Les Deux Gardes du corps, Kenji Misumi (1968)

Note : 4 sur 5.

Les Deux Gardes du corps

Titre original : Nihiki no yōjimbō / 二匹の用心棒

Année : 1968

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Kôjirô Hongô, Isamu Nagato, Miwa Takada, Miyoko Akaza

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Je pourrais reproduire le commentaire de Momotarô le samouraï : on est dans le récit populaire, dans un genre qui m’est cher, celui des joueurs itinérants (matatabi-eiga, pour les intimes, auquel Zatoichi appartient également). Les récits de voyage, c’est toujours l’occasion de forcer des rencontres et par conséquent des destins. On frôle les limites de la légende et du mélodrame. On reconnaît d’ailleurs beaucoup d’éléments (parentalité révélée par exemple) d’un autre chef-d’œuvre adapté du même dramaturge, Shin Hasegawa : Ma mère dans les paupières.

L’histoire oppose ici deux joueurs qui ne cessent de se croiser sur la route (dont un interprété par le génial acteur à tête ronde de Dojo yaburi/Zoku Dojo Yaburi Mondo Muyo). L’un est plutôt un escroc débonnaire (tous les escrocs sont débonnaires), l’autre, derrière son caractère un peu strict, cache un grand cœur. Le second finira par recueillir la fille d’un autre yakuza itinérant dont la femme est morte et qui redoute de ne pouvoir convaincre ses grands-parents de la reconnaître… Le père s’enfuit et laisse la gamine au gentil yakuza qui montrera tellement de dévouement et d’honnêteté auprès de la grand-mère qu’elle acceptera de se charger de la petite. Le yakuza lui remet toutes ses économies pour son éducation et sa future dot (quand je dis que c’est du mélo).

Des années passent. Le gentil yakuza qui avait promis de venir voir sa protégée n’est jamais réapparu, mais en même temps qu’il croise à nouveau la route de son ennemi de toujours, l’escroc débonnaire (dans une maison où une femme qu’il avait violée s’est trouvé une situation…), on leur raconte l’histoire que l’un connaît bien pour l’avoir vécue. Il n’en connaît cependant pas le dernier rebondissement : amoureuse depuis toujours de l’homme qui l’avait recueillie, la fille, belle comme un cœur, rêverait de retrouver son protecteur chéri. Cela ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd : si le gentil reste impassible, l’escroc sent au contraire le bon filon et s’éclipse pour rejoindre la famille dans l’intention de se faire passer pour le protecteur de l’enfant.

La grand-mère devenue aveugle, personne n’est en mesure de le contredire, mais les détails qu’il avance laissent assez peu de doute et le yakuza est bientôt accueilli comme un prince. Bientôt, le bonhomme annonce qu’il en pince pour la gamine et exige qu’elle lui soit mariée. Le gentil yakuza apprend que quelqu’un usurpe son identité et court retrouver tout ce petit monde pour confondre le menteur et le tuer une bonne fois pour toutes. Là, comme dans tout mélodrame qui se respecte, les masques tombent, grand moment de « reconnaissance » où l’on comprend qui est qui. Mais un yakuza itinérant reste un yakuza itinérant, et il doit reprendre la route. Le pouvoir du renoncement.

Magnifique.

Les Carnets de route de Mito Kômon, Kenji Misumi (1958)

Note : 4 sur 5.

Les Carnets de route de Mito Kômon

Titre original : Mito Kōmon man’yūki / 水戸黄門漫遊記

Année : 1958

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Ganjirô Nakamura, Shintarô Katsu, Saburô Date, Tamao Nakamura

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Il faudrait qualifier Misumi de cinéaste errant tant une bonne partie de ses meilleurs films prennent place sur la route… On retrouve d’ailleurs Shintarô Katsu, quelques années avant ses collaborations les plus mémorables avec Misumi pour des films de personnages errants (en tant qu’acteur dans Zatoïchi et en tant que producteur de Baby Cart, le rôle-titre étant assuré par son frère, Tomisaburô Wakayama). Il est ici un (double) usurpateur assurant la partition humoristique du film en compagnie de Ganjiro Nakamura, l’acteur, entre autres, d’Herbes flottantes, et rôle central de ces carnets de route. Ces carnets de Mito Kômon sont inspirés de la vie d’un seigneur ayant réellement existé et occupé le poste de « conseiller provisoire du milieu » avant de se retirer. C’est cette « retraite » qui fait l’objet de cette histoire de voyages cocasse et bouffonne.

On est entre Alexandre Dumas pour les aventures de grand chemin et la commedia dell’arte. Et comme beaucoup de récits populaires japonais, on se rapproche pas mal du ton de la bande dessinée et des variations pouvant se décliner à l’infini à partir d’un même principe (les voyages forment la jeunesse et… une partie des histoires déclinées en séries sans fin). J’avoue être particulièrement amateur de ces facilités. Il faut regarder ça comme un exercice de style : à chaque voyage, sa trajectoire, à chaque étape, sa rencontre et son épisode dédiés.

Le petit plus ici, c’est que la trajectoire de départ est lancée par une idée plutôt lumineuse : un seigneur à la retraite, connu pour ses facéties et son humilité, décide de parcourir le Japon pour partir à sa rencontre ; il décide de partir seul ou presque sur les routes à une époque où les seigneurs forment des processions hautement codifiées et sécurisées ; bien sûr, les autorités ne sont pas de cet avis, et on apprend en même temps que le seigneur voyageur, au détour d’une conversation qu’il n’était pas censé entendre, qu’on précède ses pas dans chaque ville-étape pour lui assurer les aventures qu’il réclame tout en lui assurant la sécurité qui est due à son rang.

S’ensuit un jeu de quiproquos sans fin qui finit en apothéose. Chacun essaie de tromper la partie adverse en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas ; et dans ce jeu du chat et de la souris, on se demande bien qui sera le plus filou en réussissant à berner l’autre. Comme chez Shakespeare, on peut dire que le monde est un théâtre et qu’hommes et femmes réunis n’en sont que des acteurs. (On pourrait même rapprocher les acolytes à la fois inséparables et indissociables qui précèdent, accompagnent ou chassent le seigneur dans sa procession — on ne sait plus très bien — aux deux compagnons d’Hamlet, Rosencrantz et Guildenstern dont Tom Stoppard avait tiré un film tout aussi cocasse et bouffon. À moins qu’on ait affaire aux Dupont et Dupond de Hergé.)

En plus de multiplier les situations d’une savoureuse drôlerie, le film est aussi, par beaucoup d’aspects, émouvant : suivant le même principe du « monde est une scène », les masques finissent toujours pour tomber. Les identités ainsi révélées sont l’occasion de se reconnaître, de se confondre en excuses, de pleurer ensemble, etc. Grand moment aussi quand le vieux seigneur cherche ses amis de voyages disparus après une bataille… : les seuls amis peut-être véritables qu’il se serait faits, car eux seuls, croyait-il du moins, grâce à leurs masques respectifs (et leurs fausses identités), le prenaient pour ce qu’il est vraiment : un vieux fou sans prétention aspirant à l’anonymat, à l’humilité et à la découverte du monde des petites gens. Dans les histoires japonaises comme partout ailleurs, l’émotion que suscitent les révélations identitaires reste toujours la même. On ment, on s’amuse, on se redécouvre, on se reconnaît, et on se tombe dans les bras. Du moins en pensées.

Des carnets de route à l’humour tendre et espiègle. Un peu comme si La Forteresse cachée était mixé avec Tora-san.


Pas d’images du film, mais quelques photos de plateau à retrouver ici ou ici. Les récits de Mito Kômon firent l’objet de nombreuses adaptations. Celle-ci est produite par la Daiei, mais la plus connue semble celle de la Toei avec Ryûnosuke Tsukigata dans le rôle principal (acteur dans Le Sabre pourfendeur d’hommes et de chevaux ou dans Le Mont Fuji et la Lance ensanglantée dont l’histoire reprend ce principe, sur une note plus dramatique, des voyages initiatiques).


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Le Fantôme de Yotsuya, Kenji Misumi (1959)

Théâtre de marionnettes

Note : 4 sur 5.

Le Fantôme de Yotsuya

Titre original : Yotsuya kaidan

Année : 1959

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Kazuo Hasegawa, Yasuko Nakada, Yôko Uraji, Mieko Kondô

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Magistrale adaptation de la pièce de kabuki L’Histoire du fantôme de Yotsuya dont on devine l’héritage théâtral à chaque seconde du film. Aucun souvenir de l’adaptation qu’en avait faite la même année Nobuo Nakagawa (notée 6). Pour un de ses premiers films, Kenji Misumi déploie un sens de la réalisation déjà bien affirmé avec des audaces folles si on compare le film à ce qui pouvait encore se faire dans les studios à l’époque. En dehors peut-être de Kurosawa, celui du montage nerveux des Sept Samouraïs, si on regarde du côté des autres réalisateurs de chambara comme Inagaki ou Tomu Uchida, à la fin des années 50, on est loin de l’approche sophistiquée que Misumi démontre ici à chaque plan et peaufinera au cours des années suivantes (dans Tuer, par exemple).

