Un héros, Asghar Farhadi (2021)

Note : 4 sur 5.

Un héros

Titre original : Ghahreman/قهرمان

Année : 2021

Réalisation : Asghar Farhadi

Avec : Amir Jadidi, Mohsen Tanabandeh, Sahar Goldoost, Fereshteh Sadre Orafaiy, Sarina Farhadi

Du Asghar Farhadi dans le texte. Certes, le cinéaste iranien relate un événement bien réel qui a massivement circulé dans les médias et agité les réseaux sociaux en Iran, mais la mécanique narrative de son cinéma demeure facilement identifiable. Accusé de plagiat par une étudiante qui a fait de ce même événement un documentaire, Farhadi a été blanchi par la justice en début d’année. On peut difficilement arguer effectivement qu’on puisse voler des idées en bloc, un sujet, quand les faits authentiques rapportés sous forme de fiction sont déjà connus et bien discutés dans toute la société. On pourrait d’ailleurs reprocher à Farhadi de produire continuellement le même film en jouant sur les apparences, sur les oppositions d’intérêts contraires entre des personnages pas forcément malhonnêtes révélant l’impossibilité de tirer des conclusions hâtives sur eux.

Contrairement aux précédents œuvres du réalisateur, en revanche, on y reconnaît ici un petit côté Voleur de bicyclette, même si le profil naïf du protagoniste n’est pas ce qu’il y a de plus crédible dans le film. Le cinéaste aurait pu par ailleurs mieux traiter la relation entre le père et le fils bègue ; non pas pour se rapprocher de De Sica, mais parce que Farhadi semble, pour une fois, abuser gratuitement des éléments en tirant son récit vers le pathos sans en assumer ou en maîtriser les implications. Si l’exploitation de son handicap est bien utilisée, sur les réseaux sociaux ou ailleurs, ce sont au contraire les conséquences de cette exploitation sur leur relation qui apparaissent peut-être légères si on les compare, par exemple, à la relation entre le père et la fille dans Une séparation (de mémoire, le père pousse sa fille à un faux témoignage, exactement comme ici, sauf qu’on voit plus ouvertement le dilemme éthique posé à la fille avec comme conséquence une dégradation de leur relation). Dernier détail peu convaincant : la facilité avec laquelle la future femme du « héros » le défend (son amour paraît gratuit ; une simple petite ligne de dialogue aurait pu justifier ce dévouement, mais peut-être m’a-t-elle échappé).

Pour le reste, Farhadi, comme d’habitude, joue les équilibristes en livrant au spectateur en permanence de nouvelles informations sur les enjeux de chacun et sur leur passé qui nous obligent à revoir notre jugement sur l’intégrité des personnages rencontrés et sur la situation dans laquelle ils s’embarquent malgré eux. Revient toujours chez le cinéaste, comme une rengaine familière, cette impression de sac de nœuds et de sable mouvant parti d’un seul événement initial ; les pièges dressés dans une histoire de Farhadi laissent penser que chaque fois que les personnages essaieront d’améliorer leur sort, ils ne feront au contraire qu’aggraver leur cas et nourrir un peu plus les tensions qui les divisent. Les rôles permutent souvent : les aidants se transforment en opposants ; chacun doit affronter de nouveaux dilemmes ou des conséquences inattendues de quelques fautes passées ; on tente de trouver des compromis, des terrains d’entente ; on cherche à sauver sa peau, préserver son honneur ou les apparences ; puis tout s’écroule à nouveau quand des éléments imprévus rejaillissent… On n’aura jamais eu autant le sentiment face à un film reposant sur une « histoire vraie » d’avoir en réalité affaire à tout le contraire. Le réel n’a pas, en principe, vocation à passer pour « mécanique » ou à ressembler à une fable éthique et morale (à la manière du jugement de Salomon). Une seule logique s’impose toujours au spectateur dans un film de Farhadi : le juge, c’est le spectateur, pas l’autorité politique (autorité à qui l’on pourrait presque toujours voir, en filigrane, que les films du cinéaste sont destinés). Chacun pourra alors en juger : aucun spectateur-juge ne voit le même film et aucun n’applique un jugement unique sur les personnages.

Enfin, quel plaisir de voir dans les films de Farhadi un aperçu de la vie iranienne telle que vécue actuellement entre sanctions internationales et pressions autoritaires du régime des mollahs… On ne devine pas grand-chose, sinon une forme de censure (on peut évoquer la « légèreté » des responsables de la prison, mais les personnes à la préfecture restent irréprochables), mais l’essentiel est comme souvent ailleurs : le cinéma permet de réunir les peuples en dévoilant à travers les moindres gestes du quotidien ce qui les unit, plus que ce qui les sépare ou les oppose.


Un héros, Asghar Farhadi 2021 Ghahreman | Arte France Cinéma, Asghar Farhadi Productions, CNC


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