Abre los ojos, Alejandro Amenábar (1997)

Odyssée post-mortem

Note : 4 sur 5.

Ouvre les yeux

Titre original : Abre los ojos

Année : 1997

Réalisation : Alejandro Amenábar

Avec : Eduardo Noriega, Penélope Cruz

Pas bien pressé de le voir. Je suis pourtant un grand amateur de son remake avec Tom Cruise… Et j’aurais sans doute inversé l’ordre de préférence si j’avais vu le film d’Alejandro à sa sortie. Son film marche parfaitement. Un scénario qui semble sorti de la tête d’un Tod Browning sous hypnose. Follement tiré par les cheveux, mais étonnement sans fausses notes.

C’est le genre de scénarios qui sort des essais d’étudiants de cinéma : tous les clichés y passent. On va de twist en twist (très à la mode dans les années 90), de fausses révélations en fausses révélations ; la musique copie ce qui se fait ailleurs pour bien diriger les émotions du spectateur ; on abuse des possibilités narratives et de mise en abîme du rêve ; contexte mal défini et personnages secondaires tout dévoués au premier (et pour cause) ; jeune héritier sans attaches ni travail ; le personnage défiguré dans un accident de voiture (rappelant Le Visage d’un autre qui faisait, lui, le choix d’une approche plus distante et expérimentale) ; le coup de foudre pur et sans arrière-pensée ; le double féminin (positif-négatif) ; la scène du réveil qui n’en est pas un suivi du montage-séquence de préparation au départ du nid ; le portrait dessiné qui servira de planting à un autre moment du récit, etc. Un vrai catalogue des poncifs du genre.

Mais voilà, l’étudiant Amenábar maîtrise son sujet : il fait tout ce qu’il ne faut pas faire, il se tend à lui-même piège sur piège, et pourtant, à l’image de son héros, par sa maîtrise, son bon goût (indispensable dans un thriller psychologique et d’anticipation), il parvient toujours à s’en relever. Le plus surprenant, c’est qu’on y croit. Et cette maîtrise, c’est un ensemble de choses (toujours les mêmes astuces de dissimulation des escrocs ou des magiciens) : le rythme du film, la musique donc aussi qui nous empêche de nous réveiller, une structure narrative capable de relances voire de retours, le recours à ces bons vieux montages-séquences pour nous refiler un peu de somnifères et nous empêcher de penser ou de perdre notre attention, etc.

Souvent aussi, on doit cette maîtrise tout simplement aux acteurs. Vous me mettez Tom Cruise dans n’importe quel film et, j’y suis pour rien, cet escroc pourrait presque me faire croire en la scientologie… Eh bien ici, c’est pareil. Eduardo Noriega est solide, quant à Penélope Cruz, on peut difficilement espérer mieux dans ce rôle. Loin d’être un grand admirateur de l’actrice (contrairement au Cruise), force est de reconnaître qu’il y a dans ce film comme une évidence. Il ne suffit pas d’être jolie, elle a un quelque chose d’impalpable, d’à la fois mystérieux (ou insaisissable) et de poigne, d’autorité qui rejoint pas mal de la force, de l’intelligence et de la conviction de ces actrices qui, repérées très jeunes, peuvent surfer toute une carrière sur ces quelques années de grâce où elles apparaissaient pour la première fois et qui ont eu la chance d’apparaître dans un film dont le personnage qu’elles interprétaient leur correspondait parfaitement. C’est dommage sans doute que des actrices à la fois plus belles ou plus talentueuses n’aient jamais ce petit truc en plus, et c’est peut-être ça qu’on appelle le male gaze, mais leur truc en plus, il est bien là, se situer exactement à une forme d’intersection entre le talent, l’intelligence et la beauté. Juste ce qu’il faut des trois, et c’est là que le spectateur (mâle) ne s’en remet jamais. Des actrices superbes, il y en a des tas, trop, mais parce qu’elles n’ont pas l’intelligence et le talent au même niveau de leur physique, elles font pschitt. D’autres avec un grand talent, n’ont pas non plus ce qu’il faut ailleurs, etc. Et quand on est donc bien pourvu dans ces trois qualités premières sans être au max dans l’une des trois, ça fait les stars imparables qu’on connaît, de Louise Brooks à Barbara Stanwyck, de Ayako Wakao à Jennifer Lawrence, de Isabelle Adjani à Isabelle Huppert, de Sophia Loren à Audrey Hepburn, de Nicole Kidman à Penélope Cruz (en passant par Tom Cruise, what else).

Il n’y a pas forcément de grands secrets pour faire un bon film. On peut suivre tous les meilleurs cours du monde expliquant comment écrire le scénario parfait, définir ce qu’il faut éviter, le talent c’est peut-être aussi d’arriver à nous plonger dans une torpeur proche du rêve, nous enlever une part de notre conscience, de notre jugement, nous faire oublier tout le reste, et nous faire croire aux histoires les plus saugrenues. Le savoir-faire en somme. Celui d’un escroc, d’un magicien, d’un alchimiste, ou d’un artisan touché par la grâce le temps d’un film. Les miracles, ce qu’on peut définir comme événements inexplicables, on ne les rencontre que provoqués par les mains expertes ou chanceuses de quelques artistes. Des rencontres le plus souvent assurément. Des adéquations inespérées intervenant au bon moment avec les bonnes personnes.

Alejandro Amenábar avait vingt-cinq ans en réalisant ce film. Les Autres et Mar adentro suivront très vite. Beaucoup moins convaincants, la grâce du débutant s’estompera plus vite que celle de son actrice qui aura la chance de servir de muse à un autre cinéaste (ou d’avoir été une vedette avant lui)… Comme d’habitude, j’avais commencé par la fin (Tésis encore à voir). Étrange ou non, certaines cinématographies ne peuvent décoller sans acteurs : on connaît l’exemple du cinéma italien qui a cessé d’exister, pas seulement par manque de financements ou par le non-renouvellement de ses auteurs, mais bien à cause sans doute d’un manque d’acteurs de haut niveau. Étrange ou non donc, à travers mon prisme déformé, j’ai comme l’impression que le cinéma italien est mort aux pieds d’Ornella Muti, juste avant que le cinéma espagnol émerge à l’international grâce notamment à Almodovar et à Penélope Cruz.

Sinon, sérieusement, Internet en 1997 ?! Je n’ai eu Internet qu’en 2006. C’est dire si j’ai souvent un train de retard…


 

Abre los ojos, Alejandro Amenábar 1997 | Canal+ España, Las Producciones del Escorpión, Les Films Alain Sarde, Lucky Red, Sogetel


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