Interstellar, Christopher Nolan (2014)

Note : 2.5 sur 5.

Interstellar

Année : 2014

Réalisation : Christopher Nolan

Avec : Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Jessica Chastain, Matt Damon, Michael Caine, Casey Affleck

Diverses notes sur Interstellar, plus généralement sur la perception du cinéma de Christopher Nolan, suite à l’excellente critique de blig :

Sémantique des images et paréidolie du spectateur dans le cinéma de Christopher Nolan

Trop dur à te suivre, mais merveilleusement bien écrit. Tu me donnes en tout cas quelques pistes pour mieux appréhender ce monolithe étrange qu’est Nolan… S’il faut y voir des références et/ou du symbolisme, je suis totalement hermétique à ces procédés. D’abord, parce que ce serait du chantage exercé sur le spectateur : si tu n’aimes pas mon film, c’est que tu ne l’as pas compris… au fond. Ensuite, parce qu’une histoire ce n’est pas un assemblage (une collection presque) de références plus ou moins poussives. Une histoire doit tenir la route par elle seule, autrement, tu ne fais que prouver ta totale dépendance envers les références que tu jettes dans ton film et que seuls les plus avisés pourront comprendre. Quand tu dis « dans 2001, le nihilisme passif dénoncé par Nietzsche était celui de la soumission de l’Homme à la machine et de son aliénation consécutive à la technique », j’aurais envie de transposer ça aux références et à Nolan : le cinéaste « philosophe » ne s’aliène-t-il pas une partie de son public en soumettant ainsi son récit un peu trop à des références ? Tu enlèves toutes ces prétentions, et il ne reste rien, sinon un joli catalogue d’images et d’émotions.

D’ailleurs, pour ma part, parce que je suis sensible à ces images plus qu’à ces références, à aucun moment je n’ai pensé à 2001. À Armageddon oui, à Apollo 13, à La Guerre des étoiles (« je vais arriver à foutre mon asticot dans cette saloperie de trou ?… »).

Les idées, il les pompe ailleurs et ça doit encore masquer son incompétence. Ou mon inculture philosophique. Le pire c’est aussi un peu ça : le fait d’arriver à planter dans ses films, et en particulier ici, tous les passages obligés des grosses machines hollywoodiennes. Un cinéma d’effets et de l’esbroufe. Tu as tes passages obligés (de bravoure, de fraternité, de révélations, de confessions, etc.), et tu dois les réunir d’une manière ou d’une autre. Et parfois, tu repères de telles failles dans le récit que tu es obligé d’y revenir pour expliquer la scène (ce qui, à mon avis, ne fait que souligner la faille en question) en profitant pour en faire un nouvel instant de bravoure (notamment quand il est question de revenir sur la « poignée de main avec les autres-nous »). C’est amusant en fait, quand on fourre son histoire avec plein de références, c’est comme dans les nuages, on finit chacun dans son coin par y trouver une logique différente. S’il y a plusieurs logiques, c’est donc que par paréidolie, il n’y en a aucune. Voir des formes ou des idées là où il n’y a rien, c’est aussi ça, le principe de l’art. Seulement, Nolan utilise des ficelles tellement vulgaires, il s’amuse tellement à multiplier les nuages dans le ciel pour espérer y voir former des images évocatrices, que ça me fascine de voir à quel point il arrive autant à embobiner son monde. Quel artiste… !

J’ai déjà expérimenté le retournement de cerveau au second visionnage (ça marche avec les filles qui réclament un second rendez-vous comme avec les films). Il y a plusieurs explications possibles, et l’expérience est fascinante. D’abord, si on accepte de revoir un film (même si ça peut être fortuit et dépendant de notre volonté), c’est qu’on n’était pas bien convaincu par un premier visionnage ; on se dit alors « merde, c’est quand même joli et bien burné », j’aurais intérêt à revoir mon jugement. Ensuite, probable qu’au second visionnage (encore plus pour les suivants), connaissant déjà les défauts et l’intrigue, on se focalise sur autre chose, sans doute de plus accessoire (les filles qui réclament un second rendez-vous s’arment souvent de ce genre d’outils pour impressionner). Et là où il faut reconnaître du génie à Nolan (cette fois, ce ne sera pas forcément un compliment de ma part), c’est bien dans sa capacité à se focaliser sur l’accessoire. Dans Memento, il y avait une idée, un exercice de style au départ, qui conditionnait tout le reste, et il n’avait pas besoin de s’appliquer sur l’intrigue (je mets au défi qui que ce soit d’être capable de recomposer la logique d’une intrigue servie à l’envers), et c’est bien la seule fois, ou pour moi, Nolan réussissait son coup. Quand on propose un exercice de style et qu’on fait la croix sur tout le reste, c’est l’accessoire qui devient la raison d’être d’un film. Tout le reste est noyé dans un grand feu d’artifice qui impressionne, mais tout cela est surtout là pour masquer le manque de cohérence de ce que d’autres préféreront éclairer et servir parce qu’ils comprennent où est l’essentiel d’une histoire. À la recherche de nouveaux indices et de nouvelles explications ou références, on finit par se faire son propre film (ce qui est de toute façon toujours le cas). Même si Nolan est fort en jeu de piste, il n’en reste pas moins que là n’est pas l’essentiel.

L’intelligence de Nolan (là encore, pour moi, ce n’est pas un compliment), il devrait être capable de la mettre en avant (en la laissant paradoxalement en retrait) dès le premier visionnage. Il a de la chance, chaque spectateur vit le cinéma comme une expérience unique, et il semblerait qu’avec les films qu’il propose, le public aime s’y sentir intelligent (si ça ne se fait pas au premier visionnage, ce sera donc au suivant parce que, libérés des contraintes dramatiques, on s’agitera comme deux neurones dans notre cerveau à essayer de trouver des rapports entre elles, preuve d’une interaction intelligente, d’une intrication entre les choses qui fait sens, d’une « intriguation » réussie).

En multipliant les références plus ou moins cachées, il est facile de comprendre que notre œil s’éclaire à mesure qu’on parvient à en reconstituer un puzzle que Nolan prétend nous livrer en pièce détachée. Nolan nous laisse alors faire le travail, et comme on a le cerveau plutôt malléable, on ne s’embarrassera pas, s’il le faut, à forcer les pièces pour qu’elles s’emboîtent entre elles. En livrant au public différentes idées, en suggérant mille et une images ou points lumineux dans le ciel, par analogie, le public finira toujours par y déceler des combinaisons parlantes qu’il s’efforcera d’attribuer à un « auteur » autre que lui-même. Nous sommes ainsi faits. Ce n’est plus Nolan l’intelligent, mais nous, et c’est peut-être ça qui nous plaît tant dans ses films.

Je pense alors qu’on ne juge plus le film en lui-même, mais l’expérience qu’il nous procure. Un peu comme le principe des faux souvenirs, ou des souvenirs altérés à force de révisions, et comme des pas répétés sur la plage, sans cesse nettoyés par le passage des vagues. La mémoire (et donc la perception de ce qu’on a vu) évolue malgré nous. On y ajoute des détails, on en oublie d’autres, on théorise sur ce qui s’est passé ; et les “revisionnages” de ces souvenirs seront alors conditionnés par ce qu’on en a compris. Il faut que ça colle. On oublie ce qui fâche (ou le contraire) pour en forger un bloc cohérent quand la vie souvent ne l’est pas, et ça rejoint l’expérience du film revu où tout à coup l’intrigue passe au second plan. Il n’y a plus à juger un film (ce qui a toujours été très relatif), mais l’expérience qu’on en tire. Chaque révision altère non pas le film tel que Nolan l’a pensé (parce que lui, au contraire d’un souvenir, est, en principe, immuable), mais l’idée qu’on s’en fait. Et plus que le film lui-même, c’est bien cette idée qui importe.

La révision peut parfois étonner. Fight Club a pour moi changé de nature au second visionnage. J’avais trouvé l’histoire idiote (elle l’est sans doute toujours autant), et je m’étais dit « merde, c’est Fincher, revois le film ». Et je me suis pris à mon propre piège. Une jolie fille, même si au premier rendez-vous, elle se montre idiote, tu te dis que tu peux bien l’avoir, parce que « je suis un homme oh… comme ils disent » (je ne suis pas sûr d’avoir compris les paroles d’Aznavour). Le malentendu, tu l’espères toujours à ton profit dans le regard de l’autre. Comme disait Jean-Claude Dusse : « Forcez, forcez, vous en tirerez toujours quelques-unes ». Et peut-être devrions-nous voir chaque film comme si c’était déjà un second rendez-vous… Et comme si les escrocs, capables de violer la réalité d’un film, c’était nous.

Trou noir

La traversée du trou de ver ressemble à une scène de voiture dans les films des années 40 avec une projection arrière. La différence ici, c’est qu’on l’a projetée en face et sur les côtés et qu’elle est cylindrique. Aucune profondeur, comme si c’était une toile peinte à l’intérieur d’une paille. C’était plutôt laid et étrange. Même supervisé par un scientifique, ce n’est pas une raison pour en faire quelque chose de si peu efficace ou de laid. Et de fait, j’ai été déçu, on voit quantiquement rien.

