Happy-Go-Lucky, Mike Leigh (2008)

Note : 4 sur 5.

Happy-Go-Lucky

Titre français : Be Happy

Année : 2008

Réalisation : Mike Leigh

Avec : Sally Hawkins, Alexis Zegerman, Eddie Marsan, Samuel Roukin, Kate O’Flynn, Sarah Niles

Le rôle d’une vie pour Sally Hawkins. Félicitons Mike Leigh pour avoir flairé la chose. Si l’on s’en tient à ce que dit Leigh (à savoir qu’il n’a jamais varié dans son dispositif créatif), il aurait choisi de travailler avec l’actrice avant l’élaboration d’un scénario. Sally Hawkins ne s’était guère fait remarquer jusque-là sinon dans une apparition justement sur un précédent film du cinéaste britannique : Vera Drake. Peut-être l’a-t-il vue au théâtre, whatever.

Sally Hawkins est de ces actrices sur qui tout un film peut reposer. Il ne s’agit plus (comme on leur demande souvent) de gommer leur personnalité (extravertie, délurée, lumineux), mais de s’appuyer dessus et de la rendre plus expressive. Si l’on en croit encore Leigh (et il faut toujours douter des prétentions des artistes), les personnages improvisés lors du travail préparatoire sont des familiers des acteurs (cela pour faciliter la compréhension du personnage sans doute, voire, et c’est un piège à mon avis, pour les imiter). Je parierai que pour une fois Leigh a fait le contraire et choisi l’actrice afin de lui écrire ce rôle sur mesure. C’est le mystère des grands et jolis films : les navets, leurs défauts apparaissent sans difficulté, et même si l’on se trompe dans nos prétentieuses hypothèses, peu importe… On est déjà plus respectueux face au talent. Le rôle serait de la pure composition (comme on en trouve trop à mon goût dans le cinéma faussement social de Leigh), on l’aurait vu dans tout autre chose. C’est peut-être le cas (depuis), mais, hasard heureux, Arte a justement passé, il y a quelques jours, Fleur du désert, film dans lequel elle interprète un personnage en tous points identique à celui de Poppy et sidekick du personnage principal.

Ce personnage, sorte de Sancho Panza au féminin, c’est celui d’un clown ahuri, lumineux et, parfois, pour le moins inconséquent (ce moment de justice rétablie quand, tout d’un coup, l’archétype du second rôle passe au premier plan). Son professeur de conduite acariâtre, par exemple, et avec qui elle forme un formidable duo de clowns dans la tradition de l’opposition de caractères (voire de la commedia dell’arte ; ici, un clown excentrique et espiègle face à un clown triste et soupe au lait) lui demande de grandir un peu et peine à croire qu’elle puisse se faire obéir par une classe de trente jeunes élèves. Le truc, comme chez les clowns encore, c’est que c’est bien son comportement à lui qui la rend hilare. En dehors de ce duo improbable et récurrent avec le moniteur d’auto-école, Poppy compose un autre duo, pouvant là encore laisser penser aux clowns, cette fois, avec sa colocataire de longue date : le clown excentrique, face à un clown sage et blanc. (On pourrait y ajouter sa sœur, variante de l’Auguste vulgaire et taciturne.)

Je me fourvoie peut-être, mais ça sent tout de même de loin la formation de clown pour au moins une ou deux des trois actrices. Dans une école de clown, on vous demande de construire un clown personnel, qui vous ressemble et qui soit ancré dans le réel. C’est le contraire des caricatures ou de compositions qui se rapprochent de « performances » de la « method » que l’on peut voir dans la plupart des comédies de Leigh. La caricature se fait du haut vers le bas, presque toujours, et j’ai déjà expliqué en quoi ça me posait problème. C’est tout l’intérêt pour les clowns de partir de soi. La caricature est d’abord une caricature de soi-même. On apprend à se regarder, à s’accepter, puis on caricature ses propres travers, on grossit ses traits les plus marquants. Certains clowns peuvent toujours s’aventurer à créer un personnage de clown à partir d’un voisin ou d’une caricature préexistante, ce ne sera jamais aussi honnête et sincère que le clown qui part d’un matériau déjà disponible. Mike Leigh a expliqué qu’il ne fonctionnait pas ainsi, soit. Je doute toutefois qu’il ait procédé selon ces principes sur ce film. Non pas que je doute que sa méthode puisse finir par me convaincre à produire des comédies pleinement réussies (selon mes standards de grincheux misanthrope ayant raté sa vocation de professeur de conduite ou d’autre chose), mais ce n’est pas ce que je devine (ou penser deviner) à l’écran. Si Mikey veut m’inviter à prendre un verre pour me prouver du contraire, je me laisserai convaincre volontiers (Sally Hawkins est tout aussi disposée à venir me convaincre puisqu’il est évident qu’elle sera un jour amenée à lire ces lignes).

