Aux frontières de l’aube, Kathryn Bigelow (1987)

Note : 3 sur 5.

Aux frontières de l’aube

Titre original : Near Dark

Année : 1987

Réalisation : Kathryn Bigelow

Avec : Adrian Pasdar, Jenny Wright, Lance Henriksen, Bill Paxton, Jenette Goldstein

Plutôt impressionné par la première heure de film : jolie maîtrise narrative, les séquences s’agencent efficacement en développant une situation attendue, voire archétypale (la transformation d’un « initié » en vampire et sa prise en main par un groupe de noctambules tueurs), et cela en faisant merveilleusement usage de tous les outils du cinéma (ellipses, montage-séquences, musique narrative liant le tout pour donner une impression de course en avant inéluctable, etc.). Et puis, une fois les enjeux posés (conflits éthiques de l’initié qui refuse de s’attaquer à des proies), ça va de mal (v)ampire…

Dans le cinéma de genre, une fois que l’on a su se sortir des pièges de l’introduction à faire, en réussissant à convaincre avec des codes connus de tous, un deuxième écueil vient alors se présenter devant les auteurs : « et maintenant, que vais-je faire ? ». Il faut tirer d’autres fils, faire preuve cette fois d’originalité en revisitant une thématique, tout en gardant une maîtrise dans la structure qui fasse le boulot pour tenir en haleine le spectateur et éviter la série B (à une époque où les séries B tendent à devenir des séries A). Gilbert Bécot interroge alors Kathryn et essaye de l’amadouer en lui chantant « big bisou », et la réalisatrice, comme hypnotisée, répond à la question fatidique de Gilbert par : « Caleb (l’initié) revient dans le groupe après avoir tenté de fuir ». Big mistake. On ne revient jamais en arrière !

À partir de là, plus rien ne marche ou presque. C’est le moment où l’auteur doit surprendre le spectateur avec ce qu’il attend. On attend à ce qu’ils tuent. Ils tuent. On attend à ce que Caleb ait des états d’âme et qu’il parvienne à contre-attaquer… Et tout cela se produit. Pire, le récit commence à multiplier les coïncidences et les trouvailles heureuses (rencontre fortuite, remède commode). Une ellipse grossière casse l’élan du film, et quand il faut relancer les enjeux pour finir l’histoire, le spectacle donne l’impression de passer d’un Terminator vampirique à un épisode pilote de K2000 ou de LAgence tout risque sous adrénochrome.

Dommage donc. La parenté avec Terminator et l’univers cameronien est évidente : Lance Henriksen et un Bill Paxton exceptionnel étaient présents dans Terminator et Aliens, Jenette Goldstein apparaissait également dans Aliens (peut-être pour son rôle le plus marquant de sa carrière), et le directeur de la photographie, Adam Greenberg, est celui de Terminator. La séquence du camion évoque d’ailleurs assez fortement la fin du chef-d’œuvre de Cameron. Les deux films étaient probablement tous les deux aussi fauchés, la production semble assez similaire (voire l’esthétique), mais d’un simple point de vue narratif, le succès du film de Cameron ne trompe guère : le récit ne flanche jamais, de bout en bout, tout se tient, jusqu’à une apothéose comme on en a rarement vu depuis.

J’étais curieux de voir ce film, peut-être le seul qui m’intéressait dans la filmographie de la réalisatrice qui ne botte pas vraiment. Pas loin. Je garderai en mémoire cette introduction et la performance de Paxton qui s’en donne à cœur joie dans un rôle taillé pour lui.


Aux frontières de l’aube, Kathryn Bigelow (1987), Near Dark |, F/M, Near Dark Joint Venture


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Outrage, Ida Lupino (1950)

Note : 2 sur 5.

Outrage

Titre original : Outrage

Année : 1950

Réalisation : Ida Lupino

Avec : Mala Powers, Tod Andrews, Robert Clarke

Lupino a le mérite d’avoir choisi des histoires et des thématiques jusque-là invisibilisées dans des sociétés patriarcales, mais sans s’adjoindre les services d’un ou d’une scénariste de talent, le résultat est consternant.

On ne traite d’un sujet qu’à travers des clichés qui, au lieu d’aider à comprendre une situation, ne servent au contraire qu’à perpétuer de fausses idées. Le film quitte ainsi peut-être le schéma oppressif dans lequel les hommes ont toujours le beau rôle au cinéma à un autre purement social et pauvrophobe. Il respecte en cela parfaitement la logique de l’époque, dominée par le code Hays. Les victimes doivent forcément être de bons petits bourgeois, et leurs agresseurs, être des timbrés de la classe ouvrière. Et les sages petites filles à qui l’on promettait un bonheur radieux et bourgeois se font ainsi agresser par des hommes louches dans des ruelles sombres. Elles finissent par être sauvées par des gurus du petit Jésus dont on sait aujourd’hui qu’ils ne sont pas les anges qu’ils prétendent être (on insiste bien sur les atouts de celui-ci : le bon samaritain joue du piano et joue les Renoir des plaines). Et si les bourgeois (dont la société prend très au sérieux les préjudices) se plaignent alors du manque de moyens de la justice ou du suivi psychiatrique, c’est évidemment parce qu’il arrive qu’ils soient victimes de ces manquements de la société. Si les agresseurs et les victimes étaient des individus de la classe populaire (comme c’est davantage le cas), les bourgeois n’auraient pas à se soucier des carences de la société…

Quelques gueules de cette classe populaire méprisée apparaissent subrepticement à l’écran : des suspects sélectionnés pour les confronter à la victime (aucun d’entre eux n’appartient à la classe bourgeoise) et des ouvrières que l’on voit rapidement à la tâche. Tout respire le dédain pour cette classe.

