Koko, le gorille qui parle, Barbet Schroeder (1978)

Anthropo-Koko

Note : 3.5 sur 5.

Koko, le gorille qui parle

Année : 1978

Réalisation : Barbet Schroeder

Avec : Koko, Penny Patterson

Au-delà de l’humour parfois un peu pince-sans-rire que Barbet Schroeder délivre parfois dans sa narration et des commentaires pas toujours très scientifiques pour les standards actuels des chercheurs interviewés, il faut reconnaître au film la vertu d’avoir documenté un petit événement dans le domaine des comportements animaux. Si Koko est devenue une star, comme cela arrive parfois en science, l’expérience dont elle a fait l’objet a probablement permis non seulement de dessiner les limites de certains protocoles de recherche faisant appel à des animaux, mais elle a participé aussi à faire tomber certains préjugés cognitifs qui avaient encore cours à cette époque. Malgré le caractère pas toujours très rigoureux, on peut penser que l’expérience a servi de référence (même négative) aux expériences futures. À son échelle, elle a permis l’éclosion de tout un pan de la recherche en matière d’intelligence animale et aidé à faire évoluer la perception du bien-être animal. On en sait maintenant beaucoup plus sur « l’intelligence » des autres primates et de bien d’autres animaux. On en est même venus à faire évoluer la définition même d’intelligence. À un moment, le cinéaste interroge les droits de Koko en tant qu’individu, aujourd’hui, on n’aurait pas forcément besoin de lui donner des droits en vertu de son intelligence et de ses capacités à communiquer, on reconnaîtrait tout bonnement un droit spécifique des animaux à vivre. On a cessé de prendre en permanence comme seul référentiel, tout ce qui est applicable à l’être humain. Ainsi, on n’évalue plus l’intelligence des animaux en fonction des capacités humaines, mais en fonction d’un environnement, d’un système collectif d’interaction au sein d’une même espèce ou en fonction de caractéristiques spécifiques propres à une espèce. On n’évoquerait plus aujourd’hui l’intelligence d’un seul spécimen comme Koko (ramenée à un niveau humain), mais des spécificités cognitives d’une espèce en tâchant de les comparer à d’autres.

On poserait aujourd’hui la question du droit des animaux à vivre d’une tout autre manière, c’est bien à ce niveau que l’expérience controversée raisonne dans le public aujourd’hui différemment qu’elle le faisait à l’époque. Certes, lors de la séance, j’ai pu assister à des rires idiots, ceux des petits singes que nous sommes quand nous allons au zoo et que face à la découverte de l’altérité animale, on s’émerveille, tels les êtres supérieurs que l’on pense encore parfois être, des capacités anthropomorphiques de certains animaux, et a fortiori de nos plus proches cousins primates. Au lieu de découvrir l’altérité animale à travers un regard, un geste d’attention, ou le plus souvent à travers une totale indifférence à notre égard (les chats sont bons pour nous faire ressentir cette forme d’altérité contrariée), l’expérience de Koko menée par Penny Patterson vise surtout à faire adopter au gorille tout un arsenal de comportements proprement humains. Il n’est en réalité plus question d’altérité, mais d’aliénation. On ne rit pas vraiment de l’altérité tout à coup découverte de l’autre, on rit de l’incongruité et du travestissement d’un animal à qui on demande d’en singer un autre. Le regard porté du directeur de zoo sur la chercheuse n’est pas loin d’être ainsi celui du directeur de cirque qui se sent floué par un autre. Penny Patterson étant psychologue, c’est donc en tant que psychologue qu’elle a mené ses recherches. Son sujet d’étude, ce n’est pas l’animal, mais la psychologie spécifique d’un gorille appelé à imiter ceux qui l’élèvent. Difficile parfois de savoir ce qui procède alors du seul conditionnement. Alors certes, Patterson explorait des voies inconnues, et il fallait sans doute en passer par là pour ouvrir un nouveau champ de recherche, mais cela passe aujourd’hui un peu comme du cirque ou comme une initiative personnelle éloignée des impératifs scientifiques.