J’ai lu ici ou là qu’un tel personnage serait insupportable dans la vraie vie. Oui, c’est le principe. Qui voudrait d’un clown à deux pas de chez lui (ou d’un indélicat mettant sa radio à fond au camping, pour reprendre une des situations humoristiques de Nuts in May, le premier succès de Mike Leigh) ? L’humour et l’horreur ne fonctionnent pas forcément différemment. On enferme les sentiments qu’ils provoquent dans des boîtes (le théâtre, le cinéma), et on les garde bien à distance pour voir ce qu’elles renferment. L’humour, c’est une logique de mise à distance. Théâtre et cinéma, mais aussi l’humour de chaque instant, servent à exorciser nos peurs, nos dégoûts, nos craintes. Ils font œuvre de catharsis. Montrer les monstres pour mieux les appréhender. Un clown, on veut donc le voir comme on prend à heure prédéfinie des cours de conduite avec l’auto-école du coin. Pas qu’il saute sur nous par surprise. Ses excentricités doivent être balisées (quand il sort des limites de la piste, on en est presque hilare, mais justement parce qu’on touche du doigt une forme de terreur à l’idée d’être pris pour cible). On va au cirque comme d’autres vont chez le psy. Voilà pourquoi on peut prendre un infini plaisir à retrouver certains personnages à l’écran qui seraient infects dans la vie. Un clown, un zombie, un lion ou un monstre, on n’aime les voir qu’enfermés. Poppy n’éclate que dans sa boule à neige, et si on la secoue, c’est qu’on prend un plaisir sadique à l’y trouver là et non sur le chemin de l’école.

Et peu importe si Mike Leigh souligne un peu trop la nature feel good de son personnage et explicite un peu trop fort la règle de vie de son personnage principal. En 2008, peut-être disait-on « positive attitude » de ce côté-ci de la Manche. Mais moi, le grincheux, je reconnais les vertus d’un tel comportement (dans une boîte laissée à distance de sécurité). Mikey aurait pu se garder de rendre tout ça évident, mais puisque son film marche parfaitement sans avoir à le dire, on lui pardonnera de jouer les perroquets. Parce que, désolé, Mikey, mais tout au long de ta carrière, tu as cherché à mettre en valeur les acteurs. Et je le sais bien, il n’y a qu’un ancien acteur pour chercher à mettre ainsi toujours ses pairs à l’honneur… Et parfois, comme ici, tu réussis ton coup. Et peut-être que ta grande réussite alors, c’est que le spectateur finisse par penser que tu n’y es pour rien et que si le personnage et l’acteur forment une adéquation parfaite, c’est surtout de leur fait. « Mettre à l’honneur », c’est aussi prendre ses distances. L’auteur présente une boîte magique qui attire l’œil du spectateur, leur dit de l’ouvrir, et se retire. Le reste est magie.

Laisse-moi donc croire, Mikey, que Poppy existe et rend la vie plus lumineuse autour d’elle… en s’arrêtant juste à deux pas de moi. Le bonheur (comme l’horreur), c’est pour les autres.

J’ai encore vu quelqu’un demander sincèrement si l’on rirait de la même manière si Poppy était un homme. Il voulait sans doute dire par là que la représentation du personnage flirterait avec l’antiféminisme. Eh bien, comment dire…, on ne peut pas dans un même temps se plaindre qu’il n’y ait pas de rôles comiques pour les femmes et regretter l’image négative qu’elles véhiculent quand elles apparaissent enfin à l’écran. Oui, Poppy est une caricature. C’est un clown. Pourquoi marche-t-elle aussi bizarrement ? Parce que ses talons équivalent aux chaussures surdimensionnées du clown. La démarche constitue le premier attribut travaillé par un clown, parce que c’est le plus identifiable. Que remarque-t-on en premier d’une personne ? Sa démarche. Et un clown se distingue d’abord par l’allure qu’il dégage. Pas par ses habits (même si le clown Poppy est vêtu de manière colorée). C’est bien pourquoi les clowns s’étaient si bien exportés au cinéma. (Et selon mon avis, c’est même un clown qui a participé au mieux à l’élaboration d’une grammaire du cinéma : Charlie Chaplin. Mais c’est une autre histoire, je renvoie à mes précédents commentaires sur la question.)

Enfin, comme tous les clowns, Poppy peut aussi montrer une face triste, voire intelligente. Ce contrepoint est assuré par les séquences à l’école dans laquelle notre clown assagi doit « faire face » à un élève perturbé et violent. (Et cette fois, Mike Leigh n’a pas trop besoin de souligner le parallèle, puisqu’il est mis en évidence par le montage et les doutes de Poppy durant ses leçons avec son moniteur d’auto-école.)

Oui, Poppy est insupportable. Mais elle sait aussi écouter quand il le faut. Le clown est aussi issu des Pierrot. Les deux « faces » d’un même clown. Sally Hawkins arrive aussi bien à nous émouvoir et à nous amuser que Giulietta Masina dans La strada ou dans Les Nuits de Cabiria. Loin de se moquer des femmes, ces rôles les honorent au contraire. Les clowns féminins sont des monstres… comme les autres.


Happy-Go-Lucky, Mike Leigh 2008 | Film4, Ingenious Film Partners, Special Treats Production Company


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The Way We Are, Ann Hui (2008)

Rien, tout.

Note : 4 sur 5.

The Way We Are

Titre original : Tin shui wai dik yat yu ye

Année : 2008

Réalisation : Ann Hui

TOP FILMS

Ann Hui, présente à la projection du film à la Cinémathèque, jure qu’aucune des répliques du film n’est le fruit d’une quelconque improvisation, eh ben j’aurais pu jurer le contraire. Certes, il est difficile de saisir la justesse d’un phrasé aussi étrange que le chinois, mais tout le reste semble couler avec le souffle et la spontanéité de l’improvisation dirigée. C’est vrai aussi que la plupart des répliques ne font pas bavardage et que jamais aucun acteur n’empiète sur une réplique de l’autre. Je me faufilerais bien sur un plateau pour voir sa méthode de direction d’acteurs, c’est assez bluffant.

