Un dimanche comme les autres, John Schlesinger (1971)

Note : 4 sur 5.

Un dimanche comme les autres

Titre original : Sunday Bloody Sunday

Année : 1971

Réalisation : John Schlesinger

Avec : Peter Finch, Glenda Jackson, Murray Head

S’il n’y aurait probablement pas eu de Nouvel Hollywood sans nouvelles vagues européennes, je ne suis pas sûr qu’on mesure à quel point John Schlesinger a participé à l’importation de ces nouveaux usages à Hollywood. Dans le Nouvel Hollywood, comme précurseur, on évoque surtout Bonnie and Clyde, Le Lauréat ou Easy Rider, et certes, leur succès a obligé les studios à revoir leur copie, mais sur le plan formel, je trouve Medium Cool et le Macadam cowboy de John Schlesinger bien plus représentatifs des techniques qui se mettront en place dans la décennie qui suit.

Les pellicules couleur sensibles et abordables, les petites caméras, les dispositifs sonores améliorés, toutes sortes d’avancées techniques ont permis l’essor d’un nouveau style, plus direct, voire d’un nouveau langage cinématographique. On s’autorise plus souvent les surimpressions abandonnées depuis le temps du muet ; on adopte des zooms et des longues focales renforçant les flous. Les mouvements d’appareil sont nombreux et les vues subjectives ne sont pas rares. À côté de ces nouvelles possibilités techniques, les cinéastes s’aventurent plus volontiers aussi vers des récits plus « modernes » : les drames ne sont plus construits autour d’enjeux définis forts et des confrontations évidentes s’achevant par une résolution, on écrit des chroniques, les histoires servent à illustrer l’humeur d’une époque, d’une société.

Il y avait tout ça dans le cinéma européen des années 60, John Schlesinger l’a exporté en Amérique en tournant sur la côte est Macadam cowboy, et le voilà qui enfonce le clou deux ans après à l’occasion de son retour en Angleterre avec Un dimanche comme les autres. La forme du film est tellement représentative de ce que j’ai décrit plus haut et les productions sont parfois si perméables à l’époque entre États-Unis et Grande-Bretagne qu’on pourrait même l’associer au Nouvel Hollywood. En cette année 71 d’ailleurs, les films adoptant ces nouveaux usages (désormais plus aux États-Unis qu’en Europe qui va amorcer à partir de là un déclin par rapport à la décennie précédente) sont nombreux. John Schlesinger en reste à la chronique amoureuse alors qu’en Amérique, c’est surtout le thriller qui profite le plus de ces nouvelles formes (le réalisateur y viendra avec Marathon Man), mais le virage formel est identique. Pour ne citer que les films les plus représentatifs, pour cette seule année 1971, nous avons donc un axe automobile avec French Connection, Macadam à deux voies, La Dernière Séance, Duel, THX 1138, Point limite zéro, un autre que l’on pourrait qualifier d’eastwoodien avec Les Proies, L’Inspecteur Harry et Un frisson dans la nuit, et un axe new-yorkais avec Klute, Panique à Needle Park et Minnie et Moskowitz (on pourrait ajouter à cette liste Les Chiens de paille que Sam Peckinpah vient tourner en Grande-Bretagne avec l’acteur marquant de cette première vague du Nouvel Hollywood, Dustin Hoffman).

On trouve donc tous les aspects formels du Nouvel Hollywood dans Un dimanche comme les autres : récits éclatés, voire mêlés (tout le film est une alternance de séquences centrées sur deux amants d’un même homme auquel, parfois, mais pas toujours, il prend part), pas d’enjeux forts (simple description d’une situation suffisamment représentative d’une époque pour ne pas en faire un objet de conflit : en dessiner les différents contours et limites suffit à rendre le film intéressant, surtout sur un plan social et psychologique) ; usage du zoom, du téléobjectif, de mouvements de caméra (voire de vues subjectives illustratives participant à une sorte de montage impressionniste), de surimpressions ; importance majeure du son hors-champ (parfois même extradiégétique : récit en voix-off ou son d’une autre séquence forçant un dialogue inattendu entre perception sonore et visuelle jusqu’à se demander lequel des deux illustre l’autre — de quoi rappeler certaines scènes d’Il était une fois en Amérique), nombreux inserts (plans sur la mécanique téléphonique à chaque appel manqué ou reçu ; le thriller paranoïaque utilisera abondamment ce procédé, car il provoque une forme évidente de suspense — un usage déjà présent dans les films d’anticipation comme THX 1138, sorti la même année, ou dans Le Cerveau d’acier). Et bien sûr (en Europe, on avait adopté ces usages depuis longtemps), le film multiplie les séquences tournées dans la rue ou dans un véhicule en marche.

Pour ce qui est du sujet de la chronique amoureuse, elle recèle son lot, peut-être pas d’innovations, mais d’avancées sociales propres à une époque : le triangle amoureux est vécu sans grande tragédie (on évite les conflits sans pour autant cacher les difficultés, la solitude, la jalousie), et il implique deux hommes (et cela, sans que l’on fasse de ces hommes des caricatures d’homosexuels névrosés et pervers).

Je m’épate régulièrement des films dans lesquels le double jeu et le sous-texte permettent une sorte de musique à deux mains. On y est pleinement dans ce récit qui se refuse aux grands éclats et qui adopte une approche descriptive presque transversale pour illustrer le drame (ou la condition) d’un triangle amoureux plus ou moins imposé, mais connu et accepté par chacun. D’un côté, le récit expose des situations anodines de la vie quotidienne centrée sur deux des trois protagonistes (les deux connaissant l’existence de l’autre sans partager sa vie et avec des règles rappelant celle de la garde alternée, d’où le titre), c’est la mélodie ; et de l’autre, côté harmonie, le récit qui, sans l’air d’y toucher, évoque les particularités, les non-dits, les mensonges (dans une société réprouvant à la fois les couples libres et les homosexuels), les dépendances affectives et la jalousie épisodique, la solitude, l’égoïsme (l’électron libre finit par quitter ses deux amants pour rejoindre l’Amérique : le médecin de la TWA lui souffle que San Francisco vaut le détour). C’est une jolie manière de dévoiler les choses sans condamner qui que ce soit, l’art du fait accompli : les personnages acceptent leur sort et nous avec. La révolution sexuelle à la sauce britannique et bourgeoise en somme. Une révolution silencieuse et sans vague.

