Mr. Long, Sabu (2017)

The Brother from Another Planet

Note : 2.5 sur 5.

Mr. Long

Titre original : Misutâ Ron

Année : 2017

Réalisation : Sabu

Avec : Chang Chen, Shô Aoyagi, Yi Ti Yao

Mélange pour le moins étonnant, mais raté, entre thriller (variante tueur à gages) et film de festival (le film a d’ailleurs été sélectionné à Berlin). Le détour brutal que prend le film à la fin de son introduction pour suivre tout un développement inattendu de tueur pris en charge par des villageois, obligé de vendre des nouilles pour gagner son billet de retour au pays (il est Taïwanais et opère pour sa mission au Japon), n’est pas inintéressant. C’est même quelque temps assez réussi. Sabu est assez bon pour instaurer des ambiances à la Jean-Pierre Melville, entre Le Samouraï et Le Silence de la mer. L’intrusion du môme dans la vie du tueur… passe encore, mais celle parfois burlesque de cette troupe de villageois venant en aide à un inconnu ne parlant pas la langue du pays, voilà ce qui constitue peut-être la seule bonne réussite du film. Là où ça file droit en revanche vers la catastrophe, c’est quand ce qui est désormais devenu un film réaliste ou comique use des ficelles grossières du thriller de mauvais goût, voire du mélo dont seuls les Coréens s’autorisent encore à produire.

L’idée du détour et le changement d’identité, on le comprenait à ce moment-là comme un pied de nez au thriller, comme le dévoilement de la face réaliste qui compose chaque thriller codifié par tout un tas de scènes à faire. On aurait pu accepter un retour tout aussi brutal à la “réalité” du thriller dans une dernière partie, mais l’usage de tous les clichés liés à la pute au grand cœur dans sa partie centrale fout tout en l’air. Justement parce qu’avec un retour au réalisme, on n’était pas censé retrouver ce genre de personnages (la prostituée n’est pas ailleurs pas du tout intégrée aux séquences comiques assurées par les villageois). Là encore, on aurait pu l’accepter si on faisait prendre à ce personnage stéréotypé (trop souvent employé dans le cinéma asiatique) le même détour que celui pris pour l’assassin. Au contraire, Sabu ne cessera dans son développement de courir après les facilités et de nouveaux clichés : prostitution d’une fille qui pourrait être top model et rêve d’être ballerine, drogue, désintox forcée menée par le chevalier blanc, maquereau violent, talents aux fourneaux sortis de nulle part, guérison miraculeuse, début d’idylle entre la prostituée et le tueur, découverte du lien filial, etc. Le sommet de cette grande soupe de mauvais goût, c’est une longue séquence inutile en flashback pour nous raconter le passé de la mère prostituée. À partir de là, on a compris qu’on ne pourra plus revenir en arrière, Sabu ayant largement dépassé les limites de la soutenabilité.

Bien dommage, l’idée initiale n’étant pas mauvaise. Il y aurait presque un côté Kitano (tendance Été de Kikujiro) plus qu’avec Takashi Miike pour qui Sabu a occasionnellement fait l’acteur ou un côté Un monde parfait sur l’amitié entre un tueur et un bambin. Mais il aurait fallu assumer jusqu’au bout le pas de côté, la prise de distance avec les clichés du genre. Signe sans doute que depuis le début le mélange foutraque de genres faisait partie du plan et que l’idée de déconstruction du thriller, de pas de côté, n’en était pas une.


Mr. Long, Sabu (2017) | BLK2 Pictures, LDH Japan, Livemax Films, Rapid Eye Movies

Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo (2017)

Gueule de bois

Note : 4 sur 5.

Seule sur la plage la nuit

Titre original : Bameui haebyeoneso honja / 밤의 해변에서 혼자

Année : 2017

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Kwon Hae-hyo, Jeong Jae-yeong, Moon Sung-keun, Song Seon-mi

Peut-être le plus digeste des films très autocentrés du cinéaste. Oui, il nous y expose des événements plus ou moins en rapport avec sa propre vie et avec celle de son actrice principale (du moins, on peut l’imaginer), mais il faut reconnaître qu’après vingt ans à peaufiner un dispositif cinématographique et une écriture somme toute bien personnelle, le bonhomme sait y faire.

On retrouve globalement les acteurs qui se sentent probablement le plus à l’aise dans ce dispositif, car je n’ai plus grand-chose à dire sur les acteurs ou sur la manière d’aborder leur personnage… À ce niveau, tout est parfait, et le plaisir est là, celui de retrouver des acteurs pour leur charme et souvent pour leur second degré. L’ironie, c’est encore ce qu’il y a de plus charmant à suivre dans ces derniers films de Hong Sang-soo.

Concernant la forme, le cinéaste reste, cette fois, assez sobre (autant qu’il peut l’être, à l’image des personnages qu’il convie autour d’une table) : un leitmotiv burlesque au sens assez abscons (l’individu qui demande l’heure, qui suit les deux Coréennes à Hambourg et qui lave la porte-fenêtre un peu plus tard dans l’appartement), une construction en deux parties (départ après le scandale, retour au bercail où le scandale n’en finit pas de hanter le personnage principal). Et puis, une séquence qui se révèle être un rêve : une habitude chez Hong Sang-soo, un caprice d’étudiant, mais on est habitué, il est pardonné (surtout que ça ne fait que rajouter à la solitude de l’actrice et va donc ainsi dans le sens du récit, on échappe à l’effet de surprise et de mauvais goût habituellement rattaché au procédé).

