à la sexualité ou à la plupart des stéréotypes de genre dont les femmes font l’objet, c’est principalement parce qu’il a été pensé comme un homme. L’idée d’en faire une femme est en cela quasiment révolutionnaire parce que peut-être pour la première fois (en tout cas, illustré d’une manière aussi radicale dans un film), une femme pouvait avoir tous les attributs habituellement attachés aux personnages masculins.
On allait même plus loin que dans les →→→→→→
personnages de garçonnes du cinéma muet ou de jeunes femmes délurées du pré-Code : plus rien dans l’accoutrement (sinon avec la séquence finale du film opposant une femme en petite culotte et une sorte de louve du Gévaudan cherchant à lui imposer une GPA), la fonction (lieutenant), l’activité (les hommes et les enfants d’abord) ou le caractère ne suit le schéma classique des femmes au cinéma ou en littérature. Jolie contribution de la science-fiction au féminisme : le genre a pour fonction première d’évoquer les possibles.
Que pouvait-il y avoir de plus essentiel que l’évocation d’une société connaissant un rapport différent entre les sexes ? La confrontation, habituellement incarnée par une opposition virile, concerne désormais deux « bitches » : la représentante de l’humanité et son parasite extraterrestre.
L’humanité n’a pas l’intention de se livrer sans consentement ou d’être à la merci d’une grossesse non désirée.
2. Miracle en Alabama (Helen Keller et Anne Sullivan)
Anne Bancroft et Patty Duke
(Helen Keller-William Gibson/Arthur Penn, 1962)

Les deux femmes du film méritaient chacune leur statue pour cette liste : Anne Sullivan et Helen Keller.
Le film met surtout à l’honneur Anne Sullivan, ici admirablement interprétée par une des actrices proposant une image de la femme indépendante au cinéma dans la seconde moitié du siècle (Anne Bancroft, dont on pourrait par ailleurs évoquer le rôle de madame Robinson dans Le Lauréat). Par son obstination, sa conviction, elle parviendra à montrer la voie de l’indépendance à une autre femme, celle-ci en devenir. L’indépendance de l’une permet l’indépendance de l’autre, enfermée, elle, dans la pire prison qui soit : soi-même.
Rien de plus naturel que le film s’attarde surtout sur l’éducatrice, car le film et la pièce sont inspirés du récit écrit par celle qui n’est encore ici qu’une sauvageonne : Helen Keller. On peut la considérer à la fois comme le sujet du film, son autrice originale (la pièce est adaptée du récit de sa vie) et donc, en quelque sorte, aussi sa narratrice.
Le film présente également un bon exemple de sororité qui ne s’encombre pas de romantisme. L’épreuve à laquelle est soumise Helen Keller pourrait même être perçue comme une allégorie de la femme occidentale du début du vingtième siècle face aux obstacles de son émancipation.

Le personnage de Vienna est au western ce que Ripley sera au space opera vingt-cinq ans plus tard dans Alien : le rôle aurait très bien pu revenir à un homme. Cet homme aurait fait fortune après un hold-up et son ancien amour viendrait lui rendre visite : une Mexicaine dansant au rythme de la guitare.
Le fait d’inverser opportunément les rôles permet de jeter un pied dans la porte des conventions. Vienna adopte la plupart des attributs des personnages masculins censés être des marqueurs d’autorité et de pouvoir. Et au contraire des femmes fatales qui commencent à →→→→→→
se faner dans les productions hollywoodiennes des années 50, il n’y a rien de négatif ou d’immoral dans cette représentation.
L’histoire d’amour n’est pas totalement mise au placard, mais elle est essentiellement traitée à travers une sorte de mélange étrange et singulier de théâtre classique (il est surtout question d’événements romantiques passés que du présent) et de screwball comedy. Les deux anciens amants parlent sur un pied d’égalité et se chamaillent ainsi comme dans une comédie de remariage (Vienna a même une meilleure situation).
4. Pension d’artistes (Terry Randall)
Katharine Hepburn
(Edna Ferber-George S. Kaufman-Morrie Ryskind-Anthony Veiller/Gregory La Cava, 1937)