Je suis loin d’être un amateur de films de fantôme, mais l’astuce ici, c’est que l’aspect horrifique arrive tardivement et n’occupe grossièrement que les vingt dernières minutes. L’horreur est d’ailleurs parfaitement maîtrisée : il faut voir, par exemple, comment le fantôme d’Oiwa se fait passer pour un être encore vivant alors qu’on le voit subtilement flotter dans l’air comme si le fantôme prenait soin de mimer la marche des hommes sans être capable de tromper (au moins) les spectateurs. D’autres idées fantastiques limitent les effets, preuve que c’est souvent quand on en fait le moins que le résultat est le plus réussi : le bras qui sort du sceau (rappelant celui sortant de l’écran dans Ring si j’ai souvenir) ; le corps du mari flottant vers le fantôme qui l’appelle à lui avant de tourner sur place ; l’effet « feu follet » ; la mare de cheveux (ou autre chose) d’où le corps du fantôme finit par apparaître à son mari ; les différentes visions des personnages apeurés en voyant l’image d’Oiwa défigurée à la place des traits d’autres personnages, etc.

Le plus remarquable, c’est encore l’écriture théâtrale du film et la réalisation de Misumi. On le voit, dans beaucoup d’histoires traditionnelles japonaises, la psychologie y est absente. Les représentations sont codifiées et le réalisme n’y a pas sa place. Ce qui est mis en avant dans ce type de récit théâtral (et ce n’est pas propre au théâtre japonais), ce sont les avancées dramatiques. On souligne les oppositions, les conflits, et les personnages dévoilent constamment au public leurs intentions (au moins en confidence ou en petit comité). Comme dans un spectacle de marionnettes ou une bande dessinée, les pensées des personnages n’existent pas. Ils ne sont là que parce qu’ils expriment ostensiblement ce qu’ils ressentent ou ce qu’ils ont l’intention de faire. Même quand un complot (ce qui est le cas ici) se met en place, on en dévoile tous les contours aux spectateurs. Aucune place pour la surprise ou le doute. Tout est ainsi surligné. Quand on est habitués à la subtilité des récits contemporains, à la place de la psychologie, quand on est habitués à se questionner sur le sens véritable des intentions des personnages volontairement rendues floues ou irrationnelles, contradictoires, cela peut surprendre. Ici, au contraire, on touche à la tragédie, à la légende, en faisant des personnages sans profondeur psychologique. Ils représentent des archétypes, parce que dans les histoires d’autrefois, ces récits avaient valeur d’exemple : ces tragédies n’apparaissent pas pour raconter de spectaculaires histoires personnelles, mais pour exposer les comportements de personnages reconnaissables par leur fonction (c’est souvent l’adultère qui façonne ainsi le destin des personnages). Si la trame marche si bien, c’est que chaque archétype semble répondre à un ou deux archétypes opposés. L’exemple le plus marquant, en ce sens, c’est bien celui de la femme dévouée à son mari, Oiwa, qui passe de l’image de la femme parfaite, humble et docile, au fantôme sans scrupules, hideux et maléfique. Toujours aucune place pour la subtilité, c’est de la caricature, du théâtre d’ombres ou de marionnettes (je ne dis pas ça au sens propre, la pièce originale étant destinée au kabuki, contrairement à la pièce ayant inspiré Yoru no tsuzumi, sorti l’année précédente, par exemple, et qui était, elle, destinée au théâtre de marionnettes).

Autre particularité du récit : l’espèce de sac de nœuds qui relie tous les personnages. J’avais exactement eu la même impression récemment avec le Kôchiyama Sôshun de Sadao Yamanaka : il faut un peu de temps pour comprendre tout ce qui relie les uns ou les autres, et une fois que la toile est bien tissée, on tire les fils, et c’est tout le canevas qui de fil en aiguille s’en trouve chamboulé.

Les acteurs jouent en suivant la même cohérence : pas de psychologie, on montre d’un geste, d’un mouvement de tête, ce que le personnage pense ou affirme, toujours à la manière codifiée (pas forcément exactement celle du kabuki) de la scène. Et cela, bien sûr, avec en retour une grande justesse (toujours le tour de force à réussir quand on décide de jouer sur l’aspect théâtral d’une histoire et de gommer toute psychologie).

Certaines pièces adaptées, ou certaines adaptations peuvent paraître hiératiques, mais si on sait bien jouer avec l’aspect théâtral, on peut profiter en retour d’une forme plus ou moins lâche de huis clos dans lequel la tension se fait plus aisément ressentir. C’était ce qu’avait admirablement fait Tadashi Imai dans Yoru no tsuzumi. Misumi ne cherche pas à cacher l’origine théâtrale du récit : les séquences en extérieurs ne sont pas rares, mais elles sont fortement stylisées ; le décor est recherché, on vise à présenter au spectateur un lieu caractéristique, et on se fout ici comme ailleurs du réalisme. Le film est tourné en couleurs, et on devine le cyclorama à quelques dizaines de mètres de l’espace au premier plan. Tout est ainsi reconstitué en studio et Misumi se montre particulièrement à l’aise à découper le cadre au moyen de divers panneaux, embrasures de porte, ou rideaux tout en profitant en permanence de la profondeur de champ qui lui permet de structurer son espace en niveaux de profondeurs distincts (ce cyclo, censé représenter le ciel et l’horizon, est visible depuis de nombreux plans intérieurs). L’ordre géométrique est partout, et le cinéaste met souvent tout ça en mouvement afin de donner à tous ces polygones souvent de papier l’impression de s’agiter au milieu d’un grand origami prêt à se rompre au moindre mauvais geste (ce qui arrive fatalement dès que les katanas sont sortis de leur fourreau).

C’est beau, c’est tendu, c’est tragique. Quoi demander de plus ?


Le Fantôme de Yotsuya, Kenji Misumi 1959 Yotsuya kaidan | Daiei


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La Légende de Zatôichi : Le Shogun de l’ombre, Kenji Misumi (1970)

Zatôichi 21

Zatoichi abare-himatsuri

Note : 3.5 sur 5.

La Légende de Zatôichi : Le Shogun de l’ombre

Titre original : Zatôichi abare-himatsuri

Année : 1970

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Shintarô Katsu, Tatsuya Nakadai, Masayuki Mori, Pîtâ, Kazuko Yoshiyuki, Kô Nishimura, Reiko Ôhara

On sent la volonté de Shintaro Katsu de maintenir la franchise à flot par tous les moyens après une rencontre décevante avec Yojimbo et Toshirô Mifune, et avant un opus catastrophique (le 22e, Zatôichi contre le sabreur manchot).

Shintaro Katsu se lance même cette fois au scénario, fait appel à Kenji Misumi pour assurer la mise en scène, mais ne semble pas bien avoir compris l’échec de l’épisode précédent en gonflant encore plus le casting de têtes connues. L’étonnant et très convaincant Pita (acteur androgyne, voire transformiste, déjà fascinant dans Funeral Parade of Roses), Masayuki Mori en prince la terreur aveugle, un couple de comiques sans doute bien connu, et bien sûr le gracieux et possédé Tatsuya Nakadai… Casting protéiforme, mais aussi tonalité générale qui ose passer du plus tragique au plus comique. Le mélange baroque ne serait pas pour me déplaire, seulement c’est une tendance en 1970 qui annonce trop le déclin et les excès qui pousseront le cinéma japonais au tapis. C’est malgré tout plus réussi que le précédent, mais Shintaro Katsu aura la bonne idée de se vautrer bientôt, et pour de bon, dans le grotesque avec Hanzo the Razor (toujours lancé par Kenji Misumi, alors que la même année, les deux exploiteront un autre filon, Baby Cart, produit par la société de Shintaro Katsu pour un autre acteur trapu, Tomisaburô Wakayama). On sera alors en plein dans l’exploitation avec ses excès obligés pour faire face au pouvoir grandissant de la télévision, et alors l’espièglerie presque sainte du personnage de Ichi, et cet âge d’or formidable du cinéma japonais des années 60, seront alors bien loin.

Me reste à voir ce que donnent les derniers morceaux épars des aventures du masseur aveugle…

La Légende de Zatôichi : Le Shogun de l’ombre, Kenji Misumi 1970 Zatôichi abare-himatsuri
| Daiei, Katsu Production


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Jidai-geki à lame

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Tuer ! Kenji Misumi (1962)

Raizô, The Cherry Razor

Kiru

Note : 4.5 sur 5.

Tuer !