J’attends toujours le chef-d’œuvre, cela dit. On est dans le haut du panier ici, mais il manque la marche supplémentaire qui me laisserait coi, ébahi et plein d’admiration. Elle a raison ton actrice, ta chérie ou ton personnage principal : arrête peut-être de raconter ta vie, pour voir, et mets-toi plus en danger, explore. Garde le meilleur de ton style, et imagine une histoire qui colle parfaitement avec la forme, mets-toi en quête d’une évidence, tente d’en faire peut-être à peine plus dans un sens, ou au contraire, tends vers plus de minimalisme ou d’incommunicabilité, de contradictions, d’injustice… Au travail, fainéant.

Sinon, je m’amuse à repérer les tics de langage auxquels les acteurs sont autorisés à avoir (dans le cas d’improvisation dirigée) ou dans son texte (toutes les séquences semblent être de l’improvisation dirigée, avec probablement un certain nombre de passages obligés, mais le cinéaste semble tout de même laisser beaucoup de champ à ses acteurs). Je n’ai remarqué qu’un « aille-go » qui est pourtant un tic de langage très courant chez les Coréens (équivalent à « zut », mais avec des variantes que j’ignore, mon traducteur vocal par exemple traduit ça par « oh, mon Dieu ! »), pas beaucoup plus de « keurenika » (« tu sais », balancé à la fin de chaque phrase pour ponctuer une discussion), en revanche, ça balance énormément de « créo », de « qeuré », de « qeuré-ka » (traduit par « ah bon », « d’accord », « bien », « tu crois ? »). Encore cinq cents ans et je suis bilingue. D’ici là, Hong Sang-soo aura produit quelques chefs-d’œuvre.

그래.


Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo 2017 Bameui haebyeoneso honja Jeonwonsa Film


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films coréens

Listes sur IMDb : 

MyMovies : A-C+

 

Liens externes :


Bacurau, Juliano Dornelles et Kleber Mendonça Filho (2017)

Note : 3 sur 5.

Bacurau

Année : 2017

Réalisation : Juliano Dornelles et Kleber Mendonça Filho

Avec : Bárbara Colen, Thomas Aquino, Silvero Pereira

Western futuriste avec des accents dystopiques qui s’affirment petit à petit au fil du récit. Pas sûr d’avoir compris le sens de l’allégorie : une petite ville perdue au cœur du Brésil, habitée par une communauté débrouillarde et nourrie à l’acide, vendu à une bande de touristes américains par le maire corrompu de la ville afin d’y venir faire un carnage… Ambiance Westworld et zoo humain : les politiques brésiliens qui vendent le saint Brésil au mal américain.

C’est plutôt bien construit dans son introduction, on apprend tout ça au fil de l’eau, mais la morale qui en ressort reste assez suspecte. D’autant plus que si le message, c’est que le Brésil est colonisé par l’Amérique (ou son esprit, ses valeurs), le film en montre un bon exemple en étant lui-même une sorte de sous-produits obéissants à tous les codes des films de genre… américains. Ç’aurait sans doute été plus efficace, moins grossier, en ne donnant pas de nationalité spécifique aux « touristes »… Pourquoi les films stupides ont-ils toujours besoin de s’encombrer d’un message trop lourd pour eux ? Tu aimes les films de genre, fais un film de genre. Tu veux y glisser un message ? Fais-le le plus discrètement possible…

Vite vu, vite oublié.


Bacurau, Juliano Dornelles et Kleber Mendonça Filho 2017 |CinemaScópio Produções, SBS Films, Globo Filmes


Sur La Saveur des goûts amers :

Top des meilleurs films de science-fiction (non inclus)

Liens externes :


Get Out, Jordan Peele (2017)

Just the Tube of Us

Note : 4 sur 5.

Get Out

Année : 2017

Réalisation : Jordan Peele

Avec : Daniel Kaluuya, Allison Williams , Catherine Keener

Il faut savoir se satisfaire d’un film d’horreur quand il est bon. Us avait été un tel supplice…

Le déclenchement des hostilités vient peut-être un peu tard (elles ne venaient pas bêtement bien trop tôt au contraire dans Us ?), si bien qu’elles sont vite expédiées. Reste que ce qui précède (et c’est sans doute aussi une raison de la réussite du film) se place davantage dans le registre du thriller psychologique que de l’horreur. Et c’est plutôt terrifiant. Ce que cache la belle famille, les motivations ainsi que les outils pour arriver à leurs fins, font peut-être tomber le film, le temps des révélations venues, dans la série Bée, mais hé, c’est un film d’horreur, hein. Aucune histoire de Stephen King, quelle qu’elle soit, une fois dévoilée, ne tient la route, alors pour un premier film, on ne fera pas trop le difficile…

Ce qui marche d’ailleurs, on le doit peut-être aussi aux moyens limités du film qui, c’est un classique dans la réussite des films de genre, l’oblige à ne pas trop en faire. Ce que le spectateur imagine est toujours pour lui beaucoup plus terrifiant que ce qu’il voit à l’écran… Les hostilités sanguines auraient commencé plus tôt, et le film aurait été moins à mon goût… Comme Us, donc.

Il faut prendre le film comme il est : un excellent premier film, et un rare film d’horreur, tendance thriller psychologique, qui tient la route.

