L’Inondation, Louis Delluc (1924)

Capsule climatique

Note : 2.5 sur 5.

L’Inondation

Année : 1924

Réalisation : Louis Delluc

Avec : Ève Francis, Edmond Van Daële, Philippe Hériat

L’ère des mélodrames… et pas encore du pétrole. L’intrigue ne repose sur rien de bien original pour l’époque : l’excès est de mise, les archétypes se font face et le finale s’achève par le meurtre désespéré d’un père pour sa fille… Quelques audaces au montage rappelant La Roue, sorti l’année précédente. Mais jusque-là, j’avoue avoir surtout prêté attention aux décors. C’est qu’avant de finir sur une note « thriller » et psychologique, Delluc a le mérite de sortir sa caméra et de montrer le monde tel qu’il est dans un village d’Ardèche, il y a pile un siècle. Avant Gance, on songe peut-être alors plus à Antoine. Les intérieurs sont tournés en studio (à en croire les immenses espaces vides), mais les extérieurs sont précieux. Les images des inondations ont probablement servi de prétexte à cette histoire, mais le plus intéressant concerne bien les plans en extérieurs montrant la vie et les décors naturels d’un monde qui n’est pas encore passé à l’ère des hydrocarbures. En province et dans un siècle, ironiquement, c’est peut-être ça vers quoi tendra un monde avec cinq degrés de plus. À cette époque, les biens matériels se transmettent d’une génération à l’autre. Pas de société de l’hyperconsommation dans laquelle les meubles et les objets sont produits à l’autre bout de la planète. Que de populations, par conséquent, vouées à la production majoritairement locale : on crée, produit, consomme sur place. Cela concerne autant les objets que la nourriture d’ailleurs. Si la France est restée un pays agricole, ce que l’on produit localement ne finit pas forcément dans les cuisines voisines. L’ère du pétrole permet ces échanges longue distance et cette culture du tout-jetable.

Dans un siècle, à moins d’avoir réussi à passer au tout électrique (difficile pour les bâtiments, les digues, les écluses…), on retournera donc bien probablement à ce monde fait d’objets, de vêtements et de nourriture produits sur place. Avec la main-d’œuvre qui va avec. L’externalisation (comme on dit aujourd’hui, mais à un niveau international) de certaines industries a permis l’essor en Europe des biens de service, à favoriser toute une population dédiée à la connaissance ou à la « tech ». Avec des clients et des concurrents bien spécifiques situés un peu partout dans le monde. Sans pétrole, c’en sera fini de ce confort. Avec le pétrole, jusqu’à la dernière goutte, les inondations n’en seront que plus fortes, plus destructrices, les températures plus délétères pour les cultures, les animaux et les populations. Un ouragan aux États-Unis aujourd’hui peut faire plus d’une centaine de morts ; une inondation telle qu’on peut le voir dans le film pouvait faire, quoi, une dizaine de morts ; avec des événements plus forts et plus destructeurs, les victimes se compteront avec quelques zéros supplémentaires. Et sans moyens d’acheminer l’aide via les facilités du pétrole, ces zones pourront rarement attendre une aide conséquente et rapide des autorités.

L’ère du pétrole, encore une fois, a permis de créer des rues propres, goudronnées et bien lisses. La place du village et le moindre hameau perdu doivent rester beaux comme une salle de bain ou comme la salle à manger de l’ambassadeur. On n’en est pas encore là dans le film : les vêtements sont rapiécés, les populations se contentent de trois habits par semaine (celui pour la semaine, un pour le bal du samedi et un le dimanche), et avec la poussière et la boue sur tous les sols, les bottines s’imposent.

Reste une question : que sont devenus ces platanes gros comme des baobabs ? Je ne savais même pas qu’on pouvait trouver de tels monstres. Alors, dans un siècle, verra-t-on des baobabs en Ardèche ?


L’Inondation, Louis Delluc (1923) | Cinégraphic


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Une histoire du cinéma français

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L’Affiche, Jean Epstein (1924)

Note : 3 sur 5.

L’Affiche

Année : 1924

Réalisation : Jean Epstein

Avec : Nathalie Lissenko, Genica Missirio, Camille Bardou

Film antérieur au Double Amour de quelques mois, tourné pour l’Albatros et avec pour actrice principale Nathalie Lissenko (l’année de Kean, ce film soporifique où elle apparaît en gros plan sur… l’affiche).