Ce n’est pas un film féministe, c’est un film de défense de la bourgeoisie contre la classe populaire.

Pour assumer cette propagande pauvrophobe en pleine période maccarthyste, rien de mieux que des mensonges pour travestir la réalité de l’oppression des femmes, (en particulier à travers la réalité sociologique des auteurs de viol). Les risques qu’une femme se fasse agresser dans une ruelle sombre, la nuit, par un déséquilibré présentant une large cicatrice sur le cou sont réels, mais bien moins fréquents que ceux de se faire violer par une personne de son entourage, et ce, quel que soit son milieu (bourgeois compris). Ce risque augmentera d’autant plus que cette personne appartient à la secte du petit Jésus (ou à toute autre secte).

Les acteurs (parfaitement dirigés par la cinéaste) auraient mérité mieux que cette chose vulgaire à défendre… (Sans parler du sujet.) Ida Lupino n’est pas simple réalisatrice de cet objet, elle en est également productrice. Je doute que l’on puisse tout mettre sur le dos du code Hays ou de l’époque. J’admire le talent et la présence de l’actrice, mais de ce que j’ai vu pour l’instant de ses productions, il n’y a pas grand-chose à sauver.


Outrage, Ida Lupino (1950) | The Filmakers


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Jardin d’été, Shinji Sômai (1994)

Note : 4 sur 5.

Jardin d’été

Titre original : 夏の庭, Natsu no niwa

Aka : The Friends

Année : 1994

Réalisation : Shinji Sômai

Avec : Rentarô Mikuni, Chikage Awashima

Une forme largement empruntée aux animes : un rythme de séquence rapide, des angles de caméra recherchés, des costumes travaillés qui répondent à une logique de carte postale ou d’images d’Épinal, une musique directive et un style général très expressif, très classique.

Cela a son efficacité, mais cela a aussi au début ses limites. Quand on a des cinéastes ainsi tout dévoué à la forme, le jeu d’acteurs laisse parfois à désirer. Les êtres humains ne suivent pas la même logique que les formes inanimées… : il ne suffit pas de les placer ici ou là pour avoir fait le travail. Résultat : les trois gosses agacent rapidement à crier leur texte comme d’autres le font en classe quand ils ont appris leur leçon ou comme les personnages d’animes. Aucune nuance, aucune logique à porter ainsi la voix dans des situations où les garçons doivent se cacher, aucune justesse dans les comportements. Ça jacasse jusqu’à donner mal à la tête.

Et puis, la présence de Rintaro Mikuni apporte plus de sérénité et un contrepoint bienvenu (d’autant plus que le récit manque d’inclusivité : avec les filles qui apportaient gentiment leur soutien et avec les deux camarades qui s’intéressaient à leurs « aventures », vites exclus par les trois « friends »).

L’histoire n’a rien de bien original, mais elle est touchante bien que parfaitement prévisible. Le conte laisse assez peu de place aux développements personnels, aux détours, à la mise en profondeur des uns ou des autres. Le rythme se ralentit et le sujet se focalise alors sur l’unique sujet du film : une fois le jardin défriché et aménagé, c’est le vieux solitaire qui se dévoile.

La caméra semble toujours se désintéresser autant des petites subtilités de « l’âme » adolescente (en se refusant à laisser plus de place aux jeunes acteurs). Les trois bambins entrent en quelque sorte dans le terrier d’Alice, et c’est à travers leurs yeux que l’on découvre le monde du vieil ermite. Leur destin n’a alors plus vraiment d’importance.

Quand, sur la fin, le film tourne franchement au mélo, la force du récit l’emporte sur le reste, et ce sont les vieux (au centre du jardin secret se trouve évidemment une femme), avec leur lenteur, leur imagination, leurs défaillances et leurs doutes qui focalisent l’attention. Les enfants ne sont plus là, avec leur agaçante vivacité, que pour servir la fonction de contrepoint, au début assumée par le personnage du vieillard.

Magnifique dernière séquence pour illustrer le temps qui passe, l’effacement de l’humanité, de sa présence, de sa mémoire, derrière l’espace (celui du jardin). Elle nous ramène ainsi, d’une manière très poétique et désincarnée, à ce que nous sommes. Des passants, des êtres éphémères, face à la quasi-immuabilité des choses. Les bâtiments et les jardins gardent un temps les traces de notre passage, mais comme un verni, ils s’altèrent, se craquellent et tendent à disparaître pour nettoyer la terre et l’espace de toute présence humaine. Derrière ces artifices se cache la réalité du monde.

