Pixote – La Loi du plus faible, Héctor Babenco (1980)

Note : 4 sur 5.

Pixote – La Loi du plus faible

Titre original : Pixote: A Lei do Mais Fraco

Année : 1980

Réalisation : Héctor Babenco

Avec : Fernando Ramos da Silva, Jorge Julião, Gilberto Moura, Marília Pêra

Dans le genre chronique de l’adolescence et de la misère, le film coche pas mal de cases. De Los olvidados à La Petite Marchande de roses, en passant par le tout récent film vu Les Enfants de la crise, le sujet de l’enfance martyrisée laisse rarement indifférent.

Le jeu des acteurs fluctue au gré des séquences : les adultes (en particulier la prostituée) s’en sortent généralement mieux que les enfants (Babenco n’emploie pas, ou peu, l’improvisation, et les enfants jongleront souvent maladroitement avec des mots qui ne sont pas les leurs). Mais l’inconfort généré à l’oreille par un texte appris par cœur disparaît, rapidement gommé par la principale qualité du film : sa densité.

Une séquence vaut une nouvelle situation. L’ellipse permet d’avancer par sauts successifs sans avoir à tout expliquer. Et le tout est vite expédié. On comprend vaguement quelques enjeux liés aux conditions d’incarcération de la bande de jeunes. Les conséquences hors champ, les manipulations, la corruption de l’administration et de la police, tout ça jaillit d’un coup dans la vie de ces délinquants après souvent s’être manifesté dans l’ombre. Le premier d’entre eux (le plus jeune, celui qui donne le titre au film) s’impose au centre du récit plus parce qu’il est témoin et acteur malgré lui d’événements qui lui échappent, et avant de finir comme le dernier survivant d’une succession de tragédies.

Si le récit se fait d’abord purement descriptif et ne s’attarde pas sur les diverses étapes expliquant les conflits, c’est que le plus important est ailleurs : la trajectoire chaotique et criminelle que vont emprunter ces survivants d’une « maison de correction » violente et corrompue va poser les bases d’une morale radicale antiautoritaire. Loin d’être aidés dans ce centre, les jeunes délinquants doivent se serrer les coudes pour survivre ou au contraire se défendre face à des agressions pouvant jaillir à n’importe quel moment et de la part de n’importe qui (surtout les autorités pénitentiaires ou policières).

C’est alors tout naturellement qu’une poignée d’entre eux finit par se faire la malle et par n’avoir d’autre choix, d’autres perspectives, d’autres repères, que le crime pour survivre. Si le titre de film se focalise sur un seul de ces paumés, c’est que le film ne se contente pas d’être un film sur la misère et sur l’adolescence : le film à élimination sert à traduire la brutalité et l’urgence de vivre (jusqu’à l’absurde, ce qui pousse le groupe à adopter des comportements de desperado comme lorsqu’ils s’unissent avec une prostituée pour agresser, chez elle, ses clients) qui est le quotidien de ces jeunes en fuite.

Ni misérabilisme ni sensationnalisme. Le format de la chronique autorise donc une distance capable d’imposer au spectateur une morale largement politique (voire critique envers la société décrite) : comment la société (et un tribunal) jugerait-elle Pixote dans la vraie vie ? Certainement pas comme nous le jugeons. Situation après situation, le spectateur doit admettre qu’au-delà de l’excuse de minorité, le garçon est la victime d’un environnement dans lequel la société toute entière est pointée du doigt (et cela, quels que soient ses crimes).

La mise en situation d’événements tragiques au cinéma, une nouvelle fois, donne des outils à la société pour mieux comprendre les enjeux impliquant toutes ces formes de violence liées à la pauvreté : les individus, avec leur libre arbitre, sont peu de choses face aux forces destructrices qui agitent toute une société, tout un environnement. Ces violences sont directement générées par la misère souvent organisée par la corruption et l’appropriation des richesses d’une partie de la société au détriment d’une autre. Ce sont nos sociétés qui mériteraient d’être mises au banc des accusés, non ces tristes misérables qui en sont souvent à la fois les seuls coupables désignés et les premières victimes. La société qu’ils n’ont pas créée est une jungle dans laquelle ils n’occupent que le bas de la chaîne alimentaire. Ils sont les derniers servis dans le clan.

Le film est une mise en garde contre toute forme d’autoritarisme. Au début des années 80, le Brésil était en pleine dictature, et c’est presque étonnant que le film ait pu s’y faire tant la morale ne souffre d’aucune ambigüité. La leçon s’applique à toutes les époques et à tous les types de sociétés tentées par le mirage des autoritarismes… Les violences de la base sont le fruit de violences institutionnelles. Qui est responsable de ces violences institutionnelles ? Les élites. Celles que l’on ne voit pas dans le film, mais que l’on imagine hors champ.


Pixote – La Loi du plus faible, Héctor Babenco (1980), Pixote: A Lei do Mais Fraco | HB Filmes, Embrafilme


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Outrage, Ida Lupino (1950)

Note : 2 sur 5.

Outrage

Titre original : Outrage

Année : 1950

Réalisation : Ida Lupino

Avec : Mala Powers, Tod Andrews, Robert Clarke

Lupino a le mérite d’avoir choisi des histoires et des thématiques jusque-là invisibilisées dans des sociétés patriarcales, mais sans s’adjoindre les services d’un ou d’une scénariste de talent, le résultat est consternant.

On ne traite d’un sujet qu’à travers des clichés qui, au lieu d’aider à comprendre une situation, ne servent au contraire qu’à perpétuer de fausses idées. Le film quitte ainsi peut-être le schéma oppressif dans lequel les hommes ont toujours le beau rôle au cinéma à un autre purement social et pauvrophobe. Il respecte en cela parfaitement la logique de l’époque, dominée par le code Hays. Les victimes doivent forcément être de bons petits bourgeois, et leurs agresseurs, être des timbrés de la classe ouvrière. Et les sages petites filles à qui l’on promettait un bonheur radieux et bourgeois se font ainsi agresser par des hommes louches dans des ruelles sombres. Elles finissent par être sauvées par des gurus du petit Jésus dont on sait aujourd’hui qu’ils ne sont pas les anges qu’ils prétendent être (on insiste bien sur les atouts de celui-ci : le bon samaritain joue du piano et joue les Renoir des plaines). Et si les bourgeois (dont la société prend très au sérieux les préjudices) se plaignent alors du manque de moyens de la justice ou du suivi psychiatrique, c’est évidemment parce qu’il arrive qu’ils soient victimes de ces manquements de la société. Si les agresseurs et les victimes étaient des individus de la classe populaire (comme c’est davantage le cas), les bourgeois n’auraient pas à se soucier des carences de la société…

Quelques gueules de cette classe populaire méprisée apparaissent subrepticement à l’écran : des suspects sélectionnés pour les confronter à la victime (aucun d’entre eux n’appartient à la classe bourgeoise) et des ouvrières que l’on voit rapidement à la tâche. Tout respire le dédain pour cette classe.

Ce n’est pas un film féministe, c’est un film de défense de la bourgeoisie contre la classe populaire.

Pour assumer cette propagande pauvrophobe en pleine période maccarthyste, rien de mieux que des mensonges pour travestir la réalité de l’oppression des femmes, (en particulier à travers la réalité sociologique des auteurs de viol). Les risques qu’une femme se fasse agresser dans une ruelle sombre, la nuit, par un déséquilibré présentant une large cicatrice sur le cou sont réels, mais bien moins fréquents que ceux de se faire violer par une personne de son entourage, et ce, quel que soit son milieu (bourgeois compris). Ce risque augmentera d’autant plus que cette personne appartient à la secte du petit Jésus (ou à toute autre secte).

Les acteurs (parfaitement dirigés par la cinéaste) auraient mérité mieux que cette chose vulgaire à défendre… (Sans parler du sujet.) Ida Lupino n’est pas simple réalisatrice de cet objet, elle en est également productrice. Je doute que l’on puisse tout mettre sur le dos du code Hays ou de l’époque. J’admire le talent et la présence de l’actrice, mais de ce que j’ai vu pour l’instant de ses productions, il n’y a pas grand-chose à sauver.


