Pékin Opéra Blues, Tsui Hark (1986)

Pékin Opéra Blues

Note : 4 sur 5.

Pékin Opéra Blues

Titre original : Do ma daan

Année : 1986

Réalisation : Tsui Hark

Avec : Brigitte Lin, Sally Yeh, Cherie Chung

Tsui Hark avait, semble-t-il, toutes les qualités requises pour réaliser d’excellentes comédies d’action. L’humour est souvent présent dans ses films d’action, mais s’il y a genre qui domine dans Pékin Opéra Blues, c’est bien la comédie. Il a un don indéniable et une technique du rythme propre à la comédie, peut-être même plus à la farce, et je ne peux pas imaginer que tout ce travail fabuleux de mimiques (ou de lazzis) ne soit pas le fruit du seul talent de ses actrices. Plus qu’aucun autre genre, la comédie burlesque a besoin d’être coordonnée par un chef. Il y a une logique derrière cette mécanique huilée du rire qui ne peut être que réfléchie et parfaitement exécutée. Je ne suis pas un grand connaisseur des films de Jackie Chan, on y retrouve pour sûr le même goût pour la farce, le rythme et les cascades ; Hark fait ici reposer tout son film sur une suite de « tableaux », ou de plans très expressifs structurés, montés, autour de l’expression faciale des actrices, fonctionnant selon un principe d’action/réaction, et dont j’ai déjà expliqué à plusieurs reprises. Il ne fera d’ailleurs pas autre chose dans The Blade qui, s’il contient beaucoup moins d’aspects farcesques, obéit aux mêmes principes de montage construit autour d’une gestuelle exagérée et mécanique (parfois à l’excès, comme dans la séquence chorégraphiée, en flashback, de la fuite avec l’enfant des deux hommes sous la pluie). Plus tard, dans The Blade, l’action pure bénéficie de cette technique de montage resserré, et non pas moins précis — on en retrouve peut-être ici l’origine. En gros, c’est un peu comme si la commedia dell’arte avait engendré John Woo. (Je suis sérieux, il y a une véritable similitude dans la nature et l’usage qui est fait du geste, du port de tête même puisque c’est lui qui articule l’avancée comique d’une scène.)

Brièvement, je précise ce principe du montage, cher à Eisenstein avec le montage des attractions, et dont on en retrouve quelques principes dans le découpage de Masumura (même principe d’action/réaction que j’explique cette fois en détail sur cette page et qui n’est par conséquent pas un procédé propre à la comédie). Au théâtre, et a fortiori dans une comédie, les acteurs structurent leur interprétation à travers des expressions faciales et gestuelles souvent mécaniques (d’aucuns trouveraient ça pas naturel avec un effet « pantomime ») qui sont une suite de réactions, de commentaires, parfois d’apartés qui au théâtre s’adressent au public, mais qui au cinéma sont censés dévoiler le sentiment présent du personnage à l’écran (dans ce type de jeu, l’expression donne toujours à voir le sentiment du personnage ; au cinéma au lieu d’un aparté adressé au public, on a plutôt une sorte d’aparté dans lequel le personnage s’adresse à lui-mêmeelle reste tout aussi visuelle : les autres personnages ne remarquent pas ces expressions, ou apartés, et cela n’a rien de naturel — c’est une convention théâtrale qui se retrouve à toutes les époques dans tous les théâtres du monde et qui a tendance à se perdre). Au théâtre, toujours, le rythme se fait à travers cette mécanique qui donne l’illusion d’une situation qui avance au rythme des confrontations scéniques entre personnages : il y a l’action, parfois une réplique, d’autres fois un geste, un mouvement, une expression pouvant alors être la réaction à ce qui précède ; à cela succède mécaniquement une réaction, et ainsi de suite. Si l’on parle de mécanique, c’est d’abord parce que pour tendre vers l’efficacité, il faut se débarrasser de tous les gestes ou réactions peut-être réalistes, mais toujours accessoires dans ces conditions (donc superflus, dans un contexte de jeu non réaliste). Ensuite, il ne faut exécuter que des gestes ou des expressions faciales choisies. Et cela, sans les multiplier, car le principe, c’est qu’à une action répond une autre, pas une poignée d’autres : le but consiste à voir les personnages se répondre, même si, paradoxalement, ils ne réagissent pas directement à une action ou à une réaction d’un partenaire, c’est déjà les prémisses d’un montage en champ-contrechamp, puisque ce qui compte, c’est la mécanique expressive d’au moins deux sujets qui se répondent l’un à l’autre parfois même symboliquement (quand on songe au quiproquo déjà, il est question de deux réalités qui s’opposent dans une situation et seul le spectateur a une vue d’ensemble de ce qui se passe). Il faut par ailleurs « attaquer » en ce qui concerne les répliques, et cela s’applique ici à une action, un geste, une mimique. Attaquer, cela signifie qu’après une fraction de temps de « réception » (utile pour que le public comprenne ce qui se passe — une mécanique indispensable quand on joue du Feydeau par exemple —, mais aussi pour suggérer que le personnage réfléchit une fraction de seconde), l’acteur lance son geste, son mouvement, sa mimique, sa réaction d’une manière nette et précise.