Avec Gravity et Interstellar, on a l’impression, plus qu’avec 2001, que certains cherchent un compromis entre le cinéma spectacle de Spielberg ou de Lucas, et celui jugé plus ambitieux des années 70 qu’il a fini par étouffer. L’alliance de la fantaisie et du naturalisme… Cela trouve certaines limites. La justesse toute kubrickienne de chercher à coller à la réalité technologique se heurte aux obligations d’un récit qu’on force à faire rentrer dans les clous d’un récit convenu (j’ai attendu naïvement que le père nique avec sa fille ; ç’aurait été plus intéressant, plus subversif, plus Nouvel Hollywood). D’un côté, on se force à montrer qu’on ne tombe pas dans le panneau des incohérences devenues célèbres et propres aux films dans l’espace. C’est bien gentil d’attendre qu’il y ait de l’air dans une pièce pour appuyer sur le bouton on du son, sauf que le résultat est bidon et casse le rythme. Au moins, c’est cohérent avec l’ensemble, d’accord. Et d’un autre côté, on ne peut pas échapper à certaines incohérences, surtout quand on s’applique à tout expliquer (au moins, les ellipses permettent de ne jamais trop en dire… sur ses lacunes). Comment arriver ainsi à nous faire croire que sur une planète où les ressources sont si difficilement disponibles, une poignée de chercheurs de génie (pour ne pas dire un seul, alors même qu’il révélera lui-même être un escroc) parvient à réunir tout le matériel et toutes les connaissances nécessaires pour envoyer autant de sondes et de vaisseaux à l’autre bout du système solaire ? Ce qu’on n’arrive pas à faire aujourd’hui, ils seraient capables de le faire avec moins de moyens et moins de ressources ? (Même principe avec le robot qui est plus un fantasme de Nolan qu’une éventualité technologique crédible…)

Brièvement, sur Nolan :

Nolan est plus apprécié encore depuis qu’il fait de la merde (dans mon esprit : après Memento). Et pour tout dire, je suis même surpris que ses films aient du succès. Ce n’est pas un metteur en image, ce n’est pas un directeur d’acteurs, ses scénarios sont englués dans la prétention et le mystère artificiel. S’il a du succès, c’est que ses films sont baroques : des effets et encore des effets. Que des spectateurs intelligents se soient perdus à apprécier son travail, oui, ça m’avait étonné. Preuve, encore une fois, que le talent d’un cinéaste, il est surtout de convaincre ; et ce pouvoir de séduction n’a rien à voir avec la raison, quoi qu’on fasse pour rationaliser, après coup, notre adhésion à telle ou telle démarche créative. Son succès, je m’en moque, ça n’entre pas en considération dans ma grille de lecture. Si, aussi, d’autres se retrouvent pour ne pas l’apprécier, c’est moins parce qu’il a du succès que parce qu’il gonfle sérieusement à agiter les mains comme un prestidigitateur sans jamais venir au bout de son tour de magie. Normal que ça en agace certains. Les premiers s’en servent peut-être pour leur brushing.


Interstellar, Christopher Nolan 2014 | Paramount Pictures, Warner Bros., Legendary Entertainment, Syncopy

Yes Man, Peyton Reed (2008)

Yes Man

Yes Man Année : 2008

Réalisation :

Peyton Reed

6/10  IMDb

Avec :

Jim Carrey, Zooey Deschanel, Bradley Cooper

Du formaté pour Jim Carrey, mais j’aime bien Jim, je plaide coupable, et c’est supportable.

Un film très largement inspiré de la « positive attitude » de Jean-Pierre Raffarin. Reste que cette philosophie a une base de vrai en comportementalisme ché pas quoi, c’est un éternel grognon qui le dit. Il paraît que voir le bon côté des choses, être positif, déclenche effectivement des événements positifs. En clair celui qui se plaint va rester chez lui ou ne va jamais sortir des sentiers battus et par conséquent manquera toutes les occasions que lui offre la vie. Derrière un accident il y a souvent une rencontre importante, une révélation, etc. Alors que le mec négatif verra toujours l’accident, jamais l’opportunité qu’il y a derrière. C’est exactement ce que montre le film, de manière caricaturale bien sûr, mais on est chez Carrey et il n’y a pas de comédie sans caricature. Belle leçon pour les autres surtout, parce que moi je reste dans mon plumard. À l’abri de la vie, de l’aventure, des emmerdes et des opportunités.

Yeah.


Yes Man, Peyton Reed 2008 | Warner Bros., Village Roadshow Pictures, Heyday Films


Le Rebelle, King Vidor (1949)

Notre individualisme quotidien

Le Rebelle

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The Fountainhead

Année : 1949

Réalisation : King Vidor

Avec : Gary Cooper, Patricia Neal

Vu à la fin des années 90 sans le noter, mais note probablement faible. Puis passé à 9 en 2011 avec l’écriture de ce commentaire. Passage à 8 en 2016 : la lecture de La Grève l’année dernière a fini par me spoiler le film. Un film n’est pas bon : c’est ce qui tourne autour qui le rend bon ou mauvais… Et finalement passage à 7 après nouvelle révision — voir les commentaires

Vu il y a une quinzaine d’années sans en avoir compris les enjeux “idéologiques”. Je n’y avais vu que le parcours d’un ambitieux… Tout faux.

C’est en fait le récit d’un homme intègre (ça, c’est ma vision en 2011, parce qu’elle a de nouveau changé en 2016 après la lecture de la Grève). Roark (Gary Cooper) est un architecte aux idées affirmées. Il refuse le conformisme et le goût populaire (celui qui a tendance à dénigrer l’art contemporain). Le film oppose son parcours, ses idéaux, à un “ami” architecte, Keating, qui est prêt à tout pour réussir, qui n’a aucune originalité et qui est prêt à donner ce que le public recherche. Au début, Keating pousse son ami à oublier ses idéaux et à accepter des projets aux goûts du public ; mais Roarks refuse et préfère aller travailler dans une carrière de pierre en attendant des jours meilleurs… Intégrité un peu forcée, et alors ?… ça force le respect, oui.

Keating rencontre l’homme d’affaires puissant, Wynand, issu des quartiers pauvres de New York, qui a monté tous les échelons de la société et qui a une vision cynique de l’homme. Il est plus conscient en cela de la réalité des hommes que Keating qui est juste un arriviste, un ambitieux qui n’a aucune vision et compréhension du monde. Keating est donc invité chez lui mais Wynand n’a d’yeux que pour sa fiancée, Dominique Franon, qui travaille pour son journal populaire, The Banner, et qui est fasciné par son désir, malgré la volonté de chacun à la réussite, de ne pas faire de compromis. Cherchant un architecte, un bon, un vrai, pour son immeuble, il avait d’abord fait appel à la grande plume de son journal, Toohey, mais les idées conformistes de celui-ci lui avait déplu et avait eu l’idée de demander l’avis de son autre critique, abonné aux dernières pages de son journal. Leur première rencontre était fascinante : Wynand vient trouver Francon chez elle pour lui demander son avis, et il la trouve en train de lancer par la fenêtre une statue antique. Quand Wynand lui demande pourquoi elle fait ça, elle lui répond qu’elle ne supporte pas de s’attacher à une chose qu’elle aime tant… Là commence la fascination de Wynand pour Francon : le courage d’assurer son intégrité, ses goûts, contre le conformisme et la facilité, lui qui est parvenu au sommet en faisant tout le contraire (il y a un petit côté Kane dans ce personnage — décidément). Et v’là la scène qui tue. Wynand décrit froidement à Keating sa vision du monde et des hommes, lui assurant que chaque homme était avant tout vénal. Keating n’est pas convaincu, Wynand lui propose donc de casser ses funérailles avec Dominique Francon contre un contrat avec lui. Keating est gêné, on comprend… Francon lui dit que c’est une occasion à saisir : il s’est fiancé avec elle, car elle est la fille d’un architecte célèbre, mais travailler avec Wynand serait une upgrade plus intéressante. Alors Keating accepte. Wynand propose à Francon de l’épouser, mais elle dit qu’elle s’est fiancée avec Keating parce qu’elle lui semblait tout à fait insignifiant, et qu’elle accepterait de se marier avec lui le jour où elle aurait définitivement perdu tout espoir.

C’est à ce moment que Dominique Francon va rencontrer Roark. Elle ne sait pas qui il est. Il travaille dans les carrières de son père, mais il la fascine. Pourtant, elle n’est pas du genre à se laisser séduire. On a donc droit à un puissant jeu de je t’aime moi non plus. Quand la Francon vous insulte, c’est qu’elle est déjà à vos pieds. Ils se séparent, sans que Roark lui dise son nom…

Finalement, la chance sourit à Roark quand un riche industriel lui demande de construire un immeuble suivant son style. On est dans les années 20, et l’époque est plutôt au classicisme des colonnes grecques. Roark est un peu le symbole d’une architecture moderne (tout ce qui paraît bien laid aujourd’hui…, c’est bien de faire preuve d’originalité, mais il y a des matériaux qui vieillissent vraiment très mal). L’immeuble fait grand bruit. Dans le petit cercle des initiés, on est fasciné, et si certains, assez rares, reconnaissent le génie de Roark, d’autres veulent l’épingler justement à cause de ce génie et de son audace. Dominique Francon, elle, est tombée une seconde fois amoureuse de Roark sans le connaître, elle a même remis sa démission au Banner parce qu’elle n’était pas d’accord avec la ligne éditorialiste du journal qui voulait le démonter. Ils se retrouvent enfin, mais la garce n’est toujours pas prête à se laisser séduire… Il faut se rappeler l’épisode de la statue antique. La médiocrité vous laisse indifférent ; le génie vous rend esclave : il faut s’en éloigner pour s’en prémunir… Fascinant jeu à la fois d’attirance et de répulsion.