Outrage, Ida Lupino (1950) | The Filmakers


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Un matin couleur de sang, Li Shaohong (1990/92)

Note : 4.5 sur 5.

Un matin couleur de sang

Titre original : Xuese qingchen/血色清晨

Titre international/alternatif : Bloody Morning

Année : 1990/92

Réalisation : Li Shaohong

Avec : Zhaohui Gong, Hu Yajie, Lu Hui ,Wong Kwong-Kuen, Yan Xie, Zhao Jun, Kong Lin, Ju Xingmao, Miao Miao, Linlang Ye

— TOP FILMS

Remarquable adaptation du roman de Gabriel García Márquez, Chronique d’une mort annoncée. Le film navigue entre Kiarostami (tendance sac de nœuds, comme Où est la maison de mon ami ? ou Close Up, tournés d’ailleurs à la même époque) et Asghar Farhadi (même tendance sac de nœuds, spécifiquement judiciaire).

Le récit dans les deux premiers tiers du film se partage entre l’enquête qui suit le crime d’honneur dont a été victime le maître d’école (la voix off du policier — forcément bienveillant comme dans n’importe quel film de dictature — ponctue le récit), les flashbacks censés rapporter une version des faits (un peu à la manière de Rashômon et de Nous et nos montagnes, mais il n’y a pas vraiment de contradictions dans le récit des personnages, c’est surtout un prétexte narratif pour changer de temporalité et se focaliser sur les différents sujets abordés lors de l’enquête) et les conséquences (surtout psychologiques) du crime avant que les deux assassins ne quittent le village pour être jugés.

Le dernier tiers du film livre une conclusion à tout cet engrenage parfois complexe en montrant une version plus linéaire des faits au matin du meurtre. On quitte alors un type de récit à la Rashômon pour épouser un dénouement, toujours sous forme de flashback, plus à la Agatha Christie (tendance Le Crime de l’Orient-Express) parce qu’en réalité, les deux assassins ont tout fait pour que les divers villageois à qui ils ne cachaient pas leur dessein les empêchent de passer à l’acte. Mais un mélange de circonstances malheureuses et de pleutrerie générale a fait qu’ils ont dû suivre ainsi la macabre tradition de ce qui est une constante dans les cultures du monde : quand la fille à marier se révèle ne plus être vierge à la nuit de noces, un crime d’honneur (la victime en est le plus souvent la mariée, ici, il s’agit du fautif supposé, l’instituteur) s’impose pour sauver la face… Ironiquement, lors du mariage, la troupe de théâtre semblait proposer un numéro consistant à rappeler l’importance de s’assurer de la virginité de la fiancée avant le mariage (« semblait », parce que le plan sert de virgule avant de passer à autre chose)… Au petit matin, tout le monde a su, personne n’y a vraiment cru, et une fois tout le village massé autour des trois protagonistes, les deux frères ne pouvaient plus reculer… Chaque individu de cette chaîne défaillante, accroché malgré lui à une tradition barbare et rétrograde possède sa part de responsabilité aux côtés des deux assassins. La morale de ce conte funèbre pourrait ainsi être : « Si vous trouvez ça révoltant, faites en sorte que l’on ne pratique plus cet odieux crime d’honneur dans nos campagnes. La Chine doit entamer cette révolution ! »

En Iran, comme en Amérique du Sud, comme en Union soviétique, et donc comme en Chine, cette même capacité à évoquer par le conte et par la parabole, une morale universelle susceptible de ne pas trop froisser la dictature en place. Car si le roman initial et cette adaptation (à laquelle il faut ajouter la version italienne dont je n’ai aucun souvenir) divergent quelque peu, les crimes d’honneur constituent bien une constante universelle dans des sociétés du monde n’ayant aucun rapport entre elles et censée protéger le lignage des familles. Le film montre d’ailleurs bien à la fois le choc culturel opposant ces usages ancestraux aux usages modernes condamnant ces pratiques, mais aussi l’opposition entre le monde des campagnes, héritières d’un autre, millénaire et en décomposition (les extérieurs, composés de maisons ou de bâtiments en ruines vieux de plusieurs siècles, évoquent parfois, dans un univers toutefois plus escarpé, les décors du Printemps d’une petite ville), et le monde des villes qui n’est pas encore celui des mégalopoles chinoises actuelles, mais des villes moyennes dans lesquelles les paysans peuvent s’enrichir.

Le film gagnerait à être vu une seconde fois tant il s’est révélé compliqué à suivre. Le film a les défauts de ses qualités : sa structure est très dense, pleine d’ellipses, de personnages et de flashbacks, au point que l’on ne sait parfois plus qui est qui et que le sens de la situation nous échappe (les mariages arrangés imposent une forte verbalisation des rapports, une marchandisation des liens à créer, et quand on évoque le nom d’un personnage, puis celui d’un autre, on est vite perdus). Au milieu du film, je n’y comprenais plus rien. Façon Le Grand Sommeil. Qui s’en plaindrait d’ailleurs ? Le confusionnisme a ses avantages (si toutefois on sait se laisser porter par les quelques instants de grâce d’une réalisation). J’ai ainsi dû reconstituer a posteriori un puzzle laissé inachevé pour m’assurer, après des recherches, par exemple, que la mariée n’avait jamais avoué avoir eu une liaison avec le maître d’école comme j’en avais eu l’impression au visionnage (ayant gardé son livre de poèmes, il est raisonnable de l’imaginer amoureuse du fiancé de sa meilleure amie, mais à la manière d’un récit à la Asghar Farhadi, ce détail joue surtout sur les apparences et entretient le flou sans rien apporter de concluant sur la réalité de leur relation). Une fois l’identité de chacun mieux établie, j’ai ainsi mieux saisi la manière dont le mariage avait été arrangé : le marié (qui répudiera sa femme la nuit du mariage), jouissant d’une bonne situation dans le village voisin, tombe sous le charme de la fille et pour convaincre son frère de lui accorder le mariage, il lui propose de se marier le même jour (à 36 ans, aucune femme ne veut de lui) avec sa propre sœur… handicapée. Après avoir constaté que sa femme n’était pas vierge, le mari la renverra donc dans sa famille la nuit même et pillera les cadeaux que la famille avait reçus en dot… (Le récit pratique ici la technique de la douche écossaise qu’affectionnait, dans mon souvenir, John Ford et Akira Kurosawa — mais je n’en suis plus si certain, mes recherches sur le Net pour m’en assurer… me renvoyant vers des pages de mon site ! —, qui consiste à alterner une séquence douce, lente, avec une autre, brutale et rapide. Ici, le pillage nocturne des biens du second mariage répond ainsi à l’autre nuit de noces et à la tendresse naissante entre le futur assassin et sa femme handicapée. Le frère « déshonoré » repartira même avec sa sœur, touchée par une crise d’épilepsie…)

Vive les mariages d’amour.

D’autres détails encore, plus subtils, ou évocateurs d’une réalité, prennent alors tout leur sens. La marque des grands films. Le soin apporté à chaque personnage secondaire du village, par exemple, du bambin martyrisé par ses voisins et qui échoue à passer le message que sa sœur lui avait demandé de faire parvenir à l’instituteur, à la grand-mère qui a perdu la tête, en passant par les diverses femmes du village, loin d’adopter la moindre bienveillance et sororité à l’égard de la fiancée mise en cause. Et cela se fait à travers des plans brefs, généralement des plans de coupe, révélant l’esprit de tous ces personnages secondaires dans des situations dont souvent, prisonniers de leur point de vue, ils ne peuvent mesurer la portée.

Le film a été réalisé à la grande période du renouveau du cinéma chinois quand on découvrait notamment en France les films de Zhang Yimou et de Chen Kaige. Il partage ainsi certaines qualités spécifiques de cette tendance : jolie lumière ; élégance de la réalisation à travers de légers mouvements de caméra et des angles recherchés ; un découpage serré, mais lent, capable de créer des atmosphères à la fois réalistes et poétiques ; usage parcimonieux et judicieux de la musique (à l’opposé des productions futures se vautrant dans le lyrisme pompier) ; et une direction d’acteurs stupéfiante de précision et de naturel (deux spécificités souvent contraires)…

Comment un tel film a-t-il pu disparaître des radars alors qu’il avait été primé, et donc remarqué, au Festival des trois continents ? Les distributeurs, Arte, ont-ils fait le job alors qu’à la même période le cinéma chinois était à la mode ? Est-ce que c’est parce que Li Shaohong est une femme ?… Parce que le film nous perd parfois ? Mystère. La Cinémathèque française l’a diffusé dans une salle minuscule (et à « guichet fermé ») à l’occasion d’une rétrospective dédiée aux femmes cinéastes chinoises.


