Adieu, je reste…, Herbert Ross (1977)

Note : 3.5 sur 5.

Adieu, je reste…

Titre original : The Goodbye Girl

Année : 1977

Réalisation : Herbert Ross

Avec : Richard Dreyfuss, Marsha Mason, Quinn Cummings

Le film est relativement peu connu en France. Quelques hypothèses à cela. Malgré la présence de Richard Dreyfuss, supposons que l’acteur n’avait alors pas le statut de stars que d’autres acteurs du Nouvel Hollywood pouvaient avoir dans les années 70. Politique des auteurs sans doute aussi. Proposer au public français une comédie romantique à une époque où l’on n’en fait plus de qualité depuis une quinzaine d’années parce que c’est un genre qui, comme le western, représente le vieux Hollywood, n’a rien d’évident. Et le voir, dix, vingt ans ou quarante ans après, le fait passer pour une de ces comédies romantiques de second plan qui ont fait florès dans les années 80 et 90. On peut supposer aussi que Annie Hall, sorti la même année, qui adoptait certains usages identiques permettant de renouveler le genre et qui a lancé une série de films de Woody Allen avec Diane Keaton (puis avec Mia Farrow) dans une logique purement auteuriste, a pris toute la place disponible et éclipsé ce film gentiment primé à l’époque.

Sans crier pour autant au chef-d’œuvre, remarquons cependant qu’il possède plus de qualités que les films du genre qui réapparaîtront bientôt dans les décennies suivantes. La comédie romantique du vieux Hollywood s’en est allée sans doute avec Audrey Hepburn. L’industrie se devait de trouver une manière de remplacer la sophistication de l’actrice, si bien assortie aux décors de studio ou aux extérieurs élégants un peu factices. Et comme souvent quand Hollywood est en panne d’inspiration, c’est New York qui lui montre la voie (comme pour Annie Hall du reste). Le Nouvel Hollywood dictait désormais de nouveaux usages dans les autres genres abordés, autrefois mineurs, du cinéma : il a donné ses lettres de noblesse (la série A) aux thrillers (paranoïaques ou psychologiques), aux films sur la mafia (Al Pacino est cité dans le film), aux films d’horreur (L’Exorciste est également cité). Il fallait donc bien que ces techniques s’imposent à d’autres genres du vieux Hollywood. En cette année 1977, Scorsese, s’essaie à la comédie musicale avec New York New York, comme John Badham avec La Fièvre du samedi soir ; De Palma ou Bob Fosse (un spécialiste du genre à l’écran comme à la scène, comme Herbert Ross) avaient déjà présenté leur version renouvelée du genre. Et bien sûr, c’est l’année où George Lucas sonne la fin de la morosité et propose un remède au choc pétrolier : l’énergie abondante de la Force, dans La Guerre des étoiles, qui fait passer la « science-fiction », ou plutôt le cinéma de l’imaginaire, en première division.

The Goodbye Girl a tout de la comédie romantique new-yorkaise lointainement inspirée des films des années 30, ou plus vraisemblablement de celles des décennies suivantes écrites et réalisées par Billy Wilder ou pour Lucille Ball (on n’y trouve aucun élément « screwball »). Un risque : car on pourrait supposer qu’une adaptation à la manière du « Nouvel Hollywood » aille plutôt chercher du côté de l’impertinence screwball, voire pré-Code. C’est bien le conformisme des années suivantes et l’insistance à recopier les vieilles recettes d’hier quand le cinéma évoluait partout ailleurs qui ont plongé les studios dans la crise. Ces studios au cours des années 60 avaient produit d’épouvantables comédies, et parmi elles beaucoup d’adaptations de Broadway. L’auteur de ce Goodby Girl, Neil Simon, en avait écrit une poignée : Pieds nus dans le parc, Le renard s’évade à 3 heures, Drôle de couple ou encore Sweet Charity.

Herbet Ross s’applique donc à bien échapper à l’effet « studio » malgré une majorité de séquences filmées en intérieur. New York est la ville qui a été la plus représentée depuis dix ans à l’écran et le tournant enfin amorcé par la production américaine, et cela est passé avant tout en filmant la rue. « New York Herald Tribune ! » Et malgré des moyens que l’on devine limités mais inspirés des nouveaux usages, cela fonctionne. Parfois chaotiquement (il semble avoir été difficile de capter le son dans certaines séquences et les acteurs ont probablement dû parfois repasser par de la postsynchronisation), mais cela fonctionne. La comédie sort enfin des studios et se rapproche d’une forme plus réaliste de cinéma (finies également les images saturées et acidulées, conséquences des tournages aux techniques proches de la publicité). La présence de Richard Dreyfuss illustre d’ailleurs cette volonté de s’approprier jusqu’aux acteurs de cette nouvelle génération pour retrouver une fraîcheur perdue depuis longtemps.