La mise en scène de Jordan Peele se révèle tout à fait efficace. Les mouvements de caméra, notamment lors de la scène de la télévision (c’est pour beaucoup une question de rythme, et ici en particulier, de lenteur), la direction d’acteurs (jouer des zombies, ce n’est pas évident ; il faut aussi souvent savoir trouver des acteurs capables, par leur personnalité, leur allure, d’incarner un film tout entier, et Daniel Kaluuya a tout de la victime idéale, impuissante, naïve et terrifiée, tout en disposant d’un certain niveau d’intelligence et du charme pour nous inciter non pas à le prendre un peu trop facilement en pitié, mais à nous mettre à sa place et craindre pour sa vie), tout ça démontre que le garçon sait y faire et saura probablement par la suite nous proposer de bien meilleure qualité que ce qu’il a montré avec son film suivant. Le germe d’un nouveau M. Night Shyamalan peut-être, avec l’espoir de mon côté qu’il saura nous soumettre quelque chose de bien plus efficace que le réalisateur de Sixième Sens.


Get Out, Jordan Peele 2017 | Universal Pictures, Blumhouse Productions, QC Entertainment


 

Liens externes :

A Taxi Driver, Jang Hun (2017)

Le messager psychopompe dévoreur de kim

Note : 4 sur 5.

A Taxi Driver

Titre original : Taeksi woonjunsa

Année : 2017

Réalisation : Hun Jang

Avec : Song Kang-ho, Thomas Kretschmann

— TOP FILMS

Le mélange des genres, l’absence de subtilité habituelle ou le goût si particulier des Coréens pour tout ce qui a trait aux faits divers, en général, cela produit des effets sur moi assez surprenants : soit ça passe, soit ça casse.

Si j’ai une quasi-aversion systématique pour les films liés à des événements sordides (à l’exception de Memories of Murder), toutes ces caractéristiques protéiformes du cinéma coréen se montrent beaucoup plus digestes dans un œuvre comme celle-ci où le rapport au réel, s’il peut certes être rattaché à une expérience personnelle dramatique, l’est surtout beaucoup plus sous son angle historique. Le mélange des genres, quand il implique l’humour (ce qui consiste le plus souvent à employer Song Kang-ho), permet justement de résister aux écueils du ton sur ton et du manque de subtilité dont se rendent coupables beaucoup trop de films coréens…

Ce n’est pas pour autant la garantie d’un bon film : The President’s Barber (Hyojadong balsa), avec le même Song Kang-ho, mêlant comédie et événements historiques, n’était pas bien brillant.

Un autre ingrédient peut-être explique cette réussite. Même si l’on ne manque pas de tomber dans la sensiblerie et l’exposition sans fard de la violence quand elle se présente, durant ces événements de 1980, le récit ne perd jamais de vue l’élément moteur du film, l’enjeu déclaré des personnages : le journaliste allemand doit pouvoir remettre ses images et son reportage à sa rédaction. Que ce soit dans La Déchirure ou dans Hôtel Rwanda (même si j’ai un doute pour ce dernier), l’astuce sert de moteur efficace et évite de s’appesantir trop frontalement sur les événements. Une action resserrée dans le temps permet une tension plus grande et une adhésion plus stricte à un objectif fort et clairement défini. Et cela, même si le film ne fait pas l’économie de lignes narratives parallèles, avec un bon dosage, l’alternance entre les séquences accentue encore le rythme, avec une sorte d’effet « série ». Toutes ces lignes alternatives renforcent la ligne principale, là où un autre film, 1987 : When the Day Comes, sorti la même année mais traitant d’événements, comme son titre l’indique, plus tardifs, propose une narration plus éclatée.

A Taxi Driver, Jang Hun 2017 Taeksi woonjunsa | The Lamp

Il ne faut pas s’y tromper, il arrive qu’un contexte historique lourd serve de prétexte à montrer tout autre chose (et parfois très bien, comme dans Un Américain bien tranquille) tout en manquant de recul. Ici, au contraire, tous les éléments du film s’accordent pour illustrer cette nécessité de sortir de Corée ces images de reporter, et les événements qui en sont à l’origine, afin de les faire connaître au monde : l’amitié entre les deux personnages principaux, le journaliste et le chauffeur de taxi, ne va pas de soi et arrive un peu sur le tard. Plus qu’une réelle amitié, il s’agit plutôt d’un lien fort, conséquence directe d’avoir vécu ensemble des événements particulièrement brutaux. Ces instants de bravoure sont tout entiers tournés vers cette quête journalistique de la vérité à laquelle est lié malgré lui le chauffeur de taxi… L’emploi d’un élément ou d’un personnage étranger (on peut même dire que chacun des deux personnages est étranger au monde de l’autre, et en cela le film ajouterait à sa panoplie le film initiatique et l’apprentissage de la fraternité comme dans Rain Man par exemple) rend plus difficiles les problèmes de mises à distance du sujet. Son statut suppose inévitablement un rapport différent aux faits historiques. De manière habile, un personnage qui n’aurait pas été amené à se questionner sur les événements loin de ses préoccupations et de son champ de contrôle (presque symboliquement, puisqu’il est chauffeur de taxi obligé de sortir de sa zone habituelle), grâce à l’entremise d’un autre, étranger, en prend connaissance, et cela, malgré ses tentatives pour ne pas être trop impliqué par ce à quoi il assiste (à l’image d’un Han Solo, le personnage de Song Kang-ho ne se veut d’abord intéressé que par l’argent avant d’être comme « forcé » de s’engager davantage dans une noble cause). En tant que citoyen (et en tant que bon père de famille, appartenant à cette classe laborieuse coréenne ayant permis sous la dictature de faire de la Corée le pays qu’il est aujourd’hui), il ne peut pas rester aveugle devant un événement qui le dépasse et qui a fait de lui un témoin de la répression du régime.