Pour l’écriture et le montage, c’est du haut niveau. Ann Hui encore semblait s’excuser de ne pas avoir pu saisir de style pour son film, à devoir capter les séquences dans des espaces étroits… Ben, c’est ça le style : ne pas en avoir. À la rigueur c’est du naturalisme. J’ai entendu derrière moi des spectateurs rapprocher ça à du Naomi Kawase parce que les personnages passent leur temps à bouffer ; peut-être, sauf que chez la cinéaste japonaise, la caméra capte que dalle, elle filme le néant, et moi je m’y ennuie. Ann Hui, elle, filme des situations, il se passe toujours quelque chose, des répliques, des plans de coupes sur des acteurs en train de réagir même imperceptiblement. Ce n’est pas le vide, ce sont des êtres humains. Quand par exemple la voisine offre des cadeaux à la mère après avoir vu à quel point elle se sentait offensée après que son beau-fils les a refusés, elle les accepte sans rechigner. Les délices, là, ils sont dans le comportement des personnages. Des gens simples, mais des gens biens. Il ne se passe rien, mais il se passe tout. Les petits drames du quotidien qui évoquent parfois ceux dont on parle si peu et qu’on ne verra jamais. Autre exemple, dans une séquence tire-larmes, la mère va jeter le jean de son mari défunt après que son fils lui a dit qu’il ne lui allait pas, elle le jette d’abord, comme une vieille fripe, avant de le ressortir, le plier…, et s’effondre en comprenant ce qu’elle est en train de faire… Jeter une relique, un objet ayant appartenu à son homme… Le temps s’évapore tout seul et avec lui le souvenir des êtres qu’on a aimés et qui ne représentent aujourd’hui plus rien, jusqu’à ce que des petites madeleines viennent vous tirer les larmes des yeux. Qu’est-ce qui est juste ? Eh ben voilà. Pas besoin de style, tout est là.

L’approche juste de la cinéaste, on le remarque aussi dans sa capacité à ne pas porter de jugement sur ce qu’elle filme. Au début, avec notre regard européen, on croit sentir une légère satire, le montage opposant la mère travailleuse au fils qui fout rien. Et pis, fausse piste ou pas, on comprend, peut-être au moment où le fils est interrogé lors d’un cours où il montre une volonté d’être conciliant avec sa mère alors qu’on aurait pu croire le contraire jusque-là. La suite lui donne raison : il fait tout ce que lui demande sa mère, ça en devient même comique. On quitte la satire pour un film d’une parfaite bienveillance à l’égard de tous ces personnages. Les premières impressions ne sont pas forcément les bonnes (on rejoue presque le même schéma avec la voisine antipathique), et toujours à force de les voir évoluer, on les comprend, et on voit le contraire de ce qu’on pensait au début… Ce qui est beau, ce n’est pas forcément ce qui vous illumine la rétine, c’est peut-être aussi parfois le retour sur a priori, la réflexion, l’antithèse, la révélation, le basculement, comme quand les masques tombent et que la vérité se dévoile derrière un paravent d’artifices… Humain, quoi. Et c’est pour ça qu’on raconte des histoires.

Et pour en finir avec la discussion qui a suivi à la Cinémathèque… Une spectatrice, une réalisatrice et un critique se retrouvent dans une salle après la projection d’un film, que se disent-ils ? La première demande à la seconde quelles étaient ses intentions en réalisant le film ; la réalisatrice explique qu’elle avait lu le script et que ça lui avait plu ; et le critique insiste : « Oui, il vous a plu mais vous avez fait le choix de le réaliser ». Faut toujours que la politique des auteurs l’emporte sur tout le reste… La politique des auteurs a un avantage sur la politique du savoir-faire : on peut prêter des intentions à un « auteur », parfaitement gratuitement, au mieux ce dernier pourra les contredire directement et vous pourrez insister en prétendant que ce sont des intentions qui lui échappent, alors que pour avoir une politique du savoir-faire, encore faut-il avoir certaines notions techniques. Sans compter que qui prêterait attention à un critique s’attardant sur des aspects techniques discutables, alors que tout procès de (bonnes) intentions, ne se discute pas. Un joli travers de la critique, française en particulier. Et un excellent moyen le plus souvent de se servir soi-même que de servir le film. C’est bien pourquoi, la qualité première de ces critiques, au-delà du pouvoir chamanique d’interprète d’images ou de sens, il est dans leur… savoir-faire à raconter à leur tour une histoire ; et que les histoires, ou les films, dont ils racontent cette histoire nouvelle et personnelle, peuvent tout aussi bien être des grands films que d’affreux nanars.


The Way We Are, Ann Hui 2008 | Class Limited, Mega-Vision Pictures (MVP)


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Dear Zachary: A Letter to a Son About His Father, Kurt Kuenne (2008)

Le trou du cul des anges

Dear Zachary: A Letter to a Son About His Father

Note : 1.5 sur 5.

Année : 2008

Réalisation : Kurt Kuenne

Ce n’est pas un documentaire, mais une hagiographie qui empeste les bons sentiments. La partialité est insupportable. Où va-t-on si désormais les victimes peuvent faire un documentaire en exprimant leur point de vue forcément pas très objectif ?… Faut-il s’attendre à voir un autre type de documentaire, celui fait par des criminels pour plaider leur cause ? Joli précédent en tout cas.

Certains apprécient le côté sympathique de l’affaire, l’hommage à un type décédé, adressé à son fils qui ne le connaîtra jamais… J’ai rarement vu un procédé aussi gerbant. Jusqu’à l’indigestion le film nous abreuve de « meilleur ami possible » « une personne fantastique » « il avait tant d’amis qui l’aimaient », etc. Qu’est-ce qu’il faut avoir dans la tête pour raconter de telles conneries. C’est bien américain de balancer des “fantastic” à toutes les sauces… Quel manque de mesure et de pudeur…

– Il était tellement…

– Ouais, ta gueule ! Arrête le miel, merci.