J’aurais quelques réticences concernant peut-être l’usage de la musique : trop directive, trop invasive, et encore trop attachée aux codes d’hier (malheureusement, la « rom-com » reprendra bientôt ces codes, adaptés, dans le pire des productions futures ; Herbert Ross participera à ce mouvement en réalisant, dans un registre, certes, plus « musique populaire », Footloose). Jusqu’aux deux tiers du film, cela pouvait encore passer, mais la dernière partie, quand les violons sont de sortie pour souligner ce que l’on voit déjà à l’écran, on a envie de tout casser. Les violons sont d’autant moins nécessaires qu’on sait depuis le début du film que cette rencontre s’achèvera par une histoire d’amour. S’attarder vingt minutes sur une situation établie dans laquelle le seul enjeu du récit consiste à forcer un faux suspense concernant le départ ou non du personnage masculin, certes, c’est précisément le sujet du film, mais on pouvait le traiter autrement : par la nostalgie, le drame, la tristesse ou le burlesque. Ce que l’histoire ne parvenait pas à faire, c’était à la musique de le proposer : prendre une autre voie qui ne soit pas nécessairement celle attendue et définie à l’entame du film… Surprendre le spectateur avec ce qu’on lui avait promis, voilà un des principes du récit qui ne se dément pas depuis les Grecs. Sans quoi, le ton sur ton et le mièvre s’invitent inéluctablement à la fête.

La faute d’un tel dénouement raté ne peut pas être imputée qu’à la présence trop marquée de la musique, mais aussi à la faiblesse de l’histoire. Un finale raté peut anéantir un film. Une fois que la romance commence enfin, Neil Simon semble avoir oublié les leçons des comédies de remariage : s’il ne voulait pas finir son film au premier baiser, il aurait dû insister sur la comédie et non sur le romantisme. La séquence du réveil avec la gamine qui boude et la mère qui partage ses inquiétudes plombe le rythme du film au moment où au contraire il devrait atteindre son plafond. C’est aussi à ce moment que le personnage féminin aurait dû reprendre le lead. Peut-être n’aurait-elle dû d’ailleurs jamais le perdre. À quoi bon la montrer inquiète alors que la contrariété poussant le départ de son amoureux viendra de toute façon réveiller ses angoisses ? Or, Richard Dreyfuss en impose tellement par rapport à Marsha Mason qu’aucun ajustement ne viendra régler cette lacune. L’actrice se fait même assez souvent voler la vedette par sa cadette (l’excellent travail de la jeune actrice permet de donner au film une partie de sa singularité ; une singularité qui faisait le sel par exemple de Mon mari le patron, de Gregory La Cava en 1935).

Mais ne soyons pas si durs. Ce n’est pas si mal pour une comédie romantique perdue dans un désert. L’époque n’avait plus produit de bonnes comédies romantiques depuis des lustres, c’est-à-dire depuis la crise des studios dans les années 60 et depuis l’avènement du Nouvel Hollywood (qui était avant tout une révolution à dominance masculine, « italienne », violente et motorisée). Cette possibilité, ou ce retour de la comédie romantique, annonce un nouveau tournant : après ces ajustements techniques et formels, après le renouvellement des talents, Hollywood va pouvoir retomber dans ses travers commerciaux. Bienvenue dans les années fric, les années 80.

Richard Dreyfuss, entre deux films tournés pour Steven Spielberg, recevra une statuette bien méritée pour sa performance. Le cinéaste n’aurait jamais dû se séparer de son « Antoine Doinel ». Dreyfuss permettait à Spielberg d’avoir encore un pied dans l’esprit « auteuriste » du Nouvel Hollywood lors de cette nouvelle ère. Je le dirai encore et toujours : la jonction parfaite entre ces deux mondes se situe pour moi au moment de Rencontres du troisième type.

1977, année durant laquelle les étoiles éclipsent définitivement les éphémères aspirations et teintes sociales, politiques, sombres du Nouvel Hollywood.


Adieu, je reste…, Herbert Ross 1977 The Goodbye Girl | Warner Bros., Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), Rastar Pictures


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La Danseuse des Folies Ziegfeld, Robert Z. Leonard (1941)

Trois femmes

Note : 4 sur 5.