Une sauce coréenne difficile à prendre donc. À moins que cette réussite soit liée à la seule mise en scène, et par conséquent à la capacité de Hun Jang à trouver chaque fois la juste distance avec son sujet (à moins encore que cette sauce doive sa réussite à l’interprétation des acteurs ou tout simplement, comme cela arrive souvent, au hasard).

Bref, le film marche pour moi parfaitement. D’ailleurs, gageons que la réalité des faits présentés comme réels soit, pour une part beaucoup moins avouable, largement inventée, mais allez savoir pourquoi, la bonne distance ou autre chose, cela fonctionne et permet d’être moins regardant ou suspicieux sur ces questions.

Pour ce qui est de l’humour, je suis peut-être plus sensible qu’aucun autre à certaines situations, pour en avoir expérimenté quelques-unes opposant Coréens et étrangers : le repas salvateur traditionnel coréen qualifié d’« un peu » épicé se révélant être très épicé, même si le kimchi serait, lui, plutôt acide, c’est une sorte de rite de passage obligé dans la culture coréenne. Hommage aussi à la façon bien personnelle qu’a Song Kang-ho d’engloutir son riz dans des feuilles de kim qui me rappelle bien des tracasseries : l’acteur ne se gêne pas pour les manger à pleine main alors que l’usage consiste davantage à rouler le riz dans le kim… avec ses baguettes, exercice pour le moins technique, impossible à réaliser sans l’aide extérieure d’un guide ou d’un chauffeur… Une manière, en un petit geste, de montrer en introduction que ce chauffeur de taxi ne s’embarrasse pas des règles et va toujours droit au but… Cocasse, mais ce trait de caractère ne manquera pas d’ajouter du piment à la sauce.


 

Effet Koulechov ?


Sur La Saveur des goûts amers :

— TOP FILMS

Top films coréens

Listes sur IMDb : 

Limguela top films

MyMovies : A-C+

Liens externes :


Si vous appréciez le contenu du site, pensez à me soutenir !

Unique
Mensuellement
Annuellement

Réaliser un don ponctuel

Réaliser un don mensuel

Réaliser un don annuel

Choisir un montant :

€1,00
€5,00
€20,00
€1,00
€5,00
€20,00
€1,00
€5,00
€20,00

Ou saisir un montant personnalisé :


Merci.

(Si vous préférez faire un don par carte/PayPal, le formulaire est sur la colonne de gauche.)

Votre contribution est appréciée.

Votre contribution est appréciée.

Faire un donFaire un don mensuelFaire un don annuel

Wonder Woman, Patty Jenkins (2017)

Pompier de service

Note : 4 sur 5.

Wonder Woman

Année : 2017

Réalisation : Patty Jenkins

Avec : Gal Gadot, Chris Pine, Robin Wright 

Plutôt étonné du résultat. J’avoue que je me pointais devant cette soirée TF1 sans grand enthousiasme. Le début n’est pas si vilain, c’est même beau à voir dans le genre cité insulaire paradisiaque à la Seigneur des anneaux. Guère convaincu au début par le jeu d’actrice de Gal Gadot ; encore moins par celui de Chris Pine qui, chaque fois que je l’ai vu, me fait penser à un sous Matt Damon ; le film réussit en fait à me prendre par les sentiments et à me gagner par son humour résolument… féministe (si tant est que ça veuille dire quelque chose). C’était même une expérience plutôt étrange de ne pas être convaincu par les acteurs et de se bidonner malgré tout des audaces et des gentilles et piquantes trouvailles du scénario de la première heure.

D’autres doutes pointent le bout de leur pique un peu avant les premières batailles sur le « front », et je commence à faire mon rabat-joie (si, si)… Tout de même, n’y aurait-il pas un peu de grossophobie et de laidophobie derrière tout ça ? La « grosse » est forcément pleine d’humour et au service des autres ; et les « laids » (en particulier, la fille magnifique, chimiste du Reich, sévèrement enlaidie pour l’occasion) sont forcément dans le camp du mal. Je suis toujours un peu taquin avec le féminisme (surtout dans un film qui selon moi est le pire moyen pour faire passer aussi ouvertement une morale ou une idéologie — ça passe beaucoup mieux en soft power), alors vous pensez bien qu’un film dont il se raconte qu’il pourrait être féministe (ou pas, selon les interprétations), il fallait bien que je vienne y mettre mon grain de sel…

En ce qui concerne le féminisme supposé du film (tendance « représentation de la femme au cinéma »), franchement, on est loin du compte : il ne fait pas de doute que le message intrinsèque et/ou involontaire véhiculé dans le film, c’est celui que la femme idéale est forcément belle, et accessoirement… toujours une princesse (c’est un piège de toute façon auquel personne ne pourrait échapper avec une telle adaptation : il faut respecter un tant soit peu l’image sculpturale du personnage original). Si l’on regarde le film cette fois sous l’angle de l’égalité des sexes, et si l’on juge par conséquent son refus de tomber dans certains clichés et codes montrant la femme comme évidemment plus faible et à la merci des hommes (ou d’un homme, celui à qui elle plaît et à qui elle se doit alors d’être soumise à ses désirs), on est là encore loin de la perfection. Si Diana montre une certaine audace et indépendance d’esprit vis-à-vis de sa mère, dès qu’un homme entre dans sa vie, elle redevient curieusement une petite fille docile (ce qui, en plus, n’est pas tout à fait conforme à l’idée assez asexuée du personnage original parfaitement rendu dans la série et qui lui donnait une autorité certaine — une sorte de caractère infaillible à la John Wayne — mais c’est vrai aussi que l’humour de la première heure tient dans cette posture contrastée entre petite fille tout émue par l’arrivée de cet homme providentiel et son éducation amazone).