Et la version de la vilaine sorcière, on pourrait y avoir droit au moins, histoire de comparer les versions, histoire de sortir du trou du cul des anges, du vomi de guimauve ?

Les victimes, elles sont bien gentilles, mais elles n’ont pas grand-chose à apprendre à la société. Les monstres, les coupables, les déviants, si. Toujours. Parce qu’ils nous poussent à regarder plus loin, nous forcent à l’intelligence, à la compréhension. Le langage sirupeux des victimes, il doit rester dans l’intimité des victimes, il ne pose jamais question, oblige à une empathie stérile.

Et seulement sur un point de vue légal, on peut comme ça rendre publics des enregistrements d’une personne qu’on accuse de tous les maux ? J’en doute.


Dear Zachary A Letter to a Son About His Father, Kurt Kuenne 2008 MSNBC Films (2)

Dear Zachary A Letter to a Son About His Father, Kurt Kuenne 2008 MSNBC Films (1)

Dear Zachary A Letter to a Son About His Father, Kurt Kuenne 2008 | MSNBC Films


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Next Floor, Denis Villeneuve (2008)

Le cri du foie

Next Floor

Note : 2.5 sur 5.

Année : 2008

Réalisation : Denis Villeneuve

Critique poussive de la société de consommation. On engloutit, on vole, on produit, et quand ça pète, on fait comme si de rien était, et on recommence, jusqu’à l’absurde. Dans le même registre qu’Indignez-vous ! Ça joue les donneurs de leçons, ça transforme même le message bête et naïf en allégorie lugubre pour faire mine d’apporter un angle, un regard sur cette idée follement subversive, mais au final, tu fais quoi pour changer le monde, l’artiste ? L’artiste, il produit, c’est sa raison d’être, c’est comme ça qu’il peut lui aussi s’asseoir à la table des consommateurs. À ranger dans le tiroir des belles fausses idées qui vont à l’encontre de ce qu’elles dénoncent. Il est là l’absurde.

En plus de défoncer les plafonds comme les fausses évidences, la mise en scène reste dans le ton grossier et surfait. Image à dix mille dollars, effets de caméra qui donnent la nausée, acteurs qui en font des tonnes dans le registre du « je suis un connard hautain ». Le film commence et se termine d’ailleurs sur le regard péteux et machiavélique du majordome qui lui donne des airs de diablotin ou de manipulateur. En plus d’être grossière, la dénonciation est donc ridicule ou malhabile, car elle identifie le responsable de ce carnage à celui qui sert, « qui donne à manger », qui entretient la mascarade, et place donc ces gros porcs de consommateurs dans la situation de victimes qui s’ignorent. Mon Dieu, c’est horrible, nous, braves consommateurs, sommes victimes du pouvoir en place, de la crapuleuse oligarchie, du capitalisme sournois et aveugle. « C’est une machination ! Réveille-toi citoyen ! — Oui mais comment ? — En produisant des films sur la consommation et en criant au complot !… Réveille-toi citoyen ! et indigne-toi en regardant mon film ! (bon et si tu pouvais faire passer le message sur Facebook ce serait cool, on a déjà plus de 10 000 000 vues sur Youtube ! yohou ! “Abats” le complot capitaliste ! »

Ah oui, manifestement, l’absurdité du monde est une évidence, mais la situation est encore trop simple et absurde alors on préfère y voir une logique et une cohérence dans la marche du monde… Discours habituel du crétin complotiste qui se croit intelligent à déchiffrer les pseudos secrets du monde. Être parfaitement dans ce qu’on dénonce… Comme le type qui à travers la phrase « Arrêtez de regarder TF1, vous êtes des moutons ! » ne cherche qu’à se prouver à lui-même qu’il peut y arriver, lui… à ne pas regarder autant cette chaîne. Pourquoi TF1 ?… On arrête de la regarder et tout à coup on commencerait à voir les vérités cachées du monde ? Whooh. Je ne vais pas m’arrêter de regarder ce que je ne regarde déjà pas, mais toi, arrête de fumer !…

Ce n’est pas de la dénonciation ou de l’indignation, c’est la consommation goulue, fanatique, autosatisfaite d’une posture de révolte. Autrefois, on allait à la messe et on jetait des pièces pour les pauvres pour se donner bonne conscience. Aujourd’hui, on s’insurge contre la marche bancale du monde, on s’indigne, on se révolte et…, on rentre chez soi pour consommer. Imaginons qu’il y ait dans le monde une grave pénurie de peinture. C’est absurde, tout le monde s’indigne, et personne ne fait rien. Alors, pour dénoncer cette incapacité à faire quoi que ce soit, l’artiste, le peintre, décide de faire une peinture qui en mettra plein la vue et qui aura pour ambition de dénoncer cette pénurie de peinture. « Non mais quand même ! il fallait que ce soit dit ! » Heu, oui, merci d’enfoncer les portes ouvertes. Sinon ça va, tu as eu besoin de pas trop de peinture pour y arriver ?…

