Black Christmas, Bob Clark (1974)

Note : 4 sur 5.

Black Christmas

Année : 1974

Réalisation : Bob Clark

Avec : Olivia Hussey, Keir Dullea, Margot Kidder, John Saxon, Marian Waldman

Voir réunis dans un même film dans lequel ils sont amants la Juliette de Franco Zeffirelli et le Dave Bowman de 2001 (deux chefs-d’œuvre de 1968), voilà qui est plutôt inattendu. Surtout quand on y trouve par ailleurs la future Lois Lane de Superman en version trash.

Honneur donc, tout d’abord, aux acteurs, parce que c’est eux (au propre comme au figuré ?) qui tiennent la baraque. Dans un thriller, un film d’horreur ou dans tout autre film de genre, quoi qu’on en dise, le talon d’Achille, bien souvent, c’est l’interprétation des acteurs. À travers eux, passe l’essentiel de la crédibilité de l’histoire. Vous pouvez écrire un scénario rempli d’incohérences, certains interprètes (cela vaut aussi pour la mise en scène) peuvent vous masquer ces défauts grâce à leur sincérité, à la manière dont ils défendent un personnage ou grâce parfois à leur seule présence à l’écran.

Pour le reste, je ne vois pas tant que ça de contradictions ou de plot holes. Les zones d’ombre servent sans doute à leurrer le spectateur. Tout demeure confus, le twist final nous embrouille un peu plus, on y voit que du feu. Le scénario a même une qualité indéniable : cette incertitude, cette fin ouverte irrésolue poussent le spectateur à vouloir se refarcir au plus vite le film. Si vous regardez le film sur Netflix, cela ne changera pas grand-chose, mais au cinéma, cela relève presque de l’idée marketing de génie. La structure du récit ajoute habilement des éléments à la connaissance du spectateur qui a presque le luxe d’être plongé dès la première séquence dans un jeu de va-et-vient entre perception des proies innocentes et perception de l’assassin (raison pour laquelle d’ailleurs, à force de vues subjectives, on ne verra jamais le visage du meurtrier). Certains de ces éléments, en apparence tous anodins, pourraient éclairer notre lanterne (avant que la police s’en mêle) sur l’identité, le passé ou les motifs de l’assassin. En plus de forcer l’attention du spectateur, ce classique du thriller dont s’est emparé le film d’horreur, permet non plus de développer l’image de l’assassin (qui restera tapi dans l’ombre jusqu’à ne plus devenir qu’une grande tache de Rorschach soumis à toutes les interprétations possibles, même absurde), mais les relations entre les victimes. Manière détournée et habile d’évoquer deux sujets principaux : le fossé entre deux générations (l’une, conservatrice, l’autre, plus provocatrice, libre, et parfois obscène — les deux partagent le même attrait pour l’alcoolisme) et l’émancipation des femmes (refus de se marier, d’avoir un enfant et souhait de poursuivre ses études).

Je vois deux films à rapprocher de celui-ci. Sans doute un peu parce que je les apprécie, parce que je les ai vus récemment, mais aussi parce qu’ils en possèdent des qualités ou des éléments identiques. Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965) et La Résidence, de Narciso Ibáñez Serrador (1969).

Dans Bunny Lake a disparu, de la même manière le tueur se révèle être l’homme le plus proche du personnage féminin principal (et ironiquement, il s’agit du même acteur à dix ans d’intervalle : Keir Dullea). Si beaucoup de films jouent sur les clichés, on peut au moins noter que ces deux films pointent du doigt une réalité bien connue de la police : vous cherchez un meurtrier ? Neuf fois sur dix, il s’agira du petit ami, de l’ex, du frère, etc. de la victime. La résidence de Black Christmas, la chambre de Miss Mac d’où l’assassin peut parfois passer ses appels surtout, n’est pas sans rappeler l’école de Bunny Lake a disparu (surtout avec son dernier étage occupé par l’ancienne directrice). Les deux films jouent par ailleurs très bien sur une forme de folie, certes extrême, mais très réaliste : si certains films d’horreur choisissent le parti pris de l’outrance et de l’effet gratuit comme à l’époque du grand-guignol, on prend exactement le contre-pied ici de cette mouvance (on aura compris que je déteste les séries Z). Au mieux, on garde la folie de l’assassin bien à distance grâce à l’usage récurrent du téléphone.

Deuxième film donc, La Résidence. Deux early slashers comme on dit avec l’accent. On retrouve l’idée de « maison de sororité » dont la tranquillité est violée par un détraqué et l’idée de film à élimination. La résidence universitaire deviendra un trope particulièrement apprécié pour rameuter le public adolescent dans les salles. (Et d’une certaine manière, ce trope apparaissait déjà à l’échelle de la ville dans L’Étrangleur de Boston.)

Ces trois films ont par ailleurs en commun le fait de ne pas être… hollywoodiens. Comme quoi, ça n’a pas toujours été le Hollywood underground qui a su redonner de l’élan aux genres. Un est britannique, un autre espagnol et un autre canadien. (Certains évoqueront le giallo, mais comme je suis loin d’être amateur de ce genre qui précisément évoque pour moi une forme de grand-guignol pisseux, je laisse tout rapprochement ou toute comparaison aux autres.)

J’ai mentionné les acteurs et le scénario (je partagerai un jour toutes mes notes sur le confusionnisme…). En revoyant le film, je me suis attaché un peu plus à la réalisation, et c’est du propre. Les effets sonores plongent réellement le spectateur dans une ambiance malsaine mais subtile (l’idée des cordes de piano est parfaite), chaque mouvement de caméra, chaque zoom, chaque ajustement, chaque montage alterné resserré (souvent pour suggérer une forme de crime sacrificiel et cathartique à la Apocalypse Now), chaque vue subjective participe à cette atmosphère. C’est de l’orfèvrerie. On est loin de la série B. Quand on regarde la lenteur de certains plans par exemple, ou quand les portes sont brutalement défoncées, on remarque que Clark maîtrise le tempo à merveille.

La mode du slasher semble être déclenchée : en cette même année 1974 sort un autre film, bien plus trash (et par conséquent plus mauvais) : Massacre à la tronçonneuse. On remerciera au moins à ce genre d’avoir sans doute inspiré en partie la fin d’Alien à travers un de ses motifs préférés : la femme rescapée. (Même si ici, on peut encore supposer que Jess finisse assassinée vu que les appels de « Bill » ne surgissent qu’après chaque meurtre — c’est du moins ce qui est suggéré dans la dernière séquence.)

J’ai l’impression que ça me fait le coup en ce moment une fois sur deux : à chaque nouveau film visionné, je me rends compte qu’un des acteurs principaux vient de disparaître… La petite amoureuse de Shakespeare, Olivia Hussey (un de mes amours d’adolescent), est donc décédée il y a moins de deux mois. Voilà pourquoi, peut-être, je réduis mes visionnages ces derniers temps. Je porte la poisse.

(Mon nom anglais à l’école, c’était Billy.)


Black Christmas, Bob Clark 1974 | Film Funding Ltd., Vision IV, Canadian Film Development Corporation, Famous Players


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1974

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La Dernière Maison sur la gauche, Wes Craven (1972)

Note : 2.5 sur 5.