La Danseuse des Folies Ziegfeld

Titre original : Ziegfeld Girl

Année : 1941

Réalisation : Robert Z. Leonard

Avec : Hedy Lamarr, Judy Garland, Lana Turner, James Stewart

Énième variation sur les déboires des artistes du music-hall estampillés Ziegfeld. La trame est toujours identique : on réunit une poignée de stars autour de personnages cherchant la gloire, on les met en conflit avec leur entourage, certains échouent, d’autres réussissent, etc. L’intérêt est souvent ailleurs : l’exécution et la qualité des numéros, le plaisir de suivre un rehearsal qui joue les montagnes russes et la diversité, une bonne musique, et surtout des dialogues qui font mouche. On y retrouve également quelques stars de la MGM : Judy Garland, Hedy Lamarr et Lana Turner, auxquelles vient s’ajouter James Stewart (qui n’est pas un produit du cru, mais qui sort d’Indiscrétions, comédie tout aussi typique de l’esthétique de la firme au lion).

À la manière de Stage Door, le film comporte certains accents finaux dramatiques grâce aux écarts du personnage de Lana Turner pour qui cela semble être le premier grand rôle (des écarts qui annoncent un peu ceux — toujours plus fantaisistes — des années 60). Cette noirceur attachée à son personnage, surtout, c’est un peu la saveur noire de femme fatale qu’on lui connaîtra par la suite. Mais au lieu d’être par la suite fatale aux hommes qui tombent sous son charme, c’est d’abord pour elle qu’elle sera fatale. Tout est déjà là chez la future actrice du Mirage de la vie : Lana Turner commence le film en ingénue, tout à fait délicieuse, puis, comme c’est un peu la règle à l’âge du code Hays, l’alcool sert de catalyseur pour pervertir un peu plus les filles de mauvaise vie, et c’est là qu’on aperçoit les prémices des personnages de femmes froides et inaccessibles qu’elle interprétera par la suite (dès Johnny, roi des gangsters, sorti quelques mois plus tard).

Des trois actrices principales, c’est sans doute celle qui tire peut-être le plus la couverture à elle : Judy Garland est désormais une jeune adulte, le talent inouï de la star au chant fait plaisir à voir, mais son personnage reste comme toujours assez lisse. Quant à Hedy Lamarr, il suffit qu’elle parle avec les yeux, et son numéro n’a pas besoin de s’agrémenter d’autre chose, mais son personnage n’est pas aussi bien exploité que celui de Lana Turner.


La Danseuse des Folies Ziegfeld, Robert Z. Leonard 1941 Ziegfeld Girl | MGM


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Cynthia, Robert Z. Leonard (1947)

Le grand remplacement

Note : 2.5 sur 5.

Cynthia

Année : 1947

Réalisation : Robert Z. Leonard

Avec : Elizabeth Taylor, George Murphy, Mary Alstor, S.Z. Sakall, Anna Q. Nilsson

À une époque où certains en France parlent de déclin, il est révélateur que les mythes de l’American Way of Life et de l’American Dream sonnent ici si faux. On y évoque la sacro-sainte soirée du bal de fin d’année du lycée, si chère aux adolescents américains, revisitée maintes fois par des films au cours du XXᵉ siècle, au point d’en faire un repère culturel pour des spectateurs étrangers ignorant tout de cette « tradition ». Je n’ai aucune idée si ce mythe repose sur des bases réelles et si elle est partagée par tous dans ce pays, en tout cas dans le film tout sent le factice à plein nez. L’histoire est censée prendre place dans un coin paumé de l’Illinois, or, en dehors de régionaux de l’étape (dont le réalisateur et Mary Astor), la distribution reflète ce qu’était encore à cette époque Hollywood : la Babel du XXᵉ siècle. Certains réactionnaires en France pourront toujours nous faire croire que la grandeur d’un peuple se reconnaît à la pureté de son sang (on en est là, parce que je paraphrase, mais c’est bien ce qu’ils disent) ; en réalité, dans l’histoire, c’est probablement le contraire. Les grandes civilisations ont toujours servi de carrefours des peuples. Et c’est facilement compréhensible : toutes les personnalités qui cherchent à réussir, à se faire un nom, à sortir de leur condition, à élargir leur horizon se rendent dans les centres urbains où les opportunités existent. Au tournant du XIXᵉ et du XXᵉ siècle, les États-Unis sont devenus (et l’étaient déjà sans doute avant aussi) une puissance dont le développement était basé sur l’immigration. Et Hollywood, dès le milieu des années 10, s’est imposé pour incarner ce rêve à l’écran.

