Next Floor, Denis Villeneuve (2008)

Le cri du foie

Next Floor

Note : 2.5 sur 5.

Année : 2008

Réalisation : Denis Villeneuve

Critique poussive de la société de consommation. On engloutit, on vole, on produit, et quand ça pète, on fait comme si de rien était, et on recommence, jusqu’à l’absurde. Dans le même registre qu’Indignez-vous ! Ça joue les donneurs de leçons, ça transforme même le message bête et naïf en allégorie lugubre pour faire mine d’apporter un angle, un regard sur cette idée follement subversive, mais au final, tu fais quoi pour changer le monde, l’artiste ? L’artiste, il produit, c’est sa raison d’être, c’est comme ça qu’il peut lui aussi s’asseoir à la table des consommateurs. À ranger dans le tiroir des belles fausses idées qui vont à l’encontre de ce qu’elles dénoncent. Il est là l’absurde.

En plus de défoncer les plafonds comme les fausses évidences, la mise en scène reste dans le ton grossier et surfait. Image à dix mille dollars, effets de caméra qui donnent la nausée, acteurs qui en font des tonnes dans le registre du « je suis un connard hautain ». Le film commence et se termine d’ailleurs sur le regard péteux et machiavélique du majordome qui lui donne des airs de diablotin ou de manipulateur. En plus d’être grossière, la dénonciation est donc ridicule ou malhabile, car elle identifie le responsable de ce carnage à celui qui sert, « qui donne à manger », qui entretient la mascarade, et place donc ces gros porcs de consommateurs dans la situation de victimes qui s’ignorent. Mon Dieu, c’est horrible, nous, braves consommateurs, sommes victimes du pouvoir en place, de la crapuleuse oligarchie, du capitalisme sournois et aveugle. « C’est une machination ! Réveille-toi citoyen ! — Oui mais comment ? — En produisant des films sur la consommation et en criant au complot !… Réveille-toi citoyen ! et indigne-toi en regardant mon film ! (bon et si tu pouvais faire passer le message sur Facebook ce serait cool, on a déjà plus de 10 000 000 vues sur Youtube ! yohou ! “Abats” le complot capitaliste ! »

Ah oui, manifestement, l’absurdité du monde est une évidence, mais la situation est encore trop simple et absurde alors on préfère y voir une logique et une cohérence dans la marche du monde… Discours habituel du crétin complotiste qui se croit intelligent à déchiffrer les pseudos secrets du monde. Être parfaitement dans ce qu’on dénonce… Comme le type qui à travers la phrase « Arrêtez de regarder TF1, vous êtes des moutons ! » ne cherche qu’à se prouver à lui-même qu’il peut y arriver, lui… à ne pas regarder autant cette chaîne. Pourquoi TF1 ?… On arrête de la regarder et tout à coup on commencerait à voir les vérités cachées du monde ? Whooh. Je ne vais pas m’arrêter de regarder ce que je ne regarde déjà pas, mais toi, arrête de fumer !…

Ce n’est pas de la dénonciation ou de l’indignation, c’est la consommation goulue, fanatique, autosatisfaite d’une posture de révolte. Autrefois, on allait à la messe et on jetait des pièces pour les pauvres pour se donner bonne conscience. Aujourd’hui, on s’insurge contre la marche bancale du monde, on s’indigne, on se révolte et…, on rentre chez soi pour consommer. Imaginons qu’il y ait dans le monde une grave pénurie de peinture. C’est absurde, tout le monde s’indigne, et personne ne fait rien. Alors, pour dénoncer cette incapacité à faire quoi que ce soit, l’artiste, le peintre, décide de faire une peinture qui en mettra plein la vue et qui aura pour ambition de dénoncer cette pénurie de peinture. « Non mais quand même ! il fallait que ce soit dit ! » Heu, oui, merci d’enfoncer les portes ouvertes. Sinon ça va, tu as eu besoin de pas trop de peinture pour y arriver ?…

Next Floor, Denis Villeneuve 2008 Phi (1)_

Next Floor, Denis Villeneuve 2008 | Phi

Je crois que c’est Douglas Sirk qui disait dans le documentaire de Scorsese, qu’un film qui ne laissait pas assez la part belle à l’imagination, qui ne laissait pas assez la possibilité au spectateur de se faire son propre film, qui montrait trop clairement la voie, était un mauvais film. Un film peut avoir un message, du moins, c’est toujours mieux de sentir une intention et une cohérence derrière des événements, des enjeux ; mais si le message ne laisse aucune possibilité au spectateur de se faire sa propre idée, si on lui impose une conclusion, une vision, il y a de fortes chances qu’on tombe dans l’excès, la grossièreté et la suffisance (c’est fabuleux comme j’ai toujours raison quand je me parle à moi-même). Les artistes ne sont pas là pour gouverner le monde et dire vers quelle direction il faut aller ; ça ne saurait être autre chose que de la démagogie ou de l’ignorance. Ils sont là pour poser les problèmes, suggérer des issues, et alors, laisser le spectateur tirer lui-même les conclusions qui s’imposent. Et c’est justement parce que la direction d’acteurs est si mauvaise, ne laissant planer aucun doute, en insistant sur les sentiments des uns ou des autres (gloutonnerie et gourmandises des uns face au machiavélisme du majordome), que le film dévoile trop clairement ses “vérités”. Les neuneus qui “savent” déjà que les responsables ce sont toujours les autres y trouveront sans doute leur compte ; les autres auront le droit de hausser les épaules devant le ridicule des moyens employés et la naïveté béate, voire terroriste du propos :

« T’as pas aimé ? mais t’es qu’un gros porc de collabo capitaliste ! T’as conscience que tu exploites la planète et que tu es coupable de ton inaction ? »

Ah, oui, et toi, tu fais quoi pour le monde ? Tu veux comparer nos bilans carbone respectifs, monsieur l’indigné ?

 

Next Floor, Denis Villeneuve 2008 Phi (2)_Next Floor, Denis Villeneuve 2008 Phi (3)_


Liens externes :