La Dernière Maison sur la gauche

Titre original : The Last House on the Left

Année : 1972

Réalisation : Wes Craven

Avec : Sandra Peabody, Lucy Grantham, David Hess, Fred J. Lincoln, Jeramie Rain

Rien de bien folichon. Une histoire inspirée de La Source qui rappelle par certains côtés Délivrance sorti la même année. Je veux bien que le film en ait inspiré pas mal par la suite (surtout au rayon rape and revenge), mais au fond, le cinéma américain se découvre une seconde vie avec les caméras légères et la fin des restrictions, il est normal d’explorer de nouveaux espaces et limites. La fameuse banlieue qui sera si souvent le théâtre des films d’horreur futurs, on la retrouvait tout autant dans les films noirs et séries B d’antan. C’est parfois si mal filmé qu’on pourrait se penser dans un film de John Waters (le début notamment est terriblement statique) : Pink Flamingos est aussi sorti en 1972. L’air du temps. Tous les chemins, après la dernière maison sur la gauche, mènent à l’horreur… L’Italie, notamment, réalisait déjà de son côté des slashers avec des moyens plus conséquents (sans oublier, l’Espagne, avec l’exemple de La Résidence).

Pour recontextualiser les choses, 1972, c’est l’année de sortie aussi du premier film porno exploité aux États-Unis. Quant à Délivrance, déjà cité, il est peut-être moins cru, mais c’est un film à gros budget avec potentiellement plus d’impact qu’un film indépendant qui ne pourra avoir eu son petit effet que de manière confidentielle. Les outrances aident à taper dans l’œil du spectateur alors que Hollywood semble rebattre les cartes. En 72, le spectateur américain était donc servi, à condition que ces films sortis au même moment aient bénéficié d’une exploitation égale (ce qui est rarement le cas pour de tels films). Massacre à la tronçonneuse, que le film aurait pu éventuellement inspirer viendra en 74. Tandis que La Nuit des morts-vivants, pour recontextualiser encore, c’est 1968.

Loin de moi l’idée de minimiser l’importance du film, mais je pencherais plutôt pour une influence tardive et un jalon dans le cinéma d’horreur que les amateurs du genre auront probablement mal identifié à l’époque. Il y a des modes qui sont lancées par le succès de certains films (la mode des films apocalyptiques grâce à Airport ou Colossus), et il y a des usages qui sont des voies explorées par diverses personnes non pas par mimétisme, mais parce que la voie était désormais libre. Si tous se mettent à faire, indépendamment (dans tous les sens du terme), des films, c’est moins parce qu’ils se copient et se connaissent que le fait qu’ils puissent désormais réaliser des films avec de faibles moyens et le distribuer dans des réseaux de distribution alternatifs. Que ce soit pour les films pornographiques, les audaces de Waters, les slashers et les rape and revenge films, l’histoire est la même.

Cela étant dit, aussi mauvais que le film puisse être, il trouve un second souffle salutaire vers la fin, assez cathartique, je dois avouer, quand les deux parents bourgeois s’en prennent à leur tour aux quatre criminels en fuite. L’humour, typique des films futurs de Wes Craven et de toute une génération de réalisateurs, prisonniers volontaires de l’adolescence, est également le bienvenu. Sans cet humour, pas de catharsis, pas de second degré, et le piège de nombreux films de vengeance dans lequel tomberont les films qui en reprendront le principe : on ne s’amuse plus et cela devient au contraire gênant parce qu’on se pose la question de la morale dans l’histoire.

Craven, au moins, me paraît assez peu ambigu ici. L’avantage de ne pas trop se prendre au sérieux. Dans la catharsis, plus de morale, comme au carnaval : on intervertit les rôles, les codes disparaissent, et on s’amuse pour purger les tensions passées… Quand le père prépare des pièges pour zigouiller les meurtriers de sa fille, façon Maman, j’ai raté l’avion, il n’y a rien de sérieux dans cet exercice. C’est purement cathartique. Les adolescents qui feront le succès des films de Wes Craven dans les décennies suivantes ne regarderont pas ses films par goût du macabre, mais bien parce que c’est amusant. Ceux qui sont dérangés sont ceux qui prennent ces films au premier degré. Si parfois certains films tombent un peu trop dans l’ambiguïté et foutent mal à l’aise (Henry, portrait d’un serial killer, par exemple), c’est que le côté ludique et cathartique du genre semble oublié. C’est loin d’être le cas ici, mais ça n’en fait pas pour autant un bon film.


La Dernière Maison sur la gauche, Wes Craven (1972) The Last House on the Left | Sean S. Cunningham Films, The Night Co, Lobster Enterprises


Liens externes :


La Résidence, Narciso Ibáñez Serrador (1969)

Jeunes Filles en psychose

Note : 4 sur 5.

La Résidence

Titre original : La residencia

Année : 1969

Réalisation : Narciso Ibáñez Serrador

Avec : Lilli Palmer, Cristina Galbó, John Moulder-Brown, Maribel Martín

Thriller savoureux entre Jeunes Filles en uniforme et Psychose avec quelques notes probablement inspirées de Rosemary’s Baby vu que le film de Roman Polanski est sorti l’année qui précède. J’y trouve aussi une certaine connexion (ambiance/thématique/esthétique) toute personnelle avec Alien3 : l’univers carcéral, les conflits internes dans une société reconstituée avec ses codes spécifiques et étranges, et cela, sans savoir qu’un monstre rôde dans les parages et vient les cueillir les uns après les autres… On y trouve aussi les premiers cisaillements timides des slashers à venir.

Mais l’intérêt est bien ailleurs que dans les dérives horrifiques, surtout finales, qui prennent peut-être trop justement référence au film d’Hitchcock (Psychose), et qui flirtent avec le grand-guignol (sans quoi, avec une meilleure fin, c’était un favori). Le film est avant tout un excellent thriller psychologique, tendance frustrations sexuelles (tant hétérosexuelles qu’homosexuelles ou incestueuses), jouant sur la peur banale du monstre tapi dans l’ombre ou derrière les murs, sur la séquestration et les sévices autoritaires, voire sadiques. Je suis bien plus amateur de ce type de thrillers que de ceux proposés à la même époque en Italie.

On se demande bien d’ailleurs d’où a pu sortir ce film espagnol tourné en anglais avec un casting international et des personnages français. Ce sont plus souvent les amateurs de films d’horreur qui trouvent moyen de le dénicher, alors que le film ne se résume pas qu’à ses quelques meurtres et qu’il est en réalité bien plus « tout public » qu’il en a l’air. Bien qu’ayant inspiré, semble-t-il, quelques slashers futurs, on n’y dénombre que peu de meurtres et la petite société que forme le pensionnat ne découvre en réalité jamais la réalité des horreurs qui se produisent dans les lieux (ah, le légendaire laisser-faire des gestionnaires de pensions françaises).

J’y vois aussi ce qui pourrait le plus se rapprocher de Justine ou les malheurs de la vertu, impossible à adapter au cinéma. Et l’entrée en matière m’a également fait penser à celle du Professeur de Valerio Zurlini : on découvre, avec les mêmes couleurs brunes et sombres, l’intérieur d’une école, non pas à travers les yeux du professeur, mais de ceux d’une nouvelle élève. La suite s’intègre plus dans un schéma classique de film de pensionnat.