Un matin couleur de sang/Bloody Morning/Xuese qingchen/血色清晨, Li Shaohong (1990/92) | Beijing Film Studio


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Né pour tuer, Robert Wise (1947)

Note : 4 sur 5.

Né pour tuer

Titre original : Born to Kill

Année : 1947

Réalisation : Robert Wise

Avec : Claire Trevor, Lawrence Tierney, Walter Slezak, Phillip Terry, Audrey Long, Elisha Cook Jr., Esther Howard

L’intrigue mêle certains archétypes du thriller (tueur en série, ingénue, détective corrompu…) avec des éléments plus inattendus (le tueur est un psychopathe, mais aussi bel homme, ce qui lui permettra de séduire à la fois la fille de bonne famille ainsi que sa « sœurette », et toute sorte encore de détails singuliers). Certaines relations révèlent une telle originalité qu’elles pourraient sortir d’un rêve. Le récit évite pourtant de tomber dans l’invraisemblance. Les deux sœurs de lait semblent avoir bénéficié strictement de la même éducation. La divorcée reste un sujet rare au cinéma à cette époque. Le tueur en série, ensuite, est étrangement flanqué d’un confident (les tueurs pathologiques s’avèrent en général plutôt de nature solitaire, bientôt même, au cinéma, ce seront des tueurs impuissants vivant chez maman, et quand ils appartiennent à un groupe, il convient alors de parler de complices et leurs meurtres sont crapuleux). Enfin, l’enquête est commanditée par une vieille amie alcoolique d’une des victimes, non par la police (qui n’arrive dans le récit que sur le tard) ; on serait loin de penser qu’un tel personnage puisse par amitié s’impliquer autant dans la recherche d’un assassin.

Avec autant d’étrangetés, si l’on évite l’invraisemblable, on devrait au moins frôler le baroque, le mélodrame. Pourtant, tout se tient relativement bien.

Un ressort est activé pendant tout le film pour agrémenter le récit, complexifier les aspirations d’un des protagonistes, et l’on peine à concevoir qu’il ait pu passer la censure : le vice envahissant, refoulé de la sœur et qu’il faut mettre en perspective avec les propres travers pathologiques du tueur en série. Cet axe dramatique permet de faire avancer le film sur trois rails bien distincts : l’enquête à proprement parler (celle du détective embauché par la vieille amie) ; les différentes relations sentimentales ; et enfin, donc, les tendances vénales et prédatrices de la sœur divorcée qui se trouvent comme révélées par la seule présence du tueur, un peu comme un seigneur Sith qui éveillerait le côté obscur alors contenu d’un padawan… Si le tueur en série est déjà un personnage fascinant, ne répondant à aucun code, cette sœur partie divorcer à Reno ressemble à peu de personnages connus à l’époque. Le spectateur est exposé à ses penchants dès le début du film quand elle renonce à appeler la police après avoir découvert les deux corps dans la cuisine de la pension qu’elle avait occupée le temps de son divorce. Elle continue ensuite sur de dangereuses voies obscures en s’entichant de l’assassin, tout en faisant mine du contraire, et en courant un parti capable de lui assurer le confort bourgeois qu’elle a connu en grandissant aux côtés de sa sœur de lait.

Dans les films noirs, les deux « amants criminels » se disent volontiers l’un à l’autre qu’ils s’accordent comme personne. Mais ici, en dehors du renoncement initial à appeler la police, la sœur n’a commis aucun crime et c’est son cheminement intérieur vers le côté obscur qui fournit au récit une part de son suspense. Ah, si, j’oubliais : au regard du code Hays, elle est déjà coupable, puisqu’elle a divorcé.

Et selon le bon principe du code, d’ailleurs, à la dernière bobine, la « morale » sortira gagnante : la justice des balles perdues s’occupera du sort de ces déviants.

Réalisation d’un grand classicisme : on est loin des films noirs âpres et lugubres ou des séries B. On aurait plutôt affaire à un drame criminel avec de subtils accents mélodramatiques. Pour interpréter ces étranges monstres animés par on ne sait quelles pulsions destructrices, des stars auraient définitivement fait passer le film au rang de série A, mais la production a réussi malgré tout à réunir d’excellents acteurs habitués aux seconds rôles. Claire Trevor et Lawrence Tierney forment un duo de qualité, mais s’ils sont très précieux venant en appoint d’une ou deux vedettes, pour tenir ensemble le haut de l’affiche, ça manque d’un je-ne-sais-quoi.

Pour interpréter l’amie alcoolique, respect surtout à Esther Howard et à son visage de Janus (un côté de son visage semble lorgner constamment sur l’autre pour lui reprocher ce qu’il exprime). On l’aura rarement vue autant à la fête. Elle peut ici démontrer toute l’étendue de son talent jusque dans une scène émouvante où son personnage, rincé, déconfit, après avoir échappé de manière plus qu’inattendue à son assassinat, perd d’un coup sa vitalité et sa puissance habituelle pour gagner subtilement en simplicité.

Le film parvient souvent à nous surprendre d’ailleurs, mais pas dans un sens hitchcockien où les surprises se substitueraient au suspense. Ces surprises surgissent plutôt de l’écart entre les attentes du spectateur et la singularité des éléments narratifs venant leur répondre.


Né pour tuer, Robert Wise 1947 Born to Kill | RKO


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Je veux vivre, Robert Wise (1958)

Note : 4 sur 5.

Je veux vivre !

Titre original : I Want to Live!

Année : 1958

Réalisation : Robert Wise

Avec : Susan Hayward, Simon Oakland, Virginia Vincent, Wesley Lau

S’il fallait illustrer ce qu’était la mise en scène, les premières secondes de Susan Hayward dans le film feraient l’affaire. Réveil soudain dans une chambre d’hôtel. L’actrice est de dos et en contre-jour. Elle s’ébroue, puis tire sur sa cigarette avant de la passer à une personne hors champ. On voit à peine, mais on a tout vu, tout compris de la situation en trois gestes parfaitement décomposés. Ces gestes donnent toutes les informations utiles à une entrée en matière ; ils caractérisent assez le personnage principal (ses pulsions instinctives en faisant presque une cousine des personnages des films d’Imamura qui entreront bientôt en scène, comme dans La Femme insecte) ; et ils offrent au film une tonalité, une atmosphère inquiétante et pleine de vices.

Pendant plus d’une heure ensuite, l’actrice compose une partition remarquable. Ce rôle en or (même si Hayward appartient encore à cette ancienne génération qui sera rapidement supplantée par des acteurs de la method) joué avec une spontanéité animale lui vaudra un Oscar. Ce n’est pas tous les jours qu’Hollywood propose à une actrice un rôle aussi franchement imposant à l’écran : pas d’acteur avec qui partager le haut de l’affiche, et un sujet loin des standards conservateurs auxquels les femmes échappent que rarement dans le cinéma sinon pour jouer des femmes fatales infréquentables.

Pour l’accompagner, les actrices et acteurs de complément ne sont pas moins exceptionnels. Juste avant Le Coup de l’escalier, un poil plus naturaliste, Wise sent bien cette nécessité de s’écarter des studios sans pouvoir encore totalement aller au bout de cette inspiration. Lorsque la condamnée rejoint la prison où elle sera exécutée, par exemple, le réalisateur tente une approche pour filmer les quelques phrases tournées dans une voiture qui semble déjà offrir autre chose que les plans de face, mais la transparence demeure évidente. Dès le film suivant, il proposera une astuce pour se passer du procédé (pas toujours) et fera encore quelques essais dans ses films suivants sans pour autant s’affranchir totalement des transparences. (Voir mon article sur les transparences à Hollywood, dans lequel les films de Wise apparaissent.)