Next Floor, Denis Villeneuve 2008 Phi (1)_

Next Floor, Denis Villeneuve 2008 | Phi

Je crois que c’est Douglas Sirk qui disait dans le documentaire de Scorsese, qu’un film qui ne laissait pas assez la part belle à l’imagination, qui ne laissait pas assez la possibilité au spectateur de se faire son propre film, qui montrait trop clairement la voie, était un mauvais film. Un film peut avoir un message, du moins, c’est toujours mieux de sentir une intention et une cohérence derrière des événements, des enjeux ; mais si le message ne laisse aucune possibilité au spectateur de se faire sa propre idée, si on lui impose une conclusion, une vision, il y a de fortes chances qu’on tombe dans l’excès, la grossièreté et la suffisance (c’est fabuleux comme j’ai toujours raison quand je me parle à moi-même). Les artistes ne sont pas là pour gouverner le monde et dire vers quelle direction il faut aller ; ça ne saurait être autre chose que de la démagogie ou de l’ignorance. Ils sont là pour poser les problèmes, suggérer des issues, et alors, laisser le spectateur tirer lui-même les conclusions qui s’imposent. Et c’est justement parce que la direction d’acteurs est si mauvaise, ne laissant planer aucun doute, en insistant sur les sentiments des uns ou des autres (gloutonnerie et gourmandises des uns face au machiavélisme du majordome), que le film dévoile trop clairement ses “vérités”. Les neuneus qui “savent” déjà que les responsables ce sont toujours les autres y trouveront sans doute leur compte ; les autres auront le droit de hausser les épaules devant le ridicule des moyens employés et la naïveté béate, voire terroriste du propos :

« T’as pas aimé ? mais t’es qu’un gros porc de collabo capitaliste ! T’as conscience que tu exploites la planète et que tu es coupable de ton inaction ? »

Ah, oui, et toi, tu fais quoi pour le monde ? Tu veux comparer nos bilans carbone respectifs, monsieur l’indigné ?

 

Next Floor, Denis Villeneuve 2008 Phi (2)_Next Floor, Denis Villeneuve 2008 Phi (3)_


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Yes Man, Peyton Reed (2008)

Yes Man

Yes Man Année : 2008

Réalisation :

Peyton Reed

6/10  IMDb

Avec :

Jim Carrey, Zooey Deschanel, Bradley Cooper

Du formaté pour Jim Carrey, mais j’aime bien Jim, je plaide coupable, et c’est supportable.

Un film très largement inspiré de la « positive attitude » de Jean-Pierre Raffarin. Reste que cette philosophie a une base de vrai en comportementalisme ché pas quoi, c’est un éternel grognon qui le dit. Il paraît que voir le bon côté des choses, être positif, déclenche effectivement des événements positifs. En clair celui qui se plaint va rester chez lui ou ne va jamais sortir des sentiers battus et par conséquent manquera toutes les occasions que lui offre la vie. Derrière un accident il y a souvent une rencontre importante, une révélation, etc. Alors que le mec négatif verra toujours l’accident, jamais l’opportunité qu’il y a derrière. C’est exactement ce que montre le film, de manière caricaturale bien sûr, mais on est chez Carrey et il n’y a pas de comédie sans caricature. Belle leçon pour les autres surtout, parce que moi je reste dans mon plumard. À l’abri de la vie, de l’aventure, des emmerdes et des opportunités.

Yeah.


Yes Man, Peyton Reed 2008 | Warner Bros., Village Roadshow Pictures, Heyday Films


The Chaser, Hong-jin Na (2008)

Rien ne sert de courir

The Chaser

Note : 4 sur 5.

Titre original : Chugyeokja 

Année : 2008

Réalisation : Hong-jin Na

Avec : Kim Yoon-seok, Ha Jung-woo, Seo Yeong-hie

Comme quoi, il faut toujours insister, jamais s’arrêter aux premières minutes d’un film…

J’avais essayé de m’y coller, il y a quelques mois et j’avais arrêté, épuisé par une histoire sans queue ni tête, une situation difficile à comprendre. Il faut dire qu’il y aurait beaucoup à jeter dans ce début. On s’attarde par exemple sur une des call-girls alors que ça ne sert à rien pour le reste du récit. Mais une fois que l’autre fille (celle que son mac va s’évertuer à rechercher pendant tout le film) est prise dans les griffes du Hannibal Lecter local, on ne peut plus décrocher ses yeux de l’écran ! On est au cœur d’un des meilleurs thrillers de ces trente dernières années. Entre Le Silence des agneaux et Seven (même si pour le coup, une scène, celle où le mac retrouve un ancien appart’ du maboul, est un peu ratée : on ne voit rien).

Le film commence donc avec la disparition d’une ou deux prostituées (je n’ai toujours pas bien compris). Leur mac retrouve leur voiture dans une ruelle du centre-ville. On apprend qu’il est un ancien flic, ce qui va lui permettre de se lancer à leur recherche et à faire jouer son maigre carnet d’adresses. Malheureusement, les « affaires » doivent continuer et il envoie une autre call-girl vers un rendez-vous qui se trouvera être le serial killer sanglant qui enlève toutes ses putes. Il le découvre tardivement. Il arrive à joindre sa call-girl une dernière fois pour lui demander de l’appeler une fois qu’elle aura l’adresse du tueur. Manque de pot, la pute cherche à le joindre, mais il n’y a pas de réseaux dans l’appartement… Là, le guignol va commencer à la charcuter… jusqu’à ce qu’on sonne à la porte. La fille est passablement amochée, enlacée comme une truie. Il va à la porte. Par un jeu croisé de situations on est amené à croire que c’est le mec. Bien sûr, ce ne sont que deux vieux qui cherchent un ami… Le gars ne trouve rien de mieux pour s’en débarrasser que de les tuer. C’est là que le film devient un poil meilleur avec un petit air de Seven. Le serial killer s’en va éloigner la voiture des vieux, mais il a un accrochage avec le mac qui rôde dans les parages en espérant retrouvant l’adresse du mec. Voyant qu’il avait du sang sur sa chemise, il imagine qu’il peut être son homme et en a le cœur net quand il fait son numéro de portable ! Il se bagarre, et ils sont emmenés tous les deux au commissariat…

Le film s’emballe. Non seulement l’action n’arrêtera plus jusqu’à la fin, avec un seul objectif : trouver la fille, car on sait qu’elle est vivante. Mais en plus, on a plutôt des personnages inédits dans des situations similaires. Si le tout est assez prévisible et dans la bonne tradition du thriller, les personnages eux sont assez originaux et pas pour autant moins crédibles.