Le plus fou peut-être, c’est la qualité générale du film : de la mise en scène à la photographie, du scénario à l’interprétation. Pour produire un bon thriller, il faut souvent également une bonne musique et d’excellents effets sonores. Il n’y a pas qu’un auteur sur un plateau de tournage. Un film est bien un assemblage, souvent chanceux, de divers talents dont le réalisateur n’est que le maître d’œuvre. Cela pourrait être tout autant un producteur. Ou plus généralement, personne. Ou la somme hasardeuse de tout ce petit monde. Une résidence en somme. Avec, on l’espère, moins de problèmes managériaux en son sein. Il n’y aurait ainsi rien à changer si on en faisait un remake aujourd’hui. C’était déjà un peu le cas d’autres films tournés avant basés sur la séquestration et une oppression malsaine tournant au crime : on retrouve les mêmes couleurs, marrons presque placentaires, de Rosemary’s Baby et, disons, organiques de La Servante. Ces trois films possèdent un quelque chose qui les rend intemporels. L’effet du huis clos peut-être. Il n’y a rien qui ressemble plus à un décor d’intérieur qu’un autre décor d’intérieur. Surtout quand on est condamnés à ne pas en sortir. Une prison est une prison, on finit par ne plus voir la couleur des murs… Je n’aimais pas le côté maléfique dans le film de Polanski, et ce qui me fait préférer largement celui-ci, c’est bien son côté Jeunes Filles en uniforme. Pour être parfaitement étranger aux choses religieuses, ces références m’ont toujours sorti des yeux, alors qu’un pensionnat rempli de tarés qui offrent tous le visage de la normalité, ça parle en principe à tout le monde.

Autre différence majeure avec les giallos (genre dans lequel le film est parfois enfermé) : alors que ceux-ci ont souvent des distributions tout aussi hétéroclites, et bien que le film soit intégralement doublé, les acteurs sont ici parfaits, à commencer par Lilli Palmer, qu’on retrouve toujours avec plaisir.


La Résidence, Narciso Ibáñez Serrador 1969 La residencia | Anabel Films

J’ai rencontré le diable, Kim Jee-woon (2010)

Antipathy for Mr. Vengeance

Note : 1.5 sur 5.

J’ai rencontré le diable

Titre original : Ang-ma-reul bo-at-da

Année : 2010

Réalisation : Kim Jee-woon

Avec : Lee Byung-hun, Choi Min-sik, Jeon Gook-hwan

Ce n’est toujours pas ce film qui me réconciliera avec les outrances des films coréens…

Le cinéma n’a pas à être moral, soit. En revanche, le spectateur (en tout cas, c’est mon cas) doit pouvoir se raccrocher à un personnage. Ce n’est d’ailleurs pas forcément une question d’identification parce que je suppose qu’on peut imaginer, dans une telle œuvre, une opposition sadique, criminelle, entre deux monstres. En particulier dans le thriller ou dans l’horreur (ce que le film n’est pas tout à fait au-delà des aspects gores du film), une partie du plaisir du spectateur tient dans son dégoût du monstre décrit. On dit alors qu’on aime détester le méchant…

Le problème dans J’ai rencontré le diable, ce n’est pas le traitement du criminel, sadique comme il faut, mais bien celui du mari victime, membre des renseignements, et qui décide de se faire justice lui-même.

À ce stade, tout va bien ou presque, on sent d’ailleurs dans le scénario cette ambition de mettre en relief l’absurdité de la situation et même de l’aspect illusoire, voire macabre, de cette vengeance, parce qu’elle engendre une multitude de victimes supplémentaires. Non, le problème tient surtout dans la volonté du metteur en scène ou de l’acteur de sauver ce nouveau monstre né à l’occasion de sa vengeance. La conséquence revendiquée de ce choix ? Nous le rendre inhumain.

Le cinéma n’a rien de moral. En revanche, quand on essaye de faire d’un monstre un saint, une sorte d’homme idéal, d’icône de réussite à la coréenne, et que cette réussite passe par la vengeance, en tant que spectateur, cela questionne… Que la situation tragique du film permette à un monstre nouveau de se dévoiler, c’est un jeu admissible, mais qu’on fasse de ce monstre un homme parfait, sensible, droit, là, oui ça pose problème, parce qu’il y a un manque d’adéquation entre les actions du personnage et la manière dont on le présente.

Et au mieux, il y a inadéquation entre les volontés affichées du scénariste et la traduction qu’en fait le réalisateur (une discordance qui ne doit pas être si rare dans le fonctionnement du cinéma coréen ; à une autre époque, on avait connu le même type de désagréments quand les scénarios de Quentin Tarantino étaient mis en scène par d’autres : cf. Tueurs nés ou True Romance). Kim Jee-woon étant crédité d’une « adaptation », on pourrait aller jusqu’à dire qu’il serait doublement coupable, puisqu’il avait tous les éléments en main pour éviter ces impardonnables fautes de goût.

C’est même criant à la toute fin du film qui voit ce mari, après avoir agi froidement et par préméditation comme un véritable monstre, fondre en larmes… Qu’est-ce que c’est sinon une volonté du réalisateur de proposer une réhabilitation ou une justification des actes criminels du personnage ? Il n’est pas interdit pour autant de montrer un criminel pleurer. En revanche, il faut adopter avec lui une certaine distance et s’assurer que la fonction (policier), le statut (victime) ou le passé du personnage ne justifient et ne légitiment pas ses crimes. Peut-être plus qu’une question de morale, c’est une question de mesure, de ton et de distance. Ce qu’il y a de plus difficile à trouver au cinéma. En particulier dans les films dits de genre.

Le pire dans cette histoire, c’est que les répliques les plus sensées du film sortent de la bouche du principal criminel… C’est pour le moins confusionnant.

Au-delà de ça, jolie mise en scène, et bonne interprétation, là, de l’acteur qui incarne le tueur en série : la mise à distance nécessaire dans ce genre de films avec un monstre est bien là, alors qu’avec le mari, on est à fond dans le premier degré problématique.

Il y a bien longtemps, Kim Jee-woon avait su mieux me séduire avec ses 2 Sœurs… Aucun souvenir si l’on y retrouvait un même souci moral et d’empathie envers les personnages principaux. Probablement pas. Le fantastique est moins soumis aux écueils moraux des films policiers.


 

J’ai rencontré le diable, Kim Jee-woon 2010 Ang-ma-reul bo-at-da | Softbank Ventures, Showbox-Mediaplex, Peppermint & Company



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La Meurtrière diabolique, William Castle (1964)

Slash ménopause

Note : 2.5 sur 5.

La Meurtrière diabolique

Titre original : Strait Jacket

aka : La Coupeuse de tête

Année : 1964

Réalisation : William Castle

Avec : Joan Crawford, Diane Baker, Leif Erickson

Sobrement titré Strait Jacket (camisole de force, en gaulois transposé), cette curiosité révèle quelques moments d’anthologie grotesques. Le plus souvent, il faut bien le dire, on se demande si tous ces excès (ou le ridicule croissant qui en découle) sont volontaires, ou juste le signe d’une déviance tarabiscotée propre à ces années 60 que la cinémathèque dans sa rétro qualifie de “décadentes”.

Si le revirement attendu est tout ce qu’il y a de plus conventionnel (dans le genre « thriller psychologique », à quelques années de Psychose), les excès se cachent dans les détails. Il faut voir Joan Crawford dans la scène où elle drague le fiancé de sa fille… Difficile de croire que toutes ces œillades grotesques ne soient pas volontaires. Autre grand moment d’excellessence programmée, quand la même Crawford peine à faire craquer une allumette face à son psychiatre lui faisant une petite visite “amicale”, et qui ne trouve rien de mieux que de l’allumer en la craquant sur un disque microsillon en pleine vocifération (oui, il y a une forme de génie, dans les excès du grotesque). Les réflexions du père du fiancé face à sa mégère de femme sont aussi splendides (le brave bonhomme, comme les autres, verra sa tête tranchée à la hache comme dans tout bon slasher qui se respecte).

C’est vilain, c’est grotesque, on ose même plus faire des films comme ça aujourd’hui (on ferait plus des séries Z avec le sérieux d’une série A, alors qu’ici c’est une série A se prenant autant au sérieux que les pires séries Z des années 30 ou 40). Mais ça se regarde avec plaisir parce que ça ne se prend jamais au sérieux.