À noter un passage de témoin incongru entre la standardiste apparaissant dans quelques séquences et un petit loubard : le second est joué par Daniel Day-Lewis, la première, par Bessie Love, ancienne star de muet qui tenait par exemple le rôle-titre de Bessie à Broadway (Frank Capra, 1928) et pionnière du cinéma américain (elle a commencé en 1916 notamment avec Douglas Fairbanks, Allan Dwan, Griffith ou William S. Hart). Un siècle de cinéma vous contemple.


Un dimanche comme les autres, John Schlesinger 1971 Sunday Bloody Sunday | Vectia, Vic Films Productions


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Macadam à deux voies, Monte Hellman (1971)

Note : 4.5 sur 5.

Macadam à deux voies

Titre original : Two-Lane Blacktop

Année : 1971

Réalisation : Monte Hellman

Avec : James Taylor, Warren Oates, Laurie Bird, Dennis Wilson

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Formidable. Nouveau jalon décisif dans l’histoire du cinéma américain et du Nouvel Hollywood, assez peu conforme par ailleurs à la logique de la politique des auteurs (beaucoup de ces cinéastes de la nouvelle vague américaine ont réalisé leur meilleur film à cette période sans forcément bien convaincre par la suite).

Je n’ai absolument aucune appétence pour les bagnoles, mais il faut avouer que le road movie est fait pour le cinéma, surtout pour ce cinéma du Nouvel Hollywood. Les États-Unis viennent de poser le pied sur la Lune, le vecteur du héros américain pouvait-il encore être ce bon vieux canasson de western ?

« Avant le tournant des années 65-70, il y a quelques précédents où des autos filmées « on location » permettent au récit de gagner en réalisme : mais le véritable précurseur semble être Bullitt sorti en 1968 (dans Bonnie and Clyde par exemple, sorti en 1967, les scènes en voiture sont des transparences), on n’avait sans doute pas encore généralisé les différentes techniques comme les remorques, les plateformes ou les dispositifs attachés sur le toit, les portières rendant possible les plans d’acteurs positionnés dans un véhicule en mouvement avec un arrière-plan bien réel… En Europe, les diverses nouvelles vagues filment depuis un moment à l’intérieur des voitures (À bout de souffle, par exemple).

Mais c’est donc à Hollywood que le road movie (avec ce fort vecteur identitaire de l’American way of life qu’est la bagnole) évoluera de pair avec la nouvelle révolution des studios.

Si Dustin Hoffman semblait avoir un abonnement avec une compagnie de bus (plus facile de placer une caméra dans la rangée centrale pour la fin du Lauréat ou de celle de Macadam Cowboy), si Easy Rider a enfoncé le clou avec les deux roues avec ses séquences de travelling d’accompagnement, et si au cours des années 50 et 60, on multiplie les timides tentatives, en 1967, avec la séquence d’introduction de Dans la chaleur dans la nuit, le directeur de la photographie Haskell Wexler prouve qu’on peut placer une caméra sur le siège passager d’un véhicule en mouvement dans un film de studio et en couleurs (on remarque au passage que c’est Warren Oates qui est déjà au volant). En 1969, alors que Disney en est encore à filmer ses séquences pour Un amour de coccinelle avec des transparences que l’on jugerait datées aujourd’hui, Haskell Wexler passe à la réalisation et montre à Hollywood que la conversion aux techniques européennes est moins compliqué qu’un passage au système métrique : l’introduction et la dernière scène de Medium Cool dans lequel les deux protagonistes sont filmés en champ-contrechamp à l’intérieur de leur véhicule donnent un meilleur aperçu de ce que les productions s’autoriseront désormais à faire. Entre-temps, en 1967, Stanley Donen avait tourné dans le sud de la France avec une équipe britannique Voyage à deux : on est loin de Hollywood et de la contre-culture, mais le caractère hybride du film et sa manière tout européenne de filmer les extérieurs laissent entendre que l’on n’a plus besoin de s’enfermer dans des studios avec une transparence pour simuler l’intérieur d’un véhicule (Psychose paraît déjà loin : avant de faire « slash », la mode n’est plus au thriller psychologique, mais à la carte postale mobile et réaliste à la James Bond — tournant qu’avait pourtant timidement initié le réalisateur britannique avec La Mort aux trousses).

Et maintenant que tout le monde a compris que c’était possible d’adopter ces techniques, alors rattachées aux films européens (et plus seulement aux nouvelles vagues : L’Homme de Rio, Z, Le Casse, grâce à Remy Julienne, etc.), dans des productions grand public, ça va être le grand embouteillage à l’orée de la nouvelle décennie.