Pour ne pas devenir l’esclave de son amour, comme d’autres deviennent les esclaves de leur ambition (c’est Toohey qui dit que les ambitieux sont esclaves de leur désir d’arriver au sommet), elle accepte de se marier avec Wynand… (On peut très bien balancer les statues antiques par la fenêtre…, les modèles de la tragédie grecque sont toujours là.)

Wynand est décidé à choisir le meilleur architecte pour construire une maison qu’il veut dédiée à sa femme. Il connaît la médiocrité de tous ces architectes aux goûts conformes à ce que ses lecteurs attendent, il ne veut rien de cela (vive la contradiction). Et il tombe fatalement… sur Roark qui n’obtient que des petits chantiers (comme des stations-service) mais qui se font remarquer encore par leur audace. Les deux hommes finissent par devenir amis (Roark ayant la noblesse d’âme de ne pas lui en vouloir pour ses papiers : il répondra même à Toohey qu’il rencontre par hasard qui lui demandait pourquoi il ne lui en voulait pas et à quoi il pouvait donc bien penser de lui… Roark répondra « je ne pense pas à vous » La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe…). Francon est obligée de supporter cette nouvelle amitié, à en devenir jalouse, obligée de vivre dans une maison conçue par l’homme qu’elle aime, lui rappelant ainsi sans cesse sa lâcheté de s’être refusée à lui…

Keating réapparaît alors pour demander de l’aide à son vieil ami Roark. Il voudrait décrocher le contrat d’un immeuble social construit par la ville dont la difficulté est de le construire pour pas cher tout en en faisant une véritable œuvre architecturale. Un défi à la Roark. Celui-ci accepte de lui dessiner les plans à une seule condition : qu’il ne change rien, qu’il ne se laisse pas influencer par les désirs des promoteurs de travestir son œuvre. Keating accepte. Le projet est lancé, mais comme on pouvait s’y attendre, les promoteurs demandent à Keating d’effectuer quelques modifications qui plairont un peu plus au public et correspondront plus à la mode du moment. Keating pour honorer la promesse faite à son ami. Mais le projet est lancé sans qu’il puisse s’y opposer. Roark, voyant son projet dénaturé, décide ni plus ni moins… de la dynamiter ! Un procès a lieu. Ce sera le procès de l’individualisme. Pour sa défense, Roark dit que c’est le procès de la liberté de la création… Il gagnera son procès, les valeurs américaines sont préservées (en gros, on peut dynamiter des immeubles du “peuple” si l’architecte estime qu’on a dénaturé son travail… vive l’Amérique !).

Si la morale du film, surtout à la fin, est plus que douteuse (et il faut bien le dire assez contradictoire), il faut surtout relever la structure et la caractérisation des personnages. On dirait presque une formule mathématique. Rien ne dépasse. Tout est fait pour démontrer une idée, celle de la scénariste (Ayn Rand adaptant ici son propre roman). On ne s’embarrasse pas de vraisemblance. Par exemple, c’est un peu curieux de voir que lors du procès, Roark n’a pas d’avocat : ce n’est pas expliqué par une ligne de dialogue, c’est jugé accessoire. De même, on trouve des personnages aussi affirmés, ayant des idées aussi tranchées et les assumant jusqu’au bout, parfois même jusque dans leurs contradictions (comme Wynand qui sait écrire un journal populiste, mais qui méprise le goût conformiste du peuple). C’est dommage que les scènes soient souvent seulement axées sur les dialogues, qu’il y ait un petit manque de mise en situation de réelle mise en scène, parce que finalement, l’histoire n’est pas beaucoup moins “épique” qu’un Citizen Kane, seulement la mise en scène, elle, manque vraiment d’ambition, de personnalité. Un paradoxe pour un film dont le message principal, c’est qu’il faut éviter tout conformisme.

Sur la question des thèmes du film, comme je l’ai dit, je suis assez partagé. J’adore tout le début du film dans lequel Roark se montre intègre, ne voulant rien lâcher sur ses principes. Les discours sur l’homme esclave de sa propre réussite, c’est assez parlant aussi. Mais la fin, on est presque déjà dans le maccarthysme qui débutera juste après en 1950… Comme quoi les idées sont dans l’air. Pourtant, on n’est pas dans l’anticommunisme pur. C’est même assez difficile à cerner. Parce que l’auteur dénigre les hommes vénaux capables de tout pour gagner du blé mais loue la vertu de l’individualisme absolu. Qu’est-ce que l’individualisme sinon une volonté surtout de se faire sa place dans le monde ?… C’est surtout une vision qui s’applique aux intellectuels et aux artistes. Pour être un bon artiste, il faut affirmer ses idées contre la conformité. Mais là aussi, on pourrait remettre en doute l’intérêt d’une telle vision, parce qu’on le voit bien aujourd’hui, les non-conformistes, ce sont justement ceux qui arrêtent de dire “je” ou qui veulent à tout prix « être originaux ». On l’a même vu en architecture. Dans les années 20, je veux bien concevoir qu’un mec qui voulait casser tous les codes, épurer, faire des lignes audacieuses pour se démarquer du reste, ait des difficultés pour se faire accepter. Mais quand il n’y a plus que ça. Quand chacun veut montrer sa différence, son génie, on frise le n’importe quoi. Quand il est question d’architecture, il est question aussi d’unité avec le reste du style de la ville. Et plus encore, avant d’être une œuvre d’art, un bâtiment a une fonctionnalité. Alors, quand à la fin du film, Roark se justifie d’avoir dynamité un HLM (parce que c’est vraiment de ça qu’il s’agit) en disant que c’était son œuvre à lui et qu’il avait le droit de le faire parce qu’on l’avait dénaturé sans son accord…, bah ce n’est pas se prendre pour de la merde franchement. Il faut à la fois savoir être orgueilleux, affirmer ses convictions, mais aussi rester humble face à sa propre importance… On peut ne pas être pour les masses, la collectivité, mais se foutre de la gueule du monde, « moi je, et le reste du monde, c’est de la merde », c’est assez limite. L’individualisme, c’est bien, mais ça ne marche qu’avec le respect des autres. C’est comme la liberté, on dit bien qu’elle s’arrête là où commence celle des autres. Mais on l’a compris, la scénariste est pour le libéralisme sans barrière et sans règle, à la Reagan.

Dommage que ce film génial soit pollué par ce discours au procès. Vidor semblait vouloir l’abréger, mais l’auteure se l’était jouée à la Roark : j’accepte de vous céder les droits d’adaptation pour le cinéma si le discours de fin de Roak est filmé dans son intégralité… Bourrique. OK, sauf qu’on aurait aimé un peu de cohérence dans tout ça. Le reste du film n’est pas aussi extrémiste.

Certains ne verront que la fin, et d’une certaine manière ils auront raison parce que l’intention d’un film est toujours délivrée à la fin. Mais connaissant Vidor, on se dit que finalement ça ne mange pas de pain. La finalité est une escroquerie, mais le cheminement pour y arriver est trop fascinant pour bouder son plaisir.


Commentaire à propos de la fin (2013) : On l’accepte si on sait que c’est Vidor qui réalise. C’est d’ailleurs amusant de le voir réaliser ça, acceptant les conditions de l’auteure mais arrivant tout de même à mettre de l’humanité dans ce qui précède. La fin est si caricaturale qu’on ne peut pas y croire. Je suis conscient que c’est prêter des intentions au cinéaste qui sont purement du domaine du fantasme. Mais justement, ça participe au plaisir du film. On ne peut pas y échapper, l’histoire qui entoure le film participe à sa valeur, en bien comme en moins bien. Et tout est question de malentendu. Peu importe le point de vue d’un film, le seul point de vue qui vaille c’est celui du spectateur, c’est-à-dire ce que lui a envie de comprendre… et de s’imaginer. Le point de vue de l’auteur est misérable, c’est un leurre, il n’existe pas. On ne peut pas imaginer deux points de vue aussi différents que celui de Vidor et d’Ayn Rand. Le point de vue du “film” qu’on a tendance à évoquer facilement comme si un film pouvait penser ou dire quelque chose, existe d’autant moins ici. C’est une situation cocasse qui ne fait qu’augmenter mon plaisir. Comment des personnalités qui n’ont rien en commun peuvent-elles se retrouver autour d’un même film ?