Comment cela se traduit-il au cinéma ? C’est assez simple en fait. Au théâtre, l’œil est naturellement attiré vers l’endroit de la scène où un personnage parle, ou un autre agit ou réagit : il y a rarement deux choses de même importance qui se passent à différents endroits de la scène, c’est donc en soi déjà une forme de montage, un montage guidé par les « attaques » et les actions précises des acteurs. Au cinéma, il n’y a plus qu’à suivre cette mécanique au moment du tournage, et le montage ne sert plus qu’à coller un à un ces plans constitués d’actions et de réactions. Au lieu de procéder à un montage fait d’illusions et de raccords dans les mouvements, l’astuce consiste à couper juste avant que le mouvement ne se passe : après le cut, l’œil s’attend à voir entrepris immédiatement un mouvement ou un changement d’expression.

Les plans de Tsui Hark répondent donc à une logique que j’appelle parfois « un plan une idée ». Puisque l’origine théâtrale de ce montage ne fait guère de doute, mieux vaut parler de logique d’action/réaction. Techniquement, c’est assez facile à comprendre : la plupart des séquences sont constituées de plans obéissant souvent au même schéma. À la suite d’un cut, le plan commence par une phase très courte, soit figée (correspondant au temps de « réflexion » ou de « réception » du public dans la comédie), soit dans un mouvement continu qui sera bientôt brusquement interrompu. L’acteur s’anime alors pour exécuter une action, un geste, une réaction. Certains trouveront cela surjoué, mais cette outrance se révèle indispensable pour apprécier la logique et la mécanique expressive du jeu (qui apporte à la fois du rythme et du sens, puisque le jeu expressif dit quelque chose de la situation, et dans une farce, c’est même souvent ce jeu qui passe devant les dialogues ou le sens de l’action générale : quand Buster Keaton va acheter de la mélasse dans un magasin, cette action d’acheter quelque chose n’a aucune importance, ce qui compte, c’est toute la farce gestuelle qui s’anime autour). Et il faut noter que bien souvent, Tsui Hark n’a pas besoin d’user de cut. Dans l’idéal, il faut arriver à caser le plus de ces actions/réactions dans un même plan en jouant sur la profondeur de plan, sur les mouvements des acteurs qui entrent ou qui sortent dans le cadre ou en déplaçant l’axe de sa caméra (on retrouve alors encore plus l’origine théâtrale du procédé, mais en général, Tsui Hark, surtout durant les séquences jouées dans l’urgence, avec un danger ou une tension immédiats, aime bien jouer des ciseaux). Et c’est donc ainsi que de nombreuses fois par exemple, on peut voir les actrices ce que certains appelleraient « rouler des yeux ». Tourner la tête rapidement, avoir les yeux qui se dirigent brutalement vers un autre sujet en guise de réaction, ça fait partie de cette mécanique farcesque.

Il faut d’ailleurs noter que dans le film, la grande partie de ce travail d’action/réaction est menée par les trois personnages féminins. Ici, les hommes restent assez passifs ; certains sont même autant en retrait que pourrait l’être des personnages féminins de complément dans un autre film. Du Drôles de dames avant l’heure… Preuve, si c’était encore à démontrer (et ironiquement, c’est même presque un message explicite d’un des enjeux du film et qui concerne ce personnage féminin rêvant de pouvoir jouer un rôle dans une pièce que dirige son père alors que les actrices sont interdites dans l’opéra de Pékin) que des femmes peuvent tout à fait être efficaces (donc drôles) dans une farce.


 
Pékin Opéra Blues, Tsui Hark 1986 Do ma daan, Peking Opera Blues | Cinema City Company Limited, Film Workshop

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