Dans la dernière demi-heure du film, la matière narrative est plus attendue, plus centrée sur la tension intrinsèque du récit, sur des enjeux qui dépassent le personnage principal tout en restant focalisée sur son sort. Le message devient à la fois plus clair, nécessaire, mais aussi, paradoxalement, sur le seul plan esthétique et créatif, moins intéressant. Le héros du film n’est alors plus son protagoniste, mais les conséquences morales, idéologiques, politiques de son exécution. Pour le spectateur qui a suivi tous les faits et gestes de Barbara Graham, il ne fait aucun doute qu’elle était innocente. Dans la réalité, les faits ne sont pas si clairement établis, et sur le plan narratif/esthétique, ce parti pris discutable affadit considérablement la puissance d’un récit porté par l’incertitude de sa culpabilité. Le sujet du film n’est pas tant l’innocence de l’inculpée que la peine de mort et les failles (voire les mauvaises pratiques) de l’institution judiciaire (la manière particulièrement vicieuse de soutirer des aveux à l’accusée ou la faiblesse de sa défense par exemple).

Je veux vivre ! rejoint ainsi des films qui l’avaient précédé disposant d’une fibre politique et sociale assumée en épinglant au passage le système judiciaire et carcéral américain (Je suis un évadé ou Appelez Nord 777). Inspiré là encore d’un fait divers retentissant, le film doit beaucoup à son producteur, Walter Wanger, qui était lui-même passé par la case prison après avoir produit certains chefs-d’œuvre des années 30 et 40 (dont J’ai le droit de vivre, déjà sur un faux coupable – ce que le producteur n’était pas quand il a tiré sur ce qu’il croyait être l’amant de sa femme). Après son incarcération, il était revenu à la production dans les années 50, notamment avec Les Révoltés de la cellule 11, à travers lequel il souhaitait dénoncer les conditions de vie en prison.


Je veux vivre, Robert Wise 1958 I Want to Live! | Walter Wanger Productions


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Les Indispensables du cinéma 1958

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L’Incident, Larry Peerce (1967)

Note : 4.5 sur 5.

L’Incident

Titre original : The Incident

Année : 1967

Réalisation : Larry Peerce

Avec : Tony Musante, Martin Sheen, Beau Bridges, Brock Peters, Ruby Dee, Jack Gilford, Thelma Ritter, Gary Merrill, Jan Sterling, Donna Mills

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Variation new-yorkaise et brutale du Crime de l’Orient-Express. Le film reprend un des gimmicks favoris du cinéma qui consiste à développer une poignée de personnages avant de les réunir dans un même espace (la réunion se passe dans une rame de métro, pile à la moitié du film). Le procédé sera particulièrement apprécié dans les futurs films catastrophe des années 70 et connaîtra un regain d’attention avec des variations moins « chorales », plus narratives, dans les années 90 avec les films de Quentin Tarantino. Autres références et sous-genres associés : le film de transport. De Lifeboat (canot) à Airport (avion) en passant par H-8 (bus), quel que soit le moyen de transport, le huis clos (souvent partiel) fait toujours son effet. On pense également ici particulièrement aux Pirates du métro (1974). En général, les récits qui mêlent ces deux thèmes narratifs procèdent de manière opposée : on passe du transport à un autre huis clos. Le modèle du genre est Boule de suif, qui a inspiré consciemment ou non Les Huit Salopards, de Quentin Tarantino. Ici, le récit se construit plutôt dans une logique de convergence dans laquelle différentes lignées finissent par se ramifier en un seul point (une spécialité d’Agatha Christie, même si cette convergence a toujours lieu au début – ici, elle intervient au milieu du film).

Dans ce genre d’exercice périlleux, tout repose sur un bon scénario, mais surtout sur une distribution parfaite. Le spectateur entre de plein fouet dans une situation que l’on comprend n’être qu’un prétexte à définir le caractère des personnages. Avant que tout ce petit monde se retrouve confiné dans un même espace, tout l’intérêt de l’intrigue repose non pas sur l’action, sur une suite d’événements, mais sur la personnalité et le talent des personnages et de leur interprète. Les acteurs ont toujours adoré ce type de rôles qui les remettent au centre du jeu. On est à New York, ça ne devait pas être bien difficile de trouver des acteurs de talent issus des nouvelles méthodes de jeu. En dehors d’un ou deux vieux dont le jeu caractéristique de l’ancienne école (l’inusable Thelma Ritter par exemple), avec leurs tunnels pas forcément maîtrisés, passe assez mal la rampe (de métro), les acteurs sont remarquables une fois réunis. Ils aident ainsi à parfaitement retranscrire la tension de la situation.

Sur le fond, le sujet peut également être vu comme une allégorie de nos sociétés égocentriques, surtout citadines, dans lesquelles on se laisse aliéner par nos terreurs individuelles et finit par montrer notre impuissance à faire « société » au milieu d’individus hétéroclites. Depuis, me semble-t-il, ces réactions apathiques ont été étudiées par les comportementalistes en confirmant qu’à partir d’un certain seuil ou en fonction de conditions spécifiques, les responsabilités se diluent et personne n’agit, surtout si aucun des témoins ne tire l’alarme en premier pour appeler « à faire bloc » contre un danger ou pour aider au contraire une personne en danger (les deux cas se présentent dans le film : d’abord avec l’ivrogne inconscient laissé pour mort dans l’indifférence générale, puis avec les agresseurs qui s’en prennent tour à tour à chaque entité de la rame).

En faisant quelques recherches, je tombe sur ce papier qui stipule que les travaux de ce type ont commencé après un fait divers étant survenu… à New York en 1964 : une femme aurait été tuée sans qu’une trentaine de témoins osent intervenir. (Le film n’a rien à voir, c’est un remake d’un film de télévision diffusé en 1963, mais la coïncidence mérite d’être notifiée.) Dans ce papier, on peut ainsi lire : « En présence de témoins passifs, une personne tend à rester elle-même passive, et d’autre part, des groupes de trois individus ont moins de chance de rapporter l’incident que des individus isolés. » (C’est significatif, mais dans le film, la question se pose d’intervenir directement, donc de se mettre soi-même en danger. L’étude date un peu, compte tenu des difficultés à faire des expériences sociales, possible que des travaux plus récents montrent des informations plus éclairantes.)

À supposer que dès qu’un premier témoin montre la voie, tous les autres suivent, ici, au bout d’une demi-heure de terreur et d’agressions diverses, c’est l’un des plus « démunis » qui finit par lever la main (sa seule valide) pour s’opposer aux agresseurs, tandis que les autres resteront les bras ballants. Jusque-là d’ailleurs, c’était presque toujours ceux que l’on considère comme les plus faibles qui osaient le plus répondre aux agresseurs : une vieille dame qui donne une claque à l’un des deux voyous, une autre qui se lève pour leur demander d’arrêter d’importuner l’un d’eux. Les hommes (et plus encore le soldat valide) se distinguent pour leur lâcheté. Un événement subtil à la fin du film témoigne également des tensions raciales de l’époque : quand les passagers arrivent enfin à stopper le métro et à appeler la police, instinctivement, les agents appréhendent le seul Noir de la rame… (Ils s’en prenaient aux Noirs sans tabou.) C’est peut-être un détail, mais ça veut dire beaucoup…

Autre allégorie possible (plus hasardeuse encore, mais jouons les « critiques de cinéma », rarement à court d’audaces interprétatives…) : la rencontre tumultueuse entre la jeunesse turbulente et insaisissable qui s’emparera bientôt d’Hollywood et toutes les figures conservatrices du cinéma de papa. Le vagabond (qui fait faux bond) ; le Noir qui ne veut pas faire de vague parce qu’il se sait sur la sellette (figure classique de Sidney Poitier depuis Graine de violence) ; le rebel without a cause affublé de sa veste coupe-vent inspirée des letter jackets d’université ; le bon soldat en permission ; l’homosexuel forcément tourmenté ; l’ancien alcoolique à l’affût d’une seconde chance ; la femme de professeur insatisfaite ; la mère écervelée qui a le cœur sur la main ; le couple de vieux qui se chamaille depuis le premier jour de leur mariage et qui déteste voir que le monde leur échappe…

Parce qu’effectivement, le cinéma est à un tournant. Le film est sorti en 1967, année charnière dans la production américaine : Hollywood sort enfin la tête de l’eau avec Bonnie and Clyde et Le Lauréat. L’Incident n’a pour autant pas grand-chose à voir avec le Nouvel Hollywood. Filmé sur la côte est, il aurait d’abord été financé de manière indépendante avant que Zanuck sauve le film de la faillite et en assure la distribution pour la Fox. Le film n’en reste pas moins le produit d’une époque qui, par contraste, éclaire l’éclosion de ce nouveau système.