Commentaire juin 2017 : Troisième ou quatrième visionnage, et ça devient insupportable, surtout après avoir lu les mille pages de La Grève d’Ayn Rand. Le film n’apparaît plus que comme un autre chapitre de la Grève, l’auteure ne répétant à l’infini toujours que les mêmes marottes. Ce n’est plus seulement la fin ou l’attentat contre les HLM qui passent plus, c’est toutes les petites phrases typiques de la haine de Rand pour les masses, le peuple, les parasites, et sa fascination, voire sa complicité avec les grands de ce monde qui parce qu’ils ont réussi le sont devenus le plus souvent parce qu’ils faisaient un bras d’honneur aux moins que rien que ne font que « reproduire » (voire se reproduire, à l’entendre presque). Chaque scène le même principe, à savoir l’illustration de cette idéologie puante que cette monstresse (pour reprendre un terme de Vincent Lindon) a illustré dans ses romans en réaction au communisme. Traumatisée la pauvre petite, que toute sa carrière, toutes ses pages, semblent finalement dédiées à la lutte contre le peuple, les masses… Entre individualisme et égoïsme, il n’y a souvent qu’un pas, entre respect des libertés individuelles et l’arrogance de ceux qui pensent avoir tout compris plus que les autres. Vive le mépris et l’arrogance : aucune place au doute, les pauvres, les fragiles peuvent (et doivent même) crever. (J’aurais dû parler de Rand, tiens, dans mon article sur les totems de l’idéologie, elle le mérite.) Reste la romance, des acteurs formidables, la musique de Max Steiner et le génie de Vidor à illustrer les prétentions puantes de l’auteure…


Le Rebelle, King Vidor 1949 The Fountainhead | Warner Bros


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1949

Liens externes :


Du sang sur la neige, de Raoul Walsh (1943)

Un bon Allemand

Du sang sur la neige

Northern Pursuit

Note : 3 sur 5.

Titre original : Northern Pursuit

Année : 1943

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Errol Flynn, Julie Bishop, Helmut Dantine

Encore un film avec Errol Flynn pour Raoul et encore un film de guerre. Flynn est remarquable (surtout au début du film quand il y a moins de dialogues et d’action). Le sujet est plutôt original et c’est tout l’intérêt du film. Comme d’habitude chez Raoul Walsh, tout est prétexte à une bonne aventure.

Des soldats allemands sortent de la banquise canadienne à bord d’un sous-marin nazi pour s’infiltrer en Amérique du Nord. Tous les soldats meurent sauf un officier qui est recueilli alors qu’il est inconscient dans la neige, par deux gardes forestiers canadiens. Ils s’aperçoivent tout de suite que c’est un nazi : l’un d’eux part prévenir l’armée, tandis que l’autre, Flynn, reste avec lui. Seulement il a des origines allemandes et l’officier nazi tente de lui retourner le cerveau… L’armée vient, mais c’était à craindre, on suspecte Flynn de fricoter avec l’ennemi. Il est envoyé en prison alors qu’il allait se marier (c’est un peu le Comte de Monte-Cristo). Là, il reçoit la visite d’un étrange personnage qui le fait libérer. On le mène alors chez l’homme qui a payé sa caution. Un nazi bien sûr. Il se joint à lui et va retrouver l’officier allemand qui avait été entre-temps emprisonné, mais aussi évadé en compagnie de quelques soldats. Tout ce monde se retrouve dans le Nord canadien tandis que la fiancée de Flynn vient s’inquiéter de la disparition de son galant auprès des autorités militaire… On apprend qu’il est en fait en mission pour infiltrer le groupe nazi et connaître leurs intentions… Etc.

On n’est pas loin de James Bond ou de Hitchcock. Espionnage, grands espaces… Ça ne vole pas bien haut, mais c’est savoureux.


Du sang sur la neige, de Raoul Walsh 1943 Northern Pursuit | Warner Bros., Thomson Productions


Liens externes :


Battle Cry, Raoul Walsh (1955)

Le dernier cri dit la vérité, il doit être exécuté

Le Cri de la victoire

Le cri de la victoire

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : Battle Cry

Année : 1955

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Van Heflin, Aldo Ray, Mona Freeman

Sans doute le plus mauvais Walsh que j’ai été amené à voir. Ça ressemble à un pur film de propagande (encore un). Fallait envoyer les boys en Corée ?… C’est simple, tout est montré dans la guerre comme une aventure pas si inhumaine que ça : si tu es jeune et que tu ne sais pas quoi foutre dans ta campagne d’Arkansas ou même si tu es des Baltimore, viens t’engager. Tu passeras trois mois à t’entraîner dans un camp militaire à San Diego, Californie. Pendant tes permissions, tu pourras aller draguer les filles faciles dans les bars ou même avoir une histoire plus profonde avec la femme d’un notable et te prendre pour Dustin dans Le Lauréat. Tu pourras voyager jusqu’en Nouvelle-Zélande, et là encore plein de jeunes filles délaissées par leur Jules parti à la guerre pourront t’ouvrir leurs bras. Encore une fois, tu auras même toutes les chances de trouver une femme parmi ces dames. Si tu essayes de déserter, ce n’est pas grave, ton commandant sera compréhensif et parviendra à te convaincre de revenir accomplir ton devoir. Surtout qu’à la guerre, c’est une légende, ce ne sont que les troupes d’élite qui sont en première ligne. Toi, jeune marine, tu resteras tranquille à l’arrière. Tu ne seras envoyé au front que pour des missions de relève. Tu ne verras jamais la guerre. Et si toutefois toi et tes compagnons êtes envoyés un jour au plus près de l’action, peut-être parce que ton commandant et tous tes potes en ont assez de rester à l’arrière, tu pourras te comporter en véritable héros. Si tu meurs, le commandant prendra le temps d’aller voir tes parents pour leur rappeler que tu as fait ton devoir pour ta belle patrie.

Autant on peut parfois faire un bon film avec un film de propagande, autant là, il n’y a rien à tirer de bon de celui-ci. Les ficelles sont trop grosses. Trois heures de pub pour les Marines corps. Trois heures pour nous dire que la guerre, c’est l’aventure et que ça fait des hommes de simples garçons de ferme. Lamentable.

Joli titre français : « Le Cri de la victoire ». En gros, même quand tu agonises pour ta patrie, c’est une victoire.

Le scénario (tiré du roman du même auteur) est écrit par Leon Uris, l’auteur du plus connu Exodus. Et d’après ce que je vois de sa bio, c’est assez autobiographique… C’est peut-être pire. Un mec qui décrit la guerre comme un camp de colonie de vacances…

(Chose étrange, LQ Jones joue dans ce film, c’est même son nom dans le film…).


Battle Cry, Raoul Walsh 1955 | Warner Bros

 


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Sabotage à Berlin, Raoul Walsh (1942)

Sabotage à Berlin

Desperate journey Année : 1942

Réalisation :

Raoul Walsh

7/10  IMDb

De l’action et encore de l’action. Ça n’arrête pas.

Un groupe d’aviateurs part d’Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale pour lancer une bombe sur une voie ferrée à l’est de l’Allemagne. Ils se font repérer et leur avion se crashe. S’ensuit alors une longue course-poursuite avec les Allemands. Au fil des aventures, ils perdent leurs amis et rencontre « une bonne allemande ». Seuls arrivent à s’échapper en héros Errol Flynn, Ronald Reagan (excellent acteur franchement, en tout cas, son personnage l’est), et Arthur Kennedy (acteur de western et le reporter bien plus tard dans Lawrence d’Arabie).

Vraiment divertissant.


Sabotage à Berlin, Raoul Walsh 1942 | Warner Bros.


L’Esclave libre, Raoul Walsh (1957)

Mirage de la liberté

L’Esclave libre

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Band of Angels

Année : 1957

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Clark Gable, Yvonne De Carlo, Sidney Poitier, Carolle Drake

Magnifique film. Dommage qu’il soit difficile de le trouver… Il semble être apprécié en France par les cinéphiles et les critiques alors qu’il est un peu ignoré aux USA. Il faut dire que le film accumule les boulets : échec commercial, sans doute un style un peu tard pour l’époque (quoique, 1957…, on a vu pire, il y aura encore des films de ce genre dans les 60’s, même si c’est vrai qu’on ne peut s’empêcher de penser à Autant en emporte le vent tourné vingt ans avant), Gable en vieillard (mais ça va parfaitement avec son rôle, Yvonne de Carlo, dépassant les trente ans pour un personnage tout juste sorti de l’adolescence, ça fait plus mal…, et on ne pouvait pas mettre dans les pattes de Gable une gamine…).

La photo est magnifique, tout comme les décors. La maison à la Nouvelle-Orléans ressemble pas mal à celle que l’on voit en noir et blanc dans Un tramway nommé Désir… Des petits coins sympas pour des drames du Midi (Roméo et Juliette, Cyrano de Bergerac…).

L’histoire est un drame romantique peu crédible, mais vu qu’on frise le mélo, ça n’a pas trop d’incidence. Yvonne de Carlo est censée être une métisse qui s’ignore, ne l’apprenant qu’à la mort de son père, perdant ainsi tous ses droits, et découvrant alors la vie d’esclave (on retrouve le même principe dans Mirage de la vie deux ans plus tard). Yvonne manque d’être violée par un négrier puis est vendue au marché d’esclaves de la Nouvelle-Orléans : Gable doit flairer là qu’il y a un bon sujet de film. À sa grande surprise elle est bien traitée. Et se laissera séduire. Seulement la Guerre de Sécession commence et pour ne pas céder toutes ses plantations aux Yankees, Gable y fait mettre le feu. L’un de ses esclaves, qu’il a élevé comme son fils (Sidney Poitier) le hait parce que, dit-il, c’est pire d’avoir été éduqué et de se savoir toujours esclave. Ce fils rejoint l’Union et le traquera jusqu’à la fin. Gable rend la liberté à Yvonne, mais celle-ci est tombée amoureuse de lui… Alors Gable lui raconte son histoire, d’où lui vient toute cette fortune… Après des patati et des patata, Poitier retrouve Gable pour bénéficier de la mise à prix qui court sur sa tête. Gable lui raconte son passé (il aime raconter des histoires, il est vieux, il peut plus faire que ça, quand les jeunes, on le sait, détestent qu’on leur gâte le poil), qui a commencé en Afrique alors qu’il venait de naître et lui avoue le lien qui les unis. Tout est bien qui finit bien, Gable retrouve sa belle et Poitier va pouvoir “régner” sur la région…

Rien de bien original donc, mais c’est parfaitement mis en scène par Raoul Walsh. Comme d’habitude on pourrait dire. Il y a le charme de la Louisiane, l’autorité détachée de Gable, l’insolence de Poitier et une magnifique actrice qui ne tournera semble-t-il que ce film et qui a pourtant une grâce rare, un maintien presque princier (elle ne marche pas, elle glisse), une dignité dans le ton, l’attitude, une assurance, un charme quoi. Son rôle aurait mérité un peu plus d’attention. Quand on cherche Carolle Drake sur le Net, rien que dalle, même pas une photo potable, aucune bio. Certes un seul film, mais quelle présence ! Encore une actrice noire de l’époque qui passe à la trappe…


L’Esclave libre, Band of Angels, Raoul Walsh 1957 | Warner Bros

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The Yakuza, Sydney Pollack (1975)

L’avant-coureur

The Yakuza

Note : 4 sur 5.