Qu’y avait-il à ces premières heures de Hollywood ? Des Britanniques, des Canadiens, des Américains de la côte Est, mais aussi beaucoup d’Européens non anglophones : des Austro-Hongrois, des Allemands, des Scandinaves, des Russes, des Français essentiellement. Et tout ce petit monde s’est réuni pour fabriquer des mythes, ou un mythe, celui d’un rêve auquel ils prenaient part, souvent dans l’ombre, parce que si les personnages sont certes dévolus le plus souvent à des Blancs américains, surtout dans un tel film censé se situer dans un petit coin d’Illinois, si l’on y prête un peu attention, les immigrés n’y sont pas absents, et ils n’y occupent pas forcément non plus les places les plus basses de la société (ici le professeur de musique, et son acteur, originaire d’Europe centrale par exemple).

Ça, c’est la face visible de Hollywood. Derrière, une bonne partie de la distribution et des techniciens (alors même qu’il n’y a sans doute pas plus « américain » comme film) sont des immigrés européens. D’ailleurs, encore à cette époque-ci, je dirais, au doigt mouillé, qu’au moins neuf personnes sur dix travaillant dans cette industrie ne sont pas originaires de Californie.

Et au milieu de ces acteurs étrangers, ce qui est là encore assez symptomatique, c’est la présence de deux actrices au parcours identique à quarante ans d’intervalle. Il n’y a pas de « grand remplacement », mais des « grands rushs ». En revanche, parfois, l’histoire semble se répéter. Elizabeth Taylor est Britannique par sa naissance et Américaine par ses parents (son père vient de l’Illinois, ce qui l’aura aidé sans doute pour l’accent). Elle les suit aux États-Unis pendant la guerre où elle deviendra rapidement une enfant-star en jouant dans la série des Lassie. Pendant sa carrière, elle passera aisément d’un continent à l’autre et sera considérée comme une des plus belles femmes du monde… Un peu comme Anna Q. Nilsson.

À l’époque où le film est tourné, il est fort à parier qu’une bonne partie des spectateurs avaient déjà (et au contraire cette fois de Taylor qui restera une star pendant plusieurs décennies) oublié cette ancienne star du muet. Je traçais son parcours dans mon article sur le Hollywood Rush. Pour résumer, elle quitte sa Suède natale à peu près à l’âge qu’a Elizabeth Taylor dans le film, pour rejoindre l’Amérique, et devient modèle au début du siècle. On dit alors qu’elle serait la plus belle femme du monde (on ne sait pas en revanche si elle avait les yeux violets). Le cinéma se fait sur la côte Est, les studios d’alors font d’elle une star, elle multiplie les premiers rôles dans des films largement aujourd’hui oubliés ou perdus. Elle connaîtra par conséquent ce glissement rapide de l’industrie américaine du cinéma vers la Californie. C’est l’époque des grandes mobilités, peut-être même ironiquement, beaucoup plus qu’aujourd’hui (c’est assez étonnant de voir à quel point les facilités de transport ne facilitent pas pour autant le nomadisme, à moins que ce soit une forme de conservatisme généralisée à mille lieues des idées reçues selon lesquelles le monde serait rempli d’immigrés…), la star ne déroge pas à cette habitude, et elle n’hésite pas à retourner en Europe pour tourner. On est autour des années 15-25, et ceci explique sans doute que son nom soit relativement éclipsé aujourd’hui, car ce qu’on retient en général du cinéma muet, c’est beaucoup plus volontiers la fin des années 20, en tout cas pour ce qui est des films à Hollywood (le parlant portera un coup fatal aux productions européennes, et leurs concurrents américains s’imposeront jusqu’aux années 60). Bref, les deux actrices se croisent ici à peine (Anna Q. Nilsson apparaît dans un rôle anecdotique, et ne l’ayant vue que dans le Regeneration de Walsh — sans doute aperçue aussi dans Le Garçon aux cheveux verts où elle croisera un autre enfant-star, Dean Stockwell, qui vient de nous quitter —, je guettais son apparition). Autre similitude, les deux actrices seront victimes toutes deux d’accidents de cheval et en garderont des séquelles à long terme…