Ce n’est pas tout de balancer quelques répliques qui piquent et chatouillent le patriarcat sous le scrotum et de jouer les dures quand il est question de se battre au milieu de tous ces virilistes en uniforme. Il faudrait peut-être aussi que Diana montre au mâle qui lui plaît, quand vient le moment de le séduire, que contrairement aux femmes pas encore tout à fait émancipées de son époque, l’insoumission totale aux hommes est pour elle une évidente nécessité. Pourquoi devient-elle tout à coup soumise quand ils s’enlacent pour une petite danse, et pourquoi arrivés dans la chambre, elle est clairement en position d’attente vis-à-vis de son amoureux ? L’insoumission réclamée et légitime, elle commence là. Si l’on a des femmes (ou des féministes) qui attendent toujours dans ces circonstances particulières que l’homme fasse le premier pas (signe qu’elles se soumettent à ses désirs au lieu de se mettre, elles, à commencer à prendre l’initiative), il y aura toujours une forme de schizophrénie dans le féminisme de ce siècle. La femme ne doit pas attendre que l’homme guide ou soit le seul moteur des décisions, et cela, dans tous les domaines. Celui (ou donc celle) qui est souvent le plus audacieux, le plus conquérant, c’est parfois celui qui gagne la partie, quitte parfois à imposer ses vues aux autres qui se satisferont de cette position d’attente. Et c’est aussi en ça que les femmes se retrouvent toujours sous-dimensionnées si on peut dire par rapport à certains hommes qui osent toujours tout et tout le temps. S’il y avait une femme qui aurait pu montrer cette voie, cette audace d’action jusque dans l’expression de ses désirs (comme les femmes des pré-code films dans les années 30), c’était bien cette Wonder Woman. Et cela, malgré sa jeunesse. C’est typiquement ce que certains appellent le male gaze, or ces séquences de séduction sont réalisées par une femme. (Oui, c’est un argument de plus pour moi pour dire que cette idée de regard sexué pour un cinéaste n’existe pas.)

Malgré ça, je dois avouer que le film a finalement su me convaincre également à travers ses scènes d’action. C’est stupide, mais j’adore la danse, la chorégraphie pour être plus précis, et il y a dans les batailles ou les scènes d’action, dans certains films parfois, une recherche purement formelle qui peut presque miraculeusement donner quelque chose d’élégant ou tomber inexplicablement à plat (John Woo en est un bon exemple). D’abord, dans un univers aussi gris et sombre, les couleurs bariolées et excentriques, presque kitsches, de Diana, j’avoue que ça fait son petit effet. Ensuite, si j’étais déjà fan de la série, il y a toujours eu une forme d’élégance chez Diana qu’on ne retrouvait pas par exemple dans… Xéna la guerrière. Pourtant, Gal Gadot, au niveau de l’élégance, elle est un poil en dessous de Lynda Carter. Cette manière de se tenir étrangement, les épaules en arrière et la tête en avant comme un vautour, ça n’a pas vraiment grand-chose à voir avec le maintien d’une reine, mais plutôt avec celui d’une adolescente rebelle et fâchée… Là où en revanche Gal Gadot, bien aidée sans doute par les effets spéciaux, fait mieux que Lynda Carter, c’est dans le côté athlétique. La danse acrobatique, c’était une des disciplines de base dans les principes et les cours donnés par Ned Wayburn, le chorégraphe des Ziegfeld Folies. La mise en scène reprend les ralentis apparus depuis Gladiator je crois, mais c’est particulièrement pertinent ici parce que ça met bien en valeur les pirouettes gravitationnelles des Amazones et donc de Diana.

Et puis, j’ai beau pester contre la laidophobie (et donc plus globalement contre une répétition un peu stupide pour un film présenté comme féministe des clichés sur l’indispensabilité de la beauté pour une femme parfaite), ainsi que la posture ou le jeu de Gal Gadot, l’actrice a tout de même… une longueur de jambes, des yeux d’un noir profond et un sourire pas vilain qui, par Zeus…, m’ont fait oublier tout rapport possible au féminisme et rappelé à mes vicieux biais de spectateur mâle privilégié, et ainsi fait goûter à la morale finale bien avant la fin (du film, pas de ma phrase) : « Si les hommes sont capables du pire en matière de violence, ils sont aussi capables d’amour… Ah, l’amour ! L’amour (aveugle), toujours l’amour ! » La société nous permet-elle encore de tomber amoureux des actrices de cinéma ? De fantasmer sur elles jusqu’au point de se surprendre malgré soi à reluquer leurs jambes et leurs courbes avantageuses ?… C’est encore autorisé ? Eh, bien, allons-y alors. Je suis fou de Gal Gadot, et ça, ce n’était pas gagné. (Beau joueur, je la laisserai, elle, se jeter à « lasso » vers moi.)