Filmées essentiellement comme un film européen (pellicule couleur, mais caméras mobiles), les séquences sur la route dans Cinq Pièces faciles sont tournées en décors naturels et à l’intérieur même du véhicule à la manière de Bullitt et du début de Dans la chaleur de la nuit. Une partie non négligeable du film sorti en 1970 est consacrée au voyage de retour du personnage principal vers la maison familiale. La même année, John Cassavetes n’a aucun mal à placer une caméra sur la portière d’une voiture pour filmer ses trois acteurs dans Husbands. Sorti l’année suivante et plus spectaculaire que deux films adoptant dans les grandes lignes les techniques européennes (Cinq Pièces faciles et Husbands), les séquences de course-poursuite tournées à New York pour French Connection répondent à celles tournées trois ans plus tôt à San Francisco pour Bullitt. Toujours en 1971, La Dernière Séance de Peter Bogdanovich pourrait être un film italien des années 60 tant on y filme sans contraintes les passagers dans leurs véhicules (dans son film précédent, Targets, en 1968, Bogdanovich avait déjà réuni deux éléments essentiels de la culture américaine, le fusil et la voiture : le tueur, ironiquement, tirera d’abord et au hasard sur des voitures passant devant lui sur l’autoroute, puis se rendra dans un drive-in pour achever son massacre). Toujours en 1971, mais tourné cette fois pour la télévision, Duel de Steven Spielberg est entièrement filmé sur la route en adoptant ces nouveaux usages (le réalisme au service du thriller). Référence dans le genre et sorti là encore en 1971, Vanishing Point aurait pu tout aussi bien croiser la route des automobilistes de Macadam à deux voies : crossover improbable, les deux films parcourent l’Amérique d’un endroit à un autre, mais en sens inverse. Même les séquences de bolides dans THX 1138 sont tournées de manière réaliste (le réalisme au service du film d’anticipation).

Sur ce sujet, lire plus en détail : Transparences et représentation des habitacles dans le cinéma américain

Bref, voilà le contexte dans lequel a été tourné Macadam à deux voies : une grande effervescence autour des films routiers s’est emparée des studios (ou des réalisateurs de la nouvelle génération, devrait-on dire). Juste avant le premier choc pétrolier, et cela, l’année même du pic de production américain (1971), il était temps. (Ironiquement, là où, en 1972, La Dernière Maison sur la gauche était peut-être annonciateur de quelque chose, ce serait la panne d’essence.)

Pour le reste, le film est bien représentatif de l’air du temps. S’y retrouve à l’écran le même nihilisme désabusé de Cinq Pièces faciles, une écriture qui fonctionne par petites touches impressionnistes (pas d’enjeu clairement défini dans une partie introductive comme attendu dans un récit classique), un peu comme dans Le Plongeon (une halte après l’autre). On sent l’influence d’un Antonioni ou d’un Bresson sur la forme narrative du film : le passé ou les intentions des personnages n’apparaissent que fugacement, ce qu’on en apprend pourrait tout aussi bien n’être que des mensonges (le personnage de Warren Oates, GTO, parle beaucoup et, chaque fois, c’est une nouvelle version qui surgit) ou des métaphores (chaque pèlerin picoré sur le trajet semble tout droit sortir d’un catalogue de la déprime américaine). On expose ainsi les conséquences d’épisodes ou de décisions passées, jamais les causes : à nous d’imaginer ce qu’ils font et pourquoi. Le plus probable, c’est même en un sens que le récit soit purement conceptuel et que si les personnages ont si peu de consistance, c’est qu’on veut en faire des fantômes ou des archétypes. Le défi lancé de rejoindre Washington DC le premier pourrait faire office d’objectif clair, comme dans Vanishing Point sorti la même année, mais on s’aperçoit très vite là encore que ce n’est qu’un prétexte à aller de l’avant, rouler, sans finalement avoir à trop se préoccuper de quoi que ce soit. Même l’histoire d’amour amorcée (sorte de ménage à quatre avec une roue voilée) patine, et on ne la relance sur la fin que pour trouver un vague motif de jalousie et forcer une réunion vite avortée. Cinéma existentialiste ou nihiliste, c’est au choix. D’ailleurs, le film s’achèvera avant même le franchissement de cette ligne d’arrivée désignée, preuve que l’objectif était illusoire. Montrer l’errance de quatre personnages à côté de leurs pompes, illustrer l’incommunicabilité qui les caractérise : voilà finalement le seul et maigre crédo du film. « Aujourd’hui, maman est morte. Il a fallu changer une pièce du carburateur. »

Ce tableau d’une Amérique pas encore en crise composé de quatre paumés qui ne partagent pas grand-chose sinon des banquettes avant et quelques repas, c’est en détail : deux autistes passionnés de mécanique et de conduite, une ado en pleine crise existentielle probablement en fugue, et un quarantenaire bourgeois semble-t-il déclassé qui pourrait être le cousin du personnage de Cinq Pièces faciles (il dit avoir gagné son auto aux jeux alors qu’il semble au contraire avoir tout perdu sauf le besoin, pour combler son existence misérable, de se faire mousser en ramassant tout ce qu’il trouve sur la route afin de leur raconter une version alternative de sa petite histoire). Quand tu commandes un double Macadam cowboy au comptoir du Nouvel Hollywood, on te sert un Macadam à deux voies. Le plus étonnant, c’est qu’on finit par s’attacher à ces quatre désaxés. « Ton Paris-San Francisco s’est bien passé ? » « J’ai rencontré quatre gusses étranges, mais sympathiques. L’un d’eux était particulièrement bavard. Il venait de perdre sa mère. Au moins pour la quatrième fois. »

Avant Profession : Reporter, Antonioni avait sorti Zabriskie Point, beaucoup moins convaincant à mon sens, mais Macadam à deux voies aurait tout aussi bien pu être réalisé par le cinéaste italien. Bresson, Antonioni : le Nouvel Hollywood a enfin pris le train en marche de l’incommunicabilité, même si ce sera beaucoup plus épisodique et limité aux années 70 (quoique, avec Jim Jarmusch, on y est totalement).

On peut imaginer que Easy Rider ait également eu une importance capitale dans l’inspiration du film, mais celui de Denis Hopper (voire un film comme The Endless Summer) était clairement fait dans une veine hippie : la fugue, la drogue, le sexe étaient encore synonymes de liberté. Après le meurtre de Sharon Tate en 1969 et la défaite de l’armée américaine au Vietnam, si le Nouvel Hollywood poursuit son chemin sur les routes, ce n’est déjà plus du tout avec la même insouciance ou les mêmes aspirations (manquait déjà une frange de la culture de ces années décisives pour les droits humains : des cinéastes femmes — en dehors de Wanda, c’est le calme plat et le mouvement restera longtemps une révolution d’hommes).