Le mac est donc un ancien flic reconverti sur le marché de la prostitution. Pourtant, si sa situation peut laisser croire à une brute épaisse et antipathique, c’est plutôt un homme qui sait ce qu’il veut, un patron, qui met toutes ses forces dans la recherche de sa fille. C’est sûr, faire d’un mac un héros et en plus le montrer sympathique, ce n’est pas très correct, mais depuis Dexter on sait qu’on peut faire bien pire dans l’identification à un monstre. On ne juge pas ce qu’il fait, à la limite, ça ne nous regarde pas, et ce n’est pas le sujet. Ce qui compte, c’est sa quête. Et peu importe si certains voient ça comme une manière de se racheter sa situation. Ce n’est pas du tout ça. Sincèrement, on sent que le mac veut retrouver cette fille, non pas parce qu’il perdrait de l’argent, non pas parce qu’il l’aimerait plus qu’une autre, mais parce que c’est dans sa nature de ne pas se laisser marcher sur les pieds (oui on se surprend à penser « mais il a raison ce mac de pas se laisser faire !… heu, qu’est-ce que je suis en train de dire… »). Difficile à croire et pourtant tout est crédible de bout en bout.

La fille n’a rien de la prostituée de mauvaise famille, décérébrée. C’est une jeune mère qui élève seule sa gamine de cinq ou six ans. Pas vraiment un cliché de vouloir montrer la pute dévouée, formidable : on peut très bien imaginer qu’une femme vivant seule doive en passer par la prostitution pour gagner sa vie. Pour accentuer deux effets, sa vulnérabilité et le « ça aurait pu être une autre », le récit a la très bonne idée de nous la montrer fiévreuse. Astuce géniale.

Le personnage du serial killer est tout aussi original mais pas moins crédible. Le film adapte en fait les archétypes du thriller à sa société. On imagine bien qu’un malade mental en Corée puisse être un jeune garçon, solitaire, impuissant et manipulateur, mais loin d’être un génie comme on peut en trouver dans certains polars ricains (c’est toujours mieux de penser que seuls des génies peuvent mettre en place de tels systèmes pour éviter de se faire pincer). Le mec est juste dérangé, ordinaire, ni plus ni moins intelligent qu’un autre. Et il a l’insolence de son âge. Il connaît les rouages de la justice pour s’en sortir au mieux. Passer pour un fou en donnant des versions contradictoires, jouant tour à tour les victimes ou jouant parfaitement le rôle du monstre par provocation.

Le film est une réussite, un coup de maître pour un premier film. L’action est très resserrée : sur une ou deux journées (tellement resserrée que le mac trouve le temps de manger deux fois avec la gamine en pleine nuit et qu’elle montre à peine des signes de fatigue). Étonnant cinéma coréen, capable de nous proposer une telle diversité et une telle qualité. En partant de rien, comme la tortue dans la fable de La Fontaine…


The Chaser, Hong-jin Na 2008 Chugyeokja | Big House, Vantage Holdings, Showbox Entertainment

 

The Spirit, Frank Miller (2008)

The Spirit

The Spirit Année : 2008

Réalisation :

Frank Miller

4/10  IMDb

La preuve qu’il ne faut pas seulement faire de bonnes images pour être un grand cinéaste.

Miller est le pape de la BD us, mais il n’a aucun sens du rythme cinématographique, un ton assez nonchalant, et aucun sens de la mise en scène. Aucune tension dans le jeu, aucun suspense, aucun mystère, tout joué à un pathétique premier degré. On n’est pas loin de l’esprit de la série Batman des 60 : Bing ! Bang ! C’est son style. Qui n’a rien de cinématographique. En plus de ça, aucun sens du montage, ou du découpage, devrait-on plutôt dire ici.

Assez affligeant. Mieux vaut revoir Sin City, plus maîtrisé avec Robert Rodriguez et Tarantino, voire le film français SF Renaissance.


The Spirit, Frank Miller 2008 | Lionsgate, Dark Lot Entertainment, MWM Studios


La Journée de la jupe, Jean-Paul Lilienfeld (2008)

La Journée de la jupe

La Journée de la jupeAnnée : 2008

Réalisation :

Jean-Paul Lilienfeld

B-/10  IMDb

Listes :

Films français préférés

MyMovies: A-C+

Une nouvelle fois, Arte sort un de ses téléfilms au cinéma.

Beaucoup aimé pour ce que c’est (un petit film cherchant à viser juste, sans s’éparpiller, sans grandes ambitions non plus), en dehors de la performance d’acteur de quelques-uns, Denis Podalydès en tête… Mais les élèves sont convenables et Isabelle Adjani, c’est Adjani… l’une des meilleures actrices françaises avec Catherine Deneuve et Isabelle Huppert.

Le thème est fort. Il y a certaines répliques bien vues. Une tension incessante, des revirements inattendus et une révélation finale qui sonne juste.

Un film sur la société. Indispensable. Parce que ça a le mérite de poser tout un tas de problèmes.