Martin Sheen sera une des figures du Nouvel Hollywood, un peu plus tard, avec La Balade sauvage, de Terrence Malick (sorti en 1973). Beau Bridges sera vite employé à Hollywood, mais pas vraiment dans de grands films représentatifs de l’époque comme ce sera le cas pour son frère (il faudra attendre Norma Rae, de Martin Ritt, en 1979, mais une autre ère a déjà débuté). Brock Peters a souvent tourné dans des films avec Charleton Heston (allez savoir pourquoi) et est apparu dans des films d’Otto Preminger (Carmen Jones, Porgy and Bess), de Lumet (Le Prêteur sur gages) ; il tenait un rôle clé dans Du silence et des ombres (l’un des seuls acteurs noirs de premier plan à cette époque avec Sidney Poitier – qu’il a croisé sur Porgy and Bess). Quant à Larry Peerce, il suivra une carrière de réalisateur à Hollywood plutôt anecdotique selon les standards actuels (loin du Nouvel Hollywood, les studios continuent à produire des films de supermarchés, éventuellement rentables, mais ne laissant aucune trace dans l’histoire). Notons toutefois Un tueur dans la foule pour lequel il renoue avec le thriller confiné, mais dans un genre opposé (grand spectacle) et dans lequel, presque dix ans après L’Incident, il s’offre à nouveau les services de Brock Peters et de Beau Bridges.


L’Incident, de Larry Peerce 1967 The Incident | 20th Century Fox, Moned Associated


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Les Indispensables du cinéma 1967

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Larry le dingue, Mary la garce, John Hough (1974)

Note : 2.5 sur 5.

Larry le dingue, Mary la garce

Titre original : Dirty Mary Crazy Larry

Année : 1974

Réalisation : John Hough

Avec : Peter Fonda, Susan George, Adam Roarke

Mix pathétique entre tous les road movies pétaradants de l’année 1971 (Vanishing Point, Macadam à deux voies, Duel, THX 1138, eux-mêmes tous plus ou moins petits frères de Bullitt) et Bonnie and Clyde.

Le Nouvel Hollywood n’a pas encore achevé la mue de l’ensemble de l’industrie du cinéma en Californie que les studios commencent déjà à reprendre la recette des films de cette nouvelle génération, voire à s’autoparodier. Quelques éléments de la contre-culture sont bien mis en évidence, sauf ceux réellement moteurs de ces films ayant initié le nouveau tournant de la production américaine. Qu’est-ce qui faisait le sel par exemple de Vanishing Point et de Macadam à deux voies ? Pour l’un, le panache solitaire et jusqu’au-boutisme, pour l’autre, le nihilisme. Et cela passait toujours par une forme de mutisme et par un refus de passer par les traditionnelles séquences dialoguées, les bons mots. Aucune trace de cette incommunicabilité ou de cette désillusion ici.

Au contraire, on vole dans les caisses d’un magasin et on prend la famille du gérant en otage sans l’excuse de la fatalité d’un monde sans lendemain. Seul motif des criminels : l’argent (nécessaire à se payer une place aux 500 miles d’Indianapolis ou je ne sais où). Un retour des bons vieux crime films dans lesquels le destin se charge de donner une leçon aux malfaiteurs ? Oui et non. Ils seront bel et bien punis, mais avant ça, c’était comme si l’acte fondateur et criminel de cette virée présentée comme un simple amusement n’avait jamais existé. Leurs mentors roulaient pour oublier, pour en finir ou pour survivre. Larry et son comparse évincé du titre du film roulent pour l’or. Ils semblent nous dire : « Have fun, l’existentialisme est un onanisme ».

Le public appréciera la mauvaise plaisanterie et se ruera dans les salles. Signe qu’il est prêt au retour d’un cinéma plus « optimiste », plus distractif. On garde les techniques du cinéma héritées du cinéma européen (le réalisateur ici est britannique) et ça repart vers le tout commercial. Le code Hays en moins.

La même année, avec son premier film (après le succès télévisuel de Duel), Steven Spielberg, empruntait peut-être déjà la même voie de la « contre-contre-culture » avec Sugarland Express. Et Disney donnera une suite à un film qui annonçait également dès 1968 cette mouvance contre-contre-culturelle : Un amour de Coccinelle. On est en 1974, et un vent nouveau souffle sur Hollywood pour balayer la morosité ambiante et insuffler un air d’optimisme à cette génération de boomers : La Guerre des étoiles enterrera complètement cette époque. Voilà pourquoi Larry le dingue, Mary la garce, représente assez bien cette ère pleine de paradoxes et n’inspirera finalement pas grand-chose (tout en étant relativement oublié aujourd’hui), sinon les amateurs du genre et d’une certaine manière le peu mémorable Shérif fais-moi peur qui a « bercé » mon enfance. Globalement, les séries des années 80 et 90 voyaient dans cette étrange resucée des chase films du début du cinéma une importante source d’inspiration : Chips, K2000, Riptide, Magnum, Starsky et Hutch, Deux Flics à Miami, Supercopter, L’Homme qui tombe à pic, Tonnerre mécanique, Hooker, L’Agence tous risques. Si plus tard, les films et séries seront basés sur la fantaisie et des superpouvoirs, à l’époque, la route était l’élément central de toutes les productions. Une véritable épidémie. Appelons ça de la « roadploitation ». Plus personne ne revient sur terre après le trip routier Easy Rider. On a certes plus ou moins délaissé les épouvantables studios (on y retournera une fois que les effets spéciaux seront capables de faire illusion), mais Hollywood, maintenant qu’elle a trouvé le filon pour se relancer, ne l’abandonnera plus. Somme toute, c’est assez logique : l’industrie du cinéma américain avait migré en Californie pour son soleil et ses grands espaces, il était naturel de profiter à nouveau de tout ce que le pays offrait en extérieurs. Parfois donc jusqu’à la caricature.

(L’acteur jouant le flic poussant le pilote d’hélicoptère à prendre des risques dans le final finira huit ans plus tard décapité dans un accident d’hélicoptère sur le tournage de La Quatrième Dimension…)


Larry le dingue, Mary la garce, John Hough 1974 | 20th Century Fox, Academy Pictures


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Black Christmas, Bob Clark (1974)

Note : 4 sur 5.

Black Christmas

Année : 1974

Réalisation : Bob Clark

Avec : Olivia Hussey, Keir Dullea, Margot Kidder, John Saxon, Marian Waldman

Voir réunis dans un même film dans lequel ils sont amants la Juliette de Franco Zeffirelli et le Dave Bowman de 2001 (deux chefs-d’œuvre de 1968), voilà qui est plutôt inattendu. Surtout quand on y trouve par ailleurs la future Lois Lane de Superman en version trash.

Honneur donc, tout d’abord, aux acteurs, parce que c’est eux (au propre comme au figuré ?) qui tiennent la baraque. Dans un thriller, un film d’horreur ou dans tout autre film de genre, quoi qu’on en dise, le talon d’Achille, bien souvent, c’est l’interprétation des acteurs. À travers eux, passe l’essentiel de la crédibilité de l’histoire. Vous pouvez écrire un scénario rempli d’incohérences, certains interprètes (cela vaut aussi pour la mise en scène) peuvent vous masquer ces défauts grâce à leur sincérité, à la manière dont ils défendent un personnage ou grâce parfois à leur seule présence à l’écran.