C’est bien un souffle de déprime et de sinistrose qui s’installe peu à peu dans une Amérique touchée par la crise pétrolière, les scandales politiques et la guerre du Vietnam. Le film de Monte Hellman (ce que n’était pas du tout Vanishing Point) était déjà dans le début de ce parcours qui prendra fin en partie avec La Guerre des étoiles. En 1978, Big Wednesday aura la charge de fermer la vague avec un dernier film d’errance et de mecs obstinés : les années Reagan remettront le fric et le happy end sur le devant de la scène.

On rêverait d’assister aujourd’hui à un tel regain créatif dans les productions américaines. À croire que toutes les révolutions ne sont possibles que si elles sont avant tout techniques. Est-ce que le numérique a apporté quelque chose de plus aux cinéastes ? Eh bien, pas vraiment. Ah, si, désormais on commente les sorties cinéma sur YouTube et sur des blogs. On a la révolution qu’on mérite. J’attends l’article : « Une certaine tendance du cinéma à se foutre des enjeux environnementaux et sociétaux d’un monde qui part en sucette ».

À noter que la gamine du film en couple un moment avec le réalisateur (c’est très « politique des auteurs », ça) s’est suicidée quelques années plus tard. Quant à Monte Wellman : ses deux (mauvais) westerns tournés avec Jack Nicholson avant celui-ci auraient été remarqués en Europe dans les années 60, mais à peine dans son pays ; et en dehors de Cockfighter, tourné trois ans plus tard, sa filmographie semble hautement dispensable. L’air du temps a parfois plus de talent que les individualités… Le film est par ailleurs produit par Gary Kurtz, bien connu des amateurs de Star Wars : grand amateur de bolides et soucieux de se refaire après l’échec de THX, George Lucas avait fait appel à lui dès American Graffiti, version volubile, nostalgique et sédentaire de Macadam à deux voies. Le road movie circulaire, le cinéma en parc d’attractions, ce sera presque une rengaine dans le cinéma de Lucas.

Le public s’y retrouve : certains des visages de la contre-culture se sont perdus sur la route ; ceux qui ont su retomber sur leurs pattes, s’adapter aux nouvelles règles, aux nouvelles époques, aux aspirations du public, ont fini par prendre les commandes. En 1971, Monte Hellman réalisait Macadam à deux voies, George Lucas réalisait THX 1138, Steven Spielberg réalisait Duel, William Friedkin réalisait French Connection, Peter Bogdanovich réalisait La Dernière Séance et Richard C. Sarafian réalisait Vanishing Point : 6 roues motrices, 2 voies vers les sommets. Plan d’ensemble : pendant que les quatre autres prennent un snack sur une aire d’autoroute, George se débarrasse de son barda rempli d’incommunicabilité et de techniques de montage savantes, puis prend place à l’arrière de la moto de Steven. « J’arrête les conneries. Back to the past, Stevie. »

« It’s far far away, Luke. »


Macadam à deux voies, Monte Hellman 1971 Two-Lane Blacktop | Michael Laughlin Enterprises, Universal Pictures

Cinq Pièces faciles, Bob Rafelson (1970)

Note : 4.5 sur 5.

Cinq Pièces faciles

Titre original : Five Easy Pieces

Année : 1970

Réalisation : Bob Rafelson

Avec : Jack Nicholson, Karen Black, Billy Green Bush, Fannie Flagg, Sally Struthers

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Chef-d’œuvre nihiliste ou désabusé sur un fils de bonne famille incapable de trouver sa place dans le monde. Pas dans « le monde » (de la haute société), mais dans n’importe quelle société, car une fois le film commencé, on pourrait penser que c’est un ouvrier comme un autre, et c’est seulement plus tard que l’on apprend qu’il a fui un cercle familial privilégié.

Jack Nicholson est phénoménal à arriver à rendre sympathique un tel type odieux, incapable de supporter qui que ce soit à part peut-être sa sœur et son père qui a le gros avantage pour lui de ne plus pouvoir dire un mot. Le bonhomme est à la limite du cas social, borderline, imprévisible, insolent, narcissique maladif ou misanthrope fuyant la vie, on ne sait trop bien.

Cette manière d’être capable tant à la fois de prendre du plaisir avec ses potes ou les femmes (sans grand souci des conventions ou de la possibilité de blesser ses proches par son comportement) et tout à coup de péter un câble ou de sombrer dans un désespoir à ne plus savoir où se mettre pour supporter le monde ou les gens qui l’entourent participe à le rendre étrangement sympathique. Il ne serait pas aussi insaisissable, et manifestement incapable de s’adapter aux différentes sociétés dans lesquelles il tente de faire sa place, on ne pourrait pas l’apprécier. C’est d’ailleurs le type même de personnages qu’il vaut mieux voir en peinture. Un moment fort du film, c’est par exemple quand « Bobby » s’en prend à une pétasse prétentieuse (c’est, à peu de choses près, ainsi qu’il l’insulte) quand elle pointe du doigt sa copine avec mépris, signifiant par là que malgré les allures qu’elle cherche à se donner, la plus grossière, c’est bien elle. Autre pétage de plomb, quand Bobby réclame un menu dans une aire de repos sur la route et envoie tout valser sur la table parce qu’il est trop pointilleux pour la serveuse… Sacré tempérament…

Le film montre qu’on peut être ponctuellement, et de manière répétée, un connard, on ne l’est pas forcément parce que c’est dans notre nature, mais parce qu’on est à deux doigts de tout plaquer parce que tout nous insupporte. Cela ne justifie en rien pour autant les comportements toxiques de ce genre de cas sociaux, mais s’en faire une vue plus globale dans un film aide peut-être à voir les choses différemment… Tout plaquer, c’est ce que Bobby finira par faire, histoire de s’inventer une toute nouvelle vie et d’échapper aux deux précédentes, comme le personnage de Profession : Reporter que Nicholson interprétera cinq ans plus tard pour Antonioni… On imagine que ce désir de fuite permanente, cette quête désabusée d’identité, sujet du film de Bob Rafelson, a joué dans le choix du réalisateur italien pour choisir l’acteur pour son film…