Aujourd’hui (je suis loin d’être spécialiste, mais j’ai picoré ici ou là des émissions ou des documentaires sur la question), il y aurait peu de sens à étudier la psychologie d’un animal en particulier sorti totalement de son environnement. Certes, les recherches comportementales sur des animaux captifs se poursuivent, mais on ne va plus dans les excès anthropomorphiques de Penny Patterson. On ne cherche plus à connaître les capacités d’un animal par rapport à l’humain, à en faire un singe savant, un imitateur, une exception digne de devenir la vedette d’un film (ou d’un cirque), mais à comprendre le fonctionnement comportemental d’une variété d’animaux, tout en se gardant de tomber chaque fois dans la comparaison avec des indicateurs et des référentiels qui nous sont propres. Penny Patterson aurait été éthologue ou primatologue, elle n’aurait pas conduit ses recherches au sein de son université avec un seul animal qui la prend pour sa mère, mais dans les forêts africaines afin de comprendre, in situ, les comportements et les formes d’intelligence d’individus variés au sein d’un même groupe.

Car si on a progressé depuis cinquante ans, de ce que j’en sais, c’est qu’on a compris que l’intelligence n’est qu’une résultante de comportements complexes et d’une histoire évolutive. Étudier l’intelligence d’un animal dans un laboratoire peut certes avoir son intérêt, mais on en apprendra tout autre chose si on ne le tire pas de son environnement. On comprend alors que ce ne sont pas certains animaux extraordinaires qui peuvent révéler des aptitudes « humaines » spécifiques, mais que c’est l’humain qui possède des aptitudes comportementales communes à beaucoup d’autres animaux. L’animal n’est pas la machine que l’on a longtemps pensé qu’il était : on sait désormais que c’est un être sensible, pensant, possédant pour certaines espèces (notamment l’ensemble des mammifères) de l’empathie, que certaines notions universelles qui faisaient alors le « propre de l’homme » (le partage, la patience, la coopération, la projection, les alliances, la mémoire, etc.) nous sont communes, et que leurs comportements sont infiniment plus complexes que ce que l’on pensait jusque-là. Comprendre cette complexité n’est plus perçu comme de l’anthropomorphisme, car c’est nous qui ressemblons finalement aux autres espèces. Ce sont nos propres capacités qui sont ramenées à la hauteur des autres. Nous ne sommes plus les êtres exceptionnels que nous pensions être, et nous prenons conscience que ce que nous pensions être propre et unique à notre espèce est en fait partagé par d’autres. Le comprendre, c’est comprendre l’évolution dont nous sommes le fruit, c’est comprendre que l’humain appartient à une histoire et que cette histoire ne s’est pas faite, isolée des autres espèces. Nous ne sommes plus seuls. Nous appartenons à un tout et partageons une histoire commune, donc des capacités communes, avec les espèces qui nous sont les plus proches. On sait également aujourd’hui que des singes ont, notamment dans certains domaines, comme la mémoire à court terme, des facultés supérieures aux humains. Et les enjeux des recherches actuelles visent surtout à comprendre désormais à travers les capacités cognitives des primates celles qui auraient pu être développées par des ancêtres communs. On est loin des « singes savants » et de Koko.

Reste que nous sommes bons encore et toujours à une chose dans laquelle aucune autre espèce ne saurait exceller : expérimenter. C’est exactement ce que fait Penny Patterson. Elle s’est trompée, elle est allée trop loin, ces travaux avaient peut-être été à faire une fois pour en connaître les limites, et on passe à autre chose. Expérimenter, c’est aussi beaucoup se tromper et aller explorer ailleurs. Chose que n’a sans doute jamais cessé de faire Barbet Schroeder pour chacun de ses films…


Koko, le gorille qui parle, Barbet Schroeder 1978 | Les Films du Losange


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The Revenant, Alejandro González Iñárritu (2015)

Root Bear Man

Note : 3.5 sur 5.