Je me suis soudainement souvenu du film après une séance ratée précédente. Il se compare aisément avec Un été chez grand-père d’Edward Yang qui vient de me laisser un goût d’inachevé. Je préfère d’un cil celui-ci pour l’efficacité de son écriture (sa radicalité — pour reprendre ma logique du moment — en assumant jusqu’au bout son côté anime/manga), mais les enfants du film de Yang (comme l’ensemble des personnages) me sont cent fois plus sympathiques. Un été chez grand-père prend également la forme du conte (estival, comme il en existe énormément, notamment dans le monde soviétique : on peut citer par exemple Le Jardin des désirs, La Belle ou Cent Jours après l’enfance), preuve que Shinji Sômai aurait très bien pu demander à ses jeunes acteurs de prioriser la justesse, la délicatesse (et une certaine forme d’attention à la tranquillité de l’autre et de respect toute japonaise) à la force et à la surexpressivité (d’autant que Sômai est déjà auteur de l’excellent Typhoon Club, épargné par ces outrances vocales). Tout n’est pas bon à manger dans l’anime.


Jardin d’été, Shinji Sômai 1994 | Natsu no niwa Yomiuri Telecasting Corporation


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Plan 75, Chie Hayakawa (2022)

Note : 3.5 sur 5.

Plan 75

Année : 2022

Réalisation : Chie Hayakawa

Avec : Chieko Baishô, Hayato Isomura, Stefanie Arianne

J’avoue n’avoir regardé que pour la présence de Chieko Baishô. Kiri no hata (et les autres Yamada) est bien loin, mais l’actrice possède toujours ce magnétisme et cette force intérieure et tranquille si précieuse dans les passages de séquences non dialoguées des drames (dans les comédies, ce serait plus son sourire et son humilité qui jouent, mais ça procède de la même intelligence de jeu, de la même écoute). Voir une femme que l’on a probablement un peu aimée dans un film quand elle avait vingt ans dans un autre où elle en a cinquante de plus, c’est un petit exercice sur le temps qui passe que seul le cinéma peut offrir. Apprendre à être vieux, avant de l’être. Parce que Chieko, je l’aime autant ici que dans mon film chéri.

Le sujet inhabituel du film permet d’explorer, comme seule l’anticipation peut le faire, les possibilités non souhaitables d’un avenir qui pourrait être le nôtre. Un avenir qui ne serait pas fait de propositions high-tech, mais de cauchemars législatifs avec comme dessein de réguler la population vieillissante en lui proposant une fin anticipée et prétendument heureuse. Plus qu’un remède, le « plan » qui vise surtout à faciliter le suicide assisté des personnes âgées souffrant de solitude se révèle plutôt être le symptôme d’une société individualiste en perte de sens (le respect des anciens, très ancré dans les cultures asiatiques, est ici supplanté par un capitalisme aliénant percevant les individus en fonction d’une logique de marge bénéficiaire).

La réalisatrice semble avoir parfaitement compris l’avantage et les pièges de l’anticipation. Le sujet ne sert souvent que de simple parabole pour évoquer une situation bien présente. Inutile alors de perdre son temps à décrire un monde qui n’existe pas. C’est le nôtre. (Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de citer cette situation bien contemporaine : pour empêcher les sans-abris de dormir sur les bancs publics, on y place toutes sortes de gadgets interdisant de s’y allonger.) La réalisatrice construit ensuite son récit autour d’un triple montage parallèle en y faisant intervenir avec parcimonie les éléments entre eux. Une telle structure peine à trouver une réelle justification tout au long du film, mais elle permet à la réalisatrice de proposer une vision en surplomb, pleine de distance et d’ellipses. Le style semble lui correspondre parce que sa direction d’acteurs et sa mise en situation sont brillantes : à la fois détachées et naturalistes. Elle en montre et en dit juste le nécessaire.

Cette combinaison constitue la force et le point faible du film. Si la mise à distance permet d’éviter les écueils relatifs à l’anticipation (et aux illustrations laborieuses d’une société inexistante), il paraît difficile de trouver un sens, sinon là encore illustratif, à ces trois histoires parallèles. Pourquoi trois, pourquoi pas quatre ou cinq ? Pourquoi ces trois trajectoires-là ? Pourquoi les faire intervenir si brièvement sans en faire un jeu de destins croisés à la mode à la fin des années 90 ?

Le film n’est pas une grande réussite, mais quand la forme surpasse ainsi le fond, on serait tenté de dire que le maître d’œuvre est à suivre. Avec un tout autre sujet, il est possible que la réalisatrice fasse mouche…

Merci surtout pour le chocolat. Sans Chieko, j’aurais sans doute été moins indulgent.