La Meurtrière diabolique, William Castle 1964 Strait-Jacket | William Castle Productions


Liens externes :


Alien, Ridley Scott (1979)

Revoyure

Note : 5 sur 5.

Alien, le huitième passager

Titre original : Alien

Année : 1979

Réalisation : Ridley Scott

Avec : Sigourney Weaver, Tom Skerritt, John Hurt, Yaphet Kotto, Harry Dean Stanton, Ian Holm, Veronica Cartwright

— TOP FILMS

Notes pour un septième voyage.

Toujours sympathique les relectures de chefs-d’œuvre, surtout sur grand écran. Amusant aussi de voir qu’à la Cinémathèque on tient tant à parler d’interprétation à travers le biais de la psychanalyse. Ne peut-on pas parler d’interprétation, de symboles, de références, sans ramener ça systématiquement à une escroquerie vieille d’un siècle ? Toutes les interprétations sont possibles, il n’existe aucune science pour en légitimer une plus qu’une autre. La mienne, j’essaie de la faire à travers un autre prisme : je préfère essayer de comprendre la force, la justesse, la puissance évocatrice de ce film, de ce qu’il éveille en une grande majorité de spectateurs, grâce à des mythes plus anciens, à des thèmes qui pourraient avoir tout de… psychanalytiques mais qui ne le sont pas.

Bref. Quelle (nouvelle) lecture après cet énième visionnage ? Eh bien, comme l’impression que Alien, c’est le mythe d’une petite fille défiant la volonté toute puissante de ses parents souverains. C’est une petite fille refusant l’ambition surhumaine de cette même autorité. Après la « mort de Dieu », et son absence dans le grand cosmos, que reste-t-il aux souverains cherchant à établir une lignée d’hommes en perpétuelle recherche de la mutation nouvelle qui leur assurera la « vie » éternelle, et maintiendra l’espèce entière au sommet de la constellation des vivants ? Eh bien, l’expérimentation médicale, génétique, voire eugénique. On en est encore à rabâcher le premier mythe de la science-fiction, Frankenstein. Mais ce n’est pas la mariée de Frankenstein, à laquelle on a affaire ici, c’est sa fille. Et si ce n’est pas le Minotaure, c’est Ariane qui finit par tirer son épingle du jeu.

alien-helmet

Qui est Maman du Nostromo ? C’est la femme du pharaon, la grande prêtresse, chargée de faire appliquer les désirs de son défunt mari. Le Nostromo, c’est la pyramide (ou le labyrinthe) dans lequel le souverain une fois mort veut voir ses parents (femme, concubines, fils et filles) réunis pour une dernière procession en son honneur, un sacrifice, une opération, une mutation, une copulation, une alliance (comme celle ayant fait naître le Minotaure) censés à la fois lui permettre de gagner la vie éternelle via la « recherche militaire » et l’établissement d’un sanctuaire inviolable, mais aussi assurer la survie de l’espèce, mutée, grâce à l’apport de cet agent… étranger. L’alien. L’idée ici, c’est comme dans tous les sacrifices, de faire en sorte que les parents ignorent tout de desseins du souverain. Seuls la grande prêtresse (Maman) et un prêtre serviteur (Ash) sont au courant pour mettre en œuvre cette union sacrée capable d’engendrer un monstre, puis le sacrifice des frères et sœurs ayant eux-mêmes, dans une sorte d’inceste si familier des souverains antiques, donné naissance à cette créature d’un nouveau genre, à la fois alien et humaine, donc, demi-dieu, donc légitime à régner encore parmi les hommes.

Ripley, c’est donc Ariane et Thésée à la fois. Mais aussi un peu Alice qui découvre le monde souterrain des adultes dans le terrier. Son but est de s’échapper de la pyramide où doit s’opérer la mutation, une fois qu’elle aura compris son rôle dans cette machination. L’un après l’autre, l’agent étranger est uni à ses frères et sœurs, elle sera la dernière. Mais Ariane se rebelle (les mythes ne sont jamais allés que contre l’ordre établi). Et tandis que tous les autres échouent, elle parvient à se démêler des entrailles de la pyramide et immole dans le feu le fruit monstrueux des ambitions de son père. Ripley, c’est l’homme, ou la femme, qui se reproduit à l’identique. Sans mutation. Une reine, mais une reine humaine, à hauteur d’homme. C’est nous. C’est aussi, comme dans toute bonne histoire, le retour à la normale, mais non pas un retour à la tyrannie d’une seule volonté, le retour à une forme d’état apaisé, loin des forces gravitationnelles, coercitives, de la société. Ripley, c’est encore la révolution contre l’oppresseur et le diktat d’un seul homme. Ni dieu, ni père. Ripley, toujours, c’est nous. L’humanité au temps présent, héritière d’une longue lignée de survivants après des millions d’années d’évolution. C’est celle qui n’a pas encore enclenché, ou forcé, la prochaine mutation. L’humanité à un temps t, l’humanité en mode pause et qui se révolte encore face aux mutations inutiles. Ripley, c’est encore, Alice, la princesse fourmi encore vierge ayant réussi à s’échapper du terrier et s’envolant pour fonder une nouvelle colonisation… à moins de retourner chez elle, portant en elle l’échec de sa mutation, ayant refusé le mariage, une grossesse non désirée sinon par « l’autorité souveraine »… Rattrapée par la société de son père, offerte à nouveau à son emprise, le vol de la révolution ne dure toujours qu’un temps. L’appel à la mutation est toujours plus fort, car cette force souveraine, c’est celle de notre survie. L’alien, c’est d’abord cet adulte, ces parents, qui volent à l’enfant son innocence en lui privant de sa condition d’individu, pour lui rappeler à ses obligations dans la grande lignée des vivants et des souverains : vivre, c’est s’accoupler avec l’étranger, pour mettre au monde des monstres. La jeune reine peut s’effaroucher, mais si à la fin du premier acte, elle fait la nique à cet étranger qui voulait l’engrosser d’un monstre, elle y passera pour de bon à la fin de la prochaine bobine.

alien-nostromo

Fini les interpénétrations.

Petite subtilité de mise en scène découverte lors de cette révision. Ridley Scott nous annonce à un moment qui des 7 passagers survivra. Quand les trois explorent le vaisseau spatial extraterrestre émettant ses signaux d’avertissement, la séquence se termine par un gros plan du pilote fossilisé. On ne distingue pas grand-chose de lui, mais par un léger fondu, le montage suggère que Ripley se trouvera à son tour dans cette position, puisque le plan suivant, c’est elle, qui apparaît, pratiquement dans la même configuration. Et en effet, le film se terminera sur un gros plan tout à fait identique… Subtile le Ridley. (Quand a-t-il cessé de l’être ?)