The Revenant

Année : 2015

Réalisation : Alejandro González Iñárritu

Avec : Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Will Poulter

C’est encore ce qu’il y a de plus digeste chez Alejandro. J’y retrouve le côté brutal des meilleurs films de Mel Gibson. Pour une fois, la sophistication de la mise en scène d’Iñárritu me paraît plutôt bien servir son sujet, précisément parce que le sujet présenté est d’une simplicité limpide. Une qualité que j’ai toujours appréciée chez Gibson, et qui fait plaisir ici. Toute cette sophistication vise précisément à être immersive sans être pour autant insistante ou l’objet principal du film : le grand-angle, les séquences filmées au plus près de l’action grâce à un steadicam sans coupes apparentes, le tout épicé d’effets spéciaux invisibles mais évidents (comme dans les meilleures séquences d’Alfonso Cuarón, dans Children of Men ou dans Gravity) sans faire pour autant du plan-séquence une obstination, ça paraît être le choix idéal pour un tel film.

Reste que ça ne mène pas bien loin pour autant, la brutalité réaliste ne pouvant à elle seule faire un film. Mon intérêt tout personnel, et bien particulier je dois le reconnaître. Pour les premiers films de Mel Gibson, il était de découvrir à travers cette réalité brute, des univers rarement exposés au cinéma. J’avoue que très vite, je me suis laissé à penser ici le même type de film, celui d’un homme isolé appartenant à un « clan » dans un univers pour nous exotiques, pour lui, froid et hostile, et cherchant à retrouver d’abord les siens après avoir été grièvement blessé par un ours, puis chasser l’assassin de son fils (voilà qui est en somme le résumé d’un film d’un peu moins de trois heures), le tout dans un monde que j’aurais préféré, certes, non pas de trappeurs nord-américains du début du XIXᵉ siècle, mais de chasseurs, sapiens ou néandertaliens, au cœur d’une Europe paléolithique, par exemple. Il m’a toujours semblé dommage qu’un film comme La Guerre du feu n’ait pas déclenché une mode de films préhistoriques, comme Le Pacte des loups pour ce qui est du Moyen Âge provincial. Il suffit de peu parfois pour contenter un spectateur, et des westerns, j’en ai déjà assez vu. Celui-ci a donc au moins le charme de sa singularité. Le film étant, ce qu’on a coutume désormais de dire, un « film immersif », l’objet (le décor) de cette immersion est capital. Et ça l’est d’autant plus quand le sujet réduit à rien peut s’effacer devant cet objet de curiosité et quand le spectateur peut profiter de lui sans être distrait par des artifices grossiers de mise en scène.

La performance de DiCaprio est bien sûr impressionnante, mais tant qu’à être réaliste, je m’étonne de le voir si fringant ne serait-ce qu’après avoir été chatouillé et baladé de droite à gauche par un ours. Au moindre mal de tête, je n’ai déjà plus de force et tous mes mouvements se font au ralenti ; Leonardo, lui, encaisse chaque coup comme si c’était son dernier souffle : je mets au défi n’importe qui, et de bien portant, de gémir comme Leonardo, de ramper sur des bras comme Leonardo, et de ne pas s’écrouler de fatigue au bout de dix minutes. Alors, la même chose, dans un froid polaire, affamé, lacéré de toutes parts et bouffé par la fièvre (plaies infectées oblige), même le plus vaillant des hommes (ou des hommes de Néandertal si on retourne à mes rêves de spectateurs) n’aurait une telle vaillance. Au mieux, l’œil est hagard et les mouvements lourds. C’est moins photogénique, un acteur qui joue l’agonie sans panache. Mais il faut bien ça, sans doute, pour capter notre attention de spectateurs dégourdis par deux décennies de superpouvoirs.

