Le Monde d’Apu, Satyajit Ray (1959)

Le Cycle de la vie

Le Monde d’Apu

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Apur Sansar

Année : 1959

Réalisation : Satyajit Ray

Avec : Soumitra Chatterjee, Sharmila Tagore, Alok Chakravarty

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Le film le plus gai de la trilogie. Quoique, tout est relatif. Faut bien que Apu soit pourchassé par la poisse sinon Apu d’histoire…

On se fait cette fois très vite au nouvel acteur qui joue le personnage d’Apu. Ça n’arrive pas en plein milieu du film, c’est moins dérangeant. Apu a une trentaine d’années et habite dans un appartement miteux de Calcutta, vivant de petits boulots, ne trouvant pas sa voie, publiant deux ou trois nouvelles, pas suffisamment pour payer son logeur. Rien de bien original ; l’art de Ray et de ne pas en faire des tonnes. Ce n’est pas le contexte misérabiliste qui l’intéresse, c’est Apu, son devenir.

Un ami d’enfance vient le trouver et lui propose de l’accompagner dans sa campagne pour assister au mariage d’une parente. (On quitte à nouveau la ville poisseuse pour retrouver les paysages de ces plaines magnifiques de l’Inde où la Terre donne l’impression d’être plate. Une terre est aride mais l’eau ne manque pas, une sorte d’oasis qui n’en finit pas.) Le fiancé de la future mariée se révèle être un dément et la famille se retrouve un peu dépourvue avec une mariée sous les bras et personne pour lui enfiler l’anneau. Hip, hop, tope là… Apu est dispo, il n’y a qu’à lui demander. Comme dans tout mariage arrangé, les deux mariés ne se connaissent pas et doivent apprendre à s’apprivoiser peu à peu. Ce n’est pas du Molière. Ray ne dénonce pas ces pratiques, ce n’est pas le sujet. Le poids de la tradition est là ; jamais il ne leur viendrait à l’esprit de la remettre en question.

Le Monde d’Apu, Apur Sansar, Satyajit Ray 1959 | Satyajit Ray Productions

La jeune femme d’Apu n’a jamais vécu dans la misère, ne connaît pas la ville. Elle déprime un peu aussi au début, mais on ne discute pas un mariage, on prend un air triste quelque temps, et puis on s’y fait. Elle est coquette et Apu est sous le charme. Une jolie femme aime être regardée. Il en faut peu, et c’est du cinéma, alors il faut que ces deux-là s’entendent. On comprend vite que s’ils doivent s’aimer, c’est voué à ne pas durer (on commence à le connaître le Apu, il attire le malheur à tous les membres de sa famille). C’est la symbiose parfaite, on profite avec Apu, enfin, d’un bonheur qui lui manquait depuis la disparition de sa sœur. Sa femme tombe enceinte et retourne chez ses parents à la campagne. Ils s’échangent quelque temps des lettres d’amour… On sent le drame arriver… Et hop, on n’y échappe pas. La femme d’Apu meurt en couches. L’art de Ray est de ne pas trop en faire. Contrairement au film précédent, où le récit s’attardait sur la dépression et la solitude de sa mère, ici, on ne verra rien de sa mort. Apu déprime, abandonne une nouvelle fois la ville. Il a un fils, qu’il ne cherche pas à voir… Il se rend dans les forêts du centre de l’Inde, tente d’écrire et finit par y renoncer… Quand son vieil ami vient le retrouver, cinq ans ont passé. Il lui rappelle qu’il a un fils et qu’il doit s’en occuper. Apu refuse d’abord, et finalement, sans explication, se rend chez son beau-père. Son fils est une petite peste qui s’amuse à tuer les oiseaux et… à voler des fruits (ça ne rappelle rien du tout, mais alors vraiment rien). L’enfant refuse de voir son père. En digne héritier de son père, lâche et indigne, Apu offre à son fils un train électrique (là encore, référence à l’opus 1). L’enfant n’en veut pas… Pourtant, Apu comprend vite qu’il allait l’aimer cette petite terreur.

Les deux premiers films sont tirés de deux romans semi-autobiographiques. C’est sans doute en faisant la rencontre de ce fils qu’il a eu le désir et l’idée de ce qui sera son premier roman. L’adaptation qu’en fait Ray pour ce dernier volet flirte avec le récit initiatique. Après la mort de sa femme, Apu est perdu. Il erre dans les forêts du centre de l’Inde en quête de réponse, et il faut attendre que son vieil ami vienne le chercher pour le convaincre de venir rencontrer et s’occuper de son fils pour qu’il trouve enfin la réponse à toutes ses questions, qui ne pouvait être autre chose, bien sûr, que son fils. Scène classique de dénouement avec une « reconnaissance » finale, le père qui reconnaît le fils, au premier regard, et qui au-delà de ses espérances se rend compte qu’il l’aime déjà.

Cette dernière partie n’est peut-être pas issue des textes de Bibhutibhushan Bandopadhyay. Satyajit Ray semble lui avoir été fidèle, puisqu’il ne s’agit pas d’une biographie de l’écrivain, mais bien de son double Apu : il reprend des éléments de sa vie pour en faire un vrai drame, celui de la vie d’Apu. (Par exemple, si j’en crois wiki, l’écrivain se serait marié après le succès de la Complainte du sentier, il ne peut donc y avoir de lien de cause à effet entre les retrouvailles d’Apu et de son fils et la résolution de la quête d’Apu qui est d’écrire… Cela semble donc bien une volonté de Ray, qui reste toutefois dans l’esprit de l’écrivain puisque lui-même avait romancé ainsi sa vie pour s’en servir comme base de son roman).

Apu-Bibhu aura donc perdu tous les membres de sa famille, jusqu’au dénouement de la trilogie reprenant un nouveau cycle avec la reconnaissance du fils. Une histoire (celle de ce dernier volet) qui ne serait pas sans rappeler celle du grand écrivain de langue bengali, Rabîndranâth Tagore, dont Ray adaptera plusieurs histoires. Ray aurait poussé la référence, ou l’hommage, jusqu’à choisir une parente de l’écrivain, Sharmila Tagore, pour jouer la femme d’Apu. Tout comme Bibhutibhushan Bandyopadhyay, Tagore avait tour à tour perdu sa sœur, son père, sa mère, et enfin sa femme, avant de disparaître lui-même très tôt à 56 ans seulement. Pendant toute la trilogie, le sujet c’est bien ça, la perte des êtres aimés, et l’espoir d’une nouvelle vie, à travers celle de ses enfants.

L’histoire d’Apu est finie… Des drames à chaque bobine. Ça, c’est du cinéma, Satyajit Ray.


 


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