Plan 75, Chie Hayakawa (2022)


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Je veux vivre, Robert Wise (1958)

Note : 4 sur 5.

Je veux vivre !

Titre original : I Want to Live!

Année : 1958

Réalisation : Robert Wise

Avec : Susan Hayward, Simon Oakland, Virginia Vincent, Wesley Lau

S’il fallait illustrer ce qu’était la mise en scène, les premières secondes de Susan Hayward dans le film feraient l’affaire. Réveil soudain dans une chambre d’hôtel. L’actrice est de dos et en contre-jour. Elle s’ébroue, puis tire sur sa cigarette avant de la passer à une personne hors champ. On voit à peine, mais on a tout vu, tout compris de la situation en trois gestes parfaitement décomposés. Ces gestes donnent toutes les informations utiles à une entrée en matière ; ils caractérisent assez le personnage principal (ses pulsions instinctives en faisant presque une cousine des personnages des films d’Imamura qui entreront bientôt en scène, comme dans La Femme insecte) ; et ils offrent au film une tonalité, une atmosphère inquiétante et pleine de vices.

Pendant plus d’une heure ensuite, l’actrice compose une partition remarquable. Ce rôle en or (même si Hayward appartient encore à cette ancienne génération qui sera rapidement supplantée par des acteurs de la method) joué avec une spontanéité animale lui vaudra un Oscar. Ce n’est pas tous les jours qu’Hollywood propose à une actrice un rôle aussi franchement imposant à l’écran : pas d’acteur avec qui partager le haut de l’affiche, et un sujet loin des standards conservateurs auxquels les femmes échappent que rarement dans le cinéma sinon pour jouer des femmes fatales infréquentables.

Pour l’accompagner, les actrices et acteurs de complément ne sont pas moins exceptionnels. Juste avant Le Coup de l’escalier, un poil plus naturaliste, Wise sent bien cette nécessité de s’écarter des studios sans pouvoir encore totalement aller au bout de cette inspiration. Lorsque la condamnée rejoint la prison où elle sera exécutée, par exemple, le réalisateur tente une approche pour filmer les quelques phrases tournées dans une voiture qui semble déjà offrir autre chose que les plans de face, mais la transparence demeure évidente. Dès le film suivant, il proposera une astuce pour se passer du procédé (pas toujours) et fera encore quelques essais dans ses films suivants sans pour autant s’affranchir totalement des transparences. (Voir mon article sur les transparences à Hollywood, dans lequel les films de Wise apparaissent.)

Dans la dernière demi-heure du film, la matière narrative est plus attendue, plus centrée sur la tension intrinsèque du récit, sur des enjeux qui dépassent le personnage principal tout en restant focalisée sur son sort. Le message devient à la fois plus clair, nécessaire, mais aussi, paradoxalement, sur le seul plan esthétique et créatif, moins intéressant. Le héros du film n’est alors plus son protagoniste, mais les conséquences morales, idéologiques, politiques de son exécution. Pour le spectateur qui a suivi tous les faits et gestes de Barbara Graham, il ne fait aucun doute qu’elle était innocente. Dans la réalité, les faits ne sont pas si clairement établis, et sur le plan narratif/esthétique, ce parti pris discutable affadit considérablement la puissance d’un récit porté par l’incertitude de sa culpabilité. Le sujet du film n’est pas tant l’innocence de l’inculpée que la peine de mort et les failles (voire les mauvaises pratiques) de l’institution judiciaire (la manière particulièrement vicieuse de soutirer des aveux à l’accusée ou la faiblesse de sa défense par exemple).

Je veux vivre ! rejoint ainsi des films qui l’avaient précédé disposant d’une fibre politique et sociale assumée en épinglant au passage le système judiciaire et carcéral américain (Je suis un évadé ou Appelez Nord 777). Inspiré là encore d’un fait divers retentissant, le film doit beaucoup à son producteur, Walter Wanger, qui était lui-même passé par la case prison après avoir produit certains chefs-d’œuvre des années 30 et 40 (dont J’ai le droit de vivre, déjà sur un faux coupable – ce que le producteur n’était pas quand il a tiré sur ce qu’il croyait être l’amant de sa femme). Après son incarcération, il était revenu à la production dans les années 50, notamment avec Les Révoltés de la cellule 11, à travers lequel il souhaitait dénoncer les conditions de vie en prison.


Je veux vivre, Robert Wise 1958 I Want to Live! | Walter Wanger Productions


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Les Indispensables du cinéma 1958

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Meantime, Mike Leigh (1983)

Note : 3 sur 5.

Meantime

Année : 1983

Réalisation : Mike Leigh

Avec : Marion Bailey, Tim Roth, Phil Daniels, Gary Oldman, Pam Ferris, Alfred Molina

Je vais finir par penser que Leigh est bien meilleur cinéaste quand il tend vers le registre de la comédie que quand il tire vers le social factice, parfois, comme ici, à la limite du misérabilisme et de la faute de goût.