Les personnages joués par Katharine Hepburn se sont souvent distingués pour leur indépendance, certes, peut-être plus parfois parce qu’ils appartiennent à un niveau social aisé, mais l’actrice, quand elle ne faisait pas la paire avec Spencer Tracy, n’avait rien d’une grande sentimentale.
Hepburn figurait parmi ces actrices symboles à Hollywood de l’éphémère prise de pouvoir (relative) des stars féminines en plein âge d’or des studios. Si au temps du pré-Code, ce pouvoir accru se traduisait sur la toile via la sexualisation de leurs personnages, avec Katharine Hepburn, c’était plutôt le contraire. Elle avait l’image d’une actrice charmante, certes, distinguée, mais assez androgyne, voire asexuée comme il pouvait y en exister en dehors des cercles du divertissement dans la haute société américaine. C’était du reste une des premières à porter volontiers des pantalons.
Ces caractéristiques se retrouvent dans le personnage de Terry Randall. Si l’on peut soupçonner au début du film qu’une idylle avec le producteur de la pièce a pu lui assurer sa place, c’est au contraire grâce à son argent qu’elle a gagné le droit de se produire sur scène (une forme de pouvoir comme une autre). Si les actrices de la pièce entretiennent volontiers des relations sentimentales, Terry Randall est peut-être la seule femme, avec le personnage de Ginger Rogers et celui de la doyenne, qui n’aspire pas à être aimée ailleurs que sur les planches.
Le film est à l’image de la société, mais la →→→→→→
société tend aussi à adopter ces rapports d’un genre nouveau illustrés au cinéma. Même si Hollywood mettra le holà à ces forces émancipatrices, on respire encore ici beaucoup de cette liberté acquise au temps du muet. À l’écran, montrant la voie à la société, la femme s’y était émancipée plus que partout ailleurs.
Les histoires de cœur du film illustrent cette idée. L’amour passe toujours au second plan : la recherche de l’indépendance (celle qui pousse toutes ces femmes à devenir actrices) se fait à travers une carrière. Si les actrices ont eu si souvent mauvaise presse jusqu’à la fin du vingtième siècle, c’est qu’à côté du cliché de l’actrice hérité du siècle précédent faisant d’elle une femme aux mœurs légères (l’époque des demi-mondaines et des cocottes), quand elles avaient du succès sur scène plus que dans les alcôves, c’était surtout un moyen pour une femme de subvenir seule à ses besoins.
Ce sont les artistes qui ont montré la voie aux entrepreneuses et aux aristocrates émancipées du début du siècle. Terry Randall est un des derniers exemples de ces femmes indépendantes : elle est à la fois bien née, célibataire, décidée à le rester, et enfin, actrice (bientôt à succès).
(Ajoutons à Pension d’artistes, un petit frère s’il n’était question d’adolescentes : Jeunes Filles en uniforme. La même aspiration à la liberté à travers l’ambition de se produire sur scène et une trame romantique singulière : les amours platoniques et homosexuelles entre une élève et sa professeure.)

Certes, on pourra reprocher au personnage interprété par Hideko Takamine d’espérer encore l’amour et n’aspirer ainsi qu’à une relative indépendance. Remettons toutefois le film dans le contexte du Japon de l’époque. Une femme devenue adulte, que le choix de son célibat soit volontaire ou qu’il lui soit imposé, qu’elle soit veuve ou homosexuelle, aura peu l’occasion de survivre. C’est encore un privilège réservé aux riches héritières. Pour toutes les autres, et pour le personnage du film en particulier, la question du sentimentalisme ne se pose pas : se marier demeure une affaire de survie. Et quand elles en sont empêchées, les femmes restées seules n’ont d’autres moyens que de monter un business.
Pourtant, là encore, une femme sera dans l’obligation de composer avec des hommes, des associés, des financiers, de beaux parleurs.
Le film dévoile la condition de la femme indépendante dans le Japon du début des années 60. Peut-être plus qu’à Hollywood, le cinéma japonais de l’âge d’or a illustré ce parcours de la femme japonaise, jonché de marches →→→→→→
toujours plus hautes pour accéder à l’émancipation, parce que la société était, et est encore plus patriarcale que celles qui ont évolué en Occident.
Restera toujours la question (ouverte) du réel point de vue « féministe » des cinéastes qui racontent ces histoires de femmes brisées par la société et par les hommes. On pourrait y voir moins un appel à la révolte ou à l’injustice qu’une forme de contemplation fascinée du visage (et du corps) de la femme qui endure parfois sans rien dire les assauts de la vie. Et puis, on pourrait dire aussi qu’un tel regard, même exclusivement contemplatif, dans ce Japon-là, a le mérite d’avoir été posé. Même si au bout du compte le cinéma n’a strictement rien modifié au statut des femmes dans l’archipel.
D’autres exemples de films japonais suivront dans cette liste. Même si l’on pourra regretter une certaine répétition dans le type de personnages évoqué (Setsuko Hara fera sans aucun doute office d’exception), le biais est assumé.

