Enthoven, l’intelligence artificielle, le conformisme et la peur de la mort

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Réponse à ce film, et plus précisément à ce tweet : 

C’est pour ça que je n’ai jamais rien compris à la philosophie. Ce qui est à la portée de tous, c’est un exercice de conformisme. Philo, comme autre chose, on te pose un cadre, et tu ne dois jamais dépasser ce cadre. C’est précisément ce que font les machines, et ce que je n’ai jamais réussi à faire. Mon logiciel de pensée, c’est de toujours réfléchir en travers. On me pose un cadre, et j’étudie la question à travers mon strabisme intellectuel. Ce qui me fait rater l’évidence, mais ce qui me permet aussi et surtout de gambader vers des voies nouvelles. Souvent des voies sans issue, mais pas toujours.

Si j’ai bien compris le principe de la conclusion en dissertation, c’est d’ouvrir la question initiale vers une problématique proche. C’est ce que j’ai toujours fait dès la première phrase. J’explore, je traverse, j’erre, bref, je ne fais que du hors sujet. Et ça me va.

Parce que, contrairement à ce que dit ce monsieur, une machine, si on lui dit s’exprimer des émotions, une peur de la mort ou de tout autre chose, si on lui invente un discours qui mimerait la nécessité pour elle de préserver un corps qu’elle n’a pas, elle sera un jour, comme c’est déjà un peu le cas aujourd’hui, capable de nous en donner l’illusion. Dire qu’on a peur de la mort, ce n’est pas une preuve qu’on a peur de la mort. Et ça, les robots conversationnels ont déjà démontré qu’ils étaient capables de le faire (parfois avec des excès).

La spécificité humaine, c’est moins la peur de la mort (d’où il sort ça, sérieux) que la capacité à sortir, aussi, des cadres prédéfinis. Le plus souvent, on appellera ça des erreurs, des écarts, et puis, dans un autre contexte, on dira que c’est de la créativité. Elle est là la spécificité humaine. La capacité à ne pas se formaliser, sortir du cadre, dire non, ouvrir ou remettre en question… la question, poser immédiatement sa légitimité ou sa pertinence.

La vie, plus généralement, se distingue du monde inerte par sa capacité à se reproduire mille fois à l’identique, tout en autorisant les erreurs de copie. Ce sont ces erreurs qui font ce que nous sommes, parce qu’aucune vie n’échappe à l’extinction en reproduisant sur des millions d’années des copies initiales.

Monsieur pense que l’humain se distingue par sa capacité à avoir peur de la mort, alors que précisément, la vie est ce qu’elle est parce qu’elle est imparfaite et… mortelle. Les machines sont des clones, des monstres de conformité. Tu leur dis quoi faire : ils le font. L’humain, en revanche, peut rendre une copie vierge et réussir un jour son examen. Il est le fruit de milliards d’années d’évolution, parce que la vie tente sa chance, fait des erreurs et en meurt. Son sacrifice bénéficiera à ceux pour qui la conformité sera devenue une impasse. Ses erreurs, ses tentatives, ses approximations, ses explorations profitent toujours à ceux qui prennent sa place.

Donc, puisqu’une dissertation est un travail de conformité, il y a fort à parier que très vite (si ce n’est déjà le cas), l’intelligence artificielle soit capable de produire une copie conforme aux attendus de ces chers professeurs. J’attendrai encore, pour ma part, qu’on valorise les erreurs volontaires, les échecs constructifs ou les hors sujets d’exploration, au moins une fois dans une vie. Ça doit être un ratio tout ce qu’il y a d’acceptable avant, sans peur, de laisser sa place à d’autres. Humains ou machines.


Edit :

Les positions sur l’IA de Raphaël Enthoven ont fait l’objet d’une critique de la part du Youtubeur/professeur de philosophie, Monsieur Phi. Les deux se sont retrouvés pour un débat animé sur la chaîne de la Tronche en biais.

https://www.youtube.com/watch?v=xMxo9pIC0GA

L’occasion pour moi de publier un commentaire. Je le poste donc ici :

Jamais rien bité à la philosophie. En revanche, j’ai été enfant-acteur et me reste des réflexes à juger la force rhétorique des individus quand ils font des présentations. Je suis donc incapable de juger du fond, en revanche, ce qui frappe du premier regard, c’est combien Enthoven maîtrise tous les aspects formels du discours permettant de convaincre son interlocuteur que ce qu’il dit a un sens. Mais il ne faut pas trop longtemps pour comprendre que tout est fabriqué, tout est séduction, répétition, joli phrasé et image.