Dernière remarque concernant l’emploi du suspense. Plus qu’un film d’horreur, c’est sans doute plus un thriller usant parfaitement des codes du suspense, au sens presque littéral. On sait que Hitchcock opposait les séquences tournées vers un principe de suspense et celles vers un principe de surprise. L’un des avantages du suspense, c’est qu’il permet de revivre (Replay) le même plaisir à chacun des nouveaux visionnages. Les surprises, les twists, ne marchent qu’une fois, et paradoxalement, si on y prend un plaisir lors d’un second personnage, c’est bien parce qu’on connaîtra ce qui suit et au lieu d’être surpris, on sera tendu dans l’attente de ce qu’on sait déjà de ce qui vient. Le suspense permet d’instaurer une ambiance tendue tout en connaissant la suite. La plupart des scènes du film jouent sur cette attente. À une exception peut-être : quand Ripley amorce la destruction du vaisseau, qu’elle revient vers la navette et y rencontre la bête, c’est une surprise. Même si, c’est une rencontre forcément attendue, quand Ripley décide de rebrousser chemin pour annuler le processus de destruction, c’est un retour en arrière jamais très bon dans une histoire. Alors que ça devrait être une période de tension maximale, à la revoyure, la séquence perd de son intérêt parce qu’on sait la première fois qu’elle y rencontrera la bête et retournera à la passerelle de commandement. Au contraire, par exemple dans la scène du repas, à la première vision, on pourrait être surpris bien sûr, mais en fait toute la séquence joue sur le même principe de suspense : la tension est redescendue, il ne se passe rien, et ce calme suspect doit éveiller une tension chez le spectateur qui comprend à ce moment que quelque chose va se passer, sinon la séquence n’aurait aucun intérêt. La surprise de la « naissance thoracique » n’est alors que l’achèvement de ce qu’on sait déjà, et il faut même noter le côté amusant de la séquence lors d’un nouveau visionnage, parce que la sidération des personnages à ce moment n’est plus le nôtre, on adopte presque à cet instant le point de vue du monstre, et on rit avec lui quand il glisse sur la table et s’enfuit. Il n’y a pas, ou plus, de surprise ; on jouit d’un plaisir sadique, enfantin même, comme quand une de nos blagues stupides a réussi son coup (boule puante, bombe à eau, coussin péteur…). Dans l’autre scène clé du film, le viol raté de la fin, on a encore affaire à une fausse « surprise ». À nouveau, si on s’éternise, c’est bien qu’il va se passer quelque chose, et on se doute d’autant plus qu’il se passera quelque chose, qu’on ne peut pas, nous spectateurs, nous enfuir ainsi sans avoir vu l’alien mourir dans l’explosion du Nostromo. On voit d’ailleurs la créature avant Ripley, et sa présence n’est une surprise que pour elle ; à nouveau, on prend ses distances avec le point de vue de la victime, et on gagne un peu à nous identifier à l’alien. Notre plaisir de spectateur est toujours un plaisir sadique, pas du tout lié à un enchaînement d’événements et de situations (donc à leur surprise relative) ; rarement, sinon dans des films d’horreur (et même dans Frankenstein — rappelons-nous de la scène avec la gamine et de la créature au bord de l’eau), on verra un film proposer de se mettre à la place d’un tel monstre (et dans les films suivant l’alien redevient un monstre à abattre). Le suspense marche à plein parce qu’on a aucun doute que dans ce duel final, la femme finira par l’emporter sur le monstre, mais si la situation marche autant, c’est bien que finalement on arrive à s’identifier un peu à un monstre sur lequel on sait finalement peu de choses. Ridley Scott évite ainsi une séquence d’action superflue et se concentre toujours sur la tension, l’attente et la peur de ce qui vient, l’idée de tâtonnement, d’embuscade. On comprend dès qu’elle enfile la combinaison que sa volonté est de le jeter dans le vide, toujours, aucune surprise, aucune lutte, ou improvisation. À la revoyure, c’est bon comme pour la première fois.


Vu le : 9 mars 1995 (A) + 6 autres fois

Revu le 28 septembre 2016 (tek)

Alien 3, David Fincher (1992)

Notes diverses

Alien3

Note : 4.5 sur 5.

Année : 1992

Réalisation : David Fincher

Avec : Sigourney Weaver, Charles Dance, Charles S. Dutton, Lance Henriksen

— TOP FILMS

Décembre 95 :

Construction scénique exemplaire. En dehors de la poursuite finale qui peine à offrir un spectacle à la Jaws (hommes cernés par un loup). L’action avant ça, c’est de l’inaction, de l’action d’ambiance. On construit un jeu de puzzle dont on ne voit ce qu’il regroupe que lentement, augmentant le plaisir à travers les tentatives de compréhension, à travers le jeu, là, d’imagination pour regrouper ce qui est possible. Déjà une forme de réalité virtuelle, une imagination suggérée, dirigée. Introductions, allusions, superpositions, fausses pistes, retours, forment les pièces de ce puzzle complexe. Peu de contraintes sinon celles des unités : le lieu est le plus évident, le temps (deux ou trois jours dans un espace où il est censé ne rien se passer, donc où le temps s’étiole), et l’unité d’action (qui ne fait que poindre puisque c’est justement celle qu’on essaie de retrouver à travers les interrogations de Ripley et l’incrédulité des habitants de la planète). L’art de créer avec des bouts de ficelle, et des ficelles servant à tirer le meilleur de l’imagination du spectateur. On est loin du réel, cette composition n’est pas naturelle, mais c’est bien grâce à cette structure quasi théâtrale qu’elle nous fascine, parce qu’elle en reprend les schémas et les codes. Quête contre poursuite. Œdipe contre l’Iliade. Ce n’est pas le reflet de la vie. La vie n’a pas de construction méthodique, il n’y a pas d’intention ou de resserrement, encore moins de quête. La fiction théâtralisée, elle est tout ça. Artificielle, donc un produit de l’homme. De son génie. (Face à la brutalité du loup).

Août 97 :

Ce sensationnel découpage technique est une révélation, une leçon de montage.

Principe « d’action dramatique et d’action d’ambiance » :

Le film procède essentiellement à travers des ellipses masquant les raccords de mouvement. Cela permet aux plans d’avoir une identité propre, avec une idée pour chaque plan, et un plan qui ne s’attarde que le temps de la mise en place de cette idée. Tout autre élément parasite est supprimé. Effet produit : pas de digression inutile, pas d’impression de stagnation de l’action. On va droit au but. Mieux, parfois, entre deux plans, il n’est plus nécessaire de raccorder des mouvements pour suivre une continuité, le montage est capable de suggérer le mouvement dans le plan suivant quand il n’est pas encore amorcé dans le précédent. Gain de temps, effort laissé à l’imagination du spectateur. On se rapproche presque même du montage des attractions appliqué à un même espace scénique. Une fois suggérée, l’idée de mouvement n’a alors plus la même saveur, si bien qu’il faut faire l’effort de proposer au spectateur une autre vision, et l’idée de départ continue de composer toute l’idée du plan, mais repoussée au second plan. On permet ainsi dans un même plan, la juxtaposition de deux idées. L’idée dramatique, l’autre d’ambiance. Une principale, une secondaire. L’idée étant le principe premier de ce style de montage, les gros plans sont nombreux, composés dans un même champ d’action préalablement défini à travers une succession classique de plans plus larges. Le spectateur est alors en mesure, à travers cette succession de gros plans, de se représenter le hors-champ si essentiel à l’imagination et à la représentation mentale d’une scène. Même impression de richesse de plan, comme dans un roman où l’auteur s’emploierait à varier son vocabulaire, car même dans un même espace, même en s’autorisant des mouvements de caméra, le champ resserré propose rarement deux fois la même vision. L’environnement est connu grâce à l’introduction de la scène, la suite sert à faire exploser l’imagination et donner du sens au montage. Un champ-contrechamp propose souvent des réactions prévisibles donc offrant un plaisir restreint au spectateur, l’utilisation de ce hors-champ, à travers également le travail sur le son et la musique, permet de remplir son image d’éléments plus significatifs.

