Winter’s Bone, Debra Granik (2010)

Jennifer is Born

Note : 3.5 sur 5.

Winter’s Bone

Année : 2010

Réalisation : Debra Granik

Avec : Jennifer Lawrence, John Hawkes, Garret Dillahunt

Il faut longtemps pour que le polar se mette réellement en place. Bien une heure pour que l’héroïne se fasse méchamment amocher. Avant ça, la quête de la fille devant chercher son père aurait pu aussi bien être la chronique ordinaire d’une quête à vide (le procédé peut être utilisé tant en comédie — Chacun cherche son chat —, que dans le western — La Prisonnière du désert —, que le polar — Hardcore). Et jusque-là, et de mémoire, ça fait un peu penser à Frozen River. À ce moment, le côté naturaliste finit par lasser un peu. Et puis, fini les menaces, on ne tape plus dans le vide : notre amie en prend, enfin, plein la mâchoire. Le polar polaire, ou neo-noir, commence. Ça ne vole jamais bien haut, mais face à ce qu’on a enduré précédemment, le dégel est appréciable.

Le film tient en fait par la seule présence de Jennifer Lawrence (comme un peu tous les films qu’elle fera par la suite, et dans un genre évidemment à mille lieues de ce qu’on voit ici). C’est amusant de voir l’actrice peu de temps après Amour défendu où Barbara Stanwyck éclabousse le film de sa même présence autoritaire et encore juvénile. Chez certains acteurs, il y a comme une évidence. Rares sont ceux capables d’offrir la même sincérité. La justesse est peut-être pour un acteur ce qu’il y a de plus dur à trouver, et le plus souvent cela passe par la simplicité. Il est remarquable de constater que pour chacun de ses partenaires, chaque réplique semble être appuyée, toujours un peu trop, voire pas assez, et on se dit alors qu’il serait impossible d’être juste avec de tels dialogues. Et en revanche, avec Jennifer Lawrence, tout paraît simple. Quand en plus l’actrice a une autorité naturelle qui nous ferait penser qu’elle a déjà tout vécu, pourrait tout supporter, ou aurait toujours réponse à tout, ça impressionne. L’aisance encore, en plus de l’insolence ou de l’ironie. L’aisance, ou la capacité d’apprendre un geste pour un rôle, et donner l’impression qu’on l’a fait toute sa vie, avec détachement, simplicité et assurance. Offrir chez un acteur toutes ces qualités en même temps, c’est donc très rare. Et souvent ça vous éclate à la figure au plus jeune âge. On l’a, ou on ne l’a pas. L’évidence.


Winter’s Bone, Debra Granik 2010 | Anonymous Content, Winter’s Bone Productions


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Le Frère, Aleksey Balabanov (1997)

Kiru!

Le Frère

Note : 4 sur 5.

Le Frère

Titre original : Brat

Année : 1997

Réalisation : Aleksey Balabanov

Avec : Sergey Bodrov, Viktor Sukhorukov

— TOP FILMS

En voilà un bon film sorti de nulle part. À première vue, un polar russe, ça sent la violence à plein nez et on peut rechigner à grimper dans le tram de peur d’y rencontrer des trognes qu’on voudrait voir nulle part. Et pourtant, malgré la brutalité des situations, il y a une force de grâce improbable et une de ces évidences propres aux grands films, simples, qui émanent de ce Brat. Pour l’expliquer, les références sont encore et toujours faciles à faire : ici, on y verrait presque un croisement étrange entre Le Samouraï de Jean-Pierre Melville et Vanishing Point.

Le second, je le prends souvent en référence comme le film ultime réussissant à inspirer cette fulgurance tragique palpable dès les premières minutes et qui égraine le sablier du destin sans accrocs jusqu’à la fin. Il y a de ça ici donc, une sorte de rythme insistant, lapidaire, fait de scènes brèves mais lentes avec une trajectoire unique, sans détour. L’impression ressentie est d’autant plus vivace que l’ensemble du récit est ponctué par des montages-séquences* sans grand génie, mais efficaces, pour aller à l’essentiel, se passer de scènes sans intérêts qui nous auraient détournées de l’essentiel, le sale, la trajectoire étrange de ce personnage sorti de nulle part, mais qui sont toutefois nécessaires ainsi, sous la forme de simples évocations. Parce que parfois, si les ellipses sont nécessaires (et le film les emploie à merveille), il faut aussi parfois rester entre les deux, et c’est bien ça à quoi est utile le procédé du montage-séquence. Ça permet aussi d’illustrer la passion insistante et presque hors de propos de ce jeune tueur pour la musique (rappelant l’amour que Delon peut porter à son canari dans Le Samouraï — mais qui cache, là c’est vrai une utilité —, ou celui de Jean Réno pour ses plantes dans Léon — je dis ça de mémoire, mais on le retrouve ailleurs, c’est presque un cliché).