Comme pour Le Double Amour, Jean Epstein s’inscrit ici plutôt dans une veine classique. Le mélodrame est de la partie : les coïncidences excessives, ce sont les effets spéciaux de l’époque, personne n’y croit, et plus c’est gros, plus on en a pour notre argent.

Marie s’éprend donc un soir d’un homme et l’engrosse. Quelques années passent et Marie participe à un concours qui fait de son fils le gagnant d’une affiche publicitaire : elle décroche une poignée de milliers de francs, et elle ne le sait pas encore, mais le fils du riche industriel qui lui remet le prix est le père de son enfant. L’enfant décède quelques mois plus tard, et à la sortie du cimetière, Marie ne voit plus que les affiches avec son fils sur les murs, affiches qui, ironiquement et tristement, incitent à assurer les enfants… La voilà donc qui débarque chez le riche assureur pour lui supplier d’enlever ces affiches, ce que l’industriel bien sûr refuse (on reconnaît un puissant — terme qu’il reprendra lui-même — à son intransigeance envers les pauvres). Plus tard, Marie et son homme d’un soir (le père de l’ange parti au ciel) se retrouveront, et l’autre Marie (la sœur du cinéaste et scénariste du présent film, invisibilisée sur IMDb, mais pas sur… l’affiche du film) a la justesse (au moins ici) de ne pas tirer sur la corde mélodramatique : si le père reste, un temps, inflexible, le fils est sincèrement touché à la fois par la mort d’un fils dont il ignorait l’existence et par la douleur de sa mère. Éviterons-nous la fin tragique ou le film s’enfoncera-t-il un peu plus dans le mélodrame ?

Bref, une cuvée anecdotique, mais Jean Epstein, s’il se rend coupable parfois de quelques faux raccords, s’en tire pas mal dans le classicisme mélodramatique. Il s’essaye déjà à des effets qu’il utilisera bien plus par la suite : des surimpressions, bien sûr (dont une très courte mais habile sur le fils de l’industriel marchant au milieu des affiches), et quelques travellings d’accompagnement. On sent peut-être un peu trop parfois dans certaines scènes qu’elles sont tournées en studio en revanche (on remarque le même sol léché et noir à la fois dans le bureau de l’assureur et dans la chambre de sa fille mourante par exemple), et si l’interprétation du fils (Genica Missirio) est solide, celle de la star russe me laisse de marbre.

Après, j’aime toujours poser des questions stupides auxquelles personne ne peut répondre : Nathalie, ayant vécu, semble-t-il, le reste de son existence à Paris jusqu’à la fin des années soixante, a-t-elle rencontré au cours de sa vie… Romain Gary ? Quitte à aimer les mélodrames avec enfants cachés et les coïncidences… (Ah, bah zut, ce n’est pas une question stupide, ça doit être des réminiscences de La Promesse de l’aube… L’air de famille est donc bien là.)


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Désordre et Génie : Kean, Alexandre Volkoff (1924)

Désordre sans génie

KeanAnnée : 1924

Réalisation :

Alexandre Volkoff

5/10  IMDb

Avec :

Ivan Mozzhukhin, Nathalie Lissenko, Pauline Po

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Une histoire du cinéma français

Quel ennui… Autant de talent gâché pour une histoire aussi insipide. Me suis même demandé un moment si je n’avais pas mal lu et si ce n’était pas adapté du Dumas fils. C’est follement bien réalisé par Volkoff, il y a de bonnes idées de partout, sauf que c’est affreusement long et sans intérêt. La fin surtout. Interminable supplice. À vingt minutes de la fin, Kean sur son lit de mort (non, il n’est pas tuberculeux) s’écrie : « JE MEURS »… à vingt minutes, vingt… minutes de la fin ! Et là la moitié de la salle qui crie à son tour : « NOUS AUSSI ! » (L’autre moitié s’était déjà barrée)

J’exagère à peine.

J’ai cru reconnaître des petits coins du bois de Vincennes. Sympa les reconstitutions de l’Angleterre retapées par la diaspora russe dans un coin de l’Est parisien… Y en avait du fric à dépenser en 1924 ! Grosse production, gros mélo, gros ennui… (Et avec tout ça, ma mère qui pour rien au monde n’irait voir un film « soviétique muet » et préférait revoir Le Grand Silence pour la énième fois avec des potes… ne m’attends même pas à la sortie et me laisse rentrer en métro !… Quelle calamité… !)