Une image de synthèse en train de danser. Wonder Woman, Patty Jenkins 2017 | Warner Bros., Atlas Entertainment, Cruel & Unusual Films, DC Entertainment, Dune Entertainment, Tencent Pictures, Wanda Pictures


Pour en finir avec le supposé féminisme du film, j’avoue que ça me fait joyeusement rire (je ne parle pas des petites répliques et situations du début du film), et je repense aux idéologies retournées comme des crêpes dans les films. Mon exemple de référence, c’est Tueurs nés où la confusion entre violence et dénonciation (vaine) de la violence desservait totalement le film. Ici, c’est le contraire. Non seulement je prends un plaisir coupable devant un tel spectacle rococo et pyrotechnique, mais la confusion du message censé être féministe me régale. Et cela, non pas parce que je me réjouirais que le féminisme se vautre wonderfolliquement, mais parce qu’au fond, au-delà du fait que ça fasse malgré tout réfléchir quant à la possibilité ou de la pertinence de mettre aussi ouvertement (ou tragiquement) une idéologie au cœur d’un film, cela montre surtout l’impossibilité de définir ce qui devrait être pro ou antiféministe. Et pas que dans un film. Et que plutôt de mettre au centre du « débat féministe » certains sujets indéfinissables, creux ou eux-mêmes, ironiquement, stigmatisants (le male gaze, le patriarcat, le manspreading, le mansplaining, le manterrupting, la rape culture, la charge mentale, etc.), on aurait tout à gagner à chercher à adopter des comportements « égaux », quelle que soit la personne, et identifier des problèmes d’inégalités bien réelles et bien spécifiques sur lesquels, potentiellement, on a prise. Si un film véhicule malgré lui une certaine idée de la femme, eh bien, j’aurais tendance à dire que c’est un film, on peut (et on doit) certes essayer de viser un changement des comportements à travers le cinéma (tendance soft power toujours), mais difficile de légiférer sur la créativité. En revanche, il serait beaucoup plus facile de le faire dans la publicité et dans les médias (tout comme il ne me semble pas bien compliqué de rendre les protections hygiéniques gratuites, ramener le nombre de jours de congé de paternité à celui des femmes et les rendre obligatoires, pousser pour la parité dans les conseils d’administration, les assemblées, etc.).


Sur La Saveur des goûts amers :

Top des meilleurs films de science-fiction

Listes sur IMDb :

MyMovies: A-C+

Liens externes :


120 Battements par minute, Robin Campillo (2017)

120 Battements par minute

Note : 4 sur 5.

120 Battements par minute

Année : 2017

Réalisation : Robin Campillo

Avec : Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel,
Antoine Reinartz

Une entrée assez peu convaincante, résultat de séquences brouillonnes en réunion collective de l’association Act Up, entre mélange d’improvisation et de passages obligés qui ne tire franchement pas le meilleur des acteurs. Les actions de l’association sont par ailleurs assez discutables et n’aident pas non plus à adhérer rapidement à la galerie de personnages proposée.

Tout rentre peu à peu dans l’ordre : les réunions paraissent mieux dirigées, et les trois acteurs principaux arrivent par leur justesse recouvrée à nous faire croire à leur histoire et à nous intéresser à leur lutte.

Paradoxalement, moi qui tourne de l’œil dès qu’une scène de cul pointe le bout de son téton ou dès que des acteurs s’embrassent, peut-être la séquence la plus réussie du film, ou peut-être la première m’ayant réellement convaincu, c’est précisément une scène de cul : l’astuce, c’est qu’on y papote beaucoup, et qu’on n’y raconte pas les banalités habituelles, ce sont des échanges qui précisent bien l’histoire des personnages et leur personnalité.

J’ai même résisté à la tentation de rouler des yeux à chaque intervention d’Adèle Haenel, c’est dire l’exploit. Toujours aussi peu convaincu par l’actrice ; elle trouve ici pourtant un rôle qui lui va comme un gant, plutôt à l’aise dans l’improvisation, mais incapable quand elle apparaît au second plan d’être crédible en actrice faisant semblant de discuter (ou d’écouter). Elle n’est pas la seule d’ailleurs, gérer l’attitude, le jeu, de tout un troupeau de figurants censés faire autre chose que d’avoir le cul posé sur une chaise, voilà qui relève de la gageure. Au moins Haenel est à sa place dans ce film, c’est-à-dire à celle d’une actrice de second plan dans un rôle de personnage antipathique.

Si le film tient par conséquent si bien la route, c’est principalement, et surtout, grâce à ses trois acteurs principaux. Le trio amoureux homosexuel est à peine dessiné, même s’il s’impose sur la longueur au détriment de la lutte associative, le film se présentant presque d’abord comme un film corral venant à se recentrer sur ces trois-là dans le cœur du film, mais sans jouer de tous les ressorts dramatiques sentimentaux (voire les excès hystériques d’un cinéaste sentimentaliste, et épuisant, comme Xavier Nolan). Le côté historique du film, éclaté sur différentes époques (en suivant presque le rythme des réunions hebdomadaires d’Act Up), aide à prendre une distance nécessaire afin d’éviter au film de tomber dans ces excès de sentimentalisme. Un peu comme si le film avait trouvé son rythme, et son équilibre, en s’appuyant tantôt sur son fond associatif et historique, tantôt sur son versant plus personnel et plus dramatique.

On en est presque à une écriture en tableaux, limitant les possibilités d’excès dramatiques d’une séquence à l’autre selon un principe d’escalade vers un climax dramatique ; cette structure suit ainsi plutôt les principes de la distanciation. Ce type de technique dramatique (notamment chez Mizoguchi) a toujours eu ma préférence, en particulier dans les mélodrames justement parce que les procédés de mise à distance permettent de rendre plus digestes les passages ouvertement mélodramatiques. En ce sens, la question mélodramatique (celle de ces excès) du film n’en est plus réellement une, étant entendu que l’argument principal du film est avant tout historique, et donc informatif (selon les bons principes de la distanciation, le procédé a bien une ambition didactique) sans pour autant gommer totalement le versant émotionnel du film, surtout à la fin (c’est ce jeu d’équilibriste entre identification et distanciation qui interdit les trop grands excès).