Son dispositif permet à de formidables acteurs de se mettre en valeur, mais si chacun peut démontrer ses talents de composition en jouant des tarés, des imbéciles ou des cas sociaux, on y perd en authenticité.

Leigh procède ainsi depuis les années 60. Cela pouvait se concevoir à l’époque, mais depuis, quand les cinéastes veulent décrire une réalité sociale difficile et spécifique, ils dirigent directement des acteurs amateurs de ces milieux. Même pour des comédies.

Et c’est d’autant moins justifié pour Leigh de faire appel à des professionnels qu’il passe par l’improvisation. En plus d’un demi-siècle à réaliser des films, j’ai du mal à croire qu’il n’ait jamais pensé à modifier son dispositif en y intégrant des amateurs ou y généralisant les improvisations. Même en gardant ce dispositif, il devrait y avoir moyen de trouver plus d’authenticité que des acteurs professionnels en pleine démonstration de l’étendue de leur talent.

Pour le reste, comme d’habitude, le résultat d’un tel dispositif produit le meilleur et le pire.

Chronique décevante, style qui s’appuie sur une poignée de séquences tendues et trop longues là où le genre s’appuie davantage, généralement, sur un rythme plus soutenu. La part belle est faite aux acteurs, certes, mais le récit patine et souffre de ces « exploits ». Quelques éclats, dépendants des inventions et propositions des acteurs pendant les répétitions : rien qui ne puisse servir un sujet. Pas sûr que ces représentations issues d’exploits d’acteurs professionnels soient réellement représentatives des populations censées apparaître dans le film.

On frôle la caricature. Or, la caricature doit toujours se faire du bas vers le haut. Mike Leigh serait plus pertinent à représenter les milieux qu’il connaît et fréquente.

Tom Stoppard réunira Tim Roth et Gary Oldman pour son chef-d’œuvre, Rosencrantz et Guildenstern sont morts.


Meantime, Mike Leigh (1983 ) | Central Production, Mostpoint, Channel 4 Television Corporation


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Les Révoltés de l’an 2000, Narciso Ibáñez Serrador (1976)

Note : 3 sur 5.

Les Révoltés de l’an 2000

Titre original : ¿Quién puede matar a un niño?

Titre anglais : Who Can Kill a Child?

Année : 1976

Réalisation : Narciso Ibáñez Serrador

Avec : Lewis Fiander, Prunella Ransome, Antonio Iranzo

La maîtrise formelle sur le terrain du thriller de l’auteur de La Résidence est impeccable : beaucoup de rythme, des portes qui claquent, un décor marquant… Son idée de départ pourrait gagner un concours d’accroches de cinéma (« Les enfants prennent leur revanche ! ») ; son écriture est très efficace et condensée comme il faut pendant une bonne partie du film avant que le monstre se découvre (le talon d’Achille des thrillers fantastiques et des films d’horreur, c’est qu’au bout d’un moment, il faut bien que le masque tombe ; or, en dramaturgie, ça signifie souvent la fin ; avoir repoussé l’échéance jusqu’au milieu de l’histoire relève assez de l’exploit). Parce qu’une fois que l’on entre dans le registre du sanglant, cela devient un peu n’importe quoi. Jouissif par moments, j’avoue, face à autant d’audace sadique contre des enfants (j’étais hilare une ou deux fois à la fin du film), mais toujours n’importe quoi.

Pourquoi ne partent-ils pas dès que le touriste comprend ce qu’il se passe ? Pourquoi le touriste donne-t-il des calmants à sa femme ? (Face à un danger immédiat, ne faut-il pas plutôt rester alerte ?…) Pourquoi la Hollandaise compose-t-elle au hasard des numéros sans rien dire ? (Ah oui, le motif de l’appel téléphonique tiré de Black Christmas.) Pourquoi le touriste tient-il tellement à sauver la Hollandaise (pour rester sur l’île, OK, et continuer le film, mais aussi ?), alors qu’un peu plus tard, il perd tout à coup son humanité quand la femme du pécheur se trouve mise en danger de la même manière et qu’il aurait suffi de l’inviter à les rejoindre dans la jeep pour décamper au plus vite ? (Ah, ce n’est pas une touriste, elle peut crever.) Pourquoi le touriste réagit-il à peine quand sa femme est tuée… par son fœtus alors que, disons, c’est une mort assez inattendue et violente ? (Il semble l’aimer beaucoup de surcroît, sa femme.) Pourquoi le touriste ne visite-t-il pas tout de suite la chambre 7 ? (Ben, pour y aller bien après, pardi.) La vision de la femme fragile, indéterminée, sans volonté propre qui est une sorte de sac de viande que son mari trimballe en voyage laisserait aujourd’hui le spectateur assez dubitatif. Vivement Alien (cette fois, ce sera l’homme qui « enfantera » un monstre).

Bref, il y a une pelletée de détails qui gâche la fête et qui plonge le film dans le navrant et la série B.