Alien 3, David Fincher 1992 Twentieth Century Fox, Brandywine Productions (20)_saveur

Alien 3, David Fincher 1992 | Twentieth Century Fox, Brandywine Productions

Alien 3, David Fincher 1992 Twentieth Century Fox, Brandywine Productions (21)_saveur

Deux exemples : Quand Ripley a une goutte de sang qui coule de son nez. Nous avons l’action principale (« l’action dramatique », qu’on pourrait autrement qualifier de « situation de départ ou attendue », ou encore « d’événement ») : l’enterrement, qu’on écarte très vite au second plan. La goutte de sang suggère déjà autre chose, un après, et une interrogation. En trois ou quatre plans “muets”, sans dialogues, on évoque une idée au milieu d’un autre ensemble (c’est « l’action d’ambiance », l’action secondaire, thématique, suggérée, etc.). Opposition entre le dramatique et l’ambiance, inversion des proportions. La mise en relief se fait sans perdre ce qui précède (on reste dans la même situation, mais au lieu de décrire l’enterrement, celui-ci n’apparaît plus qu’au second plan pour laisser place à un sujet différent qui n’est pas toujours parfaitement clair et défini) tout en appelant déjà ce qui viendra par la suite. La scène, qui est un classique, et qui se veut anodine, devient une scène psychologique : notre interrogation est celle de Ripley. Nous avons donc, un très gros plan de la goutte qui coule, puis un plan large de Ripley qui s’essuie (pas de raccord de mouvement : ellipse ; le raccord se fait dans notre tête, c’est un assemblage d’idées, pas une recomposition du réel), puis un troisième plan avec la réaction du médecin (il réagit à quoi au juste ? le voit-on voir la goutte couler, le voit-on voir précisément Ripley s’essuyer ? non, sa réaction, c’est encore la nôtre, et on ne peut… qu’imaginer ce à quoi il réagit ; on peut faire dire n’importe quoi aux images, c’est bien pour ça qu’avec un montage on peut tordre la réalité et constituer une « action d’ambiance » à travers un montage resserré d’actions dont on est seul interprète). Ainsi, l’action dramatique est ce qui est annoncé ou prévu dans une scène ; l’action d’ambiance est ce qui est suggéré et ce qu’on comprend d’une forme de sous-texte des images. Il faut marier les deux pour éveiller la curiosité, l’imagination et l’intelligence du spectateur. Et c’est bien en se contentant de ne traiter que des actions dramatiques qu’on tombe dans le ton sur ton. Le récit devient trop prosaïque, on se fait succéder une suite d’événements logiques attendus, et on ennuie le spectateur.

Deuxième exemple avec la scène du réveil de Ripley. Le docteur arrive (plan moyen introducteur), regarde son état (gros plan) ; on voit Ripley dormir (gros plan) ; le docteur décide de lui faire une piqûre (gros plan) ; Ripley dort toujours (autre plan, gros plan, autre description) ; le docteur présente l’aiguille au bras (insert) ; réaction de Ripley qui se réveille (gros plan, mouvement du bras suggéré mais non amorcé) ; enfin Ripley tenant le bras du docteur (très gros plan). Suivent quelques plans d’échanges entre les deux personnages (ici le montage s’évertuera encore à ne pas commenter les dialogues, mais apporter un sous-texte pouvant révéler ou suggérer autre chose.

Un tel montage a toutes les qualités d’une scène travaillée sur story-board, mais souvent cela offre des plans trop hiératiques où, en effet, chaque plan peut proposer une nouvelle idée à travers une composition riche. Pas ce souci ici. Si Fincher travaille sans doute au préalable avec un story-board ou une bonne idée du plan à faire, il arrive à recréer une ambiance authentique, pleine de détails significatifs ou, au contraire, composée autour d’une idée centrale, sans négliger la part du film qui doit se jouer hors-champ et qu’il faut laisser au spectateur le privilège d’imaginer. Méthode, quelle qu’elle soit, terriblement efficace.

2013, révision : Ce qui ne marche pas.

La tradition du huis clos est respectée ; ils ont voulu un retour manifeste à une certaine impuissance face à l’alien. Pour cela, l’accent est trop porté sur la nature intrinsèque d’un pénitencier (en plus, laissé à l’abandon). Il n’aurait pas été impossible de poursuivre un huis clos sur une planète avec quelques centaines de personnes, ce qui aurait donné de l’animation au film tout en respectant le huis clos puisqu’ils ne peuvent pas partir de la planète et sont contraints de rester à une même base. Ça donne un côté un peu cheap à l’histoire. Avec seulement une trentaine de personnes, ça aurait également très bien pu fonctionner : on aurait pu voir ce que les habitants d’Aliens avaient pu vivre, et c’est de reste ce qu’on voit dans beaucoup de films d’horreur (même utilisant le huis clos pour intensifier la peur en les enfermant). Arriver sur une planète sans arme, car c’est bien ça l’idée censée intensifier le danger, on pouvait imaginer deux solutions : des moines ou des prisonniers. C’est là le problème. Le scénario fait les deux. L’idée des moines est intéressante, ils représentent peut-être un peu trop des hommes diminués face à un monstre et on aurait peine à croire qu’il cherche à se défendre, et le discours religieux aurait fini par ennuyer. Restait donc les prisonniers. Cela marchait parfaitement sans vouloir en faire en plus des fanatiques. Religieux, mais aussi sexuels. C’est trop, il faut choisir, et la meilleure solution aurait sans doute été d’en faire des prisonniers tout ce qu’il y a de plus commun. Un peu plus d’une trentaine pour pallier le poids de la bête sinon difficile à y croire.

L’idée d’en faire des fanatiques sexuels avait sans doute comme but de mettre en danger Ripley. Cela peut sembler séduisant, mais là encore, c’est à mon avis une erreur : Ripley est la chose de l’Alien, tout autre viol serait hors sujet. Par ailleurs, il faut tout de même qu’on puisse croire que les prisonniers aient les moyens de se défendre. On a appris à connaître l’Alien depuis deux épisodes, on sait de quoi il est capable, donc on n’est pas obligés de diminuer encore le poids des hommes pour créer une situation de danger. Au contraire, c’est moins crédible. On sait déjà qu’il n’y a pas d’armes disponibles, les prisonniers doivent donc s’organiser de manière qu’on puisse croire à leur réussite (espérance qu’il sera bon de tacler à la première occasion pour créer une nouvelle situation).

Que tout bascule d’une scène à l’autre quand, à la fois, Clements et le directeur de prison meurent, ça fait un peu répétition. Les deux personnages auraient pu être réunis, autour d’un directeur-médecin (le fait qu’il soit prisonnier n’apporte pas grand-chose à l’histoire, et au contraire, cela pourrait laisser penser que l’Alien se débarrasse d’un concurrent de poids). Clements aurait pu être un personnage plus fort et plus convaincant en étant joué par une star et en disparaissant brutalement à la manière de Janet Leigh dans Psychose : on croit qu’une fois de plus Ripley va faire équipe comme dans Aliens, et finalement, cette aide bienvenue disparaît aussitôt, laissant le second acte commencer sans autre aide que celle de ploucs pédophiles.

Ce qui rebute un peu dans cet opus, c’est bien le côté déchetterie des lieux. Personne n’a envie de traîner là-dedans. L’idée des sous-sols est bonne, même de la fonderie, mais pas la peine d’en faire un pénitencier perdu reconverti en tout à l’égout. On ne peut pas manquer au devoir de high-tech dans un film de SF. Ici avec Alien, ce serait rajouter de l’horreur à l’horreur, or pour moi Alien est plus de la SF que de l’horreur. La SF est le contexte, et l’horreur est la plupart du temps suggérée ; si on perd le contexte high-tech, lisse, propre et lumineux et qu’on décide de tout montrer, on frôle le mauvais goût. Par ailleurs, il aurait fallu montrer un peu plus la frontière avec l’extérieur du pénitencier pour montrer l’horizon et l’impossibilité de le franchir. Du coup ce n’est plus un égout mais une fosse septique.