Titre original : Kiru

Année : 1962

Réalisation : Kenji Misumi

Adaptation : Kaneto Shindô

Avec : Raizô Ichikawa, Shiho Fujimura, Mayumi Nagisa

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Misumi peut être le réalisateur de grands chambaras comme Hanzo the Razor, Baby Cart ou La Légende de Zatoichi, ce Kiru n’est pas un film de chambara à proprement parler (d’ailleurs Le Sabre non plus). S’il est question de samouraïs ou de duel au katana, l’approche est concentrée ailleurs que sur l’action. La force du film, c’est son récit. Épique, elliptique, concis, il adopte sans doute les qualités du roman dont il est tiré, et il profite d’un des meilleurs raconteurs d’histoires, adaptateurs et metteur en scène de la seconde moitié du XXᵉ siècle : Kaneto Shindô. Le but est donc moins de montrer les diverses galipettes des sabreurs que de raconter une histoire, un destin, et de ne s’intéresser à des détails que pour accentuer une tension, celle qui résulte d’un duel, avant, après, mais rarement pendant : le cling cling des lames d’acier étant finalement toujours le même, autant s’en passer.

Ce qui ne change pas en revanche, c’est le cling cling pour découper la structure d’un récit traditionnel. J’y reviens souvent, mais les principes et les techniques restent immuables. L’isolationnisme finalement, ça peut avoir du bon. Pendant des siècles, la culture japonaise s’est construite sur des modèles de récits anciens, tellement communs aux cultures qu’on peut se demander s’ils ne relèvent pas de traditions communes à une époque où les petits humains se racontaient des histoires au moyen d’une protolangue originelle (qui fait toujours débat, faute d’enregistrements grommelesques d’époque). J’aurais tendance à dire que l’intelligence, voire le désir de partager, précède la capacité à articuler des phrases. On pourrait donc voir dans ces similitudes la preuve d’une transmission d’histoires, de mythes communs, bien avant que la langue puisse se fixer, et finalement s’articuler autour d’une multitude de protolangues à la base de toutes les langues de la planète. À moins bien sûr, que tous ces principes résultent d’une logique des choses. Ma logique reposant sans doute plus sur un brouillamini d’australopithèque que sur un homo rationnicus academicus, j’opterais pour la première option (l’origine de mythes anciens, fondateurs, dont les codes communs à toutes les cultures seraient les derniers vestiges).

Peu importe. Le Japon a su préserver une certaine tradition dans sa manière de raconter des histoires. Avant le roman, invention occidentale qui traîne en longueur, les contes, les récits épiques, les fables, les chroniques animaient l’imaginaire commun. Et tout ça est sorti, villes et jardins, de la tasse de thé de mon conteur australopithèque. Au contraire du roman usant de grossières digressions, de piteux bavardages ou de considérations personnelles, tous ces styles de récit vont à l’essentiel et ne s’attachent le plus souvent qu’à raconter une chose : le destin d’un homme. La transmission d’une telle histoire avait sans doute valeur d’initiation. Parler des malheurs des autres aidait à se préparer à la vie dure préhistorique. L’imagination comme meilleur outil de l’homme afin de s’émanciper des contraintes de l’environnement. Raconter, c’est prévoir ; raconter, c’est vivre à la place de : le monde virtuel avant l’heure.

J’y reviens presque toujours quand je m’extasie (en pauvre australopithèque que je suis) devant le génie narratif de certains auteurs… Parmi ces techniques, la plus efficace, la plus évidente, la plus utilisée, c’est probablement l’ellipse. Elle résulte d’une logique, d’une fin en soi. On ne coupe pas une chronologie des événements comme on s’amuse avec son katana pour découper une à une les fleurs d’un cerisier. Il faut comprendre et donner un sens à la fable. Ce qui compte, comme chez l’acteur, c’est la finale (l’intention finale). Toutes les actions référencées sont tournées vers un même but. Tout ce qui sort de ce cadre doit être supprimé ; on ne garde que ce qui reste au fond de la batée. Miette par miette, on réunit une suite chronologique d’événements qu’il faut désormais lier. La magie du récit fait qu’entre deux événements, s’ils sont intrinsèquement signifiants, ce sera à l’intelligence du spectateur d’en faire le lien. Pourquoi expliquer ce qu’on peut comprendre tout seul ? On va non seulement plus vite, mais le spectateur tient essentiellement son plaisir dans ce travail d’imagination. C’est le pouvoir évocateur de l’ellipse.

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Tuer !, Kenji Misumi 1962 Kiru | Daiei

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Les ellipses structurent le film. Les plans ne s’intègrent pas dans une logique de tableaux ou de scènes, mais dans une logique d’ensemble. Le montage alterné apparaît naturellement, sans insister : un plan pour évoquer une idée, puis une autre. Le récit avance et ne redonde pas. Si l’on parle souvent de langage pour le cinéma, c’est surtout significatif dans ce type d’histoire. Il n’est pas question d’un langage de tous les jours où l’on cherche à reproduire une impression de réalité. C’est toute une rhétorique de l’image qui s’agglutine pour construire un récit. Les images ne parlent pas, elles racontent. Avec leur part de malentendu et de liberté. Derrière chaque plan, on pourrait presque entendre la voix d’un narrateur suivre le cours du récit. Tel un conte. Ce n’est pas pour rien que la plupart des films japonais muets utilisaient des benshi. Le benshi appartenait à une tradition de l’oralité dans laquelle une histoire était racontée par une voix unique. Le cinéma a fini par adopter naturellement la longueur de ces contes qu’on imagine suivre les soirs au coin du feu. Une heure et demie, deux heures… En dehors de ses expérimentations, le cinéma muet occidental ne faisait pas autre chose : les images, parfois soulignées d’une musique, suivaient le fil d’un récit qu’on racontait à travers des images, mais le sens et le rythme étaient là. C’était déjà celui des contes, de la littérature, et beaucoup moins celle du théâtre ou de la vie où l’on reste esclave d’un espace fini. Eisenstein avait vu juste quand il pensait que deux images montées ensemble avaient un sens (l’effet Koulechov utilisé comme base ou lien sémantique). L’idée était bonne, l’exécution, faute d’être intégrée dans un récit et d’une logique plus large, l’était un peu moins. Ce qu’il faisait à l’échelle d’une scène pour accentuer des effets, des enjeux ou une tension propre à une séquence, il aurait fallu le mettre au service de l’histoire : ne pas jouer sur les séquences, mais sur la fable, comme on dit à un acteur de ne pas jouer sur chaque mot, mais de chercher le sens général d’un texte.

Ce cinéma est donc encore du cinéma de benshi. La voix reste muette, mais les images et le montage parlent à sa place. La technique est d’ailleurs employée assez souvent dans d’autres films : en transition, on rajoute un titre, une voix off. Mais là, tout pourrait être commenté par un narrateur : s’il a besoin d’évoquer dans son récit une scène qui peut être résumée en une phrase, il n’hésite pas, il va droit à cet essentiel et se désintéresse du reste, ça fait partie d’un tout. Ne reste que le murmure, le souffle du conteur : la musique.

Un autre procédé commun, employé le plus souvent de la même manière, si bien qu’il finit par ne plus être que la preuve d’une utilisation systématique de ce « langage » narratif : le plan large d’introduction, voire le gros plan sur un détail du décor (un objet, des animaux, des arbres…). Même principe dans tous les arts, une fois que l’on connaît les codes et qu’on sait les utiliser pour éveiller l’imagination du lecteur, du spectateur, il faut arriver à le surprendre à l’intérieur même de ces codes. Si l’on use toujours d’une même ponctuation pour distiller les événements, on appauvrit considérablement le sens de son histoire. Un écrivain ne doit pas seulement choisir les événements les plus significatifs, mais aussi utiliser les mots les plus justes pour sortir de la banalité des choses. L’auteur possède de nombreuses possibilités par exemple pour traduire le passage d’une période à une autre, créer un lien signifiant entre deux événements (on reste dans l’ellipse), par le biais de connecteurs logiques : « plus tard », « après le… » « lorsque… » « en arrivant à… » « d’ordinaire… » « en marge de » « ce ne fut que… ». Si l’on ne cesse de répéter les « pendant ce temps » ou les « et puis », la saveur est tout autre. Ici par exemple, Misumi commence direct par un gros plan, d’abord de profil, puis de face. C’est un angle fort qui ne s’écarte pourtant pas du cadre qui se dessinera tout au long : il nous décrit ce personnage avant de la mettre en action. Et l’on entend la petite voix du benshi nous dire que ce visage appartient à un personnage important, mais qu’il faut bien le regarder parce qu’on ne le verra plus : on comprend petit à petit, non pas en nous l’expliquant, mais en nous distillant des informations qui nous mettent d’abord sur la voie, avant d’en être certains. Toutes les entrées en matière se ressemblent (il faut mettre en scène l’élément déclencheur, celui qui va tout provoquer, la faute originelle), mais la liberté, on la trouve dans la manière d’évoluer à l’intérieur des contraintes. Mille angles possibles une fois que l’on connaît le cadre à ne pas dépasser.