Elizabeth Taylor / Anna Q. Nilsson

Alors voilà, oui, l’essence même du rêve américain, c’est qu’il repose sur une illusion. L’illusion d’une tradition inamovible et d’une culture unique. Une illusion si bien ancrée chez certains (étrangers obsédés par l’idée de déclin) qu’ils oublient ou ignorent que ces mythes identitaires sont des arnaques, des constructions culturelles auxquelles, finalement, il n’y a sans doute que les « perdants » pour chercher à les imiter et courir après. Les peuples ne se suicident jamais aussi bien (référence à un certain « suicide » censé être la conséquence d’un « grand remplacement ») que quand ils s’imaginent dépositaires d’une histoire ou d’une tradition unique, que quand ils courent derrière des mirages. Tous les peuples, toutes les grandes civilisations, toutes les cultures solidement affirmées et qui rayonnent au-delà de leurs frontières sont issus d’un « grand remplacement », d’un gigantesque cirque culturel et ethnique où se retrouvent tous les gens qui ont faim. Faim de reconnaissance, de savoir, de richesse. Des milliers (sans doute pas assez) de migrants passent par la France pour rejoindre la Grande-Bretagne chaque année. Mais le scandale, ce n’est pas que ces personnes nous « envahissent », mais au contraire qu’ils voient en la Grande-Bretagne leur eldorado ! S’il y a un déclin de la France, il est là. Comment se fait-il que des étrangers, qui ont faim de liberté et de travail, soient prêts à mourir en traversant la Manche plutôt que de chercher à faire leur vie chez nous ? Cynthia illustre et met en scène ce mythe étrange et lointain (et que pourtant toutes les sociétés de consommation du XXᵉ siècle ont tenté de reproduire au point d’arriver à nous faire croire que ce modèle pouvait être aussi le nôtre), mais que faisons-nous du rêve français ? Du savoir-vivre à la française ? Ce rêve à construire en regardant vers demain est-il le rêve d’une France fantasmée d’hier, entre celle de De Gaulle et celle de Pompidou, ou est-il le rêve d’une France altruiste qui se définit parfois encore (et sans fondement historique) « pays des droits de l’homme » ? Est-il le rêve d’une France consciente qu’un étranger qui apprend sa langue, qui cherche à en adopter les mythes (mêmes, et presque toujours, faux), qui s’installe chez elle, non pour la détruire mais pour la faire grandir, est un atout pour elle ?

Le film, sinon ?… Eh bien, comment croire en un film dans lequel une fille de quinze ans possède un portrait de son père dans sa chambre ou dans lequel ce père interdit à sa fille de suivre des cours de chant parce qu’il craint pour sa santé fragile en rajoutant un peu de tabac dans sa pipe ?… Il y a des mirages plus crédibles ou plus enviables que d’autres.

Autrement, il faut l’avouer, il n’y en a que pour Elizabeth Taylor. Elle se démarque encore assez mal dans les séquences bavardes, elle minaude affreusement et récite comme toutes les petites stars de son âge. Mais dans les séquences où elle peut prendre son temps, quand on entend les violons (polonais) derrière ses yeux brillants (le public la connaît déjà bien en couleurs grâce à ses apparitions dans de précédents films pour la MGM, mais le film ici est en noir et blanc), le talent est évident. On sent aussi poindre par instants cette horrible voix d’oie qu’elle adoptera par la suite dans ses éclats plaintifs. Des cheveux noirs venant déjà contraster parfaitement avec sa peau blanche, un corps qui fait déjà tourner les têtes des hommes (quand son petit ami la voit descendre les escaliers, pour le coup, on n’a pas besoin de beaucoup d’efforts d’imagination pour croire à la situation). Et surtout, une interprétation remarquable dans un exercice compliqué : celui du chant. Aucune idée s’il s’agit de sa voix, mais la qualité de son interprétation à ce moment ne fait aucun doute sur ses capacités réelles. Autorité, maîtrise, variations, justesse, quel talent !… C’est peut-être un détail, mais un détail qui explique (a posteriori) beaucoup du talent qu’on lui connaîtra par la suite.


 

Cynthia, Robert Z. Leonard 1947 | MGM


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Les Sept Femmes de Barbe-Rousse, Stanley Donen (1954)

Note : 3.5 sur 5.

Les Sept Femmes de Barbe-Rousse

Titre original : Seven Brides for Seven Brothers

Année : 1954

Réalisation : Stanley Donen

Avec : Jane Powell, Howard Keel, Jeff Richards

La mélodie du bonheur conjugal… Du Broadway typique avec ce qui fait encore le sel des comédies musicales des années 50, à savoir un goût pompier pas encore insupportable.