Année : 1974

Réalisation : Sydney Pollack

Scénaristes : Paul Schrader & Robert Towne

Avec : Robert Mitchum, Ken Takakura, Keiko Kishi, Eiji Okada, Brian Keith

J’écoute gentiment ce qu’on me dit. On me parle de Paul Schrader, on me dit que ce Yakuza aurait inspiré Blade Runner, je fonce donc le mater pour voir les liens avec le film de Ridley Scott.

Et je n’ai pas été déçu. Non seulement, c’est un très bon film (assez largement méconnu), mais en plus les liens avec Blade Runner sont évidents. D’abord la photo, très colorée, très sombre (sublime travaille de Kôzô Okazaki) ; le rythme (on parle pour les deux films de neo noir, donc forcément : ambiances tamisées, crépusculaires, glauques…), quelques effets de narration (assez librement reproduits par Scott au début du film, mais le pompage est évident — il vaut mieux copier les meilleurs comme on dit en Chine), et jusqu’à la musique de Vangelis, au piano surtout qui ressemble vraiment au style mélancolique composé par Dave Grusin (parfois même, on reconnaît des effets sonores parfaitement identiques qui créent cette atmosphère inquiétante et mystérieuse), voire les lettres rouges du générique sur fond noir.

Bref, Scott avait un peu pompé sur Kubrick pour son premier film avec Les Duellistes, là il fait de même en gardant le meilleur du film et en prenant une autre histoire (l’art d’accommoder les restes). Le génie, c’est aussi de prendre ce qu’il y a de meilleurs chez les autres et d’en faire quelque chose de meilleur que l’original… (en l’occurrence, vu ce que produit depuis Scott, on va plutôt pencher pour un génie inconscient ou pour la chatte du dépendant). Inspiration évidente comme Starwars et La Forteresse cachée, comme Pulp Fiction et Cible émouvante. Tant que ce n’est pas du recopiage, il n’y a aucun problème.

Le film donc. À l’origine, il s’agit semble-t-il d’une histoire de Leonard Schrader, vite scénarisée par le frangin Paul. C’est Pollack qui est choisi pour la mise en scène, et c’est là qu’il fait intervenir un second bonhomme pour retravailler le script : Robert Towne (Bonnie and Clyde, Chinatown, Missouri Breaks, Greystoke, Frantic, La Firme et les deux Mission impossible). Schrader semble être plutôt nippophile : il s’agit de son premier travail de scénariste et il vient de sortir un bouquin sur les rapports stylistiques entre trois réalisateurs aussi différents que Bresson, Dreyer et Ozu. Ça semble très bien documenté, la société spécifique de cette mafia japonaise étant bien décrite (faudrait peut-être approfondir un jour le genre « yakuza eiga »).

On en ressort finalement avec un scénario assez classique (tous les cinéastes et scénaristes sortis durant les 70’s n’ont fait que reproduire les vieilles méthodes en y ajoutant leur goût et leurs connaissances des cinémas hors us, notamment japonais, italiens et français — on pourrait même dire qu’il s’agit d’une seconde vague d’influence dans le cinéma us après la première durant les 30’s qui a produit l’âge d’or d’Hollywood et tous ces immigrés européens).

Harry Kilmer est un ancien policier à la retraite et est appelé par un ami qui possède une entreprise d’import-export. Celui-ci a fait commerce avec une mafia japonaise et n’ayant pu honorer un contrat de livraison d’armes, sa fille a été capturée et prise en otage. Kilmer connaît bien le milieu de la mafia au Japon pour avoir côtoyé la sœur de l’un d’entre eux durant l’occupation. Il se propose donc d’aller sur place pour voir s’il peut faire jouer ses relations… Il y retrouve la femme qu’il avait quittée, qu’il aime et qui n’avait jamais accepté de se lier à lui pour une raison encore inconnue… Il prend contact avec son frère pour lui demander de l’aide avant qu’il apprenne qu’il s’est retiré de la mafia. Et c’est là que commence le petit jeu du chat et de la souris entre ces deux personnages, l’entrepreneur américain, les yakuzas…

La singularité du film tient dans cette découverte de la société très réglée du Japon, les codes d’honneur des yakuzas vu par les yeux d’un Occidental. Mais contrairement à d’autres films qui ont tenté cette rencontre et s’y sont cassé les dents (Soleil rouge, Rhapsodie en août), c’est ici plutôt réussi. Le problème du film, qui explique sans doute son échec commercial, c’est la présence peu évidente de Robert Mitchum. Si l’acteur est la personnification du film noir à l’écran, le cœur de sa carrière se situe surtout dans les 40’s 60’s. Bien sûr, il fallait un personnage de son âge, aucun autre possible, il était donc parfait pour ce rôle. Seulement, voilà, Mitchum n’est plus à la mode. Le film est donc en total décalage avec son époque. C’est un film de vieux. Sur la mémoire, le bon temps passé révolu… Tout ce qu’on retrouvera comme ambiance crépusculaire dans Blade Runner avec un acteur au sommet de sa gloire, Harrison Ford. C’est dommage parce qu’en dehors de ça, Mitchum est parfait, la mise en scène excellente, très léchée comme souvent chez Pollack… Ce qui n’a pas plu non plus, c’est peut-être aussi le malentendu. On pourrait s’attendre à voir un film d’action inspiré de ce qui se fait au Japon avec des films de yakuzas alors très en vogue. Mais le paradoxe c’est que ça traite des yakuzas avec le rythme des films des 40’s (note 2016 : en fait certains films de yakuzas, en particulier avec Ken Takahura, ont cette même ambiance). Il s’agit bien d’un neo noir plus que d’un film de yakuza. En plus, si Schrader a donné des indications sur le rythme qu’il voulait insuffler à cette histoire… quand on voit ses références : Bresson, Dreyer, Ozu…, franchement, ce sont peut-être les trois cinéastes avec Kubrick, Antonioni et Tarkovski les plus lents. Nul doute que Pollack s’est senti vite à l’aise dans ce rythme, lui qui aime bien le thème de la nostalgie, de la romance, et qui a un style assez lyrique. On se retrouve donc avec des scènes de duels à la fin avec un rythme très lent qui a dû un peu dérouter le public (comme les mêmes scènes « d’action » pendant tout Blade Runner et en particulier la fin, dérouteront le même public). Peu importe, parce que ça fait un film maîtrisé, un peu ovni, qui a ouvert la voie à un autre chef-d’œuvre du genre neo noir. Un plaisir.

Note 2016 : on retrouve ces mêmes ambiances, dans des films opusculaires, comme je les appelle, avec le même Ken Takahura dans les années 60, La Pivoine rouge par exemple. Quant au petit jeu des influences pour Blade Runner, un autre film a soulevé mon intérêt (ou mes fantasmes), Cutter’s Way. On retrouve également la même sophistication dans les choix audacieux d’angles de prise de vue que dans le duel final de La Vie d’un tatoué, de Seijun Suzuki (1965).

En prime, une interview où Pollack évoque brièvement ses difficultés à travailler avec Paul Schrader qui était alors un critique cinéma (tout en louant son travail) :


Respect, monsieur Pollack


The Yakuza, Sydney Pollack 1975 | Warner Bros


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L’obscurité de Lim

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Aventures en Birmanie, Raoul Walsh (1945)

L’Enfer, maintenant.

Aventures en Birmanie

Note : 4 sur 5.

Titre original : Objective, Burma!

Année : 1945

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Errol Flynn, James Brown, William Prince

Un bon film de guerre est le plus souvent antimilitariste. Ce n’est pas aussi criant que dans un Kubrick ou dans Men in War par exemple, mais comment ne pas ressortir d’une telle expérience avec encore plus de dégoût pour la guerre ?

Comme tout film de pure propagande, il a ses élans lyriques voire épiques, mais ce n’est que pour mieux montrer la barbarie de la guerre. Le lyrisme tend parfois à la tragédie. En l’occurrence, il ne faut pas se cacher qu’il n’y en a que pour la violence des Japonais.