Pour le reste, je suis assez friand de ces excès loufoques et de ses références lourdes. Juste après Les Dents de la mer, Serrador joue sur le thème du tourisme balnéaire (il n’en reprend toutefois pas toutes les bonnes recettes, dont la plus importante : le monstre qui reste dans l’ombre). D’ailleurs, deux ans plus tard, Long Weekend jouera encore sur cette thématique de touristes lambda qui voient leurs saintes vacances perturbées par la nature sauvage. On avait déjà tout compris des excès de la société de consommation et du surtourisme dans les années 70… Il convoque et mélange aussi l’esprit des Oiseaux et celui des films de zombies qui possèdent déjà un accent espagnol en ce début de fléau (Le Massacre des morts-vivants, Une vierge chez les morts-vivants, La Chevauchée des morts-vivants, et… Romero ?) Les enfants se comportent ainsi comme une nuée de zombies revanchards mue par on ne sait quel phénomène étrange. On pourrait également songer au Village des damnés. Enfin, Serrador reprend un effet de la main qui dépasse d’un soupirail utilisé sur un carreau de porte close dans La Résidence. (La meilleure citation est encore celle que l’on se fait à moi-même.)

L’idée originale du film, c’est bien, comme dans Les Oiseaux, de proposer une revanche presque cathartique des victimes sur leurs bourreaux. L’introduction du film énumérant pendant plusieurs minutes les désastres humanitaires dans lesquels les enfants sont les principales victimes annonce la couleur. L’idée de départ (formidable, tournant vers le n’importe quoi) ressemble d’ailleurs tellement à une idée de Stephen King qu’il en proposera une relecture en 1978 avec la nouvelle Les Enfants du maïs. Il y a quelques idées pourries dans l’air du cinéma d’horreur. Elles se répandent vite, avant même que l’on ait compris qu’elles menaient nulle part. Et oui, il n’y a pas que les King qui sont champions dans le domaine des accroches en or et des espoirs déçus.


Les Révoltés de l’an 2000, Narciso Ibáñez Serrador 1976 ¿Quién puede matar a un niño? | Penta Films


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Les indispensables du cinéma 1976

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Ange, Ernst Lubitsch (1937)

Note : 4.5 sur 5.

Ange

Titre original : Angel

Année : 1937

Réalisation : Ernst Lubitsch

Avec : Marlene Dietrich, Herbert Marshall, Melvyn Douglas

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L’avantage d’être né il y a bientôt un demi-siècle, c’est que quand on voit un chef-d’œuvre que l’on a mis si longtemps à voir, c’est un peu alors comme retrouver ce plaisir du temps des grandes insouciances et que l’on enfilait les grands films toutes les semaines… Le désavantage, c’est que beaucoup parfois semblent bien plus blasés que vous et pourraient tout aussi bien vous dire : « Gnagnagna, ce n’est pas tant que ça un chef-d’œuvre ».

Et pourtant, je retrouve beaucoup des éléments qui me plaisent dans un film, surtout dans un film de l’âge d’or d’Hollywood. Pour faire simple : c’est du théâtre. On vante souvent la Lubitsch touch, en réalité, il y aurait fort à parier que cet humour subtil, différent de sa petite sœur à la mode versant sur la screwball, soit en fait emprunté au dramaturge hongrois qu’il a adapté plusieurs fois à l’écran : Melchior Lengyel. Lubitsch adaptera un autre Hongrois avec The Shop Around the Corner et avait commencé sa carrière dans le cinéma parlant en réalisant des adaptations d’un autre Hongrois, Ernest Vajda, auteur non exclusif notamment de ses succès avec Maurice Chevalier. C’est dire si l’Allemand se retrouvait dans cette touche d’humour manifestement hongrois.

L’humour traverse le film subtilement donc. Pas de farce comme au temps d’Ossi Oswalda. Mais des situations inattendues, un triangle amoureux des plus classiques et des dialogues délicieux pleins d’esprit. Point question ici de vaudeville (qui inspirera surtout la screwball), et le film tire même sur le drame (pas comme au temps de Pola Negri).

Tout cela est surtout l’occasion pour Lubitsch d’organiser une mise en scène d’une simplicité stupéfiante. Des plans rapprochés, des champs-contrechamps, pour se concentrer sur l’essentiel : la situation, les acteurs et… les décors.

C’est bien du théâtre.

Et puisque Lubitsch met ses acteurs au-dessus du reste, parlons-en. Deux ans avant Ninotchka, Melvyn Douglas, avec sa distinction toute britannique, est parfait en gentleman rapidement éconduit par cet « ange » qui passe et disparaît. Les deux Berlinois que sont Marlene Dietrich et Ernst Lubitsch ne collaboreront que sur ce film, chose bien malheureuse. Je ne suis pas le plus grand fan de l’actrice, mais Lubitsch l’utilise ici parfaitement à son avantage : distance adéquate, pas de chichis superflus, et des robes qui scintillent sous les projecteurs. Pile-poil ce qu’il faut de glamour.


Ange, Ernst Lubitsch, 1937, Angel | Paramount Pictures


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Sandakan N°8, Kei Kumai (1974)

Note : 3.5 sur 5.