La fable est un peu grossière, même si on a du mal à la juger aujourd’hui : elle joue habilement sur les stéréotypes conservateurs, voire barbares (mais pour une fois, les rustres ne sont ni mandarins, ni arabes, ni gitans, mais les sept nains grand format), pour affirmer une morale civilisée, donc féministe pour l’époque, mais qui passerait pour rétrograde aujourd’hui. En revanche, cet aspect western, adapté comme toujours aux fables les plus simples et les plus efficaces, pointe du doigt une réalité bien vue : sans les femmes, les hommes resteraient probablement des êtres primitifs et violents, incapables de structurer une société digne de ce nom.

Voilà pour la fable. L’intérêt est peut-être plus dans la performance, parfois acrobatique, des acteurs. L’acteur principal à voix de stentor en impose alors que le passage des dialogues vers le chant paraît parfois un brin ridicule (la comédie musicale des années 50, jusque dans les années 70, avec par exemple Un violon sur le toit, ne s’embarrasse plus des précautions des débuts préférant mettre en scène des « films de coulisses »), pourtant il garde toute son autorité grâce à une retenue impressionnante. Les batailles dansées (et pas seulement) sont une véritable réjouissance pour les yeux. Typique de Broadway encore, qui depuis les revues de Ned Wayburn tend à s’écarter toujours plus de l’esprit ballet pour créer des numéros basés sur des personnalités, de l’inventivité et de l’acrobatie.

Beau spectacle.


Les Sept Femmes de Barbe-Rousse, Stanley Donen 1954 Seven Brides for Seven Brothers | Metro-Goldwyn-Mayer


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Fast Workers, Tod Browning (1933)

Fast Workers

Fast Workers
Année : 1933

Réalisation :

Tod Browning

Avec :

  John Gilbert
Robert Armstrong
Mae Clarke

8/10 IMDb iCM

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L’obscurité de Lim

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Ni monstres, ni estropiés, après le désastre Freaks, Browning bénéficie d’un excellent scénario et s’exerce au classicisme de la MGM.

C’est tellement contre-nature pour Browning, que le monstre, c’est le film même. Un parfum d’Une femme dangereuse : pas encore un film noir, deux potes amoureux d’une même donzelle, et une même couleur réaliste, voire populo alors même que Cedric Gibbons s’efforce comme à son habitude de rendre tous les intérieurs chatoyant comme le réclame Irving Thalberg (la même année, il dirige Peg O’ My Heart)…

Browning, l’amoureux des personnages en marge, participant à l’effort de la MGM cherchant à devenir le studio le plus classe de l’âge d’or… si ça c’est pas de l’hybridation improbable… mais réussie pour Toddy.

Des acteurs impeccables (Mae Clarke, peut-être la femme la plus moderne de l’époque pré-code, capable à elle seule de sauver des distributions, comme elle le fera l’année suivante dans Nana…).

Fast Workers, Tod Browning (1933) | Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)


Stars in my Crown, Jacques Tourneur (1950)

Stars in my Crown

Stars in my Crown
Année : 1950

Réalisation :

Jacques Tourneur

Avec :

Joel McCrea
Ellen Drew
Dean Stockwell

8/10 IMDb iCM

Les Indispensables du cinéma 1950

Les 365 westerns à voir avant de tomber de sa selle

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L’obscurité de Lim

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No-western sans arme ou presque (ça commence par un coup d’éclat du pasteur pour s’intégrer à la communauté). L’accent est porté sur les relations entre les différents protagonistes et notamment l’opposition entre le jeune médecin athée et le pasteur. Celle-ci tourne très largement à l’avantage du dernier, mais assez curieusement, on échappe aux bondieuseries grossières. Au-delà de son penchant pour la religion, cette histoire parle surtout très bien de morale et de justice.

Aspect noir très appréciable avec utilisation notable d’une voix off et d’un noir et blanc très contrasté. Sublime reconstitution de l’Ouest également, avec un design soigné pour les intérieurs, loin des pétards de cow-boys ou des saloons faisant tomber pas mal de films du genre dans le folklore. L’autre Ouest, le plus intéressant, pas celui des mythes de la gâchette, mais du développement de la civilisation sur de nouvelles terres.

La version western du Journal d’un curé de campagne.