Le film est ainsi constitué d’évocations multiples. Des plans qui n’auraient aucun sens pris séparément, mais qui, en se combinant, prennent tout leur sens. Comme en littérature ou dans un récit oral quand on peut évoquer facilement certains détails du passé. On trouve ici beaucoup d’inserts de plans reliés à l’histoire de sa mère, donc la sienne. Aujourd’hui, on dirait que ce sont des images qui dévoilent ses pensées. On reste dans une logique de voix narrative : au lieu d’un « je me rappelle », ce serait plutôt un « il se rappelle », voire un « rappelez-vous, spectateur ».

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On bannit également tout mouvement accessoire ou détail non signifiant. Quand le héros retrouve son maître assassiné, il le prend d’abord dans ses bras, puis le relève pour le coucher sur le dos. On peut remarquer un léger faux raccord entre les deux plans. On pourrait presque penser qu’il a traîné son maître sur vingt kilomètres pour le faire changer de pièce, et comprendre ce faux raccord comme une ellipse temporelle. Ça aurait été logique de sucrer cette action ridicule assez peu signifiante du samouraï traînant son maître pour le coucher ailleurs… Il s’agit de la même pièce, et pourtant le faux raccord ne saute pas tant que ça aux yeux. Parce que peu importe si le raccord de mouvement n’est pas exact ; la logique, l’essentiel, est là. Il ne s’agit pas de la même phrase. Un plan le montre d’abord prendre son maître dans ses bras ; un autre (son contrechamp) dévoile sa réaction… Même logique, même phrase, qu’on ne pourrait scinder en deux paragraphes : le samouraï découvre son maître assassiné. Mais ensuite, peu importe le raccord : désormais, ce qui compte, c’est d’illustrer ses excuses. Un idiot se serait soucié du détail chronologique et aurait tenu à reconstruire la scène telle qu’elle aurait pu se dérouler dans un monde réel ; or, on s’en moque, on sait que c’est du cinéma, donc une histoire racontée, on n’est pas plus gênés par cette légère incohérence quand c’est un benshi qui commente et joue tous les personnages, ou quand c’est un orateur qui nous évoque des images par la seule puissance des mots. Un récit, c’est le contraire du réel : c’est du réel sélectionné. On ne garde que le signifiant, et le meilleur.

On retrouvera la même idée dans l’utilisation des scènes dialoguées. Encore et toujours le même principe qu’un conte ou un roman. Les mauvais conteurs se perdent en bavardages. Le spectateur n’a pas besoin de beaucoup : quelques informations, un contexte, une situation, une ligne dramatique cohérente, une atmosphère… Une fois qu’on a donné l’essentiel, il faut passer à autre chose. Alors on parle peu, on évite de s’échanger les banalités d’usage ; on n’arrive pas, et l’on ne repart pas d’une scène, on y est déjà : si l’on y est, c’est qu’on y est bien arrivé, et si l’on est arrivé ailleurs, c’est donc bien qu’on l’a quittée, non ?… (C’était bien l’accumulation de ce genre de péripéties anodines que je reprochais au 47 Ronin d’Inagaki où chaque séquence était ponctuée par l’arrivée ou le départ d’un personnage avec tambours et trompettes.)

Le seul écueil quand on joue du katana au montage, c’est la possibilité d’un manque d’identification au personnage principal, à sa quête, son destin. C’est le seul reproche que je puisse faire au film. Je ne sais pas si c’est parce que je peine à trouver Raizô Ichikawa particulièrement brillant, ou si le film manque de chair autour de cette structure bien léchée, mais j’ai bien l’impression qu’un peu moins de rectitude pour nous laisser nous familiariser avec le personnage principal n’aurait pas fait de mal. Manquait un grand acteur capable d’attirer la sympathie et l’adhésion en un rien de temps, entre deux ellipses. Le personnage est certes un idéaliste, une bonne âme, mais Raizô Ichikawa, avec son œil de biche, fait justement un peu trop ton sur ton. Le trait noir, ce n’était pas sur les cils qu’il aurait fallu le faire, mais en travers. Une bien grande, façon balafre. « Fais gaffe à ce que tu dis, toi, sinon je te fourre mon cerisier bien profond ! » Raizô, The Cherry Razor.




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Le Sabre, Kenji Misumi (1964)

Lamoyant

Le Sabre

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Ken

Année : 1964

Réalisation : Kenji Misumi

Adapté de Yukio Mishima

Avec : Raizô Ichikawa, Yûsuke Kawazu, Hisaya Morishige, Keiju Kobayashi

Le film est bien écrit, parfaitement réalisé, rien à dire là-dessus. Seulement quelque chose me titille dans cette histoire. L’idée sans doute était de faire le lien entre les valeurs du Bushido, supposées disparues un siècle plus tôt avec la fin de l’époque d’Edo, et les valeurs contemporaines jalonnant la société japonaise (au travail comme à l’université par exemple). S’il y a un lien évident (honneur, exigence, dignité, rigueur), il me semble un peu forcé et peine à faire ressortir une dynamique propre aux événements. Certains éléments de l’histoire paraissent trop artificiels pour obéir à cette idée initiale et ça nuit à la crédibilité de l’histoire, aux enjeux et à l’intérêt porté aux personnages principaux. Le récit possède ainsi les défauts de ses qualités. Certes, c’est original, l’idée de départ est louable, mais à force d’être entre deux genres, deux époques, on est nulle part et sans code, on ne peut s’attacher à rien d’autre qu’à des subterfuges un peu grossiers pour donner du sens au récit (comme le personnage féminin qui est bien trop utilitaire, à tel point qu’on la fait apparaître dans la scène finale alors qu’elle n’a a priori rien à y faire).

D’abord, ce qui est réussi, c’est le traitement psychologique des deux personnages principaux. Une concurrence saine entre deux leaders, c’est un classique. L’opposition entre le leader droit, sage et dévoué à son art, et l’autre plus talentueux, mais plus orgueilleux. Le parcours psychologique est intéressant parce qu’on va plus loin que les apparences et on arrive à suggérer des contradictions, voire des troubles profonds derrière le masque (il y est fait d’ailleurs allusion assez habilement dans la scène du bain). L’orgueilleux ne mènera jamais une fronde contre le “capitaine” comme on aurait pu le croire (ou si peu), ce qui l’intéresse, c’est la compétition, et il n’a qu’une idée : être le meilleur. Quant au capitaine, il ne se révèle pas si droit : bien sûr, la fin donnera au moins une autre vision, mais il ne faut pas oublier cette unique scène avec sa mère où peu de choses sont dites, mais le regard du personnage à ce moment et le comportement de sa mère en disent peut-être un peu plus sur les démons qui l’habitent (sans oublier la scène du pigeon). Il fallait deux excellents acteurs pour suggérer toute une psychologie en contradiction avec les mots, et ça, c’est parfaitement réussi.

J’en viens au moins réussi. Ce qui est fascinant dans un film de chambara, c’est la présence permanente du danger. C’est pour ça qu’on le rapporte souvent au western : l’homme face à la nature sauvage. Ça parle à tout le monde. Or ici, les enjeux sont finalement assez futiles, et pourtant ils sont traités avec force comme si à chaque instant les protagonistes jouaient leur vie. Le film renonce (ou échoue) à nous rendre cela un peu plus crédible. On est focalisé sur l’aspect entraînement au kendo et on ne voit rien d’autre. On sent mal l’enjeu du futur championnat, on fait apparaître des femmes quand on en a besoin, et les péripéties pour en faire une véritable guerre psychologique entre les deux principaux personnages ne sont pas assez nombreuses pour en faire pleinement un drame psychologique. Les scènes d’entraînement ont en cela aucun intérêt et ne font que ralentir l’action et le déroulement du récit. La solution aurait été de développer une vie en dehors de la salle d’entraînement : à l’université avec des personnages qui ne prennent pas part aux entraînements, avec des objectifs et des intrigues parallèles signifiants enrichissant un peu plus les rapports entre les deux personnages. Parce que si leur parcours individuel est intéressant, il est vite tracé et souffre du manque d’opposition. On attend le moment où cette confrontation doit venir et elle n’arrivera jamais. La seule scène de climax proposée, c’est quand toute la bande se fait choper en rentrant d’une baignade à la mer… Grand silence, pesant, pourtant rien ne se passe. Et une fois qu’une sanction est donnée, on l’accepte sans broncher, encore une fois en se refusant à la confrontation. C’est trop rigide, à force de jouer sur une opposition psychologique, on comprend qu’il n’y aura plus d’explosion, et on ne la craint plus. Pas la peine de nous faire un gros plan sur la bombe, on a compris qu’elle n’explosera pas.