Sandakan N°8

Titre original : Sandakan hachiban shōkan: Bōkyō

Année : 1974

Réalisation : Kei Kumai

Avec : Komaki Kurihara, Yôko Takahashi, Kinuyo Tanaka

Sujet intéressant et nécessaire ; exécution moins idéale qu’espérée.

Il est question des karayuki-san, ces prostituées envoyées aux quatre coins de l’Asie du Sud-Est jusqu’à la fin de l’ère impériale japonaise. Le plus souvent, ces femmes étaient kidnappées ou on les trompait sur la nature de leur travail. Le cinéma japonais a toujours volontiers mis en scène des prostituées, mais ces histoires sont souvent vues à travers les yeux des hommes et des clients. Encore aujourd’hui, le Japon profite du mélange des genres pour cacher des activités en réalité illicites. Ici, la dénonciation se risque à plus de franchise. Aucune confusion possible, on ne déporte pas des femmes à qui l’on a appris un art spécifique, ne serait-ce que celui de la conversation afin de tromper les apparences : quand il est question de femmes pauvres des îles, chacun peut se représenter de quoi il retourne. Une fois la prostitution devenue illégale (du moins officiellement), certaines de ces femmes méprisées par le Japon restèrent sur place. Quand elles revinrent, elles durent faire face à un fort mépris de la population. Les Japonais refoulent tout individu qui ne se conforme pas à la normalité du groupe. La société japonaise a ainsi du mal à accepter de reconnaître les victimes de tous horizons. C’est le cas des karayuki-san comme des hibakusha, ces victimes d’Hiroshima discriminées. Et ce qu’on reproche surtout au fond à ces femmes, ce n’est pas la prostitution (largement tolérée dans l’archipel), mais c’est d’être de condition misérable, de s’être données à des étrangers, et de n’être identifiables qu’à travers leur activité.

Rien à dire sur le fond. En revanche, la forme m’oblige à porter quelques réserves. Si l’écriture en flashback est à la mode (Le Détroit de la faim, Sous les drapeaux, l’enfer, les thrillers de Yoshitarō Nomura), il y a une tendance dans le cinéma japonais qui n’a jamais quitté les acteurs et les réalisateurs : discerner l’origine modeste, voire misérable, d’un individu à travers toute une série de stéréotypes qui relèvent du mépris de classe. Le Japon fait un premier pas vers la reconnaissance de ces karayuki-san, mais la représentation de leur condition de vie ne témoigne pas encore du plus grand respect : on identifie ainsi aisément un pauvre à la manière dont il tient ses baguettes et mange son riz, à ses expressions criardes et déplaisantes ; dernier signe distinctif, sa paillasse et sa demeure sont invariablement mal tenues. Bref, le pauvre a une hygiène et une éducation douteuses : il n’est pas comme nous autres.

Dans l’histoire (bien réelle), la chercheuse, Tomoko Yamazaki cache ses intentions qu’elle ne révèle à l’ancienne prostituée qu’avant de partir : elle a beau s’en excuser, cela démontre là encore une nouvelle forme d’exploitation, plus paradoxale. Si l’écrivaine permet de dévoiler cette histoire des femmes « partant au loin », et si le succès de son livre la sort, elle, du besoin, on devine dans son éducation qu’elle n’appartient pas au même monde que son sujet d’étude. Un peu perfidement d’ailleurs, la page Wikipédia de l’auteure pointe du doigt le fait que le succès de ses livres lui permettra de s’acheter une maison, quand Osaki, l’ancienne prostituée, continuera sa vie dans la misère. On retrouve un peu de ce mépris de classe dans l’interprétation de Kinuyo Tanaka et de Yoko Takahashi. L’aînée semble s’être profondément investie au point de présenter une peau parfaitement hâlée, mais si l’on peut imaginer une certaine correspondance avec son interprétation de O’Haru femme galante, l’origine des personnages diffère et l’actrice ne manque pas de le souligner. Un peu plus de réserve et de dignité (qui ne manquent pourtant pas quand de tels acteurs interprètent des personnages de classes aisées tombant dans la misère) n’auraient pas été de refus. S’agissant de Yoko Takahashi, c’est peut-être davantage encore ses insuffisances qui la poussent vers certains excès peu naturels.

La photographie et les décors du film témoignent d’un budget serré. Et dans ces conditions, adopter une approche résolument documentaire, beaucoup moins mélodramatique aurait aidé à mieux servir le sujet du film. Mais sauf erreur de ma part, ce cinéma très naturaliste, modérément fauché, à la Pialat ne s’est manifesté qu’occasionnellement au Japon. Ça ne tient parfois à rien : Sous les drapeaux, l’enfer, n’avait pas du tout ce problème alors qu’il était confronté aux mêmes écueils (sujet réaliste, flashbacks, moyens limités). La différence entre Kinuyo Tanaka et Sachiko Hidari sans doute. Peut-être conscient de cette difficulté, Kei Kumai privilégiera le noir et blanc dans La Mer et le Poison. Choix plus judicieux, dans mon souvenir, dans un registre politique et historique quasiment identique.