Le rapport au Samouraï donc, il est surtout lié au personnage principal. La trajectoire du jeune tueur ici est moins condensée ou ramassé sur un épisode, car si le personnage de Delon est déjà un tueur professionnel, Danila va le devenir, introduit dans le milieu par son frère. Mais la suite est très intrigante, car l’habileté dont il fait preuve dans ses nouvelles activités criminelles est presque surréaliste, irréelle. Et si on y croit, c’est que Danila fait preuve en toutes circonstances d’une intelligence remarquable et d’un sang-froid infaillible. On sait de Danila seulement qu’il revient de la guerre, et n’a donc aucune attache en dehors de son frère en ville, qu’il connaît d’ailleurs assez peu, et les relations qu’il entretient ainsi avec les autres, pratiquement toutes nouvelles, prennent étrangement la forme d’une rencontre avec un être venu d’ailleurs, un dieu (ou une sorte même d’agent du diable comme dans Théorème), voire un extraterrestre (Le jour où la Terre s’arrêta, Starman) ; l’effet est d’autant plus troublant qu’on ne sait rien de lui et qu’il a tout d’un étranger pour son frère (qui ne se privera pas d’ailleurs de le trahir). Ce qu’on sait en revanche, c’est que malgré les activités louches dans lesquelles il va tremper sans sourciller et avec une assurance bluffante, il a une morale, un honneur… Sorte de Dexter avant l’heure. Le jeune homme ne tue que les enfoirés, et sauve les gens honnêtes. Le tout sans jamais s’interroger sur ce qu’il fait, comme si c’était une évidence, et sans mesurer les conséquences forcément embarrassantes que cela n’évitera pas de lui provoquer. C’est ce côté irréel qui fascine. Et si le procédé n’est pas nouveau, il y a une petite subtilité qui change tout et finit de nous rendre le personnage sympathique et crédible : non seulement, il sort de la guerre (ce qui pourrait expliquer vaguement, non seulement sa maîtrise des armes et des assauts, mais aussi une forme de désinvolture voire de psychopathie), surtout il est très jeune, a tout du type ordinaire, l’autorité, l’assurance en plus. Aussi, au contraire d’un Delon sinistre, ombrageux, dans le Samouraï, le personnage ici serait plus dans un registre tiède, indolent, distant, secret, mais décidé, affable, voire sympathique. C’est d’ailleurs grâce à ce caractère, qu’il noue contact avec deux femmes, qui ne lui inspireront pas une grande passion, mais soulever au moins son intérêt, qui lui fera croire, apparemment à tort, qu’il pouvait espérer autre choses d’elles : les évidences ne sont pas valables que pour nous. Et quand les deux lui échappent, il “prend acte”, ne semble là encore montrer aucune passion particulière…, et décide de partir. Comme il est arrivé, presque. Un bon gars, on pourrait presque être amené à penser… Un ange venu d’ailleurs. La grande faucheuse, la justice.

Inutile de préciser que pour un tel personnage, il faut un acteur (jeune) remarquable. Celui-ci dégage une puissance, une maturité, une autorité et une précision qui laissent admiratif.

Dernier point particulièrement bienvenu : le film n’use nullement d’effets tape-à-l’œil, la violence n’est jamais accentuée par la mise en scène, au plus a-t-on droit aux traditionnelles scènes de préparatifs tout en inserts sur les armes, mais ensuite, pas d’éclats, c’est violent, ça tire, ça tue, mais à l’image du viol, on coupe rapidement, et quand on montre, on le fait plutôt à la Haneke, de manière froide, distante, sans gros plans, ni montage, ni trompette. Au contraire, la musique, puisqu’elle est au centre de tout, n’est là que pour illustrer le monde intérieur de Danila, comme indifférent à cette violence, à celle-là même dont parfois il est responsable.

Très réussi, ou miraculeux.