J’ai déjà cité Katharine Hepburn parmi les actrices du début du cinéma parlant qui ont offert au monde une nouvelle vision de la femme dans la société. Bette Davis compte évidemment parmi ces vedettes interprétant des femmes de pouvoir. À côté des mères, l’actrice campait à l’écran les personnages peut-être les moins sexualisés d’Hollywood. Est-ce peu flatteur ? À chacun d’en juger.
Certes, les attributs du pouvoir et de l’indépendance, quand ils s’appliquent à une femme, ont vite fait d’être assimilés à un poison. Mais on aurait tort de faire la fine bouche : si l’on pourrait craindre une certaine forme de misogynie et de recours permanent à des personnages acariâtres, à des « vipères », à des coincées du cul ou à des vieilles filles, montrer des femmes décidées, libres, émancipées, c’est un peu, disons, le prix à payer pour mettre un premier pied dans la porte des conventions. D’aucuns diraient qu’il aurait fallu y aller plus franchement afin de pouvoir l’ouvrir complètement cette porte. Pourtant c’est précisément quand la société américaine avait jugé que Hollywood avait été trop loin que cette porte s’est refermée. De stéréotypes nouveaux ou actualisés comme la femme fatale ou la vieille fille aigrie se sont certes installées pendant l’époque du code Hays, mais même négatifs, on pourrait difficilement arguer qu’ils n’ont pas malgré tout participé à bouger les lignes. Sans tous ces rôles d’actrices indépendantes de l’âge d’or d’Hollywood, aurait-on eu plus facilement la révolution féministe des années 60 ? Je ne suis pas sûr. Le pouvoir colossal du cinéma, surtout à l’époque d’avant la télévision et des réseaux sociaux, avec sa capacité à proposer des représentations du monde à de larges populations, ne devrait pas être sous-estimé. Montrez des femmes dans des premiers rôles, il en restera toujours quelque chose.
Je pourrais citer divers films dans lesquels Bette Davis assume avec plus ou moins de radicalité son indépendance, mais c’est aussi un top, et Ève est mon préféré parmi tous ceux dans lesquels l’actrice apparaît.
Le thème du film fait écho à celui de Pension d’artistes, cité plus haut. À toutes les époques, le cinéma a parlé des coulisses, que ce soit celles du théâtre ou du cinéma. Ces histoires ont permis de rendre compte d’un monde dans lequel les femmes pouvaient avoir exactement les mêmes →→→→→→
désirs et les mêmes aspirations que leurs collègues masculins partageant les mêmes scènes ou les mêmes plateaux. Dans une pièce, il faut… des actrices, contrairement à d’autres milieux qui se sont structurés sans la moindre mixité. Présenter les coulisses du théâtre ou du cinéma est ainsi une manière de proposer au public une image condensée de ce que pourrait être une société où les hommes et les femmes se côtoieraient dans un même lieu pour travailler et seraient soumis au même pouvoir hiérarchique, à des règles communes. Un condensé de ce que pourrait être l’entreprise de demain. Et c’est ce qu’elle est souvent devenue. Le théâtre a été une des premières activités professionnelles où la mixité s’est imposée. C’était au dix-neuvième siècle. Le cinéma l’a très vite imité. Le monde du spectacle a montré la voie.
Deux siècles de mixité, que serait la place des femmes dans la société aujourd’hui sans l’héritage de ces arts du spectacle ? On en voit pourtant des belles dans ces films de coulisses. De toutes les sortes d’agressions possibles. Aucune complaisance. Tout a toujours été mis sur la table. Le constat était à l’écran, la société a tardé à en tenir compte.
Ève serait-il un film misogyne en présentant ainsi une image négative de la femme ? Selon les standards actuels, et si l’on refaisait exactement le même film aujourd’hui, probablement (même si cela n’a pas beaucoup de sens de qualifier des objets ainsi). Mais il en va de la quête des droits des femmes comme de tout autre droit fondamental ou de toute autre avancée sociétale : les mentalités ne peuvent changer du tout au tout du jour au lendemain. C’est un processus. Quand on juge les valeurs présentées dans un film, cela n’a aucun sens de le faire en fonction de critères actuels : il faut le faire en fonction de son époque. Les femmes montent l’escalier… Et là, une seule question se pose : est-ce que le film était plus progressiste que la société dans laquelle il évoluait ou non ? En 1950 donc, présenter un personnage féminin ambitieux, indépendant dans un premier rôle, même sous un angle partiellement négatif (on aura connu Bette Davis dans des rôles bien plus agaçant), c’était bon à prendre.
Si une femme peut revendiquer ses ambitions à l’écran, elle sera imitée en dehors.
7. La Forteresse cachée (Princesse Yukihime)
Misa Uehara
(Ryūzō Kikushima-Hideo Oguni-Shinobu Hashimoto/Akira Kurosawa, 1958)

