Les Deux Gardes du corps, Kenji Misumi (1968)

Note : 4 sur 5.

Les Deux Gardes du corps

Titre original : Nihiki no yōjimbō / 二匹の用心棒

Année : 1968

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Kôjirô Hongô, Isamu Nagato, Miwa Takada, Miyoko Akaza

— TOP FILMS —

Je pourrais reproduire le commentaire de Momotarô le samouraï : on est dans le récit populaire, dans un genre qui m’est cher, celui des joueurs itinérants (matatabi-eiga, pour les intimes, auquel Zatoichi appartient également). Les récits de voyage, c’est toujours l’occasion de forcer des rencontres et par conséquent des destins. On frôle les limites de la légende et du mélodrame. On reconnaît d’ailleurs beaucoup d’éléments (parentalité révélée par exemple) d’un autre chef-d’œuvre adapté du même dramaturge, Shin Hasegawa : Ma mère dans les paupières.

L’histoire oppose ici deux joueurs qui ne cessent de se croiser sur la route (dont un interprété par le génial acteur à tête ronde de Dojo yaburi/Zoku Dojo Yaburi Mondo Muyo). L’un est plutôt un escroc débonnaire (tous les escrocs sont débonnaires), l’autre, derrière son caractère un peu strict, cache un grand cœur. Le second finira par recueillir la fille d’un autre yakuza itinérant dont la femme est morte et qui redoute de ne pouvoir convaincre ses grands-parents de la reconnaître… Le père s’enfuit et laisse la gamine au gentil yakuza qui montrera tellement de dévouement et d’honnêteté auprès de la grand-mère qu’elle acceptera de se charger de la petite. Le yakuza lui remet toutes ses économies pour son éducation et sa future dot (quand je dis que c’est du mélo).

Des années passent. Le gentil yakuza qui avait promis de venir voir sa protégée n’est jamais réapparu, mais en même temps qu’il croise à nouveau la route de son ennemi de toujours, l’escroc débonnaire (dans une maison où une femme qu’il avait violée s’est trouvé une situation…), on leur raconte l’histoire que l’un connaît bien pour l’avoir vécue. Il n’en connaît cependant pas le dernier rebondissement : amoureuse depuis toujours de l’homme qui l’avait recueillie, la fille, belle comme un cœur, rêverait de retrouver son protecteur chéri. Cela ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd : si le gentil reste impassible, l’escroc sent au contraire le bon filon et s’éclipse pour rejoindre la famille dans l’intention de se faire passer pour le protecteur de l’enfant.

La grand-mère devenue aveugle, personne n’est en mesure de le contredire, mais les détails qu’il avance laissent assez peu de doute et le yakuza est bientôt accueilli comme un prince. Bientôt, le bonhomme annonce qu’il en pince pour la gamine et exige qu’elle lui soit mariée. Le gentil yakuza apprend que quelqu’un usurpe son identité et court retrouver tout ce petit monde pour confondre le menteur et le tuer une bonne fois pour toutes. Là, comme dans tout mélodrame qui se respecte, les masques tombent, grand moment de « reconnaissance » où l’on comprend qui est qui. Mais un yakuza itinérant reste un yakuza itinérant, et il doit reprendre la route. Le pouvoir du renoncement.

Magnifique.

La Vie d’un tatoué, Seijun Suzuki (1965)

Puzzle spatial

Note : 4.5 sur 5.

La Vie d’un tatoué

Titre original : Irezumi ichidai

Année : 1965

Réalisation : Seijun Suzuki

Avec : Hideki Takahashi, Masako Izumi, Akira Yamauchi
Yûji Odaka

— TOP FILMS

On trouvera toujours quelque chose de surprenant dans cette dernière décennie de l’âge d’or du cinéma japonais… Le film souffre de quelques excès tout à fait charmants qui frisent la parodie (ce que Le Lézard noir, vu récemment, était incapable de faire), mais La Vie d’un tatoué est probablement un de ces films étranges où tout s’accorde par hasard pour en faire, parfois, un chef-d’œuvre.

Il y a bien sûr la présence de Seijun Suzuki à la réalisation, qui fait notamment preuve de son extravagant talent visuel dans la dernière séquence, un affrontement « un contre tous », avec notamment une contre-plongée presque sidérante prise sous le tatami et une plongée en plan-séquence sur le ballet des duels au katana (façon Old Boy).