(L’acteur principal et le réalisateur sont morts relativement jeunes. Le premier dans un glissement de terrain, le second d’un arrêt cardiaque. Fallait bien une fin tragique à ce film…)


Le Frère, Aleksey Balabanov 1997 Brat | Kinokompaniya CTB, Gorky Film Studios, Roskomkino


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*article connexe : l’art du montage-séquence

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Cutter’s Way, Ivan Passer (1981)

Blade Runner cinematographer’s cut

Note : 3.5 sur 5.

Cutter’s Way

Titre français alternatif: La Blessure

Année : 1981

Réalisation : Ivan Passer

Avec : Jeff Bridges, John Heard, Lisa Eichhorn

Une curiosité à voir pour les fanatiques de Blade Runner, parce que si le bon Ridley Scott avait déjà fait son De Palma en copiant Kubrick avec Les Duellistes, il semblerait que pour créer l’univers et l’atmosphère de Blade Runner, il ait soigneusement repris certaines idées de ce neo-noir sans grand intérêt sur le plan de l’histoire mais d’une exécution irréprochable sur la forme, en particulier sur la lumière.

Et là…, magie, parce que quand on aime le travail que quelqu’un vient de produire sur un film, autant l’embaucher.

La grande question, c’est de savoir alors si c’est un hasard ou si Scott (ou la production) venait justement de voir le travail de Jordan Cronenweth sur ce Cutter’s Way pour s’en inspirer. Le directeur photo de ces deux films a-t-il pu y reproduire malgré Scott de nombreuses idées qu’il avait ébauchées ici ? Scott passant assez généralement pour un réalisateur fortement impliqué dans ce travail photographique, il y a quand même fort à parier qu’il connaissait le travail de Cronenweth sur ce film alors même qu’il était en cours de distribution. On imagine mal un réalisateur travailler avec un directeur photo sans voir son dernier travail.

D’ailleurs, ce n’est pas seulement Cronenweth qui opère sur la photo, c’est une bonne partie de son équipe, puisque Cary Griffith, le chef machiniste et Richard Hart le chef électricien travaillent également sur les deux films, tandis que le matériel est grosso modo le même (si le ratio et les moyens ne sont pas similaires, les procédés et matériels sont identiques et ça se remarque à chaque seconde dans le film).

Le travail sur les flous en arrière-plan, le cadrage, l’obscurité enfumée ou les lumières tamisées, les sources uniques de lumière hors champ et venant de face pour créer des effets de clair-obscur, tout ça ramené à des intérieurs tout ce qu’il y a de plus banal rappelle fortement certaines scènes du film de Scott, en particulier celles chez Deckard où on retrouve presque reproduite à l’identique la scène entre le chasseur et Rachael, ici entre Mo et Bone.

Seuls manquent ici en fait la musique de Vangelis et le design high-tech (et une histoire simplissime mais significative peut-être).

Il faudrait presque faire des captures d’écran pour reproduire les nombreux plans qui semblent avoir pu servir de patron à d’autres du film de Scott, ainsi que certains éléments accessoires : Cutter allant à son évier pour boire de l’eau et allumant une petite lumière alors que la caméra reste dans l’autre pièce, c’est Deckard se rinçant la bouche dans sa minuscule cuisine (David Fincher aime aussi particulièrement placer sa caméra ainsi : laisser toujours les portes ouvertes et les lumières allumées ça permet de créer de la profondeur — floue — et de créer des cadres dans le cadre), Cutter a une canne comme le personnage de Gaff, Tyrell a un balai dans le cul et la même voix suave (et un certain fétichisme pour les lunettes) que Cord, on retrouve le même jeu de transparence avec les vitres servant d’abord à décomposer le cadre puis finissant par être transpercées par un personnage mourant, le cheval blanc/ la licorne, le brouillard dans la forêt et celui tombé sur la marina (c’est d’autant plus frappant que là c’est précisément la même équipe aux ordres de Cronenweth), jusqu’à la ressemblance entre l’ami restaurateur avec le flic bonhomme de Blade Runner ou encore Mo, étrange hybride entre Rachael et Zhora (c’est vrai qu’il y a un look très années 80 où toutes les femmes devaient ressembler à Bo Dereck ou à Brooke Shields).