Dernier mot sur la musique : quand reviendra-t-on un jour à de la vraie musique ? Depuis quelques années, et le funeste Hans Zimmer qui a enterré la mélodie sous un gros voile de basses, on n’a plus qu’une suite d’accords mous (des cordes ici) rehaussée au mieux de deux notes toutes les dix secondes pour accentuer la tension. C’est triste de s’interdire ainsi toute portée poétique et de devoir subir, film après film, ces musiques censées nous dicter la moindre émotion.


 

 

The Revenant, Alejandro González Iñárritu 2015 | New Regency Productions, RatPac Entertainment, New Regency Productions


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Peppino et Violetta, Maurice Cloche (1951)

Note : 2.5 sur 5.

Peppino et Violetta

Titre original : Peppino e Violetta

aka : Never Take No for an Answer

Année : 1951

Réalisation : Maurice Cloche

Le cahier des charges respecté à la lettre pour une soirée en famille (catholique). Pas beaucoup de cinéma, beaucoup de bons sentiments. Un orphelin vagabond qui vit seul avec son ânesse en gagnant sa croûte en proposant ses services et ses sourires de garçons bien élevés dans la ville où il habite (Assise), mais qui a l’idée d’aller voir le pape après que son ânesse tombe malade… Et c’est une jolie histoire qui commence, parce qu’on se doute bien qu’avec un peu de volonté et de foi, les petits garçons serviables arrivent toujours à gagner les faveurs des pédophiles. Pire qu’une heure de catéchisme.

Les films montés avec des financements épars européens suite à un succès d’estime outre-Atlantique ne datent pas d’hier. Maurice Cloche tourne de festival en festival avec Monsieur Vincent en 1947, jusqu’en Amérique où son film participe à quelques événements de la critique américaine (voir les nominations sur la page IMDb du film), et manifestement, ça crée des liens pour concrétiser ses prochains projets (les méthodes de la politique des auteurs ouvrant grand les portes des festivals et des productions « indépendantes » ne datent pas d’hier). Donc celui-ci (de projet) est financé et réalisé en Italie (Monsieur Vincent aura sans doute aidé à tourner au Vatican pour celui-ci) et se retrouve également avec des financements britanniques (et un acteur irlandais dans un rôle principal). Les historiens du cinéma et critiques de l’époque préfèrent fermer les yeux, et à juste titre. C’est digne d’une bonne soirée à l’ORTF.


Peppino et Violetta, Maurice Cloche 1951 | Constellation Entertainment, Excelsa Film

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Okja, Bong Joon-Ho (2017)

Veau d’or sous soleil vert

Note : 3 sur 5.

Okja

Année : 2017

Réalisation : Bong Joon-Ho

Avec : Tilda Swinton, Paul Dano, Jake Gyllenhaal, Ahn Seo-hyun

Il faut noter l’ironie de dénoncer la nourriture industrielle tout en faisant un film foutrement formaté. La cuisine de Bong est par moment indigeste, entre la farce Tex Avery (Jake Gyllenhaal est insupportable), le film émotif à la Disney, l’humour potache et l’action de charcutier. Ça fait trop pour moi.

Si le sujet malgré tout (celui de la satire antispéciste) vaut le coup d’œil, l’ennui l’emporte globalement. J’ai du mal par exemple à comprendre comment on peut s’émouvoir d’une telle relation avec un rythme aussi relevé où les temps morts sont rares (la séquence la plus lourde est une réunion explicative entre tous les personnages du groupe des Américains : Bong Joon-Ho est trop poli avec ses acteurs et ne contrôle rien). Il y aurait moins d’action, la fillette serait moins contrainte dans ses mouvements (un personnage principal impuissant, c’est chiant), et on aurait utilisé un poulet ou un bœuf à la place de ce machin porcin numérisé et sans charme, je me serais plus régalé… Okja, qu’elle parte à l’abattoir, ça me faisait ni chaud ni froid.