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Le Sabre, Kenji Misumi 1964 Ken | Daiei Studios

En fait, je comprends mieux pourquoi le film est bancal après avoir vu que c’était tiré d’un roman de Mishima… On peut imaginer qu’il y ait le thème de l’homosexualité traité dans l’œuvre originale. Or ici, on ne voit rien. Il y aura matière, c’est certain, ça expliquerait le fanatisme de l’élève pour son capitaine (ça c’est autobiographique, et il faudrait y voir une confrontation entre les valeurs de la masculinité qu’on retrouve dans ces histoires où les femmes sont bannies, et une homosexualité refoulée dans l’affirmation d’une masculinité forte), mais aussi l’obstination du leader orgueilleux à rentrer en compétition avec l’autre leader, cette manière de lui mettre une femme entre les pattes pour se convaincre que c’est pour le détourner du droit chemin quand c’est en fait pour se confronter à son désir pour lui en se prouvant qu’il peut n’y porter aucune importance. C’est suggéré par quelques dialogues, dans la scène de la voiture, mais c’est tellement peu appuyé qu’on passe à côté. Je ne crois pas du tout que le film ait été réalisé en suggérant une quelconque homosexualité. Si on gomme tout l’aspect sexuel des œuvres de Mishima, c’est sûr, il manque quelque chose… Le sujet initial a été travesti pour en faire une sorte de chambara moderne en occultant les origines du drame. Ça ne veut plus rien dire, et je comprends mieux maintenant pourquoi c’était bancal.

Et si on n’est pas convaincu (sans avoir lu la nouvelle de Mishima), il suffit de lire la quatrième de couverture de Ken et de Martyre : « Comment qualifier les sentiments ambigus qu’éprouvent l’un pour l’autre Hatakeyama et Watari ? Les deux adolescents hésitent entre haine, désir, fascination et cruauté. Jusqu’où leurs jeux troubles peuvent-ils les conduire ? L’équipe de kendô a pour capitaine Jirô, l’un des meilleurs sabres (ken) du Japon. Tous lui envient sa force, sa beauté et son talent. Lorsque le club part faire un stage d’une dizaine de jours, les ambitions et les rivalités entre les membres de l’équipe s’exacerbent… Deux nouvelles raffinées et cruelles qui mettent en scène des adolescents à la sexualité trouble. »

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Liens externes :


Kenji Misumi

kenji-misumi
 
Filmographie & genres :

Drames féminins et amoureux : 

Heptalogie des larmes (ère Meiji – contemporain) : 

  • La Lignée d’une femme (1962)
  • La Famille matrilinéaire (1963)
  • L’Homme au pousse-pousse (1965)
  • La Vision de la vierge (1966)
  • Brassard noir dans la neige (1967)
  • La Rivière des larmes (1967)
  • Deux Sœurs mélancoliques à Kyoto (1967)

Drames amoureux et tragédies en costumes (ère Edo et antérieures) :

  • Gompachi au chapeau (1956)
  • Le Fantôme de Yotsuya (1959)
  • Komako, fille unique de la maison Shiroko (1960)
  • Le Palais de la princesse Sen (1960)
  • La Courtisane et l’Assassin (1963)
  • Le Temple du démon (1969)

Biopic :

  • Bouddha (1961)
  • Ōkuma Shigenobu le grand (1963)

Satire et farce contemporaine : 

  • Les Combinards des pompes funèbres (1968)

Polar contemporain : 

  • Un flic hors-la-loi (1973)

Film de yakuzas : 

  • L’Épée errante (1970)

Jidaigeki à monstres : 

  • Le Retour de Majin (1966, série)

Chambaras :

Trilogie du sabre :

  • Tuer ! (1962)
  • Le Sabre (1964)
  • La Lame diabolique (1965)

Séries populaires à lames :

  • Zatôichi
  • Baby Cart
  • Hanzo the Razor
  • Le Combat de Kyōshirō Nemuri (à partir du 2)
  • Le Passage du Grand Bouddha (nouvelle adaptation)
  • Les Nouvelles Aventures de la joueuse / The Woman Gambler (un seul épisode)

Intrigues politiques, enquêtes et katanas :

  • L’Inspecteur du Shôgun (1959)
  • Le Démon du château de Sendai (1962)
  • Shinsengumi Chronicles (1963)
  • Les Derniers Samouraïs (1974)

Aventures vagabondes, contes populaires et comédies en costumes :

  • Momotarō le samouraï (1957)
  • Les Carnets de route de Mito Kômon (1958)
  • La Princesse aveugle (1959)
  • Les Carnets secrets de Senbazuru (1959)
  • Sur la route à jamais (1964)
  • Jirōkichi le rat (1965)
  • Les Deux Gardes du corps (1968)
  • La Saga de Magoichi (1969)
  • L’Enfant renard (1971)

Après la rétrospective à la Cinémathèque française, commence à se dessiner le parcours du bonhomme. On peut supposer qu’à la disparition de Mizoguchi au milieu des années 50, la Daiei a cherché des successeurs au maître du jidaigeki. Dans ce cadre, Misumi aurait pu être promu à la réalisation grâce à sa capacité à diriger les acteurs. Il sera par la suite indissociable de deux partenaires privilégiés mais non exclusifs au cours de sa carrière : le directeur de la photographie Chikashi Makiura (parfois avec Hiroshi Imai) et le directeur artistique Akira Naito. Les trois principaux collaborateurs de Mizoguchi travaillant encore pour le studio, Yoshihide Yoda pour le scénario, Matsutarô Kawaguchi pour les sujets et Kazuo Miyagawa à la photographie, il n’est pas rare d’avoir vu Misumi travailler avec eux, souvent pour des drames. Mais on peut aussi associer la carrière de Misumi à celle de deux acteurs : Raizô Ichikawa et Shintarô Katsu (voire à un autre, Saburo Date, toujours dans l’ombre, souvent dans des rôles de méchant, mais ayant participé à 33 réalisations avec Misumi depuis leur première rencontre sur le tournage de La Porte de l’enfer sur lequel Misumi était assistant).

Dès son premier film disponible, Gompachi au chapeau (1956, déjà avec Raizo Ichikawa), on trouve des éléments parfaitement maîtrisés, à l’exception de l’humour, qui se retrouveront tout au long de la carrière de Misumi : un récit de vagabondage avec le katana en guise de boussole et une histoire d’amour impossible (pour tous les amateurs de psychanalyse et de politique des auteurs : Kenji Misumi est le fils d’une geisha et d’un marchand qu’il a à peine connus — il a été élevé par sa tante). La même année, il commence sa collaboration avec Shintarô Katsu, mais le film est indisponible.

En 1957, Misumi poursuit son aventure avec Raizo Ichikawa dans un nouveau récit de vagabondage (à l’histoire tirée par les cheveux) : Momotarô le samouraï. L’année suivante, il reste sur le récit de vagabondage, mais on oublie le romantisme de Gombachi, et on passe au registre de la comédie avec Les Carnets de route de Mito Kômon. En 1959, le vagabondage est toujours de la partie avec La Princesse aveugle ; le film marie idéalement romantisme et comédie. Mais Misumi diversifie aussi sa palette en adaptant un classique du théâtre, Le Fantôme de Yotsuya, dans une version très mizoguchienne assez peu tournée vers le cinéma de genre (plus respectueuse de la pièce d’origine sans doute que d’autres versions).

En 1960, il met de côté ses récits de vagabondage pour raconter des drames amoureux à l’époque Edo (Misumi semble n’avoir encore réalisé aucun film situé dans une époque plus tardive) : Komako, fille unique de la maison Shiroko et Le Palais de la princesse Sen. La même année, il commence sa version de l’adaptation du Passage du grand bouddha. Et l’année suivante, la Daiei change de dimension en confiant au réalisateur le monumental Bouddha.

En 1962, Misumi joue sur tous les tableaux : il réalise ce qui pourrait être son premier grand mélo, La Lignée d’une femme, puis il entame sa trilogie du sabre avec Tuer et lance la série des Zatoïchi. Il poursuit dans cet éclectisme l’année suivante puisqu’il tourne une satire, peut-être son premier film contemporain (La Famille matrilinéaire), un magnifique drame amoureux (La Courtisane et l’Assassin) et une hagiographie (Ôkuma Shigenobu le grand). Et ce sera comme ça encore quelques années…

Malheureusement, une grande part de ces films (souvent de valeur égale, les chefs-d’œuvre invisibilisés étant bien plus nombreux que les mauvais films) reste aujourd’hui indisponible.