Là où on pourrait se demander pourquoi Scott n’est jamais parvenu à reproduire une telle atmosphère, la réponse est peut-être là. En admirateur de Kubrick, Cutter’s Way lui rappelait non seulement les lumières du cinéaste new-yorkais, mais également la tension, l’atmosphère du film noir. Parce que si le film de Ivan Passer souffre d’une histoire et d’un scénario sans grand intérêt, l’atmosphère que le réalisateur praguois arrive à rendre ici est très réussie : si le fil dramatique est un peu terne, la tension entre les acteurs, la cohérence du tout, la justesse de jeu, tout est réussi et transpire une saveur particulière, de celles des films noirs oubliés, aux atmosphères moites, tendues et lentes, mélancoliques et crépusculaires… Ridley Scott ne fera pas autre chose en imitant, et en accentuant, le trait, créant une sorte de passerelle entre film noir et comics, si souvent recherchée depuis mais rarement réussie (sauf peut-être de l’autre côté, dans les comics). L’échec du film le convaincra sans doute d’arrêter définitivement ces atmosphères de grands dépressifs pas très attrayantes pour un public en recherche de sensations fortes.

J’en reviens à ma question et vais aller un peu plus loin : qui est l’auteur d’un film comme Blade Runner ? Je reste persuadé qu’un film réussi, ça peut aussi être une somme de talents et d’imprévus, que certes, quelques génies peuvent provoquer, mais que la plupart du temps, en réalité, que personne ne maîtrise. Les succès préfabriqués qui obéissent à une demande forte du moment, des valeurs sûres, une bonne campagne de matraquage, OK, mais derrière, il y a ces centaines de films qui sortent tous les ans et qui eux visent ou espèrent autre chose, et qui parfois, réinventent, ou participe à réinventer le cinéma et les succès de demain. Ceux-là alors sont bien une somme d’individus certes talentueux mais sans forcément avoir beaucoup de génie. Un film reste un travail d’équipe dont le résultat est aléatoire. Il n’y a pas plus de certitudes à essayer de faire cohabiter deux génies sur un même projet qu’une bande de gars talentueux trouvant malgré eux tout à coup une sorte d’alchimie qui leur explosera à la figure.

Sans Cutter’s Way, je doute qu’il y ait eu Blade Runner. C’en est une sorte de patron, de projet préparatoire où Cronenweth a pu mettre en place ce qu’il fera à une plus grande échelle sur Blade Runner. Si on se demande pourquoi Ridley Scott n’a pas pu ou pas voulu reproduire un second Blade Runner (à moins qu’on prétende que celui-ci était déjà un second Alien — ce qui ne serait pas tout à fait inexact), la réponse est peut-être là…, elle s’appelle Jordan Cronenweth.

Et il y en avait un qui l’avait compris, c’est David Fincher… qui embaucha le père pour quelques jours sur Alien 3 et qui aura le fils Cronenweth plus tard (Alien 3 reprenant d’ailleurs la scène d’identification à la morgue).


Cutter’s Way, Ivan Passer 1981 La Blessure | Gurian Entertainment 


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Ridley Scott est-il un auteur ?

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Blue Velvet, David Lynch (1986)

Blue velvet & red lipstick

Blue Velvet

Note : 5 sur 5.

Année : 1986

Réalisation : David Lynch

Avec : Isabella Rossellini, Kyle MacLachlan, Laura Dern, Dennis Hopper, Dean Stockwell

TOP FILMS

Plus je vois Blue Velvet, plus je l’aime. C’est bien probablement le seul film de Lynch que je vénère autant. Pour moi, c’est le film sans doute où l’histoire s’accorde le mieux avec la forme et le style si particulier du réalisateur. Il n’en fait pas des tonnes, la forme est juste au service du récit.

Le véritable atout principal du film, c’est son histoire. Simple, mais forte. On reconnaît la patte de Lynch aux effets bizarres, mais on ne tombe pas dans le mystère abscons ou le grotesque. Les personnages sont barrés, mais ça se tient, du moins on y croit. Les symboles sont aussi plus accessibles que dans d’autres films. Ici, c’est simple, l’histoire d’un étudiant qui revient dans la ville de ses parents. Dans un terrain vague, une oreille pointe le bout de son nez, et à partir de là, il va essayer de savoir à qui elle appartient. À travers cette enquête, c’est surtout l’entrée d’un jeune homme dans le monde étrange des adultes. Ce n’est pas pour rien que Lynch utilise la scène du « môme » planqué dans le placard : ça ramène inévitablement à une image d’enfant surprenant ses parents dans leur intimité.