 

Désordre et Génie : Kean, Alexandre Volkoff 1924 | Films Albatros


Mikaël, Carl Theodor Dreyer (1924)

Pigmâlion

Note : 2.5 sur 5.

Michael

Titre original : Mikaël

Année : 1924

Réalisation : Carl Theodor Dreyer

Avec : Walter Slezak, Max Auzinger, Nora Gregor, Benjamin Christensen

Un film qui peut, certes, trouver toute sa place dans la filmographie de Dreyer dans une optique autheuriste*, mais comme je préfère juger les œuvres indépendamment les unes des autres, je me fous totalement de la cohérence d’ensemble du discours supposé d’un “auteur” ou de ses obstinations.

Certes, on pourra re-trouver dans ce Mikaël l’intérêt de Dreyer pour la question de l’intolérance et de la lutte des conventions (selon Jean Douchet) ; le problème, c’est que je n’ai pas du tout vu ce film-là. Je peux croire, et même m’émouvoir, dans Mort à Venise, devant les amours contrariées d’un vieux bonhomme pour un adolescent, ça reste, encore, assez innocent, et Visconti fait tout pour qu’on y croie, parce que c’est cet amour qu’il met en scène, aussi on peut y adhérer.

Or, Mikaël ne traite pas de la naissance d’un amour, son trouble, ou même l’intolérance qu’il pourrait susciter dans le monde dans lequel ces amants évolueraient (cf. Été violent, pour citer un exemple récent) ; on a au contraire plutôt affaire à une description des bisbilles entre deux amants une fois qu’ils ne se marièrent pas et n’eurent pas beaucoup d’enfants…

Bref, tout dans cette description de cet amour est antipathique : le vieux est certes un peu touchant à chercher à passer les écarts de conduites de son amant, mais on le sent tout de même un peu trop attaché à le couver, voire faire de lui son héritier ; quant à Mikaël, il n’y a sans doute pas une séquence où il n’apparaît pas antipathique, et l’arrivée d’un nouveau modèle lui faisant les yeux doux n’arrange rien.

Le terme “gigolo” avait échappé à Jean Douchet dans sa présentation, et c’est bien malheureusement ce qu’il est ; et si c’en est un, ce n’est plus un film sur l’homosexualité, ni même dans une vision plus terre à terre, sur un maître avec son modèle, ni même d’un père avec son fils… c’est un film sur un gigolo et son client fortuné. Et pour cela, aucune tolérance possible. Aucun personnage antipathique ne peut rendre un film sympathique.


*La critique américaine a été tellement impressionnée par la politique des « auteurs » qu’ils en ont gardé le terme « auteur » en français, qu’on pourrait traduire par « cinéaste ». « Auteurisme » ne me paraît encore pas assez fort pour évoquer cette pseudo-théorie, j’y ajoute donc le « h » présent dans l’anglais « author » pour bien signifier que la critique américaine participe à perpétuer cette croyance, ou cette facilité, qui n’a au fond aucun sens. Si dans vingt ans, on y est encore, j’utiliserai le terme « authorisme ». Merci alors aux jeunes de me rafraîchir la mémoire. Mais d’ici là, on en aura fini avec l’idée « d’auteurs » non ?…


Mikaël, Carl Theodor Dreyer 1924 | UFA


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L’Inhumaine, Marcel L’Herbier (1924)

L’Inaudible

Note : 3 sur 5.

L’Inhumaine

Année : 1924

Réalisation : Marcel L’Herbier

Avec : Jaque Catelain, Léonid Walter de Malte, Philippe Hériat

45 minutes pour une première séquence interminable dans la demeure de Madame l’Ambassadrice. Une histoire d’une bêtise digne des meilleurs romans-photos (la cougar Georgette est immonde à voir et multiplie les pauses caméra avec son sourire béat et niais, sorte de mélange entre la Castafiore et une Gloria Swanson à 70 printemps).

Deux ou trois décors en carton-pâte (les amateurs de Metropolis pourront apprécier) auxquels on n’échappe qu’avec de courtes séquences sur la route en Bugatti, l’automobile étant censée représenter la modernité (voire le futurisme). Donc de séquences en séquences, on se paie chaque fois le trajet en bagnole, sympa comme tout comme histoire. Et des procédés techniques intéressants, reprenant les trucs d’Abel Gance pour La Roue, les flous en plus, mais parfaitement vains puisqu’il est question de servir une histoire passablement risible.