Pour le reste, je ne vois pas tant que ça de contradictions ou de plot holes. Les zones d’ombre servent sans doute à leurrer le spectateur. Tout demeure confus, le twist final nous embrouille un peu plus, on y voit que du feu. Le scénario a même une qualité indéniable : cette incertitude, cette fin ouverte irrésolue poussent le spectateur à vouloir se refarcir au plus vite le film. Si vous regardez le film sur Netflix, cela ne changera pas grand-chose, mais au cinéma, cela relève presque de l’idée marketing de génie. La structure du récit ajoute habilement des éléments à la connaissance du spectateur qui a presque le luxe d’être plongé dès la première séquence dans un jeu de va-et-vient entre perception des proies innocentes et perception de l’assassin (raison pour laquelle d’ailleurs, à force de vues subjectives, on ne verra jamais le visage du meurtrier). Certains de ces éléments, en apparence tous anodins, pourraient éclairer notre lanterne (avant que la police s’en mêle) sur l’identité, le passé ou les motifs de l’assassin. En plus de forcer l’attention du spectateur, ce classique du thriller dont s’est emparé le film d’horreur, permet non plus de développer l’image de l’assassin (qui restera tapi dans l’ombre jusqu’à ne plus devenir qu’une grande tache de Rorschach soumis à toutes les interprétations possibles, même absurde), mais les relations entre les victimes. Manière détournée et habile d’évoquer deux sujets principaux : le fossé entre deux générations (l’une, conservatrice, l’autre, plus provocatrice, libre, et parfois obscène — les deux partagent le même attrait pour l’alcoolisme) et l’émancipation des femmes (refus de se marier, d’avoir un enfant et souhait de poursuivre ses études).

Je vois deux films à rapprocher de celui-ci. Sans doute un peu parce que je les apprécie, parce que je les ai vus récemment, mais aussi parce qu’ils en possèdent des qualités ou des éléments identiques. Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965) et La Résidence, de Narciso Ibáñez Serrador (1969).

Dans Bunny Lake a disparu, de la même manière le tueur se révèle être l’homme le plus proche du personnage féminin principal (et ironiquement, il s’agit du même acteur à dix ans d’intervalle : Keir Dullea). Si beaucoup de films jouent sur les clichés, on peut au moins noter que ces deux films pointent du doigt une réalité bien connue de la police : vous cherchez un meurtrier ? Neuf fois sur dix, il s’agira du petit ami, de l’ex, du frère, etc. de la victime. La résidence de Black Christmas, la chambre de Miss Mac d’où l’assassin peut parfois passer ses appels surtout, n’est pas sans rappeler l’école de Bunny Lake a disparu (surtout avec son dernier étage occupé par l’ancienne directrice). Les deux films jouent par ailleurs très bien sur une forme de folie, certes extrême, mais très réaliste : si certains films d’horreur choisissent le parti pris de l’outrance et de l’effet gratuit comme à l’époque du grand-guignol, on prend exactement le contre-pied ici de cette mouvance (on aura compris que je déteste les séries Z). Au mieux, on garde la folie de l’assassin bien à distance grâce à l’usage récurrent du téléphone.

Deuxième film donc, La Résidence. Deux early slashers comme on dit avec l’accent. On retrouve l’idée de « maison de sororité » dont la tranquillité est violée par un détraqué et l’idée de film à élimination. La résidence universitaire deviendra un trope particulièrement apprécié pour rameuter le public adolescent dans les salles. (Et d’une certaine manière, ce trope apparaissait déjà à l’échelle de la ville dans L’Étrangleur de Boston.)

Ces trois films ont par ailleurs en commun le fait de ne pas être… hollywoodiens. Comme quoi, ça n’a pas toujours été le Hollywood underground qui a su redonner de l’élan aux genres. Un est britannique, un autre espagnol et un autre canadien. (Certains évoqueront le giallo, mais comme je suis loin d’être amateur de ce genre qui précisément évoque pour moi une forme de grand-guignol pisseux, je laisse tout rapprochement ou toute comparaison aux autres.)

J’ai mentionné les acteurs et le scénario (je partagerai un jour toutes mes notes sur le confusionnisme…). En revoyant le film, je me suis attaché un peu plus à la réalisation, et c’est du propre. Les effets sonores plongent réellement le spectateur dans une ambiance malsaine mais subtile (l’idée des cordes de piano est parfaite), chaque mouvement de caméra, chaque zoom, chaque ajustement, chaque montage alterné resserré (souvent pour suggérer une forme de crime sacrificiel et cathartique à la Apocalypse Now), chaque vue subjective participe à cette atmosphère. C’est de l’orfèvrerie. On est loin de la série B. Quand on regarde la lenteur de certains plans par exemple, ou quand les portes sont brutalement défoncées, on remarque que Clark maîtrise le tempo à merveille.

La mode du slasher semble être déclenchée : en cette même année 1974 sort un autre film, bien plus trash (et par conséquent plus mauvais) : Massacre à la tronçonneuse. On remerciera au moins à ce genre d’avoir sans doute inspiré en partie la fin d’Alien à travers un de ses motifs préférés : la femme rescapée. (Même si ici, on peut encore supposer que Jess finisse assassinée vu que les appels de « Bill » ne surgissent qu’après chaque meurtre — c’est du moins ce qui est suggéré dans la dernière séquence.)

J’ai l’impression que ça me fait le coup en ce moment une fois sur deux : à chaque nouveau film visionné, je me rends compte qu’un des acteurs principaux vient de disparaître… La petite amoureuse de Shakespeare, Olivia Hussey (un de mes amours d’adolescent), est donc décédée il y a moins de deux mois. Voilà pourquoi, peut-être, je réduis mes visionnages ces derniers temps. Je porte la poisse.

(Mon nom anglais à l’école, c’était Billy.)


Black Christmas, Bob Clark 1974 | Film Funding Ltd., Vision IV, Canadian Film Development Corporation, Famous Players


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Bunny Lake a disparu, Otto Preminger (1965)

Note : 4 sur 5.

Bunny Lake a disparu

Titre original : Bunny Lake Is Missing

Année : 1965

Réalisation : Otto Preminger

Avec : Keir Dullea, Carol Lynley, Laurence Olivier, Noël Coward

Film à ranger dans la catégorie « le réalisateur a fait un excellent travail avec un matériau désastreux ». À la Jaws.

Le problème, quand on multiplie les fausses pistes et que celles-ci sont toutes crédibles, alors même qu’elles peuvent se présenter sous des formes loufoques, voire inquiétantes, c’est que l’on peut être certains que le récit va manquer de cohérence et de crédibilité.

Sérieusement, les trois principales pistes mènent à trois personnages plus ou moins fantasques : une cuisinière allemande qui disparaît au même moment que la fillette ; un bailleur excentrique (cowardien en somme, le bon Noël ne peut être qu’extraordinaire dans un second rôle tant il est insupportable dans un premier) un peu trop envahissant ; une ancienne professeure habitant au dernier étage de l’école et légèrement timbrée.

Si ces pistes nous paraissent, à nous, spectateurs, évidentes, elles tardent à attirer l’attention de la police, ou ne l’attirent pas du tout. Leur comportement à tous trois n’a bien entendu rien de troublant… Ben voyons.

Sans compter que si l’extraordinaire, c’est déjà par définition rare, trois cas extraordinaires apparaissent franchement improbables (sauf complot démoniaque à la Rosemary’s Baby). Si l’on convient en plus que le premier cas extraordinaire, c’est précisément la disparition de la petite, toute situation ou tout détail étrange devrait forcément être lié à cet événement. Mais non, pas du tout.

C’est donc écrit avec les pieds. Et tout le mérite revient à Preminger qui, malgré cela, a fait de cette horreur un excellent thriller.

Le seul élément définitivement crédible, en revanche (divulgaphopes s’abstenir), consiste à faire du frère (ou de l’oncle) le coupable. C’est encore presque toujours dans la propre famille des victimes que l’on trouve les fautifs… Ce qui l’est moins (crédible), c’est que si la mère connaît manifestement les tendances psychiatriques de son frère (elle sait parler à son double), on ne peut croire une seconde que ses soupçons ne se soient jamais portés sur son frère…

Si l’histoire est épouvantable, dans la veine des thrillers psychologiques à la mode à Hollywood depuis Psychose (symbole d’un joli déclin), mais aussi en Angleterre (Répulsion, The Servant, Blow-Up, L’assassin s’était trompé, etc.), le film se rattrape largement par la maestria chez Preminger à diriger ses acteurs et à mouvoir sa caméra dans les moindres recoins des maisons, des étages de l’école, jusqu’aux sous-sols d’un hôpital ou d’un magasin de réparation de poupées.