Autre symbole bien traditionnel, presque hitchcockien, celui du double féminin. La blonde angélique qui l’aide dans son « enquête » et la brune barrée, sauce nympho. La seconde pourrait être son fantasme, sauf qu’elle est bien réelle, et quand elle rencontre la première, ça jette comme un froid.

Le film est articulé autour de cette scène centrale, longue, dans laquelle le personnage principal se cache dans une penderie et assiste à un étrange spectacle qui explique une partie du mystère de l’intrigue. Là où Lynch va plus loin, c’est qu’il finit par faire entrer le héros dans la scène et par créer un lien direct entre le personnage du voyeur et de la victime (ou pour en revenir à ma première idée : il finit lui-même par franchir le pas et ne rien faire d’autre que succomber aux mêmes fantasmes incestueux que le personnage d’Hopper). C’est là que le récit atteint son paroxysme, avec le personnage cette fois que joue Isabella Rosselini.

Les images sont magnifiques. Tout flashe comme dans une BD ou une publicité des 50’s. Les bleus sont bien bleus, les rouges bien rouges…

L’emploi pendant tout le film de la musique est hallucinant. Que ce soit la musique sous opium de Badalamenti, accentuant la volonté de Lynch de ralentir le temps et de le rendre pesant, d’accentuer l’impression d’étrangeté. Ou que ce soit dans les chansons… Blue Velvet bien sûr, mais aussi cette scène hors récit où Dean Stockwell (encore plus folklorique que dans Code Quantum ! grimé comme une précieuse ridicule) pousse la chansonnette In Dreams (Roy Orbison, tube énorme, crooner premier degré, second ? difficile à dire après avoir vu la scène) en chopant une ampoule en guise de micro ! À la fois poétique, flippant (le mec est dangereux) et déconcertant (c’est grotesque, mais c’est tellement joué au premier degré que ça en est génial). Cette chanson totalement vaporeuse qu’est Mysteries of Love…, on plonge dans un rêve… Ou encore quand le héros se fait tabasser, à nouveau sous In Dreams…, quand cette fille sortie d’on ne sait où, danse sur le capot de la voiture… (Même emploi à contresens de la musique dans une scène que Tarantino).

Si ce n’est pas du chef-d’œuvre ça…

D’autres images sont particulièrement marquantes dans le film. Le ripou à la veste jaune, mort, qui inexplicablement tient encore debout… Dennis Hopper qui se shoote… à l’oxygène. Le rouge à lèvres de la Rosselini, sa dent cassée. Quelques répliques : « c’est vraiment un monde étrange… » « Ne me touche pas ou je te tue ! — tu aimes quand je te parle comme ça ?… Bébé veut baiser » « Me regarde pas putain ! » « Pour van Gogh ! » « Tu as vu tout ça en une nuit ? » « Je t’ai cherché dans mon placard ce soir » « T’es déjà allé au paradis de la chatte ? » « Il a mis sa maladie en moi… »


Blue Velvet, David Lynch 1986 | De Laurentiis Entertainment Group (DEG)

 


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The Yakuza, Sydney Pollack (1975)

L’avant-coureur

The Yakuza

Note : 4 sur 5.

Année : 1974

Réalisation : Sydney Pollack

Scénaristes : Paul Schrader & Robert Towne

Avec : Robert Mitchum, Ken Takakura, Keiko Kishi, Eiji Okada, Brian Keith

J’écoute gentiment ce qu’on me dit. On me parle de Paul Schrader, on me dit que ce Yakuza aurait inspiré Blade Runner, je fonce donc le mater pour voir les liens avec le film de Ridley Scott.

Et je n’ai pas été déçu. Non seulement, c’est un très bon film (assez largement méconnu), mais en plus les liens avec Blade Runner sont évidents. D’abord la photo, très colorée, très sombre (sublime travaille de Kôzô Okazaki) ; le rythme (on parle pour les deux films de neo noir, donc forcément : ambiances tamisées, crépusculaires, glauques…), quelques effets de narration (assez librement reproduits par Scott au début du film, mais le pompage est évident — il vaut mieux copier les meilleurs comme on dit en Chine), et jusqu’à la musique de Vangelis, au piano surtout qui ressemble vraiment au style mélancolique composé par Dave Grusin (parfois même, on reconnaît des effets sonores parfaitement identiques qui créent cette atmosphère inquiétante et mystérieuse), voire les lettres rouges du générique sur fond noir.