Cinq Pièces faciles est d’une grande modernité. Il aurait pu être réalisé hier. Superbe photo de László Kovács qui avait déjà éclairé Le Cible ou Easy Rider. Tout tourné en décors naturels et avec de vraies gens. Fini les héros. Le Nouvel Hollywood prouve encore une fois qu’il n’y a rien de dégradant à montrer les parias de la société avec des caméras mobiles et avec une photographie en couleurs de haute tenue capable de sublimer les images dans les transitions de séquences ou dans des montages-séquences et de donner ainsi à voir au public généraliste (une caractéristique qui avait timidement fait le succès du Lauréat et qui sautait aux yeux dans Medium Cool). Le Nouvel Hollywood aurait-il pu se faire sans l’intermédiaire de nouveaux directeurs de la photographie (Haskell Wexler & László Kovács, notamment) et sans un matériel adapté aux extérieurs ?*

Sur ce sujet, lire Transparences et représentation des habitacles dans le cinéma américain


Cinq Pièces faciles, Bob Rafelson (1970) Five Easy Pieces | BBS Productions, Columbia Pictures

L’Inquisition, Arturo Ripstein (1974)

Note : 4 sur 5.

L’Inquisition

Titre original : El santo oficio

Année : 1974

Réalisation : Arturo Ripstein

Avec : Jorge Luke, Diana Bracho, Claudio Brook

Excellente reconstitution, même si je doute que la toute jeune Mexico ressemblait à la fin du XVIᵉ à ce qui nous est présenté. Mais j’en demande peut-être beaucoup.

Les chuchotements permanents donnent le cachet du film, son ambiance, ce qui fait qu’on peut y croire et mesurer le degré de peur, de persécution et de suspicion à l’égard des juifs en pleine période épidémique. (C’est malheureusement aussi pas mal d’actualité, le thème des sacrifices humains opérés par les juifs ayant été récemment réactivés…)

Le film souffre un peu d’une baisse de rythme à la sortie de prison : difficile de rester sur un tel rythme tout en développant un nouveau départ, mais il faut respecter le ton du film. L’absence de musique n’aide pas, mais elle aurait pu tout aussi bien tout gâcher et en faire un Grand Inquisiteur bis. Les acteurs et la mise en scène sont assez remarquables, mais c’est une habitude, j’ai l’impression dans le cinéma mexicain. Mes films préférés de Buñuel sont mexicains, il doit y avoir toute une production restant encore largement sous les radars… Il me faudra un jour notamment explorer le cinéma mexicain des années 30, 40, 50 qui s’annonce remarquable. D’autres perles se cachent sans aucun doute derrière La perla, d’Emilio Fernandez.


L’Inquisition, Arturo Ripstein 1974 El santo oficio | Cinematográfica Marco Polo S.A., Estudios Churubusco Azteca S.A.


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Anna et les loups, Carlos Saura (1973)

Anna et les loups

Note : 4 sur 5.

Anna et les loups

Titre original : Ana y los lobos

Année : 1973

Réalisation : Carlos Saura

Avec : Geraldine Chaplin, Fernando Fernán Gómez, José María Prada, Rafaela Aparicio

Toujours aussi étonnant de voir l’interprétation qui est faite des films de Carlos Saura… Le réalisateur aura beau des années après la fin du régime franquiste dire que ses films ne sont pas des allégories, le public et les critiques prendront toujours un malin plaisir à plonger tête la première dans cette interprétation facile ou forcée.

Mais le spectateur a toujours raison…

Les films de Carlos Saura gardent heureusement sans ça toute leur fascination et leur puissance évocatrice (aux spectateurs d’accepter de ne voir là que des interprétations personnelles, pas celles révélées d’un auteur). On a en sommes ici le même schéma pervers et inversé du Théorème de Pasolini avec un intrus venant chambouler les habitudes déjà étranges et malsaines d’une famille bourgeoise de la campagne espagnole. Geraldine Chaplin est parfaite dans son rôle, belle comme un cœur, que Saura a la bonne idée de présenter quasi nue à chaque plan (été oblige comme prétexte à la concupiscence attisée du spectateur), ce qui ne manquera pas, en plus de tenter les mâles des salles obscures, de nourrir la frustration des trois frères de notre histoire. L’intruse venant troubler cette tranquillité oisive et bourgeoise (on peut le dire) d’une famille malade d’elle-même ne tardera pas à voir déverser sur elle toutes les projections malsaines de monstres tenus jusque-là à l’écart, et non sans raison, de la société des hommes.

C’est peut-être l’époque qui veut ça, on y retrouve souvent ce principe de récit dans des maisons de fous avec ou sans intrus : Les Poings dans les poches, Cérémonie secrète, The Servant… Des relations binaires aussi, mais souvent, c’est le lieu (un domicile riche et ancien) agissant comme une prison dorée, une boîte de Pandore géante pour tenants de la consanguinité, qui est le révélateur, l’antre, des folies enfouies, cachées ou à venir, d’une famille recluse derrière les règles d’une société agonisante ou déjà disparue.


 
Anna et les loups, Carlos Saura 1973 Ana y los lobos | Elías Querejeta Producciones Cinematográficas, Olympusat

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Le Professeur, Valerio Zurlini (1972)

Deux heures moins le quart après la fin du monde

Note : 4 sur 5.