On m’a aussi fait remarquer certaines incohérences dans l’histoire. C’est vrai par exemple qu’il y a un petit côté étrange à voir débarquer le commando antispéciste et la petite, à la fin, dans l’abattoir, avec ses hectares de bétail porcin enfermé dans des enclos à ciel ouvert, et ne pas s’en émouvoir plus que ça (c’est bien là que la réalisation ne prend pas assez son temps pour nous montrer l’étendue du désastre, trop concernée qu’elle est à cet instant pour nous faire participer à une grande cavalcade).


(Me voilà moi aussi lancé dans une longue course, puisque j’entame avec Okja un mois gratuit sur Netflix. Et je compte bien saigner leur catalogue de films récents — il n’y a de toute façon rien à se mettre sous la dent en termes de classiques, c’est même le grand désert.)


 

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Rester vertical, Alain Guiraudie (2016)

En chien de fusil

Note : 2 sur 5.

Rester vertical

Année : 2016

Réalisation : Alain Guiraudie

Avec : Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry

Quand la savonnette t’échappe au milieu d’une meute de loups…

Dommage que cette histoire de loup solitaire ou de brebis égarée se répande peu à peu dans le trash retenu parce qu’il y a quelque chose d’au moins regardable quand on échappe aux provocations ou aux rebondissements poilants. De regardable, autant que peut l’être un film de la nouvelle qualité française avec ses ellipses, son ton feutré, son rythme rapide. J’avoue que devoir si se farcir une scène de cul entre un homme et une femme dans un film, en général c’est déjà rarement poilant, voir une séquence similaire entre un homme et un vieux plouc, ce n’est pas bien plus passionnant. Ça force un peu la normalité et l’acceptation de l’autre, comme une sorte de sophisme cinématographique qui essaierait de nous convaincre que si c’est possible entre un homme et une femme pourquoi ça ne le serait pas entre un homme et un vieux… Sauf que ce n’est pas “normal”, c’est embarrassant, parce qu’une scène de cul montrée sur la durée, ç’a autant d’intérêt dramatique qu’une scène de cabinet ou une autre dévoilant en longueur un homme en train de couper du bois. C’est moins une question de “genre” que de situation hors sujet. Et je n’aime pas trop qu’on me force la main d’ailleurs, surtout si c’est pour me faire comprendre de telle banalité. « Ah, vous avez vu, c’est normal. »

Le détour le plus ridicule, il est encore ailleurs, celui de concentrer son récit autour d’une même poignée de personnages : si bien que quand un petit ami apparaît à la blonde, ça ne peut être qu’un de ces personnages déjà vus. Ça ne mange pas de pain, on profite d’un effet spectaculaire, mais c’est surtout une coïncidence ridicule et difficile à avaler. Au final, on se retrouve étrangement avec le bon goût d’une série B qui se donne l’apparence d’un film d’auteur.

Pour le positif, il y a une lenteur dumontielle qui attire l’œil, dans un premier temps toutefois (on retrouve un bon principe bressonnien également, qui est de ne jamais expliquer, tuer les rapports de cause à effet, afin d’amener le spectateur à s’interroger). Et les acteurs s’en tirent plutôt bien.

Assez caractéristique, j’insiste, d’une nouvelle qualité française. Pour copier Bresson, Dumont ou les autres, il y a du monde, mais si la forme est entendue, le signe d’un certain savoir-faire naturaliste, pour le contenu, c’est rarement ça. À ce compte, je préfère encore voir un Dardenne ou un Loach, pour qui la forme ne surprendra plus personne, mais le sujet au moins est clair, on est dans un cinéma qui se propose de constater l’air d’une époque. Là, ou dans nombre de ces films de la nouvelle qualité française, rien. La forme qui devrait aider à illustrer un sujet, fait tout le contraire et se noie souvent derrière un dispositif pourtant léger et simple à mettre en œuvre.

(Un film « Cahier », Les Films du losange et « Cannes officiel », ça ne surprendra personne.)


 


 

 

 

 

 

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Roar, Noel Marshall (1981)

Note : 4 sur 5.