Classement :

10/10

9/10

  • Tuer ! (1962)
  • Les Derniers Samouraïs (1974)
  • Brassard noir dans la neige (1967)
  • Komako, fille unique de la maison Shiroko (1960)
  • Le Palais de la princesse Sen (1960)
  • Le Temple du démon (1969)
  • La Lignée d’une femme (1962)

8/10

  • Zatôichi, le masseur aveugle (1962)
  • La Légende de Zatoïchi : Les Tambours de la colère (1968)
  • La Légende de Zatoichi : Voyage meurtrier (1964)
  • Hanzo the Razor 1 : L’Épée de la justice Goyôkiba (1972)
  • La Rivière des larmes (1967)
  • Baby Cart : Le Territoire des démons (1973)
  • Le Fantôme de Yotsuya (1959)
  • Les Carnets de route de Mito Kômon (1958)
  • Les Deux Gardes du corps (1968)
  • Le Passage du Grand Bouddha I (1960)
  • La Famille matrilinéaire (1963)
  • L’Homme au pousse-pousse (1965)
  • Deux Sœurs mélancoliques à Kyoto (1967)
  • Gompachi au chapeau (1956)

7/10

  • La Légende de Zatoïchi : Route sanglante (1967)
  • La Légende de Zatoichi : Le Shogun de l’ombre (1970)
  • La Légende de Zatoïchi : Voyage en enfer (1967)
  • Le Sabre (1964)
  • Baby Cart : Dans la terre de l’ombre (1972)
  • Baby Cart : L’Enfant massacre (1972)
  • Baby Cart : Le Sabre de la vengeance (1972)
  • Shinsengumi Chronicles (1963)
  • La Vision de la vierge (1966)
  • Momotarō le samouraï (1957)
  • Le Passage du Grand Bouddha II (1960)
  • Les Carnets secrets de Senbazuru (1959)
  • La Courtisane et l’Assassin (1963)
  • L’Enfant renard (1971)
  • La Princesse aveugle (1959)

6/10

  • La Lame diabolique (1965)
  • Sur la route à jamais (1964)
  • Le Démon du château de Sendai (1962)
  • Le Combat de Kyōshirō Nemuri (Nemuri Kyoshiro 2: Shôbu) (1964)
  • La Saga de Magoichi (1969)
  • Les Combinards des pompes funèbres (1968)
  • Jirōkichi le rat (1965)
  • L’Inspecteur du Shôgun (1959)
  • The Woman Gambler 17 (1971)
  • Ōkuma Shigenobu le grand (1963)

5/10

  • Shogun Assassin (1980)

4/10

  • Un flic hors-la-loi (1973)

3/10


Films commentés (articles) :

Courts articles :


Listes :


commentaires simples :

The Woman Gambler 17 (1971)

Vu par curiosité. N’ayant vu aucun des… 16 premiers épisodes, il fallait s’attendre à pas y comprendre grand-chose. Amateur des opusculaires de La Pivoine rouge (Lady Yakuza) dont cette joueuse semble être une sorte de sœur cadette, je me suis laissé tenté. Un des derniers films produits par la Daiei. La pauvre, elle produit des séries depuis des années, mais elle fera faillite avant de pouvoir participer à la vague d’exploitation des années 70. Quitte à faire des films avec trois bouts de ficelles, il aurait été peut-être plus judicieux de miser sur l’expérimental. Parce que le film reste encore très académique, on ne tombe jamais dans les excès de violence qui n’ont jamais caractérisés la mise en scène de Misumi, mais c’est sacrément fauché. Les salles de jeu, c’est pratique, on a jamais à montrer l’extérieur… Des extérieurs, il y en a quelques-uns, des terrains vagues (on y voit une jolie scène « d’amour » d’ailleurs). Et le finale se déroule dans une très jolie maison traditionnel, mais on n’est plus à l’époque où on peut découper les shojis en origami lors des grandes bastons : on se bat, oui, mais on met plus l’accent sur la chorégraphie que sur la destruction du décor (le propriétaire ne serait pas content). Le récit est bien construit, mais sans capacité à proposer une histoire qui sorte de l’ordinaire, l’équipe est condamnée à jouer sur des sujets vus cent fois (le tricheur repenti qui finit par être trompé, puis assassiné, la joueuse qui s’exile quelque temps pour se faire oublier, le jeu qui s’invite malgré elle, la rencontre heureuse avec l’alter ego qu’on aime avant même de savoir qu’il existe, les guerres de clans, les parties à quitte ou double, l’honneur perdu du clan, le revirement inattendu et la révélation d’identité). Je suis venu, j’ai vu, j’ai perdu. C’est triste de voir le cinéma japonais agoniser sur la pellicule.

Ōkuma Shigenobu le grand (1963)

Après la vie de Bouddha, c’est donc celle d’un illustre politicien japonais, Shigenobu Ôkuma, une des figures du développement académique et industriel du pays à l’ère Meiji tout de suite après son ouverture, qui est confié à Misumi… Au-delà de l’aspect historique (période très rarement montrée au cinéma sinon sous l’angle des films de yakuzas, et par conséquent, plutôt inconnue pour moi), pas grand-chose à signaler sinon une profusion de moyens déployés pour cette hagiographie et un acteur principal loin d’être convaincant. Informatif, rien de plus. Et un peu barbant (comme tous les biopic).

Notes à part : 

Sorti des limbes du site (resté en privé) d’un échange avec l’ami oso concernant l’opposition entre Misumi et Gosha. Commentaire qui date un peu, mais assez curieux à lire à la lumière des derniers films vus : Le duel Kenji Misumu face à Hideo Gosha.

Le Combat de Kyôshirô Nemuri (Nemuri Kyoshiro 2: Shôbu) 1964

J’ai dû revoir des images du premier volet pour me remémorer le contexte de la saga, mais cela ne semblait pas si nécessaire en fait. C’est vrai que dans ce genre de film, le principe est presque celui des séries TV où à chaque épisode, on repart presque avec une nouvelle histoire : on garde le héros principal, de nouveaux personnages apparaissent et par conséquent une nouvelle mission. C’est joliment fait. Du récit populaire (genre sur lequel le cinéma français aurait dû capitaliser en multipliant les films de cape et d’épée, mais le public a vite été subjugué par les récits populaires venus d’ailleurs) qui tient surtout pour la botte secrète que les opposants au héros semblent tous pouvoir déjouer. La suite au programme, mais ça me paraît déjà un peu en deçà du précédent.

La Saga de Magoichi 1969

Kinnosuke Nakamura qui avait été autrefois peut-être le Miyamoto Musashi le plus convaincant sous les ordres d’Uchida est loin de son meilleur. On y retrouve également le jeune premier d’autrefois, boule à zéro, Kôjirô Hongô, qui était formidable dans Les Deux Gardes du corps par exemple. Shintarô Katsu joue le méchant dans l’histoire. Vulgaire western qui ravira les amateurs de films de guerre en costume. Le seul intérêt du film tient de l’obstination fétichiste que porte le héros pour un grand amour dont il n’a vu que les pieds. C’est cocasse, mais aussi totalement hors du ton général du film (même si toute la troupe de Musimi essaie de faire passer ça pour une comédie). On approche la fin des heures de gloires du cinéma nippon, et à l’image du cinéma italien à la même période, cela se fait d’abord par un vieillissement remarquable de sa distribution. C’est assez pathétique ici : tous les héros vaillants du début de la décennie sont réunis et semblent avoir passé leur soirée à boire de l’alcool (ils ont tous la gueule bouffie et le geste lourd des gros buveurs). La gueule de bois commence pour le cinéma japonais. Même l’image commence à s’enlaidir.

Les Combinards des pompes funèbres 1968

Farce contemporaine et satire capitaliste bien construite et bien interprétée, mais cela a méchamment vieilli, et l’humour noir sur une heure et demie de film, ça use. Shintarô Katsu est toujours parfait en crétin naïf et volontaire. Le film vaut peut-être juste le coup d’œil pour la performance du Michel Simon nippon, Yûnosuke Itô, en chirurgien plastique désabusé, tripoteur de fesses et bilingue.

Le Démon du château de Sendai 1962

— Bonjour Monsieur Kubrick. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi avoir réalisé La Grand Sommeil ?

— J’ai toujours apprécié le travail de William Faulkner.

— Avez-vous conscience que le public sera un peu perdu ?

— Vous l’étiez ?

— Honnêtement, oui.

— Vous n’avez rien compris ?

— Honnêtement ? Rien.

— Intéressant. Qu’avez-vous retenu d’autre ?

— Vous êtes le plus grand réalisateur sur terre.

— Je le savais déjà. Mais il y en a un autre.

— Ah oui ?

— Devinez.

— Howard Hawks ?

— Qu’est-ce que vous racontez ? Je vous ai demandé de deviner, pas de raconter n’importe quoi.

— Pardon, c’est que je suis encore troublé par votre film. 

— Un homme a réalisé un film tout à fait fascinant, le public occidental se plaignait n’y avoir rien compris, mais tout le monde était unanime pour dire que le travail de la production, des décors, la photographie, jusqu’aux acteur, et bien sûr ce qui nous intéresse ici, la réalisation, pour dire donc que ce travail était admirable. Du jamais vu. D’ailleurs, en réalité, dans le monde réel, personne ici ne l’a vu. Vous ne voyez toujours pas de qui je veux parler ?

— J’avoue que…

— Kenji Misumi.

— Ah.

— Vous ne voyez pas qui c’est ?

— J’avoue que…

Zatoïchi.

— Ah. Oui. Bien sûr.

— Vous ne voyez pas. En quelle année somme nous ?

— 2024.

— Tout s’explique.

— Si vous le dites. Moi, je suis perdu.