Sandakan no 8, Kei Kumai 1974 Sandakan hachibanshokan bohkyo | Toho, Haiyuza


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Larry le dingue, Mary la garce, John Hough (1974)

Note : 2.5 sur 5.

Larry le dingue, Mary la garce

Titre original : Dirty Mary Crazy Larry

Année : 1974

Réalisation : John Hough

Avec : Peter Fonda, Susan George, Adam Roarke

Mix pathétique entre tous les road movies pétaradants de l’année 1971 (Vanishing Point, Macadam à deux voies, Duel, THX 1138, eux-mêmes tous plus ou moins petits frères de Bullitt) et Bonnie and Clyde.

Le Nouvel Hollywood n’a pas encore achevé la mue de l’ensemble de l’industrie du cinéma en Californie que les studios commencent déjà à reprendre la recette des films de cette nouvelle génération, voire à s’autoparodier. Quelques éléments de la contre-culture sont bien mis en évidence, sauf ceux réellement moteurs de ces films ayant initié le nouveau tournant de la production américaine. Qu’est-ce qui faisait le sel par exemple de Vanishing Point et de Macadam à deux voies ? Pour l’un, le panache solitaire et jusqu’au-boutisme, pour l’autre, le nihilisme. Et cela passait toujours par une forme de mutisme et par un refus de passer par les traditionnelles séquences dialoguées, les bons mots. Aucune trace de cette incommunicabilité ou de cette désillusion ici.

Au contraire, on vole dans les caisses d’un magasin et on prend la famille du gérant en otage sans l’excuse de la fatalité d’un monde sans lendemain. Seul motif des criminels : l’argent (nécessaire à se payer une place aux 500 miles d’Indianapolis ou je ne sais où). Un retour des bons vieux crime films dans lesquels le destin se charge de donner une leçon aux malfaiteurs ? Oui et non. Ils seront bel et bien punis, mais avant ça, c’était comme si l’acte fondateur et criminel de cette virée présentée comme un simple amusement n’avait jamais existé. Leurs mentors roulaient pour oublier, pour en finir ou pour survivre. Larry et son comparse évincé du titre du film roulent pour l’or. Ils semblent nous dire : « Have fun, l’existentialisme est un onanisme ».

Le public appréciera la mauvaise plaisanterie et se ruera dans les salles. Signe qu’il est prêt au retour d’un cinéma plus « optimiste », plus distractif. On garde les techniques du cinéma héritées du cinéma européen (le réalisateur ici est britannique) et ça repart vers le tout commercial. Le code Hays en moins.

La même année, avec son premier film (après le succès télévisuel de Duel), Steven Spielberg, empruntait peut-être déjà la même voie de la « contre-contre-culture » avec Sugarland Express. Et Disney donnera une suite à un film qui annonçait également dès 1968 cette mouvance contre-contre-culturelle : Un amour de Coccinelle. On est en 1974, et un vent nouveau souffle sur Hollywood pour balayer la morosité ambiante et insuffler un air d’optimisme à cette génération de boomers : La Guerre des étoiles enterrera complètement cette époque. Voilà pourquoi Larry le dingue, Mary la garce, représente assez bien cette ère pleine de paradoxes et n’inspirera finalement pas grand-chose (tout en étant relativement oublié aujourd’hui), sinon les amateurs du genre et d’une certaine manière le peu mémorable Shérif fais-moi peur qui a « bercé » mon enfance. Globalement, les séries des années 80 et 90 voyaient dans cette étrange resucée des chase films du début du cinéma une importante source d’inspiration : Chips, K2000, Riptide, Magnum, Starsky et Hutch, Deux Flics à Miami, Supercopter, L’Homme qui tombe à pic, Tonnerre mécanique, Hooker, L’Agence tous risques. Si plus tard, les films et séries seront basés sur la fantaisie et des superpouvoirs, à l’époque, la route était l’élément central de toutes les productions. Une véritable épidémie. Appelons ça de la « roadploitation ». Plus personne ne revient sur terre après le trip routier Easy Rider. On a certes plus ou moins délaissé les épouvantables studios (on y retournera une fois que les effets spéciaux seront capables de faire illusion), mais Hollywood, maintenant qu’elle a trouvé le filon pour se relancer, ne l’abandonnera plus. Somme toute, c’est assez logique : l’industrie du cinéma américain avait migré en Californie pour son soleil et ses grands espaces, il était naturel de profiter à nouveau de tout ce que le pays offrait en extérieurs. Parfois donc jusqu’à la caricature.

(L’acteur jouant le flic poussant le pilote d’hélicoptère à prendre des risques dans le final finira huit ans plus tard décapité dans un accident d’hélicoptère sur le tournage de La Quatrième Dimension…)


Larry le dingue, Mary la garce, John Hough 1974 | 20th Century Fox, Academy Pictures


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