Stars in my Crown, Jacques Tourneur 1950 | Metro-Goldwyn-Mayer


Phantom Raiders, Jacques Tourneur (1940)

Phantom Raiders

Phantom RaidersAnnée : 1940

5/10 IMDb

 

Réalisation :

Jacques Tourneur

Avec :

Walter Pidgeon, Donald Meek, Joseph Schildkraut

Nick Carter, serial a grand succès pendant la première moitié du XXᵉ siècle et éclipsé pendant la seconde par James Bond…

De l’exotisme sous les tropiques, des Nick Carter girls (ici) idiotes, le charme irrésistible et pince-sans-rire de Carter, Nick Carter, le méchant parfaitement identifiable qui fait des bisous à ses canaris chéris, les hommes de main burnés, les explosions en haute mer, la repartie tirée à quatre épingles et… l’aide watsonienne qui passera à la trappe dans les James Bond au profit d’une James Bond girl de circonstance et opposée à l’autre maléfique…

Du serial vite oublié qui se suçote comme un petit bonbon.


 

Phantom Raiders, Jacques Tourneur 1940 | Metro-Goldwyn-Mayer


Le Point de non-retour, John Boorman (1967)

Redoublement post-bac

Note : 5 sur 5.

Le Point de non-retour

Titre original : Point Blank

Année : 1967

Réalisation : John Boorman

Avec : Lee Marvin, Angie Dickinson, Keenan Wynn, Carroll O’Connor, Lloyd Bochner, John Vernon

— TOP FILMS

Mystère, je double la note. Peut-être que l’amorce lancée par John Boorman avant le film pour l’ouverture de sa rétrospective a fait tilt, un peu comme une introduction loupée et nécessaire qui m’aurait manqué au premier visionnage : « Lee Marvin a été traumatisé par son expérience de la guerre dans le Pacifique, ce film, c’est une allégorie de ce qu’il y a vécu. » Il y a tout un côté “métaphysique”, cynique, désabusé et absurde, voire parfois franchement hilare tellement le type qu’interprète Lee Marvin est buté au point de ne plus voir sa vie qu’à travers les 93 000 dollars après lesquels il court.

La construction en puzzle est adroite. Possible qu’en amoureux du classicisme de La Forêt d’émeraude, j’avais trouvé Le Point de non-retour trop « nouvelle vague » (ce ne serait pas loin d’initier plutôt le Nouvel Hollywood : on retrouve de tels procédés dans Conversation secrète).

Vu une première fois en 2005. J’en avais tellement un mauvais souvenir que je n’avais pas prévu de retourner le voir. De mémoire je voyais ça comme un polar qui décollait jamais, avec un rythme lent et bizarre ; je pense aussi que je ne comprenais pas les motivations du personnage et que son comportement était trop incohérent (pour le coup, fort possible que le côté « le type revient de la guerre » ait fait tilt pour lancer l’ambiance, mais ça, c’est peut-être aussi parce que le début du film est trop confus ; on comprend mal la situation de départ avec ses va-et-vient charcutant le récit introductif entre passé et présent. Il y a un côté Comte de Monte-Cristo, avec l’île, la trahison, la vengeance, qui ne marche pas).

John Vernon est un des meilleurs acteurs quand il est question de se faufiler dans la peau d’un méchant… jusqu’à ce que Boorman lui enlève son slip. Ça doit être l’effet Troisième Homme : les films noirs revus par l’humour imperceptible et subtil des Britanniques.

Et Angie Dickinson est parfaite. Sa première scène est compliquée, et elle aurait pu se rétamer en beauté ; elle joue à la perfection la fille qu’on oblige à se réveiller et encore sous l’emprise des somnifères… Son personnage sert de contrepoint au mutisme et à l’obsession folle de Lee Marvin, qui, lui, tel le héros classique et frigide du western, ne jettera jamais un regard sur une des plus belles femmes du monde. Il faut des aidants dans toutes les histoires (sauf peut-être dans Le Samouraï ; et encore, il doit y en avoir, j’ai en tête que certaines scènes fameuses). Si on y croit, c’est qu’elle aussi a été chahutée par la vie : elle suit Marvin ni par intérêt ni par amour absurde ; elle se rattache à quelque chose de son passé qui lui semble rassurant et familier. Rencontre de deux solitaires que tout oppose.