On en apprend ainsi un peu plus sur le fonctionnement et la politique d’une association active dans les années 90 dont les techniques agitprop sont reprises aujourd’hui par d’autres mouvements associatifs ; et on retrouve la situation épidémique du sida dans ces mêmes années, à une époque où on ne parle plus comme à l’époque de cette épidémie (contrairement à ce qui est avancé par les activistes d’Act Up repris dans le film, on était particulièrement bien informé à l’époque, plus qu’aujourd’hui) et où certains aspects (politiques ceux-là) de l’épidémie en rappellent une autre en 2020. Là encore, c’est un paradoxe, ce qui pourrait se faire froidement sans en venir à s’intéresser aux relations sentimentales de quelques personnages, permet d’y arriver grâce à une alchimie qui m’échappe encore mais qui pourrait donc bien venir tout bonnement du talent de ces trois acteurs. Je vante rarement le talent d’acteurs (notamment français, et notamment masculins), ce n’est donc pas un petit exploit.

Je ne félicite pas en revanche la coiffeuse et la costumière du film, tout cela a bien trop l’apparence des années 2010 (vêtements portés trop près du corps — même pour des homosexuels — et pas assez flashy, coupes de cheveux à la tondeuse électrique à une époque où George Michael donnait encore la tendance, et la tendance était bien plus long que ça) (même s’il faut être honnête, si le film avait déployé tous les efforts possibles pour coller à une réalité historique, je n’aurais pas hésité à dire qu’il s’agissait d’efforts accessoires).

J’ai bien ri quand l’acteur principal a dit « 850 francs », je veux bien que l’acteur soit argentin, mais on sentait bien dans sa bouche que c’était la première fois qu’il utilisait cette expression (je compte encore en francs). Au niveau des dialogues encore, j’ai relevé deux répliques qui m’ont fait sourire pour leur justesse : « On ne s’apprécie pas beaucoup, mais on est quand même ami, non ? » (on sent le haut niveau d’intelligence sociale) et le « Moi, c’est Sophie » d’une Adèle Haenel se présentant à la mère du défunt et espérant en retour une réaction du genre « ah, mais oui, Sophie, la Sophie, la fameuse Sophie… » et qui ne voit rien venir (en une seconde, son personnage comprend qu’elle est personne, joli moment de solitude).


 
120 Battements par minute, Robin Campillo 2017 | Les Films de Pierre, France 3 Cinéma, Page 114

Sur La Saveur des goûts amers :

Top Films français

Listes sur IMDb : 

MyMovies: A-C+

Films français préférés

Liens externes :


La Lune de Jupiter, Kornél Mundruczó (2017)

Note : 3.5 sur 5.

La Lune de Jupiter

Titre original : Jupiter holdja

Année : 2017

Réalisation : Kornél Mundruczó

Avec : Merab Ninidze, Zsombor Jéger

Après Les Fils de l’homme, voilà Le Fils de Dieu. Si on prend le film pour ce qu’il est avant tout, un film d’action efficace, c’est assez réussi et plutôt divertissant. Faut-il encore éviter de porter un peu trop attention aux significations ou indices religieux qui parsèment ici ou là le récit. Autrement, ça deviendrait franchement lourd.

On en serait resté à une allégorie de l’Europe fermée sur elle-même et réfractaire à l’idée d’accueil d’étrangers forcément poseurs de bombes, sans trop non plus tirer sur les ficelles des évidences, ç’aurait été encore mieux. Parce que l’allégorie, là, religieuse ou biblique, ce n’est vraiment pas finaud.

À côté de ça, le mélange entre film de genre(s) et film « intelligent » est surprenamment bien maîtrisé et pas désagréable à regarder.

Bref, pour de la SF dystopique faite avec les moyens du bord (une Europe alternative, très proche de l’actuelle, nécessitant donc peu de moyens sinon narratifs), connaissant l’extrême difficulté du genre à convaincre, il ne faut pas bouder son plaisir, c’est si rare. On peut ainsi tout particulièrement goûter les scènes en plan-séquence caméra à l’épaule entre Cuarón et László Nemes. En revanche, aucune séquence de lévitation n’est réussie, ou crédible.


 

La Lune de Jupiter, Kornel Mundruczo 2017 Jupiter holdja | Proton Cinema, Match Factory Productions, KNM, ZDF/Arte


Sur La Saveur des goûts amers :

Top des meilleurs films de science-fiction

Listes IMDb : 

MyMovies: A-C+

Liens externes :


Ni juge, ni soumise, Yves Hinant, Jean Libon (2017)

Note : 2 sur 5.

Ni juge, ni soumise

Année : 2017

Réalisation : Yves Hinant, Jean Libon

Méthode de documentaire à la Strip-tease offrant un regard distant, sans commentaire ou parti pris avec son sujet. C’est plutôt louable, mais à la fois aussi la seule qualité du film et celle qu’on pourrait justement attendre d’un juge dans l’exercice de sa fonction. Le problème est bien là. Le personnage dépeint dans le film est insupportable et questionne même la déontologie de sa profession : qu’est-ce qu’un juge ? Est-ce qu’un con, exprimant la grandeur de sa connerie dans le cadre d’une profession où il est amené à exercer de lourdes responsabilités sur le devenir des autres, a-t-il le droit ainsi de manquer de respect à tous, voire à s’émanciper des lois qu’il est censé faire respecter ?