Je reviens de la Cinémathèque française… Vous connaissez la Cinémathèque française ?…

Pas personnellement.

Peu importe. Je reviens donc de la Cinémathèque française où j’ai vu un film intitulé Le Démon du château de Sendai.

— Un film d’horreur.

— Pas du tout.

— Evidemment.

— Enfin, peut-être pas. Je n’y ai rien entendu.

— Vous, Monsieur Kubrick, vous n’avez rien compris ?

— J’ai réalisé 2001 : Odyssée de l’espace, je vous rappelle…

Bien sûr. Non, en fait, je n’en savais rien. Zatoïchi, c’est qui déjà ?

— En 2024, personne ne se rappelle de mon 2001 ?

— Plaît-il ?

— Bref, j’en reviens à mon film.

2001 ?

Le Démon du château de Sendai.

— Bien sûr…

— Eh bien, il a été réalisé par Kenji Misumi.

— Je ne l’aurais jamais cru.

— Et le film est très bon. Vous devriez le voir.

— Avec plaisir, ça parle de quoi ?

— Je n’en ai absolument aucune idée !

— Tout un programme. Monsieur… quel est votre nom déjà ?

— Kubrick.

— Voilà. Eh bien, je crois que je vais aller me reposer. Un grand sommeil s’impose.

Bref, c’est foutrement joli, mais je n’ai rien compris. Rien. Godzilla aurait très bien pu apparaître dans une scène que je n’y aurais vu que du feu.

Le Passage du Grand Bouddha, 1960

Plus de souvenirs du tout de la version d’Uchida tournée trois ans auparavant (mais bien notée), et pas beaucoup plus de l’unique premier volet préservé d’Inagaki sorti, lui, trente ans avant. Mais j’avais déjà relevé un style de récit éclaté pas forcément à mon goût. J’aime bien les histoires écrites en tableaux, mais essentiellement quand le récit est centré sur un seul personnage et la trajectoire d’un destin unique. Ici, ça part parfois dans des telles ellipses qu’on a du mal à savoir de quoi il en retourne. Faut croire que c’est propre au roman parce qu’on retrouve ce style dans toutes les versions. Là où le film se montre bluffant en revanche, c’est dans la maîtrise formelle de Misumi. Sa composition est somptueuse. Il arrive bien à marier les plans tournés en extérieurs et ceux en studio (même de forêt) et moi qui suis loin d’être fan de Raizô Ichikawa, reconnaissons qu’il offre à son personnage une gravité folle dans les deux premiers épisodes. La Daiei a dû se dire que pour le troisième volet, le public concerné irait de toute façon dans les salles, donc ils étaient en mode balec, et un autre réal friand de mouvements de caméra intempestifs s’est chargé de conclure l’aventure. En dehors d’une jolie séquence finale prise dans un typhon, cette dernière partie peine à retrouver l’élan initié par Misumi.

Un flic hors-la-loi (1973)

Défilé de plans en téléobjectif avec flous et couleurs crado. Misumi s’amuse, faute de pouvoir filmer autre chose que des décors bien dégueux, mais on est loin de l’énergie d’un Fukasaku (Combat sans code d’honneur, c’est la même année). Et pourtant, c’est peut-être la seule chose à garder. Tout le reste est vilain comme c’est pas permis : pas de rythme, une histoire stupide voire grotesque (le finale est tellement mélodramatique que ça pourrait être du John Woo, par exemple, mais Misumi est clairement dépassé dans ces années 70 fauchées), pas d’action digne de ce nom, pas de tension crédible. Et le pire peut-être de tout : des séquences de torture répétitives sans fin et sans but. Quand Hanzo torture sexuellement ses victimes, on est dans l’outrance absolue, on s’en amuse, et c’est souvent très créatif. Ici, on torture gratuitement ; cela se veut sans doute amusant, mais c’est loin de l’être. Le pire film de Misumi jusque-là. Mais on le pardonne, ils y sont tous passés dans cette décennie d’agonie.

Momotarō le samouraï  1957

Réalisation encore plus précoce que Le Fantôme de Yotsuya. Déjà avec Raizō Ichikawa, qui assure ici un double rôle. On est dans le récit bien populaire avec toute une série de stéréotypes du genre : l’arrivée d’un étranger en ville ; la femme secourue ; la rencontre avec le fidèle zozo voleur à ses heures perdues ; celle (plus fortuite) avec la future aimée ; et bien sûr, le tour de force narratif à la limite du mélodrame, la ressemblance remarquable entre l’étranger avec un jeune seigneur devant faire face à un complot. Tout cela est bien opportun, mais on s’amuse comme des fous. Misumi n’en est pas encore à faire joujou avec l’écran large ; les couleurs rappellent celles des Inagaki des années 50 ; mais certaines prouesses techniques sont déjà du Misumi dans le texte : de nombreux travellings latéraux ou dans la profondeur en chœur avec la musique pour relever un effet narratif et une transition, une contre-plongée audacieuse plus que rare à l’époque, des gros plans introductifs contraires à l’habitude classique d’alors, et déjà, dans les batailles, une préférence à tourner l’axe de la caméra sur les bretteurs en plan rapproché, là où d’autres font l’erreur de tourner leur caméra sur la rencontre entre les deux sabres (ce qui n’empêche pas Misumi de tirer admirablement parti du talent de ses deux sabreurs dans un magnifique finale joliment chorégraphié).

Sur la route à jamais (1964)

Assez mineur. Un scénario basé sur une enquête et une recherche du père qui n’a rien de bien trépidant. On se croirait dans un roman russe à ne jamais savoir qui est qui. Et ça tombe bien parce que, badaboum, il s’avère que la personne recherchée n’est pas celle que l’on croyait… Les acteurs ne semblent pas bien convaincus non plus. Pas plus que Misumi qui se concentre comme il peut avec le joli écran large et la couleur qu’on lui a prêtés pour faire joujou au bord de la mer. Ce dernier aspect n’a d’ailleurs pas grand-chose pour me séduire : comme pour les westerns dans la boue, j’avoue une certaine aversion, presque physique, pour les chambaras balnéaires (Goyokin en tête). On note aussi énormément de connexions, sans doute inexplicables, entre les films d’exploitation (ou ce qu’on n’appelle pas encore ainsi) italiens et japonais. Si certaines influences sont mutuelles et avérées ou avouées, d’autres me paraissent improbables. Ici, par exemple, j’y vois un côté Django avec ce village semblant sortir du néant (aucun voyage possible, aucune nouvelle du dehors, il n’y a jamais que les voyageurs que l’on suit capables de venir chahuter le repos relatif de ce petit monde corrompu vivant en vase clos).

Pour ce qui est de la réalisation donc (puisque Misumi se fout joyeusement de donner des indications à ses acteurs afin qu’ils y comprennent quelque chose ou adoptent une humeur conforme à une ambiance attendue à tel ou tel moment du récit), c’est assez brillant. Misumi (ou son chef opérateur) profite du grand écran pour multiplier les gros plans, et de la couleur, pour exposer les peaux moites et luisantes sous le soleil de plomb. Ce n’était pas le tournage à avoir une poussée d’acné. Comme à son habitude, il joue également énormément sur la profondeur de champ. Composition des plans époustouflante. On devrait appeler cette maîtrise « l’effet Misumi ». En dehors de ça, rien à retenir. Foutez-lui un bon scénario entre les mains à ce garçon.

La Vision de la vierge (1966)

Les petites bassesses du clergé bouddhiste avec un premier viol d’une violence inattendue (perpétré par l’acteur de Baby Cart sur Ayako Wakao, donc bonjour le choc), mais un déroulé de l’intrigue bien trop vite expédié (à l’image de la vengeance finale), et cela malgré une maîtrise impressionnante de Misumi (utilisation parfaite de l’écran large et du noir et blanc), et de ses interprètes.

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Kenji Misumi

Le duel : Kenji Misumi face à Hideo Gosha

Perso je vois beaucoup moins de différence entre les “cinéastes” qu’entre les périodes où les films ont été réalisés. Gosha et Misumi, c’est donc kif-kif. Les années 60, on propose chez les deux des films exigeants parce que le public suit. Et quand je dis exigeant, ça reste des chambara donc on est encore loin de cinéastes “auteurs”. D’ailleurs avant ces années 70, Misumi a aussi réalisé des drames, perso j’en ai vu un excellent, La Rivière des larmes, on est très très loin du bis, seulement oui, ces films sont pas ou peu vus. Mais rien que dans ces années 60 Misumi a signé pas mal de Zatoïchi et tu peux en convenir, osonito, ce n’est pas parce qu’on est dans le serial qu’on est, déjà, dans le bis. Et Gosha à la même période tournait pas autre chose. Le bis, ou l’exploitation, elle arrive selon moi avec les années 70 et la faillite de certains studios, obligeant les rescapés à filer vers les extrêmes et la surenchère. D’ailleurs, apparemment la notion d’auteur ou d’art, en dehors de quelques réalisateurs qui se comptaient sur une main et d’ATG, n’avait pas cours au Japon. Katsu par exemple est sans doute plus responsable d’une certaine exigence dans les films dont il était probablement à l’origine plus qu’un quelconque réalisateur chargé de les mettre en scène. (Enfin bon, le type qui fait autorité en la matière et qui relève ça dit par ailleurs que Misumi est un de ses réalisateurs préférés… très cohérent tout ça, mais on n’échappe jamais à ce besoin de foutre une signature sur un film. Moi je te dégrifferais tout ça, raccourcissant tous les films des deux ou trois minutes de génériques, et qu’on juge les films individuellement en se foutant bien de qui en était le chef décorateur — le misumi — ou l’étalonneur de couilles — gosha.)