Hardcore, Paul Schrader (1979)

Pussy Driver

Hardcore

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Hardcore

Année : 1979

Réalisation : Paul Schrader

Avec : George C. Scott, Peter Boyle

Qualité Schrader. C’est-à-dire scénario qui tient la route avant tout. Le début est une leçon d’écriture pour exposer des personnages et des situations. On apprend les noms des personnages en situation, à connaître les caractéristiques des personnages… en situation (par exemple, Vandorn, on montre son exigence, son obstination, dans une scène au boulot où il n’est pas satisfait d’une affiche). Le rythme des scènes se succède à une vitesse folle. Le but toujours étant de délivrer une information, même si bien sûr, on ne sait pas encore où on nous embarque. Une fois que tout est mis en place, le récit peut enfin déraper avec la disparition de la fille de Vandorn. Ensuite, c’est plus classique, plus linéaire, mais pas moins difficile à écrire sans doute.

On pense inévitablement au Taxi Driver que Schrader avec écrit deux ou trois ans plus tôt. Les deux films étant eux-mêmes inspirés de La Prisonnière du désert. Ici, c’est plus évident que dans Taxi Driver puisque le sujet, c’est un père qui part à la recherche de sa fille, enlevée (ou pas) alors qu’elle entrait à peine dans le milieu du porno (version hard, genre snuff movie). Le personnage est toutefois moins intéressant que celui de Taxi Driver (ses relations avec la prostituée qui l’aide sont à peine esquissées, et sans doute à juste titre ; il est moins fou, moins ambigu). On retrouve l’attrait de Schrader pour les mondes opaques, dangereux dans lesquels le héros doit s’infiltrer. Toujours avec ces mêmes travellings latéraux filmés depuis la voiture sur des trottoirs fréquentés par des rabatteurs, des prostituées et autres personnages louches. Et que ce soit à LA, San Francisco ou San Diego, tout fait penser aux rues de NY : grosses enseignes lumineuses, des entrées avec des escaliers qui remontent vers un peep-show (pas loin du bar d’Hideko dans Quand une femme monte l’escalier). L’univers, l’époque, ça fait aussi penser un peu à Boogie Night, le côté fun en moins (le porno glauque, insouciant, des 70’s).

Il y a des images assez cocasses dans le film, comme quand George C. Scott (le Patton de Coppola, et avant ça le général maboul chez Kubrick) jouant ici un père veuf (ou presque) issu de la classe moyenne du trou du cul des États-Unis, très religieux, enfile fausse moustache, perruque, chaîne en or et jean à la mode pour se faire passer pour un producteur de films pornographiques. On y croit moyen, le personnage aussi, donc ça marche.

À noter aussi le personnage assez peu convaincant de la pute au grand cœur, qui s’enfuit avec le père quand il lui demande de l’aider à retrouver sa fille moyennant une semaine de salaire. Schrader ne s’attarde pas sur la relation, c’est à la fois la qualité et le défaut du film. Un personnage quand il vise un objectif (sa fille ici) doit trouver autre chose en chemin (la tradition du truc initiatique, etc.), donc là ça tombe sur elle, sauf qu’un tel personnage est à la fois fascinant au premier coup d’œil (pour un spectateur mâle, je suppose), mais on s’égare très vite dans les clichés. Un peu à l’image des lunettes fumées qu’elle porte sans cesse qui nous laisse seulement entrevoir son regard… En gros, on veut la voir, on nous la montre à poil au début (les seins les plus laids de toute l’histoire du cinéma) et hop, elle se rhabille ; on ne verra même pas ce qui pourrait la rendre plus intéressante, les yeux, son regard, son histoire… Comme si Schrader ne voulait pas tomber dans le piège du héros qui tombe amoureux de la prostituée. Trop grossier, trop cliché. Trop tard, Paul… Vandorn lui-même lui dit clairement que son histoire ne l’intéresse pas avant de changer brièvement d’avis, mais ce sera trop tard, elle filera… Pourtant, c’est bien lui (Schrader) qui a voulu aller dans cette direction… S’il ne voulait pas jouer avec les stéréotypes, il ne fallait pas décrire ce milieu. Peut-être également n’était-il pas satisfait de l’actrice (qui fut madame Kurt Russell pour la petite histoire) : si elle s’en tire pas mal sur le côté physique du personnage (les moues insolentes, la démarche de traviole), il n’y a aucun charme quand elle parle, c’est presque récité… Pas facile de trouver une bonne actrice pour jouer un tel personnage (topless), encore à la fin des 70’s. Surtout si le scénario ne l’a pas développée comme il l’aurait dû. On ne peut cesser de penser qu’il y aurait eu une relation intéressante entre les deux personnages, un jeu de substitution père-fille. Peut-être trop évident pour Schrader, trop éloigné du thème principal (en bon amateur de la ligne stricte à la Bresson).

Pas un grand film donc, mais à découvrir parce qu’il est l’œuvre d’un des meilleurs raconteurs d’histoire de cette fin du XXᵉ (The Yakuza, Taxi Driver, Raging Bull, À tombeau ouvert, La Dernière Tentation du christ, Mosquito Coast, City Hall, Obsession, Affliction, American Gigolo).

Ça m’étonnerait que le film ait rencontré un franc succès. Pas de star, un film assez sombre, pas d’action… L’année d’après, il continuera les adaptations déguisées. Fini la Prisonnière du désert, place à l’esprit de Bresson. Et un Richard Gere pour rendre tout ça un peu plus sexy. Désormais, les balades en voiture ne se font plus en première à mater les néons des peep-shows la nuit, mais en accompagnant une décapotable filant à toute allure sur une route ensoleillée avec une musique pétaradante. On change légèrement d’angle, mais au fond ça reste un peu la même chose et en prime le film a du succès… Au lieu de voir un personnage qui cherche, on a plutôt affaire à un personnage traqué, qui est victime d’un coup monté. On sort de la bagnole et on regarde autour de soi pour se demander qui va nous foncer dessus… Le monde, qu’on le regarde depuis sa voiture ou en piéton traqué, il est le même. Dangereux. Et il tend pas mal à se propager comme une tache d’encre sur un buvard, prêt à imprégner la vie fragile de nos « héros ». La fille de Vandorn, même perdue au fin fond du Michigan, ne pouvait pas échapper au monde cruel et pervers de la société : les Indiens sont partout.

D’ailleurs, il est intéressant de remarquer dans la bio de Schrader que Grand Rapids, la ville du Michigan où se déroule le début du film (où on y décrit les pratiques religieuses strictes) et d’où partent les élèves dont la fille de Vandorn pour la Californie pour un voyage scolaire, eh bien, c’est sa ville natale. Lui-même a reçu une éducation calviniste stricte… Quand on regarde les personnalités issues de cette ville (sur Wiki), en dehors de Schrader on peut y trouver Chris Kaman et Gillian Anderson, ça fait rêver.

En bonus : Vandorn décide donc de se faire passer pour un producteur de films de cul pour retrouver l’acteur qui a joué avec sa fille. Il tombe sur un Noir qui n’est évidemment pas le « type recherché », alors le mec s’énerve : « C’est parce que je suis noir que tu ne veux pas de moi ? Mec ! Tu ne sais pas qui je suis ? Je suis Big Dick Blaque. J’ai fait plus de films porno que tu n’en verras jamais ! » Et en face, c’est Patton déguisé comme Burt Reynolds dans Boogie Nights.