Si le personnage de la princesse Leïa (qui est un calque de la Princesse Yukihime) finit par tomber dans les travers du personnage féminin qui se range du côté du sentimentalisme et se laisse séduire par un chasseur de primes, il ne me semble pas que son modèle japonais finisse par trouver « l’amour ». Aucun rapport de séduction n’est établi entre la princesse et n’importe quel personnage masculin.
Même si l’on imagine cette réserve être la conséquence de son statut de princesse, et même si elle finira (hors récit) par se marier, l’essentiel est toutefois bien là : un personnage féminin fort, →→→→→→
directif, décidé sans que cela ne soit le moins du monde une manière de l’associer à un caractère outrancier, négatif ou « hystérique ».
C’est une femme de pouvoir tout simplement, dénué de tout sentimentalisme amoureux.
(Le cinéma japonais trahira cet élan protoféministe en s’emparant de l’archétype du personnage « badass » dans des films d’exploitation dans lesquels la violence esthétisante devient une métaphore sadomasochiste des rapports de dominations sexuels.)

Sacrilège ? Peut-être pas. Je m’explique.
On trouve dans le film de Wilder et de Lubitsch, beaucoup de sentimentalisme, voire de romantisme, mais le film met à l’épreuve les codes du romantisme et des relations sentimentales à la lumière de la condition de la femme (supposée ou non) en Union soviétique.
Bien sûr que Ninotchka succombe à l’amour. Mais finalement, n’est-elle pas, comme dans beaucoup de films avec Greta Garbo, intéressée par tout autre chose ? N’est-ce pas l’amitié ici le véritable sujet du film ? Et sauf si ma mémoire me joue des tours, Ninotchka retourne au pays et n’en reste pas moins toujours aussi indépendante. Son aventure l’a peut-être rendue plus flexible dans ses principes « progressistes » en cédant aux sirènes du romantisme et du capitalisme, mais elle ne crache pas pour autant sur son passé et sur certaines des valeurs qui ont fait ce qu’elle est.
On sait que l’actrice était probablement homosexuelle. Toute sa vie de vedette, Greta Garbo a joué dans des romances. Pourtant, presque toujours, on sent qu’elle regarde aussi un peu ailleurs, qu’elle aspire à autre chose, à plus de liberté peut-être, à plus d’invisibilité face à des hommes qui la laissaient de marbre. De fait, ses amours au cinéma ont rarement rendu ses personnages heureux.
Mais certes, à l’écran, comme dans la vie, cette indépendance (volontaire ou non) se présente plutôt sous l’angle de l’échec. Libre à chacun, et à chacune, de voir ça au contraire comme un renoncement assumé ou un chemin balisé pour d’autres finalités futures. L’émancipation, ce n’est pas être libéré des hommes ou vivre solitaire, c’est être libre dans ses choix à chaque instant de sa vie. Peut-être que bientôt, Ninotchka ne rêvera plus d’amour, mais de liberté dans un pays où l’idéal commun a été aussi dévoyé.