La Journée de la jupe, Jean-Paul Lilienfeld (2008) | Mascaret Films, ARTE, Radio Télévision Belge Francophone (RTBF)


Frozen River, Courtney Hunt (2008)

Frozen River

Frozen RiverAnnée : 2008

Réalisation :

Courtney Hunt

7/10  IMDb

Après le naturalisme à la française, à la chinoise, voici le naturalisme froid et glauque à l’américaine…

Pas passionnant mais ça se laisse regarder. Une mère de famille est amenée à suivre une Indienne Mohawk dans son trafic de clandestin pour se faire un peu de blé. Les trafics se font de nuit, à travers le territoire de la réserve. Il faut passer la frontière du Canada en voiture en roulant… sur un fleuve gelé. L’Amérique de la misère.

Le ton est assez juste, le sujet original, mais c’est vraiment bien glauque. Pas un brin d’humour ni d’espoir. À côté un film français, c’est Hollywood.

Frozen River, Courtney Hunt 2008 | Cohen Media Group, Frozen River Pictures, Harwood Hunt Productions


John Adams, Tom Hooper (2008)

La série racontée en trois lignes

John Adams

Note : 4 sur 5.

Année : 2008

Réalisation : Tom Hooper

Avec : Paul Giamatti, Laura Linney

L’histoire : La vie, l’œuvre, les poux, de John Adams, second président des États-Unis.

Après le premier épisode :

Ça semble prometteur. On reconnaît le savoir-faire et le style HBO…

J’espère que la série retracera fidèlement l’histoire du second président d’Amérique. Je ne sais pas du tout s’ils ne vont traiter que l’époque qui précède la guerre d’indépendance ou après ou je ne sais quoi…

C’est l’occasion de voir le Berléand américain, souvent abonné au second rôle à cause de sa tête de petit joufflu et qui avait enfin accédé à la gloire (si on peut dire) avec l’excellent Sideways.

Puis au final :

Mini-série de dix heures sur la naissance de la nation américaine.

Dans le premier épisode, l’avocat John Adams défend des militaires anglais accusés d’avoir tiré sur la foule. Il s’efforce de démontrer qu’ils y ont été forcés par des indépendantistes… Après cette histoire, l’un de ses amis lui dit que grâce à cette affaire (qui montre son intégrité) il ferait le candidat parfait pour représenter Boston au congrès secret qui se réunit à Philly… Adams n’est pas chaud pour la politique. Ce n’est pas un grand orateur et après cette affaire, il ne s’est pas fait que des amis (sauf auprès du roi d’Angleterre qui lui propose un poste…). Il décide finalement de se lier aux Patriots.

 

John Adams | HBO Films High Noon Productions Playtone Mid Atlantic Films

Le second épisode (le plus passionnant sans doute sur le plan historique) est presque entièrement dédié à ce congrès (le film narre aussi la vie personnelle du futur président, en montrant l’importance qu’avait sa femme dans ses choix). On est au début de cette guerre qui n’a pas encore de nom et dont on ne verra que peu d’images (tout se passe dans les salles de réunion). On voit les divergences entre ceux qui désirent simplement montrer leur désaccord avec les taxes imposées sur les Colonies et ceux comme Adams qui comprennent qu’il n’y a plus la place pour la négociation et qu’il est temps de proclamer son indépendance. Et là tout se joue un jeu subtil non seulement où il faut arriver à convaincre les représentants des autres colonies, mais aussi déterminer quand sera la meilleure période pour déclarer cette indépendance.

On découvre alors les personnages récurrents de la série (et de l’Histoire) : Franklin, qui a l’expérience de la politique à Londres et qui prodigue des conseils à Adams ; Jefferson, l’âme de la révolution, l’idéaliste et le poète ; le général Washington, représentant peu bavard de Virginie, une gloire militaire, et que Franklin et Adams choisissent pour diriger l’armée des Patriots uniquement parce qu’il a beaucoup de prestance (il est immense…, ça tue le mythe).

Adams arrive à persuader tout le monde qu’il faut une déclaration d’indépendance. Et une fois qu’il l’a, il demande à celui qui semble le plus doué pour une telle tâche de s’exécuter : Jefferson. C’est là que Jefferson en fait plus qu’une déclaration d’indépendance mais un texte sur l’égalité des hommes, etc. Seulement, c’est un peu trop osé pour Franklin et celui-ci décide d’y enlever les passages traitant de l’esclavage pour ne pas froisser les États du Sud… Dont est originaire pourtant Jefferson… Quand on sait qu’ils auraient pu là éviter une future guerre civile qui viendra un peu moins d’un siècle plus tard…

Dans l’épisode 3, John Adams se rend à contrecœur en France pour y demander l’aide du Roi ; sa femme insiste pour qu’il ne parte au moins pas seul : il embarque avec son fils (lui aussi futur président).

Il découvre la vie de la cour à Versailles. Alors que Franklin, lui, est tout à fait à l’aise au milieu des orgies et des dorures, Adams se demande un peu ce qu’il fout là et n’a pas la diplomatie de son ami pour arriver à ses fins. Il passe même pour un imbécile devant le roi de France, un extraterrestre, parce qu’il ne parle pas français (les Français sont présentés comme les Américains d’aujourd’hui : ils sont le centre du monde, l’Amérique est toute petite, et la langue de la diplomatie ─ et le restera jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ─ est le français). Adams n’appréciant pas d’être traité comme un provincial et de devoir sucer la queue de « sa majesté de France », il rejoint le Royaume de Hollande, également ennemi de l’Angleterre, mais y tombe malade. Il devra envoyer son fils accompagné un autre émissaire américain à Saint-Pétersbourg pour rencontrer la Grande Catherine… parce qu’on y parle le français et que le petit Adams a eu le temps de l’apprendre à Paris.