Une seule chose à savoir donc. C’est tourné dans les années 70. Plus que du bis, c’est le chant de cygne d’un âge d’or katanesque. Tout est un peu criard. On meurt rarement dans la subtilité. Un peu, disons, comme un match formidable de Moussa Sissoko en finale d’un Euro. Quand Ben Jonhson se met à jouer comme Maradona, c’est qu’on est tout près du point de rupture.

@Lim : Oui, Misumi est loin de n’être qu’un artisan du Bis, et finalement, il n’y a guère que les Baby Cart qui témoignent de cette facette chez lui, mais elle existe. Alors que chez Gosha, enfin de ce que j’en ai vu (j’veux bien des titres si j’me plante), c’est quand même relativement plus sérieux.

Alors comme on parlait de Daigoro et son papounet, j’mettais juste en garde Mo sur le fait que cette saga est quand même à part dans la thématique Chanbara.

Mais même dans les Zato, et je suis pourtant d’accord quand tu dis que c’est plutôt sérieux, voir grave parfois, il y a une certaine décontraction, un humour pince sans rire qui fait que pour moi Misumi me parait plus «  »symphatique » » (terme moisi, mais j’ai pas le temps de pinailler !) que Gosha.

Oui mais est-ce que la marque du bis c’est le manque de sérieux ou c’est les excès ? Gosha est peut-être plus sérieux dans le sens où ses films utilisent rarement l’humour, mais ce qu’il fait reste pour moi commercial. Il faut attendre les films des années 80 pour qu’il propose quelque chose qui se démarque sans doute et corresponde plus à ce qu’on pourrait identifier comme films d’auteurs (la Geisha pour ce que je me rappelle et qui a été remarqué par la critique nipponne, mais là encore, si on cherche une correspondance, perso je relierais ça à du Bertolucci, c’est grand spectacle, et sérieux, mais ça reste très populaire). Tous les chambara des années 60 correspondent selon moi parfaitement à ce qui se faisait à l’époque. C’est sérieux, mais parce qu’un chambara c’est sérieux. Si à côté de ça, tu as l’exception Zatoïchi avec son humour pince sans rire, c’est surtout le fait du personnage et de son acteur, pas vraiment d’une volonté d’un Misumi d’en faire quelque chose de léger.

Et dans ces mêmes années 60, il fait quoi le Misumi ? La trilogie du sabre. Dans mon souvenir, ce n’était pas vraiment poilant. Les trois sont avec Raizo Ichikawa, le bonhomme a pas une once d’humour^. Y en a même un qui est une adaptation de Mishima, pas vraiment connu non plus pour son sens de l’humour. Si ça devient très très léger (si on peut dire) au tournant des années 70, c’est encore une fois le fait de ce qu’il met en scène. Faudrait creuser la filmo de Misumi, mais j’avais été étonné de voir son Rivière des larmes, parce que c’était un drame familial (ou du mariage) en costumes, plus quelque chose qu’on verrait chez un Mizo, un Masumura ou un Imai.

Après, c’est vrai que de dire que Baby Cart, bah, c’est du bis, mais c’est moins lié à Misumi qu’à l’époque à mon avis. (Et du bis, Gosha a bien dû en faire aussi. Il a relativement peu tourné dans ces années 70, mais il semble bien avoir tourné un peu dans le bis, version yakuza, avant sans doute d’alterner dans les années 80 en jouant sur le côté « ouais c’est des films sérieux mais c’est avec des geishas, on va voir des nibards comme dans Bertolucci, ne vous inquiétez pas. »)

Et en parlant de nibards, il y a bis et bis… je sais plus dans lequel c’est mais y a une des scènes les plus sensuelles que j’ai pu voir dans Baby cart. C’est peut-être sur ce point que perso j’accepterais pourquoi pas de voir Misumi comme d’un auteur, à sa capacité à tirer au mieux d’une séquence à travers le simple montage. Ça arrive souvent dans les scènes de bain par exemple (et il me semble que s’il a aussi réalisé le meilleur Hanzo pour Katsu c’est bien aussi pour sa capacité à mettre en scène ces instants “vides” qu’ils n’animent rien que par le montage et le cadrage). Je sais plus dans lequel c’est donc, mais Daigoro et son papounet se retrouvent tout mouillés avec une « james bond girl » et se sèchent tous au feu de bois dans une grange. C’est amusant parce que là pour le coup, on est dans l’anti bis, l’anti Hanzo qui lui l’aurait tringlé à la sauvage et aurait arrêté en plein orgasme pour la faire souffrir ; lui, au contraire, il la prend dans ses bras alors qu’il y a déjà une certaine méfiance parce qu’ils ne sont pas censés être très proches, mais il est pragmatique le papounet : il faut se réchauffer. Et là c’est du Hitchcock, on ne sait pas trop si c’est une scène d’amour ou si ça présage un meurtre… Et lui Misumi il use du suspense avec du montage en faisant grimper la tension, suggérant tout et n’importe quoi, prenant son temps, et cette sensualité… du môme qui est dans les bras de son père et de cette inconnue, à poil, et qui enlève une goutte d’eau sur son nibard en lui filant une gifle amoureuse qui le fait rebondir… Et là, le plan qui tue, le montage, toujours le montage, tu vois la fille, qui abandonne sa méfiance et qui limite est en extase. Ce n’est pas du Hanzo encore une fois, pourtant c’est la même période, c’est le même réal, mais les tonalités sont totalement opposées. C’est digne du Oshima de l’Empire de sens, je dirai même que c’est encore plus subtil que Oshima, parce que tout est en sous-entendu, et c’est l’alliance des contraires : la méfiance totale > extase refoulée = abandon discret. Merde, c’est comme un sourire de Ryu chez Ozu : s’il sourit comme un demeuré, c’est peut-être aussi parce que ce vieux schnock vient d’avoir une réaction. Cette scène, c’est la Joconde. Gosha, il est probable qu’il ait pas proposé ça, peut-être justement parce que si c’est plus sérieux, ça joue aussi beaucoup plus sur les faits que sur de purs moments de mise en scène (faudrait revoir mais par exemple ce que j’adore dans Le Sabre de la bête, c’est que c’est du Dumas, d’accord, c’est sérieux, mais c’est l’action qui compte, l’événement, plus que le mouvement et la chorégraphie chez un Misumi peut-être…).

Gosha, c’est :

     
1. Trois Samouraïs hors-la-loi (1964) 8/10   1964
2. Sword of the Beast (1965) 10/10   1965
3. Kiba, le loup enragé (1966) 8/10   1966
4. Goyokin (1969) 6/10   1969
5. Hitokiri (1969) 6/10   1969
6. Les Loups (1971) 8/10   1971
7. Chasseurs des ténèbres (1979) 8/10   1979
8. The Geisha (1983) 8/10   1983
 

(notes perso sur IMDb)

Lien vers le classement réalisateur de Misumi

Misumi, c’est certes de l’exploitation, et une fin prématurée :

     
1. La Porte de l’enfer (1953) 7/10   1953
2. Zatôichi, le masseur aveugle (1962) 8/10   1962
3. Tuer (1962) 9/10   1962
4. Shinsengumi Chronicles (1963) 7/10   1963
5. Fight, Zatoichi, Fight (1964) 8/10   1964
6. Le sabre (1964) 7/10   1964
7. La lame Diabolique (1965) 6/10   1965
8. La Légende de Zatoïchi : Voyage en enfer (1965) 7/10   1965
9. La Légende de Zatoïchi : Route sanglante (1967) 7/10   1967
10. La Rivière des larmes (1967) 8/10   1967
11. La Légende de Zatoïchi : Les tambours de la colère (1968) 8/10   1968
12. Zatôichi abare-himatsuri (1970) 7/10   1970
13. Baby Cart: le sabre de la vengeance (1972) 7/10   1972
14. Baby Cart: L’enfant massacre (1972) 7/10   1972
15. Goyôkiba (Hanzo the Razor) (1972) 8/10   1972
16. Baby Cart: Dans la terre de l’ombre (1972) 7/10   1972
17. Baby Cart: Le territoire des démons (1973) 8/10   1973
18. Okami yo rakujitsu o kire (Les Derniers Samouraïs) (1974) 8/10   1974