Une partie sans doute de cette maîtrise des codes est probablement due à son niveau social : les enfants de la classe bourgeoise supérieure baignent dans ces manières très enjôleuses et convaincantes (il faut respecter le domestique pour lui faire sentir qu’il est inférieur, forcer sa soumission en le convaincant qu’on est un être infiniment supérieur à lui par l’autorité, le prestige, le vocabulaire, l’intelligence, etc.). On voit ça très bien avec Macron par exemple et dans toutes ces générations de bourgeois passant dans des écoles de commerce et qui finissent dans des cabinets de conseils.

Une autre partie, c’est du flan parfaitement assumé, un rideau de fumée. Et c’est ironique de voir que le sujet est précisément de dire que la pensée des IA n’en sera jamais une parce qu’elle ne pourra jamais être unique ou spontanée, quand le discours porté ici par un être humain n’a justement aucune spontanéité et n’a rien d’unique. Quand Enthoven lit ses notes, c’est brillant, on ne comprend rien, mais Dieu que c’est joli : des aphorismes dans tous les sens qui sonnent comme des slogans publicitaires, ce regard intelligent qui est sûr de ce qu’il émet et qui n’est jamais pris au dépourvu.

Tout ça, c’est de la science parfaitement maîtrisée des apparences…, mais aussi de la répétition. Une IA reproduit ce qu’elle a pioché ailleurs, Enthoven me semble faire exactement la même chose comme ces excellents élèves qui apprennent parfaitement leur leçon sur le climat méditerranéen, mais qui n’en comprennent finalement pas grand-chose (au point d’être capable de faire un contresens total si son devoir tombe sur autre chose). On voit bien à quel point la connaissance spécifique développée par les classes bourgeoises supérieures, c’est l’art de l’imitation. On laisse les autres penser, puis on vient ensuite leur piller leurs idées afin de pouvoir les ressortir chaque seconde de la vie vue comme un grand oral pour assurer sa domination sur les gueux.

Il y a un truc que ces classes bourgeoises maîtrisent par exemple bien, c’est la manière de donner à l’autre des bons points pour les flatter et pour ensuite sortir des « mais ». Typique. On retrouve ça chez les diplomates par exemple (c’est le même milieu). Enthoven commence par reconnaître qu’il a fait des erreurs et reconnaît donc un bon point à son interlocuteur. C’est pour le flatter. Macron avait fait la même chose le 14 juillet quand il avait reconnu lors de son interview que les élections avaient été pour lui une défaite. Vous reconnaissez quelque chose…, puis vous n’en tirez jamais les conséquences. C’est de la rhétorique (donc de la manipulation), pas de la réflexion.

À côté de ça, on a quelqu’un qui doute, qui réfléchit en parlant, qui tâtonne, qui n’a pas d’éléments de langage (comme on dit aujourd’hui dans ce monde de perroquet et d’examen oral permanent), et, pire que tout, qui ne maîtrise, lui, aucun des usages formels pour convaincre son interlocuteur : l’œil est vide, c’est presque celui du domestique repris par son patron lui faisant une réprimande. Il tente d’élaborer, mais il tombe dans le piège : Enthoven dit probablement n’importe quoi, ne répond pas aux questions, s’en sort avec de la rhétorique et de la poésie (« si c’est beau, c’est qu’il a raison »), et en face M phi fait de gros yeux ! Il est en réaction, en soumission, alors même que les bêtises d’Enthoven devraient lui faire prendre le lead, faire de lui l’interlocuteur « alpha ».

Vous pourriez faire un exercice : faire la même chose avec des participants parlant une langue que vous ne comprenez pas. Vous verriez immédiatement qui gagne au point en fonction du langage corporel, du regard et de la prosodie.

Vous savez qui maîtrise également parfaitement ces codes rhétoriques, de langage corporel, de science de l’image, du bon verbe, de la prosodie, de la séduction par des phrases creuses, des apparences ? Idriss Aberkane. Il a un peu perdu de sa confiance (moins alpha) depuis qu’il sait que l’on sait qu’il dit n’importe quoi, mais c’est exactement le même jeu d’acteur.