Le Professeur

Titre original : La prima notte di quiete

Année : 1972

Réalisation : Valerio Zurlini

Avec : Alain Delon, Sonia Petrovna, Giancarlo Giannini, Alida Valli, Renato Salvatori

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On pourrait être tenté de croire qu’avec des acteurs tirant de telles tronches de « trente mètres Delon », ou qu’avec un tel concours de cernes, le film soit d’un glauque assez peu ragoûtant. Il faut pourtant avouer que cet état dépressif constant à bien quelque chose… de réjouissant. C’en serait presque mystérieux d’ailleurs, et j’avoue ne pas entièrement en saisir le secret. Il est vrai qu’Alain Delon est de ces individus gâtés par la nature qu’il serait impossible de rendre laids. Mieux, il trouve pour une fois une femme capable de lui tirer la bourre dans ce registre : car Sonia Pretovna a ce je-ne-sais-quoi qui la rend, elle, cent fois plus belle quand on la voit tirer une tronche de mannequin drogué, que quand elle sourit, et sa beauté est renversante, parfaite alter ego dans ce film de Delon. D’ailleurs, ça pourrait être assez simple, ne pourrait-on pas résumer la carrière de Alain Delon à cette simple règle : il n’est jamais aussi bon acteur que quand un autre acteur (souvent une actrice) peut lui rendre la pareille dans un film.

Alors, Delon faisant la gueule et se contenter d’être beau, ce n’est pas une nouveauté, et cela ne peut expliquer l’étrange alchimie qui donne au film cette ambiance fascinante malgré ses franches tendances à vous plonger dans un univers aux consonances postapocalyptiques (cette proposition de l’apocalypse serait à la Renaissance, très présente dans le film, ce qu’aurait été la Réforme à la religion catholique : un désenchantement lucide du monde). Mystère. Peut-être est-ce alors l’humour, le détachement, dont fait souvent preuve le personnage de Delon dans ce film : il est imperméable à tout, ne se sépare que rarement de son imperméable d’ailleurs, comme s’il se foutait du temps qu’il faisait ; il se fout tout autant des directives hiérarchiques qu’on peut lui donner (aucune ambition ou respect pour l’autorité, encore moins la sienne pour ses élèves) ; imperturbable mais jamais méprisant ou agressif à l’égard des autres personnages (au contraire même, et il le dit bien à sa femme, plus déprimée encore que lui au début du film ; on peut même dire que son personnage fait montre d’une certaine douceur, d’une réelle empathie pour tous les cadavres ambulants qui traînent dans ces rues de Rimini) ; et la clope toujours au bec comme pour prendre la température de sa dépression chronique. Ce ne serait alors plus la beauté de Delon qui fascine, mais son charisme eastwoodien, cette capacité qu’il a encore ici au début des années 70 à présenter une image de lui-même préservée de toute autosatisfaction, d’assurance masculine déplacée et ringarde, qui seront sa marque les années suivantes. Mystère, mystère.

Quoi d’autre encore… Pas d’alchimie possible sans doute, sans contrepoint efficace. Si tout était continuellement gris, l’absence de nuances nous ferait inévitablement tomber vers le ton sur ton. Et la nuance, si Alain Delon et Sonia Pretovna sont des amants maudits (et plutôt à ranger dans la case des stéréotypes à maudire pour les scénaristes), c’est dans les personnages qui tournent autour d’eux qu’il faut la trouver (la nuance) : le directeur du lycée est une autre caricature et une représentation de l’autorité qui laisse Delon indifférent (c’est son absence de volonté de réagir aux excès du directeur, son flegme intériorisé, qui donne le ton au film, et qui ferait donc pencher bien plus celui-ci vers la satire nihiliste que le mélodrame sentimental) ; les élèves sont de jeunes adultes turbulents que le personnage de Delon parvient à amadouer un peu en leur laissant les libertés qu’ils demandent ; ses collègues sont tout à la fois joueurs, obsédés sexuels et fêtards, soit l’exact opposé de ce qu’il est (là encore des stéréotypes grinçants, signe toujours de la causticité recherchée du film et de son caractère satirique et désabusé), et à l’exception peut-être du vice pour le jeu que le professeur Delon partage avec eux et qui permet à tous de se retrouver, l’occasion ainsi pour ce personnage de professeur de pratiquer la seule relation sociale qu’il s’autorise (mais qui permet à nous spectateurs de comprendre par cette opposition que si le jeu a peut-être encore la capacité de le divertir, il n’entretient plus vraiment d’espoir ou d’intérêt à entretenir des relations humaines avec ces nouvelles fréquentations) ; puis, les amis que lui présentent ces mêmes collègues de travail, fêtards aussi, riches et/ou prostitués on ne sait trop bien, mais il est encore question de caricatures, et offrant là toujours un contraste marqué avec les humeurs d’éternels désabusés proposés par les personnages de Alain Delon et de Sonia Pretovna…

Leur rencontre à tous les deux, leur relation naissante, n’en est que plus convaincante. Ces deux-là parlent la même langue, semblent avoir un peu trop vécu et porter sur leurs épaules, toujours accablées par le poids du passé et des soucis présents (surtout pour Delon), et paraissent se reconnaître comme deux égarés de la même espèce, ou tels deux morts résignés sur le chemin des enfers quand tous les autres se débattraient encore ignorant se savoir déjà condamnés… D’aucuns y verront les accents d’un cinéma italien des années 70 porté vers le sentimentalisme ou y retrouveront le parfum de scandale d’une époque où les libertés sexuelles recouvrées profitaient en réalité plus à un même type d’hommes, mais j’y verrais plus volontiers les accents, ou les prémices, d’un cinéma désabusé, presque déjà punk, désillusionné qui courra tout au long de ces années 70 et satire d’une société qui connaîtra bientôt la crise.