Bref, Scott avait un peu pompé sur Kubrick pour son premier film avec Les Duellistes, là il fait de même en gardant le meilleur du film et en prenant une autre histoire (l’art d’accommoder les restes). Le génie, c’est aussi de prendre ce qu’il y a de meilleurs chez les autres et d’en faire quelque chose de meilleur que l’original… (en l’occurrence, vu ce que produit depuis Scott, on va plutôt pencher pour un génie inconscient ou pour la chatte du dépendant). Inspiration évidente comme Starwars et La Forteresse cachée, comme Pulp Fiction et Cible émouvante. Tant que ce n’est pas du recopiage, il n’y a aucun problème.

Le film donc. À l’origine, il s’agit semble-t-il d’une histoire de Leonard Schrader, vite scénarisée par le frangin Paul. C’est Pollack qui est choisi pour la mise en scène, et c’est là qu’il fait intervenir un second bonhomme pour retravailler le script : Robert Towne (Bonnie and Clyde, Chinatown, Missouri Breaks, Greystoke, Frantic, La Firme et les deux Mission impossible). Schrader semble être plutôt nippophile : il s’agit de son premier travail de scénariste et il vient de sortir un bouquin sur les rapports stylistiques entre trois réalisateurs aussi différents que Bresson, Dreyer et Ozu. Ça semble très bien documenté, la société spécifique de cette mafia japonaise étant bien décrite (faudrait peut-être approfondir un jour le genre « yakuza eiga »).

On en ressort finalement avec un scénario assez classique (tous les cinéastes et scénaristes sortis durant les 70’s n’ont fait que reproduire les vieilles méthodes en y ajoutant leur goût et leurs connaissances des cinémas hors us, notamment japonais, italiens et français — on pourrait même dire qu’il s’agit d’une seconde vague d’influence dans le cinéma us après la première durant les 30’s qui a produit l’âge d’or d’Hollywood et tous ces immigrés européens).

Harry Kilmer est un ancien policier à la retraite et est appelé par un ami qui possède une entreprise d’import-export. Celui-ci a fait commerce avec une mafia japonaise et n’ayant pu honorer un contrat de livraison d’armes, sa fille a été capturée et prise en otage. Kilmer connaît bien le milieu de la mafia au Japon pour avoir côtoyé la sœur de l’un d’entre eux durant l’occupation. Il se propose donc d’aller sur place pour voir s’il peut faire jouer ses relations… Il y retrouve la femme qu’il avait quittée, qu’il aime et qui n’avait jamais accepté de se lier à lui pour une raison encore inconnue… Il prend contact avec son frère pour lui demander de l’aide avant qu’il apprenne qu’il s’est retiré de la mafia. Et c’est là que commence le petit jeu du chat et de la souris entre ces deux personnages, l’entrepreneur américain, les yakuzas…

La singularité du film tient dans cette découverte de la société très réglée du Japon, les codes d’honneur des yakuzas vu par les yeux d’un Occidental. Mais contrairement à d’autres films qui ont tenté cette rencontre et s’y sont cassé les dents (Soleil rouge, Rhapsodie en août), c’est ici plutôt réussi. Le problème du film, qui explique sans doute son échec commercial, c’est la présence peu évidente de Robert Mitchum. Si l’acteur est la personnification du film noir à l’écran, le cœur de sa carrière se situe surtout dans les 40’s 60’s. Bien sûr, il fallait un personnage de son âge, aucun autre possible, il était donc parfait pour ce rôle. Seulement, voilà, Mitchum n’est plus à la mode. Le film est donc en total décalage avec son époque. C’est un film de vieux. Sur la mémoire, le bon temps passé révolu… Tout ce qu’on retrouvera comme ambiance crépusculaire dans Blade Runner avec un acteur au sommet de sa gloire, Harrison Ford. C’est dommage parce qu’en dehors de ça, Mitchum est parfait, la mise en scène excellente, très léchée comme souvent chez Pollack… Ce qui n’a pas plu non plus, c’est peut-être aussi le malentendu. On pourrait s’attendre à voir un film d’action inspiré de ce qui se fait au Japon avec des films de yakuzas alors très en vogue. Mais le paradoxe c’est que ça traite des yakuzas avec le rythme des films des 40’s (note 2016 : en fait certains films de yakuzas, en particulier avec Ken Takahura, ont cette même ambiance). Il s’agit bien d’un neo noir plus que d’un film de yakuza. En plus, si Schrader a donné des indications sur le rythme qu’il voulait insuffler à cette histoire… quand on voit ses références : Bresson, Dreyer, Ozu…, franchement, ce sont peut-être les trois cinéastes avec Kubrick, Antonioni et Tarkovski les plus lents. Nul doute que Pollack s’est senti vite à l’aise dans ce rythme, lui qui aime bien le thème de la nostalgie, de la romance, et qui a un style assez lyrique. On se retrouve donc avec des scènes de duels à la fin avec un rythme très lent qui a dû un peu dérouter le public (comme les mêmes scènes « d’action » pendant tout Blade Runner et en particulier la fin, dérouteront le même public). Peu importe, parce que ça fait un film maîtrisé, un peu ovni, qui a ouvert la voie à un autre chef-d’œuvre du genre neo noir. Un plaisir.