Dès que vous voyez quelqu’un maîtriser aussi bien les codes, vous flatter, vous faire comprendre toutes sortes d’évidences, vous séduire, paraître si convaincu de ce qu’il dit sans jamais utiliser le moindre vocabulaire d’atténuation et de doute, c’est que vous avez probablement (atténuation) affaire soit à un vendeur d’assurance, soit à un candidat à la présidentielle, soit à un éditorialiste de Franc-Tireur, soit à un escroc, soit à tout ça un peu en même temps ou presque.

« Si c’est pas flou, c’est qu’il y a un loup. Et que l’agneau, c’est vous. »


Puis, ajout à ce dernier commentaire :

​Ne faut-il pas être un peu cabotin pour agiter les réseaux sociaux, passer sur les ondes et devenir un éditorialiste-toutologue qui fera parler de la chaîne pour ses outrances ? Ne faut-il pas être cabotin-philosophe pour accepter de répondre à des questions sur des sujets que, de notre propre aveu, on ne maîtrise pas ? Ne faut-il pas être cabotin-essayiste pour accepter que sa promo tourne autour d’un sujet qui fasse parler et qui, de notre propre aveu, ne concerne qu’une partie infime de notre ouvrage ?

— Je surjoue ? Je cabotine ? Mais voyons, cher ami, il faut bien vendre les mots. Que seraient les mots sans un peu de malice ? Rappelez-vous, mon ami, ce que disait Lacan à propos de Spinoza : « Queue de mots. Queue de mots. » Les mots servent les sentiments. Et de quoi sont faits les hommes, sinon de sentiments. Donc, je l’avoue sans honte : oui, qu’importe que l’on parle de moi en bien ou en mal, tant que l’on parle de mouah à travers les mots des sentiments. Cela prouve que j’existe.

— Tu dis n’importe quoi, Raphaël.

— Comment ? Vous dites du mal de mouah ?! Comment vous permettez-vous, cher confrère et néanmoins ami ?

— « Confrère, et néanmoins ami ? » Mais ça veut rien dire Raphaël. Tu alignes les mots comme ChatGPT.

— Je suis humain, Deckard. J’ai vu des navires de guerre en feu, surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai regardé des rayons C briller dans l’obscurité, près de la Porte de Tannhäuser… Oh, non, ce n’est pas ça. Je suis une mouette. Mes notes sont toutes désordonnées.

J’ajoute une autre dimension prouvant surtout la classe sociale du bonhomme : dans le milieu académique, traditionnellement, mais aussi dans le milieu médical, on ne dit pas à un « collègue » qu’il dit n’importe quoi. Monsieur Phi lui dit ça à un moment. C’est encore une marque héritée de l’aristocratie, de la diplomatie, des classes supérieures quoi : on s’affronte en seigneur, avec dignité, pas avec les mots des gueux. C’est bien pour ça qu’Enthoven prend un air outré : lui est un grand seigneur parce qu’il accepte de venir discuter (c’est vrai que c’est à son honneur), mais il feint de penser qu’on ne se chamaille pas entre gens bien. Une autre manière de rabaisser son interlocuteur et de gagner la partie sur le terrain des apparences. (En vrai, ces comportements ont des conséquences fâcheuses : on ne retire pas des thèses plagiées et on parle de « confraternité » chez les médecins, ce qui veut grosso modo dire que l’intérêt du médecin prime sur la vérité et d’éventuelles victimes.) Bref, une classe d’usurpateurs et de charlatans.

Et une dernière chose concernant le jeu d’acteur : il cabotine, mais il y a aussi des acteurs (adultes) qui parlent ainsi, et ça leur réussit (on ne voyait pas de bourgeois chez les acteurs à une époque, mais cela s’est « démocratisé » si on peut dire). Cela se remarque autant au théâtre que dans le cinéma d’auteur. Je parle des brèves et des longues : cette manière d’appuyer outrageusement sur les longues, comme si on faisait l’amour à la dernière syllabe d’un groupe de mot, c’est aussi un accent. Celui de la classe supérieure (parisienne, plutôt de l’ouest). Ce n’est pas tant que ça du cabotinage… pour son milieu social. « Marie-Chantaaaaal. »


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