Hardcore, Paul Schrader 1979 | A-Team, Columbia Pictures


Liens externes :


Psycho, Gus Van Sant (1998)

Ycho

Psycho

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1998

Réalisation : Gus Van Sant

Avec : Vince Vaughn, Anne Heche, Julianne Moore, Viggo Mortensen, William H. Macy

Un remake, non l’adaptation.

J’en avais marre de voir que, dès qu’il y a un remake, on se permette de tout changer, histoire de dire que ce n’est pas le même film ou « qu’on a amélioré l’histoire qui était bidon ». Là, j’ai donc été servi. En dehors de deux ou trois trucs, c’est vraiment un remake plan par plan, et c’est vraiment l’intérêt du film.

Je ne crois pas que cela ait déjà été fait, ce qui peut sembler curieux. On n’ose pas encore comme on le fait depuis des siècles au théâtre et encore plus dans les ballets. Il n’y a pas de honte à refaire complètement un classique en voulant coller à l’original.

Quel intérêt me direz-vous ? Pas moins que quand on remonte sans cesse un ballet de Noureïev ou une pièce de Tchekhov. Faire un remake plan par plan, c’est accepter, pour un metteur en scène, le fait que la mise en scène ce n’est pas tout dans un film. Autrefois au théâtre, on parlait de régisseur pour les metteurs en scène, il se contentait d’être fidèle à l’auteur, sans chercher à tout prix, comme on le veut aujourd’hui, à faire une adaptation… Une œuvre, il faut la respecter, se mettre à son service, pas chercher à se l’approprier… D’autant plus quand il s’agit d’un classique.

Psycho, Gus Van Sant (1998) | Universal Pictures, Imagine Entertainment

Et le Psychose du Hitchcock est un classique. L’un des films les plus importants du cinéma. L’un des films les plus chocs de l’histoire des salles de cinéma, même on pourrait dire. Il faut savoir qu’à l’époque ce film a été une vraie bombe. Les gens allaient voir le film sans savoir ce qu’ils y verraient. Il pensait aller voir un film dont la vedette était Janet Leigh, et au bout de vingt minutes, elle se fait assassiner dans une scène à la violence inédite ! C’est l’une des seules fois où le bon Alfred a utilisé le procédé de surprise, mais là ça valait vraiment le coup ! Mais le pire, ce n’est pas ça, c’est surtout le style du film qui pour l’époque était vraiment du jamais vu (en tout cas pour un gros film — petite production mais c’était tout de même un Hitchcock, qui à l’époque était à la fois Spielberg et Lucas réunis).

Pour la première fois, une violence crue était suggérée. Pas encore montrée, mais rien que par des effets de montage et par la musique géniale de Hermann, les gens étaient persuadés de voir le couteau rentrer dans la chair de cette pauvre Janet… Une star de cinéma trucidée dans sa douche ! Le choc. C’était un peu la même peur qu’avaient éprouvé les spectateurs d’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat. Le film allait ouvrir une boîte de pandore : la violence au cinéma était maintenant possible. Ce film a eu autant d’importance dans le cinéma que Le Chanteur de Jazz, Naissance d’une Nation, Autant en emporte le vent, Blanche Neige et les Sept Nains, Les Dents de la mer ou Star Wars

Ce n’est pas seulement un film scandaleux ou novateur. L’histoire…, on a rarement fait mieux. Et pourtant c’est d’une simplicité… Pas du tout basé sur les principes habituels de Hitchcock… Alfred qui fait son anti-manifeste ! L’exception qui confirme la règle…

Donc, quel intérêt de le refaire à l’identique aujourd’hui ? Simplement pour montrer, avec la force des acteurs d’aujourd’hui et la couleur (chose que n’avait pas osé Alfred alors que tous ses films en étaient), qu’on pourrait faire exactement le même film aujourd’hui… Pour montrer que ce film est une véritable perle universelle, intemporelle.

Certains effets apparaissent aujourd’hui un peu dépassés comme ceux dans la voiture au début, mais pour le reste ça passe tout à fait. Van Sant reprend la musique d’Hermann, en lui laissant la même force narrative que dans le premier, parce que, que ce soit dans Vertigo, dans Psychose ou dans Taxi Driver, par exemple, les musiques d’Hermann, sans être symphoniques, remplissent l’image comme aucune autre musique : il suffit de le laisser faire.

Il y a des moments fort sympathiques. Par exemple, on reconnaît l’acteur qui joue le flic qui poursuit Anne Heche au début : c’est l’acteur qui jouait le père de Dexter dans les flash-back de la série éponyme (un rôle très similaire). Ou encore quand, en voyant cette voiture s’arrêter à mi-chemin, Bates la noie dans le marais et qu’on se surprend à prier pour qu’elle s’enfonce un peu plus (pas très code Hays tout ça…, à l’époque, c’était encore plus singulier qu’aujourd’hui, puisque prohibé, de se ranger du côté des crapules — le film a d’ailleurs participé à la fin de ce code, car il allait très vite disparaître après ça). Avec l’interprétation de l’acteur qui joue Bates qui imite (dans d’autres circonstances, j’aurais trouvé ça insupportable) Anthony Perkins à la perfection, jusqu’à la séquence culte du roulage de cul quand Bates monte les escaliers en contre-plongée. (Je me demandais s’il allait le faire, et il a osé !…).

Dans quelques années, quand les studios en auront assez de faire des suites, ils feront peut-être des remakes de vieux films fidèles aux originaux, parce qu’il y a vraiment quelque chose à voir et surtout tant de chefs-d’œuvre à refaire découvrir… Parce que oui, c’est bien une manière de les refaire découvrir.

C’est De Palma qui devait être dégoûté quand il a vu ce film… Lui qui s’est évertué pendant toute sa carrière à copier Hitchcock. Finalement, il aurait pu faire la même chose, au lieu de prendre le risque de se casser la gueule dans des films improbables s’inspirant du maître…

Au passage, je viens de me rendre compte, que la fin de Taxi Driver, avec cette caméra qui erre sur la scène de crime pendant le générique et qui s’éloigne peu à peu du lieu avec la musique de Hermann, c’était donc un hommage à Psychose, puisqu’Alfred utilise exactement le même procédé dans son film.

L’un des meilleurs films d’Hitchcock n’est pas du Hitchcock, c’était assez savoureux de lui rendre hommage. Il a passé sa vie à mettre en pratique le principe du suspense, et là où il casse la baraque (plus encore que d’habitude), c’est quand il fait un film anti-suspense, avec pas mal d’effets de surprise. Un réalisateur à contre-emploi on pourrait dire… on a vu ça maintes fois dans d’autres domaines. Et l’ironie, c’est que depuis tout le monde se méprend en identifiant le suspense à un style hérité de Psychose, alors qu’il n’y en a que très peu : dans la scène de la douche, le suspense dure à peine quelques secondes (quand on voit arriver l’ombre derrière le rideau, mais ce qui prime c’est surtout la surprise de voir l’actrice principale du film assassinée), quand le détective se fait tuer, c’est tout aussi court (caméra en plongée pendant qu’il monte les escaliers et on voit venir avant lui la mère) ; le suspense est fait pour s’installer dans le temps, pour augmenter l’angoisse de ce que l’on craint, et psychose joue plus sur des esprits de surprise, c’est un thriller… D’ailleurs, tous les films de genre qui viendront après, joueront sur les deux tableaux, avec à la fois de la surprise et du suspense, pour alterner les plaisirs (ou les peurs)… Et de toute façon, aujourd’hui, on peut même dire qu’il y a du suspense dans Psycho, parce que tout le monde connaît le déroulement de l’histoire, il n’y a plus de surprise. En revanche, on craint toujours ces instants…



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