Note 2016 : on retrouve ces mêmes ambiances, dans des films opusculaires, comme je les appelle, avec le même Ken Takahura dans les années 60, La Pivoine rouge par exemple. Quant au petit jeu des influences pour Blade Runner, un autre film a soulevé mon intérêt (ou mes fantasmes), Cutter’s Way. On retrouve également la même sophistication dans les choix audacieux d’angles de prise de vue que dans le duel final de La Vie d’un tatoué, de Seijun Suzuki (1965).

En prime, une interview où Pollack évoque brièvement ses difficultés à travailler avec Paul Schrader qui était alors un critique cinéma (tout en louant son travail) :


Respect, monsieur Pollack


The Yakuza, Sydney Pollack 1975 | Warner Bros


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L’obscurité de Lim

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Un faux mouvement, Carl Franklin, Billy Bob Thornton (1992)

Billy, fais-moi peur

One False Moveun-faux-mouvement-carl-franklin-billy-bob-thornton-1992 Année : 1992

Réalisation / Scénario :

Carl Franklin / Billy Bob Thornton

6/10  IMDb

Un bon film écrit par Billy Bob Thornton (qui joue aussi dedans). Encore un film qui fait très « premier de la classe » : très bien écrit, bien ficelé. Dommage que la mise en scène soit aussi « minimale ». Avec un bon réalisateur, ça aurait été mieux (en même temps, on ne pouvait peut-être justement pas faire mieux avec cette bonne histoire, mais les personnages sont un peu limités tout de même).

Le principe du film, c’est la confrontation entre un flic de campagne qui voit arriver dans son patelin perdu des flics de LA pour attendre des criminels en fuite. Le provincial veut faire ses preuves, il est limite envahissant et c’est ce qui fait au début le charme du film. Ensuite vient se greffer à ça, un lien forcément amoureux, une histoire entre ce flic de la brousse et la fille des fuyards. Un peu tiré par les cheveux, mais si on ne pouvait pas mettre de cul dans un film, on s’ennuierait… Encore une histoire raciale, donc de lutte des classes… les Indiens et les petits Blancs… C’est toute l’Amérique. Quand on vit sur une bombe, ça devient tout de suite plus passionnant… Qui irait regarder un film en provenance de Mongolie ?

 


Zodiac, David Fincher (2007)

Zodiac

Zodiaczodiac-david-fincher-2006 Année : 2007

Réalisation :

David Fincher

8/10  IMDb
Avec : Jake Gyllenhaal, Robert Downey Jr., Mark Ruffalo, Chloë Sevigny, Brian Cox

— TOP FILMS

Listes sur IMDb :

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Fincher oublie un peu les effets grandiloquents qui paralysent parfois son style et se focalise sur un sujet, mais il garde sa densité, sa précision, son sens ciselé de la mise en scène.

L’Amérique ne va pas chercher trop loin des histoires. C’est la Grèce antique d’aujourd’hui. Elle peut se servir des mythes qui naissent dans son quotidien pour alimenter des fictions.

L’histoire donc d’un vrai serial killer qui narguait les médias et la police en leur envoyant des lettres dans les 70’s.

On suit le point de vue d’un flic et plus particulièrement d’un illustrateur du San Francisco Chronicle qui cherche à démasquer celui qui se fait appeler le Zodiaque et qui zigouille de bons Américains.

Un sujet très finchien, finalement… sauf que là, si on a droit à la scène de meurtre, c’est surtout le côté « Les Hommes du président », l’enquête touffue, qui sert de fil conducteur au récit.