Car cet amour-là, loin du détournement de mineur, est plus platonique que réellement sentimental ou sexuel (ils mettent longtemps avant de passer à l’acte d’ailleurs, et ils en seront presque immédiatement punis). On peut même se dire qu’il n’y a rien d’amoureux entre ces deux paumés et que s’ils se retrouvent, et se reconnaissent sans même avoir recours à la moindre séduction, c’est bien parce qu’ils sont deux cadavres errants sur le chemin de l’apocalypse. Leur relation est presque aussi sensuelle qu’une paire de chaussettes sales oubliées sur un lit. Les morts n’ont rien de sensuel, et tout étranges, ou paumés, qu’ils sont, c’est peut-être la seule chose qui les unit. Et quand on ne se sent déjà plus vivants, les relations pseudo-sentimentales et charnelles, c’est peut-être la dernière chose qu’on tentera d’expérimenter pour constater la ruine de notre existence…

Leur relation n’en est pas pour autant toute tracée : ce qu’on lit d’abord dans les yeux de Sonia Pretovna quand elle regarde le professeur, c’est de la défiance désabusée, une invitation à la laisser tranquille. Puis, en génie de la mise en scène des regards (Cf. Les jeux de regards dans Été violent), Zurlini n’oublie pas de nous montrer les différentes étapes qui, dans les yeux de Sonia Pretovna, seront le signe évident de l’intérêt de plus en plus certain qu’elle porte pour son professeur. Un intérêt ni intellectuel, ni sentimental donc, ni sexuel, non, juste la conviction d’avoir trouvé chez le personnage de Delon un autre paumé, un autre cadavre ambulant qu’elle. Seuls contre tous.

Je dois aussi avouer que la structure narrative m’a tout de suite emballée. Une exposition à montrer dans les écoles d’écriture. Une exposition de maître. En deux séquences et trois dialogues, Zurlini produit une exposition rarement aussi rapide et efficace : d’abord, pour apprendre que Delon arrive tout juste dans la ville (et quelle ville), on le montre en train de répondre à deux étrangers perdus. (Habile.) Puis, pour connaître la profession et le cursus de Delon, on le fait passer un entretien d’embauche. (Pratique.) Les deux séquences suivantes le montrent respectivement pour l’une face à ses élèves, pour l’autre, faire la rencontre de ses collègues et futurs compagnons nocturnes. En cinquante mots, on sait tout sur Alain de long en large.

La fin toutefois se révélera peu convaincante : les deux amants « consomment » d’abord leur amour, ce qui offre au film sa première fausse note (on tombe presque dans les excès des années 80, et on cesse d’être pleinement dans la satire désabusée pour tomber dans le sentimentalisme sordide et grossier ; et cela, même si en toute logique, il devait passer par là pour achever le travail — quoi que, une autre solution aurait été de rester vague, suggérer l’acte, mais ne pas montrer la séquence qui a, d’un point de vue narratif, ou pour un certain moral, assez peu d’intérêt). Enfin, les deux amants macchabées se retrouvent séparés trop tôt au cours de ce dernier acte, reléguant l’adolescente de personnage central à un autre accessoire en faisant passer leur relation pour une simple intrigue de passage, et remettant le récit sur les rails d’une intrigue rance et bourgeoise (la relation entre Delon et sa femme) ce qui, il faut bien l’avouer, ne correspond plus vraiment au no future des années 80 mais aux nanars vulgaires et sexuels des mêmes années.

Le Professeur, Valerio Zurlini 1972 La prima notte di quiete | Mondial Televisione Film, Adel Productions, Valoria Films

Avant cela, dans le développement narratif plus réussi, on retrouve certaines des errances (beaucoup nocturnes) familières aux films de Fellini ou d’Antonioni. Au lieu de suivre une trame classique censée résoudre un objectif défini et des conflits intérieurs, les personnages suivent une trajectoire sans but, fait de rencontres successives et de divers îlots festifs échouant tous à donner un sens à leur voyage introspectif. Ce cinéma italien de l’âge d’or avait quelque chose de nihiliste et de désabusé, et il avait peut-être raison de l’être, car il mourra bientôt. Et quand ce n’est pas des fêtes qu’on écume comme un intrus secouru par des papillons de nuit, ce sont les villas abandonnées, empreintes d’une lointaine histoire, reflet là encore d’un monde flamboyant disparu qui jamais ne revit le jour, l’histoire d’une Renaissance jadis resplendissante, témoin paradoxale du déclin d’un monde plongé dans sa dernière nuit et qui l’ignore encore.

Zurlini s’est fait aider au scénario de Enrico Medioli, et lui aussi pourrait avoir ce même attrait pour les ruines des villas de la Renaissance : Delon, déjà, s’y amusait avec sa fiancée cardinale dans Le Guépard ; et il avait participé avec bien d’autres au scénario d’Il était une fois en Amérique où on peut reconnaître parfois cette ambiance fin de siècle (avec ces mêmes « passages à l’acte » assez peu finauds, cf. le viol de Deborah dans la voiture), et souvent associé de Visconti. Medioli savait peut-être donner à ses scénarios ces ambiances sinistres propres à certains films du cinéma italien de la fin de l’âge d’or, qui sait. Un cinéma qui se perd dans les ruines et qui ne sait pas encore qu’il est lui-même en train de péricliter. Les films précédents de Zurlini adoptaient cependant déjà souvent cette même tonalité. L’errance est une manière de porter sur son monde un regard décalé, désabusé, de prendre de la distance avec lui. Aux auteurs (et aux spectateurs) de ne pas confondre le regard porté avec les objets ainsi éclairés.

En dehors d’une fin décevante, une franche réussite.



Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1972

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Portier de nuit, Liliana Cavani (1974)

Note : 3.5 sur 5.

Portier de nuit

Titre original : Il portiere di notte

Année : 1974

Réalisation : Liliana Cavani

Avec : Dirk Bogarde, Charlotte Rampling, Philippe Leroy, Isa Miranda

Bluffé pendant une bonne partie du film. Si le scénario n’est pas sans défauts, la mise en scène est souvent remarquable. On sent malgré tout une grosse (voire trop grosse) influence de Visconti (Mort à Venise notamment, avec des zooms, une caméra mobile sur axe, des séquences qui semblent même chercher à reproduire certaines ambiances), et des détails, des choix, qui séparent les metteurs en scène de talent et les génies.

J’étais tout à fait prêt à me satisfaire de cette proximité assumée, malgré un sujet plutôt glauque, mais bien amené, une sorte de Salo qui ne donne pas envie d’aller vomir ; le film proposait, en tout cas au début, une vraie opposition, fascinante, allant crescendo en comprenant ce qui lie les personnages et ce qu’ils sont prêts à accepter l’un de l’autre ; et puis, la longue séquestration occupant pour ainsi dire tout le troisième acte, trop répétitif, attendu, sans plus aucune révélation qui jusque-là nourrissait notre attention… Tout ça fait que le film s’essouffle jusqu’à s’effondrer dans son finale.