Roar

Année : 1981

Réalisation : Noel Marshall

Avec : Tippi Hedren, Noel Marshall, Melanie Griffith

Improbable film-somme. À la fois Les Dents de la mer avec sa déferlante non-stop de vagues de félins se ruant les uns sur les autres, mais le plus souvent aussi sur tous les membres du casting qui passent leur temps à fuir devant cet essaim de piranhas sur pattes ; mais aussi film baba cool familial prônant l’amour des bêtes avec la plus hilarante bêtise ; de ces deux genres contradictoires accouche un dernier genre, celui du thriller animalier.

Ça pourrait être Massacre à la tronçonneuse réalisé par Werner Herzog, sauf que les psychopathes, ce serait plutôt les fous chassés tentant tant bien que mal de rester en vie et de balancer leurs répliques idiotes (et parfois drôles tant elles reflètent leur inconscience). Mais il y a bien dans cette entreprise extrême un petit quelque chose qui n’est pas sans rappeler la folie herzogienne (celui peut-être de Grizzly Man).

On pourrait y voir encore une sorte de Maman j’ai raté l’avion sans trucages, tant le scénario, d’une simplicité navrante mais efficace, tient en une idée simple : papa va chercher sa famille à l’aéroport, mais est retardé par ses deux tigres de compagnie, qui ont malencontreusement fait chavirer la fluette arche-embarcation sur laquelle tout ce petit monde était censé cohabiter dans la joie. Du coup, femme et enfants décident de prendre un taxi pour découvrir seuls leur nouveau chez eux, façon Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest. Certains en sont à une idée un plan ; d’autres répètent, entêtés, ou pas loin d’être étêtés, un peu gribouille, la même idée tout au long d’un même film. Il doit y avoir un point à partir duquel la folie de répétition, toute en rugissements et en rimes pauvres, devient poétique.

Scénario découpé ou écrit à la griffe donc, mais le film tient d’un bout à l’autre, et en toute efficacité, dans ce chassé-croisé permanent rappelant la naissance du cinéma et des premières heures du montage alterné. Primitif, dans tous les sens du terme.

C’est affligeant, on ne sait trop au juste sur le papier ce que Marshall pouvait bien avoir derrière la tête (sinon une bonne paluche de félin taquin) quand il a imaginé pour la première fois jeter sa famille au milieu des fauves, dans une baraque en carton qui a tout du piège à souris. Le plus drôle, et le plus fascinant, lors du visionnage, c’est d’assister incrédule au décalage entre la fuite permanente des acteurs face à des nuées de prédateurs qui ne sont pour eux au mieux que des poupées de chiffons, et les quelques lignes de dialogues censées être rassurantes sans qu’on sache si elles sont destinées aux autres personnages ou aux spectateurs dans une vaine tentative de nous convaincre que tout est parfaitement prévu jusqu’à leurs plaintes et leurs appels au secours. C’est un peu comme proposer à un fakir de venir marcher sur des braises et de les changer au dernier moment par des lames de rasoirs : placé devant le fait accompli, le fakir accepte malgré tout le défi, comme esclave du propre tour qu’il est habitué à fournir à son public, chaque pas devient alors pour lui une souffrance et lui entaille la plante des pieds, mais tout du long comme au bout de son supplice, il persiste à s’illusionner plus que son public et à dire que ce n’est rien. De la folie pure.

Un carton annonce au début du film, même pas ironiquement, que les animaux n’ont pas été blessés durant le tournage (ce qui est faux d’ailleurs, on voit des bêtes blessées, et plusieurs auraient été tuées, abattues, ou victimes d’incidents dont un incendie qui aurait ravagé une partie de la propriété familiale). Parmi les animaux que nous sommes, beaucoup ont par ailleurs fini à l’hôpital. On assiste ainsi par exemple à une attaque démente d’un éléphant contre Tipi Hedren (qui se serait cassé la jambe à l’issue de cette séquence) s’acharnant ensuite sans raison apparente sur une simple barque… (Il n’y a pas que les membres de l’équipe qui étaient fous, ces animaux à force de vivre dans un si petit espace, mêlés à de nombreux autres prédateurs, ne réagissent pas comme ils le feraient dans la nature).