L’Herbier sera bien plus inspiré en adaptant Zola pour l’Argent et en utilisant son goût pour la démesure dans des espaces quelque peu moins “féeriques” (pour le féerique, Epstein semble bien plus intéressant) et en essayant d’incorporer ses décors dans des espaces réels (le roman de Zola étant lui-même transposé aux années 20).

Ça déborde d’idées et de bonnes intentions, mais on ne voit que trop l’ambition de faire joujou avec caméra, décors et montage, quand les personnages et l’histoire n’ont strictement aucun intérêt. À noter tout de même un délire high-tech amusant à la fin du film avec une sympathique télévision murale avec visio et Internet inclus, le tout sonorisé grâce à la TSF, bien plus moderne que ce machin d’Internet dans lequel personne ne peut encore m’entendre lire mes textes de ma cinésculpturale voix de castrat.


L’Inhumaine, Marcel L’Herbier 1924 | Cinégraphic 


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L’île de la terreur, King Vidor (1924)

Une orange à l’amère

L’Île de la terreur

Note : 4 sur 5.

Titre original : Wild Oranges

Année : 1924

Réalisation : King Vidor

Avec : Frank Mayo ⋅ Virginia Valli ⋅ Ford Sterling

— TOP FILMS

On trouve déjà dans ce film de Vidor tout de certains films qui feront le succès des grands classiques hollywoodiens : une romance, un environnement exotique pour échapper à l’emprise d’une réalité pas très brillante et répondre au contraire à l’appel de l’aventure, un méchant bien identifié, pas d’effets « artistiques » ou expérimentaux (on s’adresse à un large public et on cherche à divertir), du réalisme populaire (on reste dans la transparence du style, donc pas de pantomime mais une recherche du beau plan et de la crédibilité dans la restitution des espaces, de l’intrigue et des personnages). Et puis de l’action : pas de temps mort jusqu’au final épique, notamment grâce à l’utilisation en permanence du montage alterné pour décrire une situation en montrant les divers protagonistes qui ne sont pas forcément dans un même lieu et pour instaurer une forme de suspense permanent (l’opposition des plans successifs entre ces personnages en conflit, ou au contraire, attirés l’un par l’autre, ce jeu d’opposition entre « amour et danger », entre des personnages se trouvant donc dans un même lieu mais pas au même endroit et qui doivent forcément se rencontrer : l’attente, l’espérance ou la crainte de la rencontre crée le suspense). Et il y a même un chien qui joue les héros… c’est Hollywood !

Pour le reste, le découpage technique est étonnamment précis et juste pour un film de 1924 (sublime scène d’introduction). Le récit est là encore parfaitement maîtrisé d’un bout à l’autre du film, dans la concision et l’étirement du temps, dans les choix de détails pertinents, jusque dans l’utilisation des panneaux présents pratiquement à chaque scène de transition pour mesurer le temps écoulé et définir les nouveaux enjeux… On appelle ça le savoir-faire.

Frank Mayo, lui aussi, a ce côté très « Classic Hollywood », à tel point qu’il ressemble à s’y méprendre au Gary Cooper des années 50 (Gary Cooper qu’il croisera plus tard d’ailleurs dans Sergent York ou L’Homme de la rue, Mayo ayant poursuivi, semble-t-il, une carrière de second rôle très prolifique à l’arrivée du parlant). Quant à Virginia Valli, elle tient le rôle principal la même année dans le sympathique L’Homme du rail (un autre thriller romantique, chez les aiguilleurs de train, l’exotisme en moins — comme quoi les codes des thrillers étaient déjà bien établis à Hollywood avant l’arrivée du « maître du suspense »).

L'île de la terreur, King Vidor 1924 Wild Oranges Goldwyn Pictures Corporation (1)L'île de la terreur, King Vidor 1924 Wild Oranges Goldwyn Pictures Corporation (2)L'île de la terreur, King Vidor 1924 Wild Oranges Goldwyn Pictures Corporation (3)

L’Île de la terreur, King Vidor 1924 Wild Oranges | Goldwyn Pictures Corporation


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