Ce qui reste brillant même dans ces excès, ce sont ces acteurs au-dessus de tout : Dirk Bogarde, comme à son habitude (ce n’est pas un acteur qui vous plonge dans une sympathie folle, il peut parfois proposer des expressions superflues — il commente ce qu’il fait, ce que son personnage est censé penser —, mais il est précis, juste et donne pas mal à voir), et Charlotte Rampling est époustouflante dans un rôle où le moindre excès peut vous décrédibiliser pour longtemps, et qui au contraire, se met à nu et se donne à un niveau auquel peu d’actrices pourraient s’élever (pourtant elle non plus ne m’inspire pas la plus grande des sympathies).

Portier de nuit, Liliana Cavani (1974) | Lotar Film Productions


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Bubù, Mauro Bolognini (1971)

Bubù (de Montparnasse)

Note : 3 sur 5.

Bubù

Année : 1971

Réalisation : Mauro Bolognini

Avec : Massimo Ranieri, Ottavia Piccolo, Antonio Falsi

La même histoire souvent avec Bolognini : c’est beau, techniquement accompli, mais un choix de sujet et de direction des acteurs assez déconcertants. Tout est à l’image de ses musiques de film d’ailleurs : d’une qualité honnête, mais jamais sans grand génie, un peu fade, et pas toujours utilisées à propos.

Concernant ce Bubù, j’avoue ne pas bien comprendre le mélange entre le Paris de la Belle Époque et celui manifestement de Turin. Apparemment à court de budget, il aurait resitué son sujet dans le nord de l’Italie, mais la moindre des choses aurait été de changer les répliques prévues évoquant un contexte parisien. D’autant plus qu’avec la postsynchronisation, ça ne devait pas être si compliqué à faire.

Pour en revenir à la direction d’acteurs, ce qui m’échappe, c’est que le cinéaste ne se révèle pas si mauvais à les situer dans l’espace, les cadrer, les faire bouger, mais dès qu’il est question de faire des choix d’interprétation, je ne suis plus. On n’en arrive pas au même point que L’Héritage, mais on troque l’antipathie des personnages pour l’apathie : il peut arriver n’importe quoi à notre petite Berta (en dehors d’un drame assez prévisible lié à ses pratiques sexuelles, il ne lui arrive pas grand-chose), ça nous fait ni chaud ni froid.

(On remarquera la grande créativité des affichistes : à cinq ans d’intervalle, on retrouve la même affiche que pour L’Héritage. Ce qui résume d’ailleurs assez bien le cinéma de Bolognini des années 70.)

De rares grands films chez Bolognini. Le plus souvent, la qualité est assurée par une distribution heureuse… Pas vraiment flatteur pour lui.


Les Longs Adieux, Kira Mouratova (1971)

Note : 4 sur 5.

Les Longs Adieux

Titre original : Dolgie provody

Année : 1971

Réalisation : Kira Mouratova

Avec : Zinaida Sharko, Oleg Vladimirsky, Tatyana Mychko

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Après le visionnage de films plus récents, plus austères, bien trop expérimentaux pour moi, retour au début de sa carrière, et à des expérimentations mieux intégrées au récit.

Le remarquable ici tient pourtant de la qualité et de la simplicité d’une histoire. Celle de l’amour d’une mère pour son fils. La peur de le voir partir rejoindre son père, sombrer peu à peu dans une dépression, ne pas céder au chantage pour le retenir, se retenir aussi de lui supplier de rester, et finalement craquer psychologiquement, nerveusement, pour une babiole lors d’une représentation théâtrale, où elle fait un peu honte à son fils, se ridiculise devant des centaines de spectateurs, et s’en foutre royalement parce que pour elle rien ne compte plus à cet instant que son fils qui l’abandonne. Rien qu’à y repenser, ça met les larmes aux yeux.

Quel dommage que Kira Mouratova ait choisi par la suite de s’adonner plus volontiers à des expérimentations franchement chaotiques pour un cinéma narratif (ses acteurs qui gueulent dans un nombre incalculable de séquences m’ont donné la migraine).



 

Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables de 1971

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Le Lien, Ingmar Bergman (1971)

Le Lien

Beröringen Année : 1971

5/10  

Réalisation :

Ingmar Bergman

Une madame Bovary qui s’éprend d’un sombre connard et qui file dans ses bras quand il la frappe. Trop vraisemblable pour être supportable.

Qu’il y ait des abrutis dans le cinéma de Bergman parce qu’il est souvent plus intéressé à dessiner les contours de ses personnages féminins, c’est une habitude ; mais là il pousse un peu loin le pompon. Pire que tout, c’est la réaction, ou l’absence de réaction, du personnage de Bibi Andersson qui est difficilement supportable. Le fait d’en faire une idiote éprise d’un tel névropathe n’aide pas à s’attacher à elle. Surtout qu’à côté de ça, son petit-bourgeois de mari a tout du parfait bonhomme. Il y a des frivolités moins cinématographiques que d’autres. Et encore, ça tracasserait madame d’être amoureuse d’un tel monstre, certainement pas, ça ne fait que rendre la bête encore plus séduisante pour elle… Il y a très probablement du vrai dans cette bêtise toute féminine à trouver les mecs violents, voire déséquilibrés, tout à fait attirants, mais si on ne peut s’identifier à l’amant, au moins qu’on puisse le faire avec elle. On ne peut pas, à qui peut-on s’attacher ? Au regard un peu méprisant de la fillette pour sa mère peut-être… Cinq secondes d’un film à sauver.

Un Bergman mineur à raison.


Le Lien, Ingmar Bergman 1971 Beröringen | Cinematograph AB, ABC Pictures


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