Désormais veuve après un mariage de raison (à l’avantage du patriarche qui souhaitait surtout que son héritage ne tombe pas entre de mauvaises mains), l’ancienne domestique Dai-nan devient, par la force des choses, cheffe de famille et s’en va rencontrer le frère et le neveu de son défunt mari.
Après une telle entrée en matière, l’histoire aurait pu développer un personnage encore dévoué à son ancien maître, mais même si l’on ne peut pas nier une forme de dévotion envers celui qui lui a tout cédé, on note surtout combien cette femme n’a en réalité rien d’une domestique ignorant tout des usages des puissants.
Preuve que la jeune veuve n’est pas la grande naïve que l’on pouvait craindre : l’ancienne domestique excelle dans le kung-fu sans que l’on s’interroge sur l’origine de cette étrange capacité (pas de chichi, c’est une farce, une fantaisie). Son kung-fu symbolise ici la puissance de la jeune femme, posée sans explications comme l’égale de celle des hommes. Une femme tient enfin le beau rôle dans un film de baston. The Women’s Empire Strikes Back. L’heure de la revanche des femmes.
Si le film plaisante ensuite allègrement sur les manières paysannes de la « jeune tante », cela aurait presque une valeur méliorative parce que l’on oppose à cette simplicité le matérialisme bling-bling de la haute société fréquentant la ville moderne et au ridicule de son neveu attiré par l’Occident. Une démarche qui permet d’insister sur la légitimité d’une connaissance populaire comme le kung-fu, opposée aux usages futiles des riches citadins.
Jusque-là, les femmes étaient dociles, des personnages décoratifs, des trophées. Avec Kara Hui (propulsé sur le devant de la scène par Liu Chia-liang), c’est la femme qui décide de la marche à suivre et qui distribue les pains pour se faire respecter. Même jeu, mêmes règles, joueurs différents.
Beaucoup des meilleurs films sont des films de transgression et de travestissement (au sens large) : des films dans lesquels on change de costume comme de coutume, de sexe, de classe, de métier ou de pays. Ce sont les confrontations à l’autre, à l’étranger, à l’esclave, à l’ouvrier, à la femme, à la domestique, au monstre, tous supposés inférieurs ou dangereux, qui nous grandissent. Le travestissement, comme autrefois dans la commedia dell’arte, anéantit ces préjugés et rapproche les peuples, les sexes et les individus. Vous ne trouverez rien de plus fraternel que le travestissement à travers un dépassement de classes, des usages sexués, des coutumes ou des rôles…
Quand on regarde les films avec Bruce Lee, certes, on s’extasie devant la maîtrise et le charisme du garçon. La chorégraphie est belle. Mais avec Kara Hui, on fait l’expérience d’une transgression salutaire (pour ceux qui en avaient encore besoin), celle d’un monde dirigé par les femmes, un monde dans lequel la guerre des sexes n’est plus qu’un jeu parce qu’on y autorise une femme à venir se battre dans l’arène contre tous les hommes ou contre d’autres femmes.
Que la ou le meilleur·e gagne. Poing médian dans la face.
10. Quatre mois, trois semaines, deux jours (Otilia et Gabriela)
Anamaria Marinca et Laura Vasiliu
(Cristian Mungiu, 2007)

Pas beaucoup de débats concernant ce film, c’est une évidence.
Deux femmes qui luttent pour arriver à faire avorter l’une des deux au milieu des intransigeances (et abus de pouvoir) des hommes. L’avortement même est conditionné : il n’est pas question d’aider les deux femmes, mais de profiter de la situation.
Aucune romance, aucun père, juste le constat clinique que l’indépendance (sexuelle, mais pas que) des femmes a un coût.
Le film choisit de planter le décor de l’insécurité des femmes et des inégalités dont elles sont victimes en pleine dictature parce que ça permet de forcer le trait, mais avec plus de nuances et avec un contexte supposé plus libéral →→→→→→
ne retrouverions-nous pas, exprimée autrement, toute une série d’écarts illustrant invariablement cette exploitation des femmes par les hommes ? Cette indépendance arrachée parfois de longue lutte ne se paie-t-elle pas toujours d’une manière ou d’une autre pour les femmes ? La pilule est une avancée capitale ayant permis aux femmes de prendre le contrôle de leur corps et de leur vie, mais ont-elles choisi la pilule bleue ou la pilule rouge ?… La seule véritable indépendance qui se profile ne doit-elle pas alors s’accomplir dans la radicalité d’un rejet total des relations sexuelles et amoureuses ?
Il ne faut jamais se contenter des évidences. Mais explorer les limites de ce jeu des possibles que la fiction nous offre.