Autre singularité folle. Deux jours de temps diégétique pour presque dix ans de production…

Dramatiquement parlant, le film est peut-être plus visible aujourd’hui, la distance aidant, le recul, et la certitude qu’un tel film serait impossible à faire de nos jours. C’est non seulement drôle au visionnage, mais surtout, on cesse très vite d’y chercher un sens, et on ne voit plus que ce que c’est : un film dévoué à la seule expression de la folie de ses auteurs. Si on mêle à cela la peur constante, réelle, qu’on couve pour les membres de la famille, et la distance ironique, parfois consciente d’être inconsciente (comme le montre parfois le ton taquin de la musique), et on a comme l’impression d’assister à quelque chose de réellement singulier qui mérite d’être regardé.

On peut le voir aussi comme le summum d’une époque avec ses délires et ses excès : le film sort en 1981 à peine exploité, mais il a fallu toutes les années 70 pour le mettre en œuvre. Vu aujourd’hui, c’est un peu comme voir le lointain et tardif épilogue d’un eldorado qui n’aurait pas connu le meurtre de Sharon Tate censé siffler la fin des années 60. Ces années 70 sont encore en roue libre, sans retenue ni barrières, nous proposant une sorte de gang bang de la peur tournant au snuff movie : de La Petite Maison dans la prairie version hippie, de son innocence, on arrive tout droit à la crise et à ses années 80, brutales, sans rien y comprendre. Out of Africa. Gorille dans la brume… jusqu’aux années 80 on assistera épisodiquement à la fin de cet exotisme niais et de la prise de conscience que l’autre bout de la planète est à la fois à portée de main, mais aussi un environnement tout autant en danger que lui-même dangereux ; mais jamais on ne retrouvera cette folie collective qui ne pouvait prendre corps que lors d’un tournage encore imprégné des idées des années 60. Les années 80 mettront fin à ces illusions démentielles, celles de voir la nature, exotique, brutale, continuellement avec des étoiles floues dans les yeux et des fleurs dans les cheveux. (Quoique, ce biais est toujours d’actualité : la nature continue d’être vue comme infailliblement bénéfique, bienfaitrice ou rassurante… Au moins n’y mêle-t-on plus de gros chats prêts à nous sauter dessus.)


Roar, Noel Marshall 1981 | Film Consortium, American Filmworks


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Paï, Niki Caro (2002)

       Paï

5/10  

Réalisation : Niki Caro

Des grosses ficelles épuisantes. On croit voir une histoire formatée par, ou pour, des recettes toutes prêtes hollywoodiennes. Impossible d’échapper à tout le catalogue de passages obligés. Ce ne serait pas si ennuyeux avec une réalisatrice de talent… (Jane Campion a les mêmes travers, mais elle a réalisé, elle, un chef-d’œuvre).

Au-delà des tours et détours laborieux du récit, surlignés par des dialogues puérils ou une musique tapageuse, l’aspect le plus mal maîtrisé reste le choix des acteurs et la direction d’acteurs. La question de l’opposition entre les générations, entre modernisme et tradition, avec comme ici la question de la place de la femme dans la (petite) société, c’est un sujet fréquemment rabâché dans le cinéma japonais de l’âge d’or par exemple, et ça nous donne une idée des pièges à éviter.

La gamine est certes jolie, mais l’idée d’en faire un garçon manqué casse à mon sens toute la logique « féministe » de la chose. On n’y croit pas une seconde. La seule séquence où l’actrice arrive à me convaincre est celle où, affublée du costume traditionnel, elle récite son discours dédié à son grand-père absent de la salle : pour la première fois non seulement on voit une gamine, touchée, vulnérable, bref, pas seulement une fillette, mais un être humain auquel s’identifier. Le reste du temps, le fait de surjouer le côté garçon manqué, parfaite en tout mais lisse, aurait plus tendance à la rendre insupportable et assez peu crédible.