On y comprend rien, mais on s’y laisse prendre. Ils pourraient nous dire n’importe quoi qu’on goberait tout parce qu’on ne connaît pas le dossier, mais les voir se torturer l’esprit pour démasquer le coupable, piétiner, trouver des indices, se planter…, c’est captivant. Terriblement cinématographique. Ou comment la vie réelle peut créer une nouvelle dramaturgie avec des idées inédites (déjà les Hommes du président, c’était des faits réels)… Passionnant.


Thief, le Solitaire, Michael Mann (1981)

Le Solitaire

Thief

thief-le-solitaire-michael-mann-1981Année : 1981

Réalisation :

Michaël Mann

8/10 IMDb  iCM
Listes :


MyMovies: A-C+

 

Avec :

 

James Caan
Tuesday Weld
Willie Nelson
 
 
 
Vu le 5 juillet 2007

Je ne suis pas un grand fan Michael Mann d’habitude (même si j’ai adoré Collateral), mais j’ai beaucoup apprécié ce film. Par certains côtés, ça a un peu vieilli, la musique notamment qui est datée. C’est un néo noir, une histoire classique cent fois vues (le mec qui veut faire un dernier casse pour se ranger, mais ça tourne mal…).

Tout l’intérêt du film est en fait dans son écriture : les dialogues notamment, qui font penser aux Sopranos, avec un style réaliste, très imagé, une sorte de Tarantino au premier degré, plus noir, et plus désabusé…

Encore un film avec James Caan — il n’a pas fait que des navets à l’époque (après…).


Le Dahlia noir, Brian De Palma (2006)

The Black Dahliale-dahlia-noir-brian-de-palma-2006Année : 2006

 

Réalisation :

Brian De Palma

7/10  lien imdb
Liste sur :

 

MyMovies: A-C+

Vu le : 1 mai 2007

C’est du Ellroy, donc incompréhensible. Mais c’est la loi du genre ou presque (polar noir, intrigue enfumée…). LA Confidential était déjà imparable dans ce genre, et du tout bon : ça ne sert à rien de comprendre, il faut se laisser porter par la musique des images, des ambiances, et après tout l’histoire, on s’en moque comme dans le Grand Sommeil d’Hawks. Tout ce qu’on veut, c’est voir les beaux yeux clairs de Mia Kirshner sur une pellicule noir et blanc…

Il était temps que De Palma refasse un bon film. Il reprend la recette du temps suspendu pendant des heures dans une séquence dramatique et purement visuelle, avec des ralentis et des escaliers. De Palma se copie en train de copier le Cuirassé Potempkine. Sacré De Palma, maintenant qu’il en a fini de piller les autres, il se parodie lui-même — c’est peut-être une nouvelle carrière qui commence. On aura peut-être droit à un reremake de Scarface avec Justin Timberlake dans le rôle de la face fendue (tiens encore une histoire de face fendue, une vraie thématique de cahiers ça…).


 

Le Dahlia noir, Brian De Palma 2006 The Black Dahlia | Universal Pictures, Millennium Films, Signature Pictures, Nu Image Entertainment GmbH


Fargo, les frères Coen (1996)

Fargo

Fargo

Année : 1996

8/10 IMDb

Réalisation :

les frères Coen

Avec :

William H. Macy
Frances McDormand
Steve Buscemi

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MyMovies: A-C+

1er mai 1997

Voilà deux films de la nouvelle génération américaine que je voie aujourd’hui (l’autre étant Pulp Fiction), et c’est comme une claque, moi qui ne vois pas beaucoup de films récents.

Deux points communs entre Fargo et Pulp Fiction : le polar dérision, décalé, avec deux styles différents.

Les Coen s’attachent à montrer des petites gens dans un bled pommé et qui jouent à un jeu de grands, et bien sûr on a de catastrophe en catastrophe. Je ne m’attendais pas à voir ce genre de films satiriques sachant rester sympathiques vis-à-vis des personnages. Les premières minutes sont déroutantes, comme un film noir contemporain et en couleur, et avec une forme de dérision absente dans ces vieux films noirs des années 40-50.

Surpris donc, mais aussi émerveillé par la maîtrise de la mise en scène des frères Coen. Le scénario est limpide avec une évolution parfaite, comme un engrenage qui ne peut plus être enraillé une fois lancé. Et enfin émerveillé par l’identité esthétique du film, de son style plein de fraîcheur. Très européen on pourrait presque dire (même si nous semblons adopter la dérision par défaut).