Je ne connais pas les usages judiciaires en Belgique, pas beaucoup plus en France, et ne sais par conséquent pas jusqu’à quel degré de libertés les juges d’instruction peuvent s’autoriser dans leur exercice du pouvoir. En revanche, sur la seule question éthique, pas besoin d’être expert pour comprendre que ces méthodes sont révoltantes. Tout dans ce personnage en fait, il y a le contraire de ce qu’on pourrait être en droit de demander et d’attendre d’un juge : partialité permanente, insolence envers certains prévenus (presque toujours des hommes issus de l’immigration) et empathie envers d’autres (quand ce sont des femmes, même pour une femme s’expliquant sur son infanticide), abus d’autorité (dont elle peut même s’amuser comme quand elle demande, hilare, à un policier de jouer de la sirène pour éviter les bouchons), non-respect de la parole des prévenus (elle leur coupe la parole, les menace, s’autorise des commentaires déplacés, refuse aux avocats de s’exprimer…) et même racisme.

On fait passer ça pour de l’excentricité, ça ne me poserait pas de problème si cette excentricité s’exprimait en respect avec la bonne pratique de son travail. Voilà une belle illustration malheureusement de l’idée qu’une partie des maux de la société est issue du mépris d’une certaine partie de la population pour une autre, toujours prête à lui savonner la planche pour que surtout elle ne dispose pas des mêmes droits qu’elle. Comme l’impression de voir la justice d’un autre siècle avec laquelle le pauvre est par nature coupable de sa misère, non pas seulement des actes qui lui seraient reprochés, mais aussi encore plus de sa condition misérable à laquelle on lui refuserait le droit ou la possibilité de s’extirper. Croit-on qu’un homme, coupable ou innocent, ainsi (pré)jugé pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a fait, sortira de cette expérience judiciaire en faisant profil bas et en suivant le droit chemin ? Je n’y crois pas une seconde. Un homme à qui on dit qu’il est non seulement coupable de ses actes, mais aussi, par nature, de sa condition, retournera au monde avec une nouvelle obsession, celle de se venger de ceux qui l’ont (sur)jugé. Un type lui jure qu’il ira se battre en Syrie pour avoir été traité, et sans qu’on daigne l’écouter, comme un coupable et non comme un être humain : qu’une telle menace soit ou non suivie d’une quelconque radicalisation, c’est déjà le signe que la justice va de travers et qu’au lieu d’aider les hommes à se grandir, elle ne soit au contraire que l’outil d’une partie de ceux-ci servant à dénigrer et à rabaisser une autre qui est déjà à genoux. Qu’est-ce que Victor Hugo disait déjà, cité dans le film de Ladj Ly, au sujet des bonnes, des mauvaises herbes et des cultivateurs ?…

Ni juge, ni soumise, Yves Hinant, Jean Libon (2017) | Le Bureau, Artémis Productions, France 3 Cinéma



Liens externes :


Mudbound, Dee Rees (2017)

Note : 2.5 sur 5.

Mudbound

Année : 2017

Réalisation : Dee Rees

Avec : Jason Clarke, Carey Mulligan, Garrett Hedlund

Guimauve en noir & blanc hypocrite formaté comme il faut pour les prix.

Honorer les braves d’hier, c’est une manière pratique de fermer les yeux sur les victimes d’aujourd’hui. Dans cette veine de films bon teint enfonçant les portes ouvertes sur le racisme. Il n’y a guère que Green Book qui sort du lot dans ce registre, ces dernières années (et de ce que j’ai pu voir bien sûr), peut-être justement parce qu’il sort du formatage du film d’époque en proposant une relation inversée d’un Blanc au service d’un Noir.

Parce qu’ils sont fatigants ces films américains traitant du racisme d’hier (on croirait presque voir une nostalgie de cette époque, un comble) et applaudissent en masse par une armée de petits critiques blancs qui se trouvent, bien sûr, en rien égratignés par un tel film, et qui ont tout intérêt à louer le message faussement antiraciste du film. Le racisme d’hier n’aide en rien la compréhension et la lutte contre les racismes d’aujourd’hui. Au contraire, je pense qu’il sert à se donner bonne conscience et à ne rien changer sur ses propres petits réflexes d’exclusion ou de jugements hâtifs.

Dans les années 50, le Sud nous racontait l’histoire d’un homosexuel, la jambe dans le plâtre, hantée par la perte de son meilleur ami (Une chatte sur un toit brûlant, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres). Pas une histoire de couleur, certes, mais on dirait qu’en 2017, Hollywood n’est plus aussi en avance qu’autrefois sur ces questions de mœurs. Il semblerait presque qu’on en soit encore à offrir des rôles à Sidney Poitier dans lesquels il fait ami-ami avec un Blanc… Devine qui vient dîner ?… En somme, un demi-siècle que l’Amérique fait du surplace, recule même. Et plus, ces histoires semblent sorties des ateliers d’écriture de Disney, plus on applaudit. Surtout, ne froisser personne. La dictature douillette du politiquement correct.

Paradoxalement (paradoxe allemand, on pourrait dire), la seule note originale du film, bien que très convenue (et servant de happy end au film), c’est le retour du sergent noir chez sa blonde. Ici, on ne va pas se mentir, je doute qu’il y ait eu beaucoup d’histoires d’amour de ce type à la fin de la guerre, qui ne soit pas en réalité de sordides histoires de viol, plus en tout cas qu’en France libérée. Mais c’est peut-être parce que là enfin, on sort justement des clichés, tout en gardant cette naïveté bien léchée qui inonde tout le film, que cette conclusion avait réussi à m’émouvoir. Un bonheur simple de retrouvailles sans chichis ni trompettes. Un amour sincère et digne. Il était temps.


 

Liens externes :