Le Point de non-retour, John Boorman 1967 Point Blank | Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), Winkler Films


 


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L’Inconnu du palace, Dorothy Arzner (1937)

Bride et Préjudice

The Bride Wore RedThe Bride Wore RedAnnée : 1937

Réalisation :

Dorothy Arzner

5/10  IMDb

Avec :

Joan Crawford, Franchot Tone, Robert Young, Billie Burke, Reginald Owen

Typique des films de studio de l’époque : production mainstream réunissant la crème des artistes et techniciens sous contrat pour initier un projet coûteux mais parfaitement calibré pour le goût du public. Aucun risque, on assure avec ce que le spectateur connaît et apprécie déjà sans se soucier de faire un film ambitieux ou cohérent.

Résultat, un fric de fou dépensé mais aucun à-propos.

Une histoire, un film, pour la ou le raconter, il faut un certain sens des proportions, savoir quand couper des scènes inutiles, quand d’autres sont nécessaires pour éviter les raccourcis faciles, et pour ça il faut autre chose que les gros sabots d’un grand studio. Quand ce n’est pas la chance, c’est un cinéaste capable de prendre les bonnes décisions en dépit des vents contraires qui vous assurent ce savoir-faire… Et là, on a juste l’impression de voir un paquebot que personne ne dirige.

Dorothy Arzner assure dans le découpage ; les décors sont parfaits si on excepte les extérieurs parfois ridicules ; tous les acteurs sont formidables, mais à peu près tous à contre-emploi ; certaines répliques font mouche ; mais le sujet est ridicule, et personne n’est là pour redresser la barre de ce qui aurait été probablement impossible à rendre meilleur.

Le premier des talents, c’est celui du renoncement. On se compromet, on est aux ordres, ou pas. Triste de voir autant de talents filer à la catastrophe.

L’Inconnu du palace, Dorothy Arzner (1937) The Bride Wore Red Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)


Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche, Gregory La Cava (1933)

Nul prophète à la Maison-Blanche

Note : 2.5 sur 5.

Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche

Titre original : Gabriel Over the White House

Année : 1933

Réalisation : Gregory La Cava

Avec : Walter Huston, Karen Morley, Franchot Tone

Les deux premiers actes sont très bons (le premier au niveau des dialogues et de l’humour, le second pour la mise en place de petites idées utopistes du président), malheureusement, le troisième est une sorte de discours du Rebelle illustré par des maoïstes intégristes… Une demi-heure de conneries sans nom, propagandiste d’un autre temps, à coup de « on va faire la guerre à tous les méchants de la planète, nous, la race anglo-saxonne, parce qu’on n’arrive pas à nous mettre d’accord avec les autres, ces sous-développés ; on va leur montrer combien le christianisme va sauver le monde »…

Rarement vu un film se vautrer à ce point en commençant fort et finir ainsi dans la boue. Ne jamais faire confiance à des artistes pour trouver des solutions aux problèmes du monde. Toutes les utopies mènent à une forme de fascisme…

Reste les acteurs formidables et une mise en scène efficace. À se demander pourquoi Franchot Tone et Karen Morley ne sont pas devenus de véritables stars à cette époque. Leur talent est indéniable et ils sont tous deux plutôt charmants… Un petit côté trop lisse peut-être pour l’époque, un manque de fantaisie. On loue plutôt, pour franchir cette ultime marche de la gloire, l’impertinence, voire la sauvagerie ou un côté tendant franchement vers la screwball. Trop sages, trop policés. Soit. Mais avoir de tels seconds rôles dans une distribution, c’est un luxe. Dommage de les y voir dans un film qui les oublie trop vite.

Il est à noter aussi que cette rétrospective « élections américaines » à la Cinémathèque (en réalité plus une rétrospective sur la politique américaine) permet assez bien de pointer du doigt les errances jamais irrésolues d’un système en politique et cela quel qu’il soit. Depuis les Grecs (qui avaient inventé ce qui se rapproche le plus de la démocratie directe), les mêmes constats, le même espoir d’un monde meilleur, et toujours la nécessité de se résoudre à une seule conclusion : le monde évolue, change, progresse sans doute dans un sens sans qu’on sache souvent vers où, mais il avance seul, poussé par des forces souterraines qui sont presque toujours issues de la société civile ; le progrès, s’il existe, est presque toujours à mettre au crédit des avancées scientifiques, médicales ou technologiques. Aucune utopie n’a jamais fait la preuve de sa capacité à promouvoir le bien-être, le progrès ou le bonheur pour tous. Peut-être parce que justement, le monde et le progrès ne se nourrissent pas de bonnes intentions, et parce qu’aucun « programme » ne saurait satisfaire l’ensemble des populations ou « lutter » pour un hypothétique bien commun.


 

Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche, Gregory La Cava 1933 | Le Président dictateur, Gabriel Over the White House | Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer


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