Dans cet épisode, la cour française est vraiment montrée comme un truc complètement à côté de la plaque. Le contexte est sans doute bien retraduit, parce qu’on comprend bien qu’une telle société ne peut pas durer…

Dans l’épisode suivant, Adams toujours à Paris fait venir sa femme (à vue de nez, il est déjà parti depuis quatre ou cinq ans ! ─ un autre temps… on est loin du Concorde). Jefferson aussi le rejoint. Les Adams (leurs enfants sont restés aux États-Unis, ils sont grands maintenant) profitent des manoirs français, des opéras, des jardins… la vie parisienne quoi… Jusqu’à ce qu’Adams reçoive une lettre lui demandant d’aller en Angleterre, pour être le premier ambassadeur à la cour du roi. Juste avant ça, il y a une scène assez hallucinante ou trois des grands hommes qui sont à l’origine de la Déclaration d’indépendance (Franklin, Jefferson et Adams) se retrouvent coincés dans des jardins à Paris alors qu’on est en train de rédiger la Constitution aux États-Unis.

Adams part donc pour l’Angleterre et la scène avec le Roi George III est un vrai régal. D’un côté l’Américain qui rechigne à faire les courbettes d’usage et de l’autre le souverain qui tire la tronche face à bonhomme qui a décidé en somme de ne plus être son copain…

Très vite, les Adams se lassent de Londres où ils ne sont pas les bienvenues (ils sont loin les palais français…). Et Adams demande qu’il soit remplacé. Ce qui sera finalement accepté. Et à sa grande surprise, il est accueilli comme un héros à son retour. Il retrouve également ses enfants, qu’il n’avait pas vus depuis… bien dix, quinze ans !

Il arrive juste à temps en fait pour les premières élections (ah, ah peut-être que Londres ce n’était pas si mal que ça). Il se présente et est battu par… Washington, le grand gaillard, qui est incapable d’aligner deux mots. Son investiture est presque comique : personne ne l’entend (grande carcasse, petite voix). Adams devient vice-président.

Épisode 5 : Là, on entre dans la politique. Je n’avais pas de sous-titres, donc je n’ai pas tout compris… Bref, en gros, il y a lutte de pouvoir entre tous ces bonshommes. Washington veut affirmer et assumer ses idées, Adams est frustré de son rôle (nul) de vice-président. Jefferson vante les mérites de la révolution française, pour lui c’est dans l’ordre des choses. On apprend même que c’est lui qui est à l’origine de la Déclaration des droits de l’homme… Et tout le monde se bagarre pour la position à adopter face à cette révolution qui les embarrasse au plus haut point. Il y a un risque d’expansion dans toute l’Europe et la guerre avec l’Angleterre risque de s’intensifier. Or, les Français ont aidé les Américains dans leur indépendance. Ils devraient tout naturellement les aider en cas de souci. Seulement, les Américains ne peuvent s’engager… et Washington (qui n’apprécie pas les Français) décide contre l’avis du peuple (très pro français ─ c’est un peu le monde à l’envers aujourd’hui), contre l’avis de Jefferson, de signer un traité de non-agression avec l’Angleterre. Une excuse toute trouvée pour le premier président : « Hé oh, on a passé un accord avec Louis XVI, pas avec la République… et vous lui avez coupé la tête ! » Bref, le joli coup de pute. Bienvenue en politique…

Le double mandat de Washington s’achève et un peu à la surprise générale (alors qu’entre-temps on a appris aussi que la première élection avait été bidouillée ─ c’est donc une vieille habitude), Adams se fait élire Président. Jefferson jouera les « inutilités » au poste de vice-président.

Épisodes 6 : après des agressions de certains vaisseaux français dans les caraïbes (donc le fait qu’on ait jamais été en guerre, c’est du flanc, pas de guerre déclarée, mais des bateaux coulés de part et d’autre : « Hé, je croyais que t’étais mon copain, mais tu t’es bien défilé quand j’ai eu besoin de toi ! Tiens prends ça dans la gueule ! ─ E4, touché coulé ! »), les Américains se voient dans l’obligation de se créer une armée sur les cendres de l’ancienne armée continentale. On désigne Washington pour la forme mais en réalité c’est son second, le premier faucon déjà on pourrait dire, parce que l’ancien président est HS… Ce second (dont j’ai oublié le nom) se plaît à jouer au petit soldat d’abord en s’amusant à créer la garde-robe de son armée (« des jolies rayures jaunes sur le côté, ça ferait classe !), mais le bonhomme est un peu trop belliqueux au goût d’Adams… Faut dire qu’il voulait s’emparer de la Floride, de la Louisiane et de la Californie. Et là Admas qui sort la phrase de Chirac : « Il n’y a pas de guerre propre… La guerre est toujours la plus mauvaise des solutions ».

Pendant ce temps, Adams rejoint la nouvelle capitale (un peu à l’image de la Chine médiévale, un nouvel empire crée une ville nouvelle…)… Washington. Et là, c’est très symbolique encore, parce que la Maison blanche est à peine achevée. Elle est perdue au milieu d’un immense champ de boue, au milieu de nulle part, bâtie par des esclaves noirs… Finalement Adams perd la nouvelle élection et Jefferson s’installe à la Maison-Blanche (« Non, non pas la peine de t’essuyer les pieds partout Thomas… C’est aussi propre à l’intérieur qu’à l’extérieur… ce n’est pas encore vraiment le palais des glaces »).

Le dernier épisode est presque exclusivement dédié au rapport avec sa famille, sa vieillesse (il s’était un peu brouillé avec son grand copain Jefferson à cause de cette histoire d’accord avec l’Angleterre. Ils renouent contact et finiront tous les deux par mourir le même jour… L’ironie, le 4 juillet, cinquante ans après leur déclaration d’indépendance.


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