Dans cette guerre, on y entre de plain-pied. Pas la guerre frontale et déshumanisée avec tranchées, chars, etc. Non la guerre d’infiltration où on cherche une cible et où on évite soigneusement l’ennemi. La cible est une station radar japonaise située en pleine jungle birmane qui permet aux Japonais de surveiller les mouvements des positions alliées jusqu’en Chine. Le personnage qu’interprète Errol Flynn prend donc le commandement d’un bataillon de parachutistes pour s’infiltrer pendant la nuit dans la jungle et partir à la rencontre de ce radar à faire exploser.

À ce niveau, pour un enfant des années 80, on pense inévitablement au Retour du Jedi. Même ambiance, même mission, mêmes personnages (mais qui ne font que de la figuration chez Lucas), parfois même type de dialogues (qu’on retrouve plus dans les autres volets de la trilogie paradoxalement, preuve peut-être que le film était une référence pour Lucas). Bien sûr tout est bien plus propre dans le Retour du Jedi : c’est une histoire pour les enfants, un conte beaucoup plus positif, avec la simple volonté de distraire. Aventures en Birmanie est un film de propagande de fin de guerre : la volonté est sans aucun doute de mettre en scène les soldats, ne pas mentir sur leurs conditions de vie, sur le danger, mais ainsi faire d’eux des héros, des soldats capables de se sacrifier pour leur nation (chose qui ne passera plus vingt ans plus tard).

Il est passionnant de relever les différences de rapports à la guerre à cette époque, sans doute bien retranscrit dans le film, et notre époque actuelle. La mentalité n’est pas du tout la même. Si en France, le sens du devoir patriotique a laissé place à une sorte de combat universel contre les désastres apportés par les guerres (avec la bonne conscience et l’esprit interventionniste des « French doctors ») ; aux États-Unis, sans doute porté par la culture rock, nihiliste, consumériste et irrévérencieuse de la nouvelle jeunesse du baby-boom, on voit la guerre désormais comme un jeu, où il est facile de vaincre face à une armée ennemie forcément arriérée.

Il y a donc une différence majeure de contexte et de comportement entre la génération qu’on trouve dans le film et celle qui sera plus tard mise en scène dans les films sur le Vietnam par exemple. Ça donne à ce film une atmosphère un peu de « guerre à papa ». On ne retrouverait plus aujourd’hui le même rapport à l’autorité, au patriotisme, ou au même sens du devoir. Même si cinq ans après en Corée, les soldats pouvaient encore se poser des questions sur l’utilité d’une telle guerre, c’était encore une génération liée à celle ayant gagné la Seconde Guerre mondiale, on n’y trouvait pas tout à fait encore l’esprit qui commencera à poindre dans les années 60.

Ainsi, ici, tous les personnages sont empreints d’une certaine gravité, d’une retenue, d’une maturité aussi, face au contexte difficile de la guerre (ce qui n’empêche pas bien sûr les comportements de peur, etc.). Ce qui est le plus marquant, c’est l’extrême sérieux, la dignité et un sens assez peu développé de l’égoïsme (les Américains avec les Trente glorieuses se rattraperont, à moins que ce soit un aspect qu’on s’autorise plus volontiers à montrer dans les films plus récents). Ils ne pensaient qu’à survivre, mais étaient rarement en défiance avec leur propre pouvoir : restait en tête l’idée bien présente d’une guerre juste. Le caractère antimilitariste du film perçu aujourd’hui n’était sans doute pas volontaire à l’époque où la cruauté est toujours celle de l’ennemi. Tandis que les soldats actuels, sont des mômes, qui bien vite, en perdant leurs illusions de petits soldats, cherchent un moyen détourné pour s’amuser, prendre du bon temps et se défouler. Curieux de voir ce changement de mentalité. Et ce n’est pas seulement dû à l’évolution d’écrire des histoires et de les représenter à l’écran. On sent réellement un changement de mentalité, entre ceux qui ont toujours su qu’ils pouvaient être envoyés à la guerre comme leurs parents qui ont connu les atrocités sur les champs de bataille durant la première guerre mondiale ; et ceux qu’on envoie à la guerre dans des conflits dont on comprend mal le sens, et alors qu’on commence toujours plus tard à rentrer dans l’âge adulte, parfois même en n’y rentrant jamais (phénomène qui est encore plus spécifique à nos générations élevées aux dessins animés, Starwars et autres jeux vidéo).

Bref, après une longue digression, Errol Flynn retrouve son chemin et se faufile dans la jungle avec son bataillon à ses ordres. Très vite, l’objectif est atteint. Le radar est détruit. Mission accomplished. Ils n’ont plus qu’à rejoindre leur point de ralliement, là où un avion devrait venir les récupérer. Jusque-là tout va bien, le film pourrait se terminer et on en est qu’à vingt minutes. Seulement les Japonais rappliquent et les avions sont obligés de repartir.

Technique efficace, quand on introduit au début du récit un objectif qu’on ne pense atteindre qu’à la fin du film, et qu’on prend très vite des chemins inattendus.

Le groupe se retrouve sans moyen de subsistance, sans possibilité de passer les lignes ennemies, livré à lui-même. Ils pourront compter sur le lancement de vivres, mais une fois leur radio HS… ils seront seuls dans une jungle hostile où n’importe quel « jap » peut venir leur éclater la gueule. À ce moment, le film exploite au mieux le mythe de l’individu perdu au milieu de nulle part, rappelant au spectateur ses peurs les plus primaires.

Leur seule porte de sortie : un dernier rendez-vous, situé plusieurs centaines de kilomètres plus au nord. Ils ne savent pas ce qui les y attend mais n’ont pas le choix.

Au fil du récit, on en élimine forcément. Et après des rencontres avec des indigènes, des batailles sanglantes face à l’ennemi, après le manque de vivres, la fatigue, la maladie, les embuscades, les crises de folie, de peur, ils retrouveront le chemin du retour, non sans avoir affronté une dernière fois, dans la nuit, nos ignobles soldats japonais.

Le film est servi par des dialogues et des personnages dans le ton. On ne s’ennuie pas une seule seconde, passant d’une scène à une autre sans le moindre temps mort. Et Flynn est convaincant dans la peau de cet officier pour qui ses soldats feraient n’importe quoi.

Superbe film.

On peut lire sur le Net que la trame a été inspirée du film de Vidor, Le Grand Passage avec Spencer Tracy. Il y a des similitudes, c’est certain, mais je ne me rappelle pas suffisamment du film pour y voir des correspondances frappantes. En revanche, Walsh aurait fait avec Distant Drums un remake de ce film. Je viens de le voir. Et si on peut là encore y voir pas mal de similitudes, on peut aussi s’amuser à noter ce qui ne correspond pas. Si Aventures en Birmanie est purement un film de guerre, au sens strict (sur le front), Distant Drums, avec l’ajout d’un personnage féminin, est également plus une romance (dans le ton de ce qu’on faisait dans les années 30), voire purement un film d’aventures ; les atrocités de la guerre n’y sont pas montrées comme ici. Ce n’est pas le même contexte : le premier est un film clairement de propagande pour exalter l’élan patriotique des Américains face aux atrocités commises par le camp ennemi (le film a été produit avant la fin de la guerre et projeté huit mois avant la capitulation japonaise), le second est un divertissement racontant les faits d’une… distante histoire qu’on s’est déjà chargée d’écrire pour l’avoir gagné, la guerre.


Aventures en Birmanie, Raoul Walsh 1945 Objective, Burma! | Warner Bros


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Inception, Christopher Nolan (2010)

Rêvinterion

Inception

Note : 3 sur 5.

Année : 2010

Réalisation : Christopher Nolan

Avec : Leonardo DiCaprio, Joseph Gordon-Levitt, Ellen Page

Je sors de mes vieux films pour aller au cinéma et voir ce film. Il a fallu que ce soit un gros morceau pour que j’en entende parler, parce que je ne suis plus du tout l’actualité du cinéma depuis un bon moment. J’y suis donc allé sans savoir de quoi il s’agissait. Je savais juste qu’il y avait DiCaprio et que c’était réalisé par Christopher Nolan (ça, je l’ai compris au début du film, et je ne suis pas très fan de Nolan…). Je suis sorti du film assez assommé et surtout avec un gros mal de crâne (je n’en veux pas au film, mais il m’a bien rendu malade). Sur le coup, je n’ai éprouvé aucun plaisir à suivre le film, même si on ne voit pas le temps passer. Donc une fois sortie, impossible de dire si j’avais aimé ou pas, j’avais reçu une claque dans la gueule. À la différence des autres spectateurs, pour qui la claque était sans doute une chose positive, moi ça m’a fichu KO. Et je n’aime pas ça.