À ce sujet, la séance à laquelle j’ai assisté était présentée par Nicolas Saada. Sa perception des choses laisse songeur. Selon lui, la grande qualité de Preminger sur ce film aurait été de proposer de nombreux plans-séquences invisibles.

Eh bien, oui, ils sont tellement invisibles qu’ils n’existent pas. La caméra remue en effet dans tous les sens pour suivre les personnages au plus près sans perdre de temps avec des plans larges qui feraient retomber l’intensité et parce qu’au fond, il n’y a pas cinquante manières de filmer dans les espaces exigus de décors réels. Contrairement à ce que Saada prétend, il n’y a aucun plan-séquence : si le réalisateur fait souvent l’économie d’un raccord lors d’un passage d’une pièce à une autre, Preminger change en revanche souvent d’emplacement en fonction des besoins et procède aussi de manière répétée à des raccords dans le mouvement ou à des contrechamps. Un plan long et mouvant, ce n’est pas un plan-séquence.

Ce qui est relativement rare pour un film réalisé par un homme ayant exercé surtout à Hollywood, ce sont toutes ces libertés prises avec la caméra, sans pour autant en faire des effets qui anéantiraient la nécessaire transparence de la mise en scène dans une œuvre cherchant à jouer sur l’intensité de la situation et la justesse des acteurs et sans jamais s’écarter d’une certaine sobriété sans quoi le film sombrerait dans la série B.

Rare, mais non pas exceptionnel.

La plus grande révolution technique qu’a connue le cinéma après le parlant, c’est bien l’Europe qui l’a apporté lors de ces nouvelles vagues diverses au tournant des années 60. Les caméras se font plus petites ; la pellicule devient plus sensible et l’on peut désormais filmer en intérieur sans avoir recours à d’immenses projecteurs (les accidents dans lesquels on perçoit l’ombre de la caméra ne sont pas rares) ; enfin, le son peut se faire en prise directe (là encore, il y a quelques ratés dans le film).

Ce n’est pas pour rien que certains réalisateurs américains (parfois même italiens) sont venus en Angleterre échapper à la décadence hollywoodienne. De nouveaux outils s’y trouvaient, des nouvelles libertés s’y prenaient. Les contraintes y étaient moindres (pas de code à la con) et en Angleterre, Basil Dearden, Jack Clayton, Karezl Reisz, John Schlesinger, Tony Richardson, Lindsay Anderson, Ronald Neame, Peter Brook, Richard Lester, Jack Cardiff… s’y amusaient comme des fous, et comme leurs comparses partout en Europe.

La même année, William Wyler vient tourner les extérieurs de L’Obsédé. Avec les mêmes possibilités (j’évoquais ce qu’il lui était permis de faire dans mon article sur l’évolution des transparences dans l’histoire hollywoodienne). Otto Preminger y était venu dès 1958 pour tourner Bonjour tristesse (jalon également évoqué dans mon article sur les transparences). Joseph Losey s’était établi en Angleterre, comme Kubrick ; Billy Wilder et Joseph L. Mankiewicz y viendront réaliser quelques dernières danses. Orson Welles, Stanley Donen, Robert Aldrich, Jules Dassin ou même Blake Edwards pour La Panthère rose tournent ici et là en Europe. Même l’un des seuls à tenter de secouer le cocotier hollywoodien, John Frankenheimer, viendra tourner Le Train en Europe. David Lean et la série des James Bond innovaient même en matière de films à grand spectacle censés être une spécialité hollywoodienne depuis des décennies. Et pour finir, puisque les studios américains, à la limite de la faillite, comprendront leur retard, ils feront appel à Peter Yates afin d’importer enfin les méthodes européennes à des productions devenues obsolètes avec Bullitt.

Preminger savait probablement ce qu’il trouverait en (re)venant travailler en Europe. Ce n’était pas pour faire arty, se la jouer Godard ou Fellini et reproduire l’erreur d’Arthur Penn sur Mickey One (sorti la même année), ni pour faire des plans-séquences, mais pour échapper au carcan des studios.

Pour qui se tenait un tant soit peu au courant de ce qu’il se passait dans le monde, à fortiori pour un Européen exilé, l’Europe de cette époque devait être un véritable eldorado.

Bref, sur le plan formel, l’habilité de Preminger à coller à son sujet est remarquable. Et dans l’exécution, il n’est pas interdit de penser que la réussite du film soit due aussi beaucoup à sa direction d’acteurs (et par conséquent, aux acteurs eux-mêmes). Ce qui distingue parfois un bon thriller psychologique d’une série B à la William Castle, c’est la mesure, le bon goût, la retenue, la maîtrise des limites, une certaine forme de bienséance ou de crédibilité interdisant le viol de la règle du quatrième mur (on ne s’improvise pas sur le tard des principes de distanciation comme peut le faire William Castle dans Homicide par exemple). Jusqu’au bout, malgré un scénario passablement médiocre et grotesque, Otto Preminger s’attache à relater les événements de la manière la plus crédible possible. Quand on joue la folie, la peur, il est si simple pour un (mauvais) acteur de tomber dans la caricature, l’outrance. Tout ici au contraire est maîtrise et sobriété. Cela ne signifie pas que les personnages doivent rester froids (la mère est bouleversée par la disparition de son enfant et par les soupçons de la police la concernant), mais qu’ils doivent être vraisemblables dans leur interprétation (alors que les incohérences pleuvent dans l’écriture de leur personnage).

Chapeau.


Bunny Lake a disparu, Otto Preminger (1965) Bunny Lake Is Missing | Wheel Productions


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Le Coup de l’escalier, Robert Wise (1959)

Le soleil dans le caniveau

Note : 4 sur 5.

Le Coup de l’escalier

Titre original : Odds Against Tomorrow

Année : 1959

Réalisation : Robert Wise

Avec : Harry Belafonte, Robert Ryan, Gloria Grahame, Shelley Winters, Ed Begley

On sent poindre la fin du code Hays et le polar américain commence à avoir des envies d’extérieurs (même s’il y a des précédents, comme toujours : Sur les quais, En quatrième vitesse, c’est bien avant, comme les films de Jules Dassin).

La forme

Les passages entre extérieurs et intérieurs sont relativement bien exécutés : les plans de transition sont bien pensés dans les premières séquences de l’hôtel et les éléments sonores et visuels suggèrent parfaitement l’existence de l’extérieur (plan de l’entrée avec difficulté à fermer la porte, puis son du vent dans l’ascenseur). C’est peut-être moins convaincant sur l’ensemble des séquences prenant place chez la petite amie (regards dans la rue à travers la fenêtre, mais d’autres plans sentent parfois le renfermé, le studio, à cause sans doute d’un éclairage trop direct alors que la scène est censée profiter de la lumière du jour), mais face à des extérieurs si « crus » (impression renforcée par l’usage d’une pellicule spéciale), le film aurait pu souffrir d’un écart stylistique entre les deux zones.

Ce mix étrange et dangereux entre les espaces intérieurs et extérieurs apparaît également dans l’usage périlleux des transparences. Plus le cinéma répond à des exigences de réalisme et sort pour cela dans les rues, plus certains procédés tournés en studio peuvent vite tout gâcher. J’avais cité le film dans mon article sur l’évolution du procédé dans le cinéma hollywoodien :

« Robert Wise adopte ici une approche résolument réaliste (voire naturaliste) en choisissant de filmer une majeure partie de son film en extérieurs comme c’est devenu presque la règle dans les films criminels depuis 1955 avec En quatrième vitesse et Les Inconnus dans la ville. Reste la question de la manière de filmer ces séquences prenant place dans un véhicule. Robert Wise ici alterne le très bon et le moins bon. Débarrassé de dialogue, quand Robert Ryan se retrouve seul au volant, on y voit que du feu. Quand il place sa caméra à l’arrière et filme la route et les deux personnages au premier plan, la séquence semble bien avoir été filmée sur la route. Quand il fait croiser deux personnages, l’un dans une automobile, l’autre dans un bus, il place sa caméra dans le bus, aucune raison ici de passer par une transparence. Mais quand il convient alors de faire interagir deux acteurs, le charme n’opère plus et l’on devine assez facilement que Wise a dû avoir recours à une transparence qui jure forcément avec l’esthétique générale du film. »

(Wise continuera ses expérimentations pour se passer presque définitivement du procédé dans La Maison du diable, comme je le notais dans la page suivante de mon article.)

