
Elephant Man, David Lynch 1980 | Brooksfilms
Réponse aux deux phrases suivantes écrites au sujet du film de David Lynch Elephant Man :
Ce qui importe c’est de comprendre que le regard des autres définit celui que l’on porte sur soi-même. Merrick s’affirme humain quand il ressent la sincère affection de l’infirmière.
Il me semble que c’est tout à fait le contraire. Les rôles sont inversés. Le monstre nous apparaît humain, et ce sont ceux qui le regardent qui ne le sont plus. Ce n’est donc pas Merrick qui tout à coup devient humain à travers l’affection de l’infirmière, mais l’infirmière qui devient humaine en le regardant comme nous le voyons. C’est un jeu d’inversement des rôles et de travestissement, un procédé habituel dans l’art. C’est aussi son rôle : si on peut arguer que l’art est politique, c’est qu’il nous aide beaucoup à changer de perspective pour voir les choses et ainsi mieux prêter attention à des sujets que l’on verrait différemment si l’art ne nous avait pas aidés à le faire.
Merrick ne devient pas humain, il l’a toujours été, et l’expérience du film doit nous aider à l’être plus (humain). Nous avons beau être des animaux sociaux, nous ne nous identifions essentiellement qu’à des individus. Et c’est là encore l’avantage de l’art (et des récits) : il illustre des principes et des problèmes généraux en mettant en scène des individus. Mais ce regard porté sur un individu auquel on s’identifie peut être à double tranchant : on peut estimer qu’on a affaire à un cas isolé et ne pas extrapoler ainsi à un groupe social ou à un type d’individus partageant le même sort que le personnage ainsi mis en lumière.
Parfois, l’important, c’est aussi que les films soient capables « d’affirmer » ce que l’on pense déjà, rappeler certaines évidences ou certaines valeurs que l’on prétend être au cœur de nos sociétés. Les meilleurs films savent rester en retrait et laisser croire à ceux qui se laissent convaincre qu’ils vont droit dans leur sens. Les monstres, ils sont là, ce sont les artistes. Ils passent leur temps à jouer pour se jouer de nous. Ils posent un miroir devant nous et nous disent : « Maintenant, regarde-toi. » Merrick, on le voit, sa monstruosité que l’on pense évidente parce qu’elle est ostensible n’en est en réalité pas une. Les véritables monstres sont ceux qui savent se cacher, adopter des masques que la société a parfois façonnés pour ne pas les voir, ce sont ceux qui passent pour des anges, mais qui par leurs actions sont tout le contraire. Toujours la même rengaine : tout est question d’apparences. Un jeu entre ceux qui savent en jouer et ceux qui en seront toujours victimes. À la manière d’un tour de magie, avec un artiste qui pose un miroir face à nous-mêmes, on sait que c’est un jeu, un détournement. Un jeu de révélation. Pas un jeu de dupes où celui qui (se) joue est le seul à savoir qu’il joue