Ce film me laisse à peu de chose près la même impression, le même goût désagréable, que ses films précédents. De Batman en particulier. En relisant ma note sur ce film, je vois que je n’avais pas aimé le film parce qu’il manquait cruellement de poésie et d’humour (voire d’ironie). Aussi, la structure du film, une espèce de nœud informe sans début, ni milieu, ni fin, avec un montage trop serré, trop dense. Et je retrouve tout ça dans ce film. Et il faut croire que je suis le seul, parce que déjà pour le Batman, je notais ma surprise de voir critiques et spectateurs s’accorder pour dire que le film était génial…

C’est peut-être parce que je suis habitué aux structures propres, une maille à l’endroit, une maille à l’envers, des films des années 50. À l’époque la dramaturgie était directement inspirée des romans ou du théâtre. Là, avec Nolan, je suis totalement perdu. Il reprend bien des codes de narration utilisés comme une scène d’intro qui fait vite rentrer le spectateur dans le vif du sujet. Pour le reste, comme Batman, pour moi, ça ne respecte rien. Mon pote en sortant m’a soufflé que c’était brillant, que la dramaturgie était incroyable. Brillant, ça oui c’est brillant, trop même, mais aucun rapport selon moi avec la dramaturgie. Emboîter des événements les uns dans les autres, trouver des astuces, trifouiller à l’infini un sujet en le complexifiant toujours plus et sans finalité, juste pour la frime, pour moi, ce n’est pas signe de qualité dramaturgique. Au mieux, c’est un travail d’architecte qui essaye de tout mettre à niveau, fermer les angles, etc. La meilleure des dramaturgies, c’est celle qui arrive à rendre simples les choses compliquées, qui rend accessible une histoire, qui donne du plaisir et de l’intérêt au spectateur, tout cela en respectant certains codes, qui ne sont pas là pour faire beau ou pour respecter une tradition, mais juste parce que ce sont des procédés utilisés depuis des millénaires et qu’ils sont les meilleurs pour raconter une histoire.

Si on prend la scène de présentation par exemple, c’est intéressant, on rentre directement dans le sujet du film, on est interloqué, on se demande dans quel environnement on se trouve, on doit comprendre avec les rares indices qu’il nous laisse, et c’est plutôt un plaisir — jusque-là. Sauf que la scène est trois fois trop longue ! Une présentation doit montrer les choses assez sommairement, parce que si elle met en scène le sujet du film, introduit un contexte, une ambiance, ce n’est pas le sujet du film. Une demi-heure rien que pour présenter le phénomène de l’intérieur, c’est un peu long, d’autant plus qu’on y reviendra pendant tout le reste du film. Par la suite, le personnage de DiCaprio réexpliquera le phénomène des rêves emboîtés et le principe de vol d’information (voire d’introduction d’idées chez une cible) à Ellen Page qu’il vient de recruter… encore avec des effets visuels, qui en remettent encore et encore une couche alors qu’on n’est pas encore rentré dans le vif du sujet du film. Bref, que du hors sujet, des répétitions, des fausses pistes…, et tout de même pas mal d’invraisemblances que j’ai eu du mal à accepter.

Pendant toute cette longue séquence d’introduction, le personnage de Ken Watanabe est la cible du voleur de secret qu’interprète DiCaprio (une sorte de mix improbable entre Freddy et Arsène Lupin). À ce moment, en terme dramaturgique, on dit que Watanabe est l’opposant. D’accord… DiCaprio échoue dans sa mission, on apprend que ceux qui l’ont engagé ne vont pas l’accepter et vont le supprimer (même pas le temps d’expliquer pour qui il travaille, dans quelles conditions, pourquoi… ça arrange le scénariste même si ça paraît peu crédible), c’est donc là que tout naturellement, Watanabe lui propose de travailler pour lui… Mais bien sûr, comme c’est pratique ! Il a justement une mission sous le coude à ce moment-là, de la plus haute importance… Invraisemblable.

Remarque, Nolan dit que le film n’est qu’un rêve, donc que ça n’aurait aucun sens de chercher des vraisemblances dans sa structure… comme c’est pratique. « Bien sûr, si mon film est tout pourri, si je n’ai pas jugé utile de remédier aux faiblesses du scénario, c’est parce que ce n’est qu’un rêve et les rêves sont imparfaits, pas vraisemblables. » Oui, moi j’appelle ça une perte de crédibilité. Le rêve est un contexte pas un film, sinon on demanderait aux fantômes qui s’adressent à Richard III de s’adresser directement à l’acteur en rêve et de se contenter de se bouger en faisant des « hou, hou ». L’art de la dramaturgie, c’est de faire passer un message, une histoire, pas de coller à la réalité ou au rêve. Et pour faire passer un message, il faut tout mettre en œuvre pour que le spectateur reçoive au mieux les informations qu’on lui donne et surtout qu’il y croit. C’est tout le problème de la vraisemblance soulevé par Aristote ou d’autres certainement après lui… Il pourrait ensuite me reprocher d’accepter les vraisemblances contenues dans The Man from Earth[1], et pas ici. D’accord, sauf que dans ce film, le problème est posé tout de suite et qu’il est simple : est-ce qu’il ment ou pas, tout le reste est un jeu. Alors on peut décider ou non de rentrer dans l’invraisemblance proposée par le film, mais ici avec Inception, on n’a même pas le choix et le « c’est peut-être un rêve » sonne surtout comme une pirouette pour faire tout et n’importe quoi, ce qui est bien la marque de Nolan. Les effets avant le sens.

Un des autres gros défauts dans la dramaturgie du film, à mon sens, c’est son rythme. Même problème que dans Batman. On ne nous laisse jamais respirer. Dans Memento, ce n’était pas tant que ça un problème, parce que le film n’était, en apparence, pas structuré avec des éléments essentiels à chaque scène : les scènes étaient des tranches de vie, on pouvait donc prendre son temps et apprécier le décor (très important ça…, je ne plaisante pas c’est essentiel pour qu’on puisse faire travailler notre imagination), même si on se rend compte finalement que chaque scène possédait des outils pour comprendre la suite (ou le début…). Mais c’était le principe du film, de nous perdre en route, un peu comme Usual Suspects : peu importe si on est plus trop attentif du qui est qui ou de qui a fait quoi pendant le film, c’est de toute façon impossible, l’important, comme dans le Grand Sommeil, n’étant pas de suivre, mais de se laisser pénétrer par l’ambiance, et d’être attentif aux revirements quand ils arrivent, notamment bien sûr au revirement final dans Usual Suspects, qui nous laisse pour des crétins et on en est bien content ! Le mec qui ressort du film en disant « j’avais tout compris ! » est un menteur. Le plaisir, comme d’une certaine manière quand on se fait plaisir en se faisant peur en regardant un film d’horreur, on l’a dans ce genre de film en comprenant qu’on nous a pris pour des idiots. Sauf que Nolan, il nous prend pour des idiots dès le début. Avec lui, c’est clair dès le début : laissez-moi faire mes canevas boiteux et émerveillez-vous devant la splendeur de l’absconcitude incarnée de ma savante complexitude

C’est gonflant ce côté opéra qui ne s’arrête jamais. Jamais d’intro chez Nolan, on entre direct dans le vif du sujet. C’est sans doute voulu, mais moi j’ai horreur de ça. Ça permet de dire qu’on ne dramatise rien, on montre des événements qui se succèdent sans mise en relief, alors que c’est ça le rôle d’un raconteur d’histoires. Et finalement, puisqu’il n’en est pas capable, il laisse la musique faire son boulot. Sauf qu’elle ne s’arrête aussi jamais… C’est le boléro de Ravel non-stop… Poump, poump-poump, poump, tin…, ti… tililililitilili, tilililitili, tilili-li-li-li… Poump, poump-poump…… Si ce côté non-stop est voulu, c’est carrément pour moi une erreur. Je me répète mais le spectateur, il a besoin de respirer. Si tout s’enchaîne à un rythme rapide, sans pause, sans alternance, on finit par s’asphyxier. Là, on attend l’interlude qui va nous permettre de respirer… Même quand il y a juste une musique lente, à peine audible, c’est une musique qui entretient le suspense, la tension, qui dit attention c’est grave, un truc va se passer… Pff ça va quoi…, quand tout est important dans un film, quand il faut faire attention au moindre détail, plus rien ne l’est.

Et puis, moi, je n’aime pas réfléchir pendant un film, ou du moins je n’aime pas qu’on m’impose ce à quoi il faut réfléchir pendant trois heures. Parce que c’est ce que fait le film de Nolan. Il y a tant de choses à comprendre, qu’il faut sans cesse être à l’écoute, être attentif à la moindre explication, sinon on perd une pièce du puzzle et tout s’écroule, on est largué. Or le but contrairement à Usual Suspects ou Memento, n’est pas de nous induire en erreur, nous faire perdre le fil, mais bien de faire appel à toute notre intelligence, notre attention, parce que tout ce qui est dit comporte des informations capitales pour comprendre la suite, le contexte, la genèse des personnages, etc. Sauf qu’autant d’informations en peu de temps, énoncées au milieu d’un flux énorme d’information du même type, souvent en plein milieu d’une scène d’action ou rapidement soufflées par autre chose à l’écran, c’est juste intenable et cela explique mon gros mal de crâne à la sortie de la projection. Alors, soit j’ai une faible capacité à intégrer des données dans un temps très court (c’est fort possible, j’ai jamais aimé le stress d’apprentissage, je préfère renoncer et apprendre plus tard quand on ne me demande plus rien), soit les autres font semblant de comprendre et sont juste émerveillés par l’action sans pose, par l’impression laissée de gros canevas cérébral… Peut-être que d’autres, de la génération MTV, arrivent à tout ingurgiter avec plaisir… Moi, je ne peux pas, j’ai besoin de temps pour intégrer, j’ai besoin de me familiariser avec une nouvelle information en la mettant en scène dans ma tête pour me l’approprier, pour juger des différentes portes de sortie possibles dans l’histoire, pour imaginer les origines de cette idée, me représenter toutes ces idées dans un tout. Ce n’est pas le tout de me dire que dans le rêve, il peut y avoir un autre rêve et de m’expliquer brièvement pourquoi…, il faut que je me fasse à l’idée, dans mon petit esprit lent et avec mon intelligence molle. Bref, j’ai besoin de faire appel à mon imagination, à mon intelligence, en comprenant une information avec son contexte, ses enjeux, ses implications. J’ai besoin d’intégrer des fausses pistes pour les identifier par la suite dans l’histoire si elle se présente, pour me dire « ah, ça non, ce n’est pas possible… » Si on me prémâche tout, si on ne me laisse pas le temps de réfléchir, de penser, de juger de la crédibilité d’une idée, d’imaginer, je ne retiens rien, je n’éprouve aucun plaisir et surtout il y a une sorte de stress qui m’envahit parce que je ne veux rien manquer. C’est présenté de manière trop prosaïque, ça manque de chair, de superflus. Pour reconnaître ce qui est important dans un film, il faut aussi y intégrer un peu de superflus. Pour mettre du rythme dans un film, il faut alterner les rythmes. Si on joue tout au même rythme, on ne perçoit aucun rythme. Là, tout est au même rythme, à la même note… C’est comme un arc qui se tend et qui ne se relâche jamais.