On peut par ailleurs remarquer un de tous premiers usages du zoom avant sa généralisation dans les années suivantes (surtout dans le cinéma italien). Dans cet article, il est question de zoom dans It, j’avoue ne pas me souvenir ; quoi qu’il en soit, le procédé existait déjà dans le cinéma muet, mais n’était pas employé autrement que pour divers effets vaguement expérimentaux (le procédé interdisant une netteté parfaite). Wise en fait un outil de contemplation, de scrutation en observant de loin en extérieur un personnage, puis en se rapprochant (ou le contraire). Cela deviendra une des marques du cinéma du Nouvel Hollywood (notamment chez Coppola).

Pour ces audaces formelles, Wise a fait appel à un directeur photo franco-américain, Joseph Brun qui avait déjà expérimenté le cinérama (la Cinémathèque avait projeté son film de 1955 : aucun intérêt).

Le fond

Pour le reste, on sent donc un petit parfum de fin de restrictions sous code Hays (en tout cas une volonté de jouer avec). Si les criminels meurent à la fin, et si le scénario ne ment pas sur les raisons qui conduisent ces individus à jouer leur vie (sur un coup de dé) dans un braquage, l’approche des acteurs et de Wise consiste aussi beaucoup à humaniser et à psychologiser, voire à socialiser ces pauvres gusses poussés à bout.

J’y vois d’ailleurs quelques accents identiques à ceux de Traqués dans la ville, vu récemment et réalisé par Pietro Germi en 1951, avec la différence notable que le film italien évoquait les conséquences d’un hold-up, tandis que le film de Wise s’applique au contraire à en étudier les causes.

Le plus torturé en ce sens se trouve être le personnage interprété magistralement par Robert Ryan : des trois acteurs, c’est peut-être celui qui rend son personnage le moins sympathique, mais son esprit semble agité par bien des tourments. Ancien détenu tombé pour meurtre, il reçoit chaque commentaire qui évoque son passé trouble comme une insulte, moins parce que cela ferait ressurgir chez lui un sentiment de culpabilité que parce que, étrangement, tuer lui aurait procuré du plaisir. Il serait seul à l’écran que ces élans psychiatriques répondraient aux attentes de l’air du temps et aux principes du code en ce qui concerne l’image des criminels à offrir au public. L’associer aux deux autres permet de voir ses névroses d’un œil neuf.

Un des trois est musicien noir, divorcé qui croule sous des dettes contractées en jouant aux courses et a maille à partir avec la mafia qui lui en réclame le remboursement. Comme une partie du film ne consiste pas du tout à préparer le casse comme on peut le voir dans les films du genre, mais à montrer le processus psychologique poussant les deux hommes à accepter la proposition d’un troisième, le récit passe de bonnes minutes à nous dévoiler les rapports familiaux qu’entretient le crooner avec sa femme et sa fille. On s’écarte des standards des criminels habituellement mis en scène dans les « crime films » servant la propagande du code. Nul doute que Ingram est un bon gars : chanteur dans un bar le soir, papa modèle profitant de son droit de visite pour passer du temps avec sa fille, s’il n’avait pas cette addiction au jeu, il appartiendrait au même monde petit-bourgeois que sa femme fréquente (même s’il fait mine de l’exécrer).

L’action prend place à New York, en 1959, on peut douter qu’un tel personnage ait pu exister ailleurs que sur la côte est et ouest dans les quartiers les plus progressistes du pays. Ce hiatus sert de moteur à l’intrigue, le personnage qu’interprète Robert Ryan étant originaire de l’Oklahoma et ouvertement raciste. Ce racisme ne propose pas une simple toile de fond au film, c’est un sujet à part entière qui hypothèque l’avenir crapuleux de leur association. (Soixante ans après, à l’heure du retour de Trump et du racisme décomplexé, cette thématique laisse un petit quelque chose d’amer… L’année précédente d’ailleurs, Stanley Kramer avait mis en scène La Chaîne avec Sidney Poitier et Tony Curtis qui possédait les mêmes caractéristiques de tensions et de violences racistes.)

Le troisième et dernier de la bande est peut-être celui dont on en saura le moins. On ne le verra jamais qu’accompagné des deux autres. Ancien flic, loin des stéréotypes de criminels sans passé uniquement mu par la cupidité et le vice, l’homme de loi a mal tourné après avoir été victime du système. Pour sortir de l’impasse et prendre sa revanche sur la vie, il pense avoir mis au point le coup parfait. Comme le titre du film en anglais l’indique, il y a un revers de la médaille au rêve américain : quand tu ne fais pas partie des gagnants, reste le mythe très américain qu’on peut jouer sa vie (et donc son avenir) sur un dernier coup. Le western et le film noir ont ce mythe en commun. Comme tous les mythes, il a une morale : si seul le succès importe, quand on appartient à la classe des perdants, il y a une forme de légitimité à tenter sa chance sur un dernier coup de dé…

Le code Hays à terre : les criminels agissent non parce qu’ils ont le vice qui coule dans leur veine (sinon, une fois qu’ils réussissent un coup, ils ne s’arrêteraient plus, comme Al Capone), mais parce que la misère les assaille, parce que si vous échouez, vous êtes déconsidéré, et parce qu’il est si facile en Amérique de jouer sa vie sur un ultime coup de dé (un indice sur les raisons de cela : les hold-up partagent cette caractéristique avec les tueries de masse). Ainsi, oui, ce chef de bande légèrement en retrait par rapport aux deux autres n’a pas grand-chose d’antipathique. On connaît vaguement son passé, mais Wise et son acteur en font un mec sympa. Un mec normal, normalement charcuté par la vie quand la chance a décidé de lui faire la peau.

Pourquoi tant d’humanité dans un film noir ? Nouvel indice : il a été écrit sous un prête-nom par Abraham Polonsky, le scénariste du chef-d’œuvre de Robert Hossen, Sang et Or, mais surtout blacklisté à Hollywood. Le flic de son histoire avait refusé de collaborer avec des enquêteurs fédéraux, ce que Polonsky avait précisément fait quand il refusa de témoigner à la commission des activités antiaméricaines en 1951.

Le dénouement n’a plus grand-chose à voir avec de l’humanité : la haine que se porte l’un et l’autre des braqueurs mènera littéralement à une explosion qui précipitera leur mort. Classiquement, dans le crime film, le finale se conclue par une course poursuite entre le malfaiteur et l’homme de loi. Ici, la débandade qui suit l’échec du hold-up est prétexte à ce que les deux ennemis règlent leurs comptes dans une scène de poursuite fatale.

(Wise se vante d’avoir fait changer la fin afin qu’elle soit plus noire alors qu’originellement, le Blanc et le Noir devait repartir bons potes. Sauf que je doute qu’une telle fin, à moins que ce soit un dernier geste d’apaisement avant leur mort, ait justement été acceptée sous code Hays. Le film devait déjà bien assez poser problème à la censure.)

À noter un excellent générique en phase avec les créations de Saul Bass (Wise fera appel à lui pour West Side Story), et une jolie introduction : beau ciel se reflétant dans un liquide ondulant et scintillant sous un grand soleil. Tant qu’il y aura des hommes ? Pas du tout. On éclaire la partie latérale de l’écran : il s’agit en fait d’une flaque courant le long d’un trottoir de New York. Après les transparences capricieuses, les apparences…

Le film s’achèvera d’ailleurs sur la même confusion. Après leur crime, tous les malfrats sont frits. Odd à la nuit.


Le Coup de l’escalier, Robert Wise (1959) Odds Against Tomorrow | HarBel Productions