L’interprétation du grand-père se heurte aux mêmes écueils : ce n’est pas parce que c’est l’opposant principal du récit qu’il faut en faire un homme aussi antipathique.

Aucunes nuances auxquelles se rattacher ; deux blocs s’opposent, et comme par magie, toutes ces frictions devraient disparaître lors d’un dénouement forcé dans lequel chacun serait amené à reconnaître la part cachée qu’on se refusait de voir jusqu’alors… Ridicule, pour ne pas dire vulgaire.


Paï, Niki Caro 2002 Whale Rider | South Pacific Pictures, Apollo Media Distribution, Pandora Filmproduktion


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Croc-Blanc, Alexandre Zgouridi (1946)

Croc-Blanc

Belyy klyk
Année : 1946

Réalisation :

Alexandre Zgouridi

Avec :

Oleg Zhakov
Lev Sverdlin

8/10 IMDb iCM

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L’obscurité de Lim

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Sacrée direction d’acteurs. Sans rire, on se croirait dans Histoires naturelles, toute la première partie quasiment documentaire sur la vie des animaux dans la forêt est formidable. Un petit côté Bambi. Les clairs-obscurs rappellent par moments les lumières de Rashomon, ainsi que le format 4/3 et la profondeur de champ poussée à l’extrême (dans la composition du plan, on n’est alors pas loin parfois des fameux tableaux de La Nuit du chasseur, mais en plus naturaliste puisque les vues n’ont rien de fabriquées).

Aucun souvenir si le film est fidèle au roman de Jack London, et peu importe finalement. L’histoire est simple comme bonjour, et d’une efficacité redoutable. Peu de dialogues (heureusement, car les sous-titres une fois encore sont en grève à la Cinémathèque), et un jeu de regards surtout entre l’homme et la bête. Pardon, son plus fidèle partenaire, le chien(-loup). Qu’y a-t-il de plus simple et de plus efficace qu’un bon champ contrechamp ?


Croc-Blanc, Alexandre Zgouridi 1946 Belyy klyk | Mosnauchfilm


Grizzly Man, Werner Herzog (2005)

Into the Wild Wild West

Note : 3 sur 5.

Grizzly Man

Année : 2005

Réalisation : Werner Herzog

Avec : Timothy Treadwell

Werner Herzog est toujours à la limite… de me les briser. Je suis parfois taraudé par l’idée que le génie, c’est la capacité à la fois de flirter avec les extrêmes pour farfouiller plus loin, là où personne n’a jamais été, tout en entretenant une savante mesure, preuve qu’on ne tombe pas soi-même dans les excès qu’on met en scène.

Herzog, oui, intrigue, il intrigue à se chercher des doubles ou à se mettre lui-même en scène dans des situations périlleuses (comme dans la Soufrière), mais j’ai peur, que si j’ai un petit faible pour les dingues dans les films narratifs, eh bien, ces mêmes personnages ne me passionnent pas autant dans la vraie vie.

Certes, même si Werner Herzog, souvent, prend ses distances avec son “personnage”, il ne peut cacher la sympathie qu’il porte pour ce qui n’est au fond qu’un fou cherchant la mort et qui n’était qu’une sorte de Don Quichotte s’inventant des ennemis pour trouver un sens à sa vie.

Difficile d’entrer en empathie avec un dingue affecté par le syndrome de Peter Pan et confondant la nature sauvage (voire sa protection, du type « je lance du pain aux oiseaux, donc je les aime… ») avec l’Île aux enfants. Sa voix de petit garçon m’a achevé plus d’une fois et ne me faisait penser que trop souvent à la vidéo virale youtubique du type priant le monde de laisser Britney alone !

Triste monde. La fascination d’un fou pour un autre fou, il y a comme un ton sur ton qui fait, cette fois, passer Werner Herzog de l’autre côté.


Grizzly Man, Werner Herzog 2005 | Lions Gate Films, Discovery Docs, Real Big Production


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