J’ai vu que le film était comparé à Matrix et à Blade Runner (le premier OK, pour les mondes virtuels imbriqués les uns dans les autres, mais pour le second, à part l’univers dickien, je ne vois pas…), mais dans ces deux films, il y a de vrais moments de poésie, où on prend son temps, où on laisse le spectateur se faire sa propre sauce, où le film ne se joue pas seulement devant, mais en nous, avec notre propre imagination. C’est le principe de la catharsis… Comment s’identifier à un mec qu’on ne voit qu’une seconde entre un plan de bagnole qui vient en percuter une autre et un plan de train qui lui fonce dessus ?… Et merci pour le jeu d’acteur… Là encore, peu de place laissée à son imagination à lui. Très peu de temps pour exprimer ce qu’il a envie de passer… C’est simple, les acteurs sont des pantins : ils n’ont pas de sentiments, pas d’expression, pas de motivation, pas de contradictions, pas d’espoir…, tout est dit par l’action. Les personnages sont déterminés par rapport à ce qu’ils représentent dans l’action. Donc aucune place laissée à l’humain, à la subtilité, tout ce qui fait qu’on s’intéresse à un personnage auquel on a envie de s’identifier… On suit le film comme on doit lire un rapport top secret tout juste sorti du coffre secret de la cible, c’est-à-dire pressé par le temps et en ne retenant rien.

Les personnages, on peut en parler. Là encore, on se soucie peu de leur donner du corps. Tout ce qu’on apprend sur le personnage de DiCaprio au fil du film, est toujours d’une importance capitale pour comprendre son cheminement, son rapport avec le rêve, qui est son outil de travail, et donc le sujet du film. On se soucie peu de lui construire une personnalité, un passé, ses motivations (en dehors de retrouver ses enfants). Ainsi, que sait-on au fond de cette technique d’immersion dans les rêves ? On sait qu’il a testé le principe « d’inception » sur sa femme, on sait que la pratique est utilisée dans des sous-sols en Turquie avec des camés du rêve. Mais au final, sur le contexte de son invention, du comment, on ne sait rien. Caine joue le père de DiCaprio et semble s’y connaître sur le sujet, est-il le créateur de cette technique ? On n’en sait rien. Qui sont les entreprises qui font appel à lui et pourquoi… On n’en sait rien. Pourquoi le fait-il ? Pour l’argent pour autre chose ? On n’en sait rien. Les enjeux et les motivations des personnages sont si flous, que quand DiCaprio se lance dans la recherche d’une équipe pour mener à bien sa nouvelle mission (là on a droit à des scènes tout aussi inutiles pompées à Mission impossible…, toujours le prétexte à de nouvelles scènes d’action hors sujet), son père lui présente une étudiante, Ellen Page (très crédible là encore…). Les scènes alors se focalisent sur l’explication de ce qu’est l’inception. Procédé intéressant et souvent efficace : faire entrer un personnage en même temps que le spectateur pour pouvoir expliquer au spectateur un contexte en même temps que le personnage en question. Sauf qu’un personnage ne peut pas avoir que ce rôle. Les personnages ne sont pas des pions qu’on invente aussitôt que la nécessité s’en fait sentir. Une fois créé, un personnage, en fonction de son importance dramatique (et par la suite Nolan lui en donne, parce qu’elle gardera cette place auprès de DiCaprio, celle qui nous sert à nous d’inception pour comprendre l’univers du film) on n’a pas le droit de le laisser tomber ou de l’utiliser uniquement quand l’histoire se retrouve face à une porte close et qu’on choisit un personnage au hasard pour en ouvrir la serrure. Un personnage, il a des motivations propres, une histoire personnelle, de craintes, des buts…, il doit apporter au monde froid et strict de la trame dramatique un peu de folie, d’imprévu, de paradoxe. Là ? Rien. Ellen Page accepte la mission, en simple étudiante. Aucune question éthique, aucune motivation qui expliquerait son acceptation de la mission. « OK Ellen, on va pénétrer dans la tête d’un mec d’une grande société à la demande de son concurrent, pour lui suggérer une idée qui sera profitable à son concurrent. Tu es partante ? » « Et comment ! » On y croit… Effectivement, tu rêves, Christopher… (Encore je suis gentil, il ne lui demande même pas son avis…) Ce qui compte dans une histoire ce n’est pas l’histoire en elle-même, parce que toutes les histoires ont déjà été racontées ; ce qui compte ce sont les personnages, leur vie, leurs imperfections, leurs contradictions, leurs craintes, leurs espoirs, leur évolution. La catharsis agit à travers eux. Sans eux, ce n’est que de l’action brute et autant lire un almanach d’événements se succédant les uns après les autres.

Quand on enlève toutes les scènes d’action, finalement, on se rend compte qu’il n’y a pas grand-chose derrière. Pour reprendre encore en référence Matrix, c’est un peu la différence entre le premier volet de la série, qui raconte une vraie histoire, avec une vraie mise en profondeur progressive dans l’univers, des enjeux qui se dessinent lentement, un apprentissage qui est un peu aussi le nôtre, une montée en puissance jusqu’à un affrontement final (du classique quoi), et les deux autres volets qui ne font plus appel qu’à de l’action brute, une action répondant à une autre, sans intervention des humains, de leurs motivations, de leurs contradictions, de leurs craintes, etc. C’est devenu, creux, sans passion, sans vraisemblance. Exactement comme la plupart des films de Nolan et donc dans celui-ci.

Même sur le plan visuel, il y a des scènes magnifiques comme celle de Paris où Page s’amuse à plier l’horizon ou encore les scènes d’apesanteur. Ce qui manque à Nolan, en tout cas ce qui me gêne, c’est l’absence totale de fantaisie. Tout est prosaïque, réaliste, sérieux… C’est sans doute ce qui avait plu à certains dans son Batman, et ce qui m’avait agacé. Mais il faut reconnaître ensuite que ça limite pas mal l’invention, et les folies visuelles. On a du mal à croire qu’on est dans des rêves la plupart du temps dans le film. On croirait plutôt à un monde recréé. D’ailleurs, DiCaprio fait appel à des « architectes » qui doivent reproduire jusqu’à la texture des matières… Bah, oui mais dans un rêve, on s’en fout de la texture des choses. Surtout, on n’a pas besoin que tout soit parfaitement reproduit pour y croire, vu qu’on ne sait pas qu’on est dans un rêve et que le ciel pourrait nous apparaître jaune que ce serait normal, du moins que ça ne nous empêcherait pas de continuer à rêver… « Ah merde j’ai rêvé d’une moquette en polyester alors que dans la vie elle est en laine… » Bah et alors, c’est un rêve, le mec n’aura jamais ce genre de réaction. Dans un rêve, tout est décousu, les décors, comme les idées, rien ne ressemble à la réalité. Et même quand on voudrait faire croire à une cible qu’elle est toujours dans la réalité…, elle ne s’en soucierait pas puisqu’elle est dans un rêve, et quand on y est, on est prisonnier de sa réalité. Reproduire les bizarreries des rêves, voilà qui aurait été intéressant plastiquement, esthétiquement. Changer de lieu sans que cela n’affecte la raison des personnages ; des personnages qui changent sans raison, etc. Le problème il est là. Dans un rêve, on n’a jamais son libre arbitre, on est passif et esclave de son subconscient. Nolan, lui, rend tout ça rationnel, fabrique un univers onirique qui n’est ni plus ni moins que la réalité virtuelle de Matrix. Pas assez poète pour comprendre ça le Nolan, pas assez surréaliste. Un puzzle baroque qui ne représente rien du tout et ou toutes les pièces pourraient être interchangeables…

Pour ce qui est des acteurs, je ne suis pas très fan de DiCaprio, éternel adolescent pour moi (donc peu crédible dans un rôle comme celui-ci)…, mais j’ai eu beaucoup de plaisir à revoir Ellen Page. C’est peut-être le seul élément qui apporte par sa présence un peu de nuance au film. Corps de mec (pas de bassin, plate…) mais ultra-féminine ; visage poupon mais grande intelligence (dans son interprétation — pour ce qu’on lui laisse faire — et le personnage, qui mène à notre compte, l’enquête). Il fallait bien finir sur une note positive…


Inception, Christopher Nolan 2010 | Warner Bros., Legendary Entertainment, Syncopy


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