Pourtant ce sont deux autres aspects qui m’ont fasciné dans ce Irezumi ichidai : l’histoire et le lieu où les personnages évoluent. Les deux sont liés, et si on a affaire à un film de yakuza, on y retrouve l’aspect serial de certains films de l’époque (Zatoichi, La Pivoine rouge — et des Ninkyo eiga qui me restent inconnus) ou même de certains films de samouraïs où on retourne à la campagne pour croiser ces populations autochtones comme dans les vieux contes, ces auberges tantôt accueillantes tantôt inquiétantes, toujours d’étranges lieux de passage et de rencontres. On pourrait presque être chez Dumas ou dans Miyamoto Musashi.

Seijun Suzuki (1965)

L’histoire est simple, d’un grand classicisme, mais c’est l’alliance de ses éléments qui forment une sorte d’alchimie efficace. Un yakuza et son frère se sont fait truander par leur propre clan et échappent de peu à la mort. Ils entreprennent alors de rejoindre la région qui apparaît comme la terre promise, l’Eldorado d’alors : la Mandchourie. Faute d’argent, à nouveau truandés, ils se voient obligés de travailler dans une mine. D’abord mal vus, ils parviennent à gagner la sympathie des mineurs et l’intérêt de la fille du propriétaire. La suite est merveilleusement prévisible, bien huilée comme une symphonie au phrasé déjà connu, jamais dissonant. Et il y a donc dans cet univers, une gestion de l’espace qui rappelle certains westerns ou épopées : chaque scène propose presque un nouveau décor tout en restant souvent dans un lieu reconnaissable, si bien qu’on finit par nous reconstituer mentalement la représentation de l’espace qui crée une forme de jouissance imaginative qu’on retrouve dans assez peu d’autres films. Pour ça, il faut aussi retrouver certains espaces mythiques voire archétypaux (la rivière et ses chutes, l’intérieur de la mine, la cellule de prison, la maison du propriétaire, et les ruelles avec leurs nombreuses échoppes…).

Certains événements sont tellement traités avec désinvolture ou excès qu’on est à la limite de la dérision (c’est trop bien mené pour croire à une véritable série B). Par exemple quand le héros vient à s’évader, ou à sortir plutôt, de sa cellule, ou la manière dont est traitée l’histoire d’amour, le jeu de séduction, on peine à croire en toutes ces circonstances heureuses, mais c’est si bien fait que ça n’apparaît plus que comme un jeu.

Grand plaisir.


La Vie d’un tatoué, Seijun Suzuki 1965 Irezumi ichidai | Nikkatsu


Sur La Saveur des goûts amers :

— TOP FILMS

Top films japonais

Liens externes :


La Légende de Zatôichi : Le Shogun de l’ombre, Kenji Misumi (1970)

Zatôichi 21

Zatoichi abare-himatsuri

Note : 3.5 sur 5.

La Légende de Zatôichi : Le Shogun de l’ombre

Titre original : Zatôichi abare-himatsuri

Année : 1970

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Shintarô Katsu, Tatsuya Nakadai, Masayuki Mori, Pîtâ, Kazuko Yoshiyuki, Kô Nishimura, Reiko Ôhara

On sent la volonté de Shintaro Katsu de maintenir la franchise à flot par tous les moyens après une rencontre décevante avec Yojimbo et Toshirô Mifune, et avant un opus catastrophique (le 22e, Zatôichi contre le sabreur manchot).

Shintaro Katsu se lance même cette fois au scénario, fait appel à Kenji Misumi pour assurer la mise en scène, mais ne semble pas bien avoir compris l’échec de l’épisode précédent en gonflant encore plus le casting de têtes connues. L’étonnant et très convaincant Pita (acteur androgyne, voire transformiste, déjà fascinant dans Funeral Parade of Roses), Masayuki Mori en prince la terreur aveugle, un couple de comiques sans doute bien connu, et bien sûr le gracieux et possédé Tatsuya Nakadai… Casting protéiforme, mais aussi tonalité générale qui ose passer du plus tragique au plus comique. Le mélange baroque ne serait pas pour me déplaire, seulement c’est une tendance en 1970 qui annonce trop le déclin et les excès qui pousseront le cinéma japonais au tapis. C’est malgré tout plus réussi que le précédent, mais Shintaro Katsu aura la bonne idée de se vautrer bientôt, et pour de bon, dans le grotesque avec Hanzo the Razor (toujours lancé par Kenji Misumi, alors que la même année, les deux exploiteront un autre filon, Baby Cart, produit par la société de Shintaro Katsu pour un autre acteur trapu, Tomisaburô Wakayama). On sera alors en plein dans l’exploitation avec ses excès obligés pour faire face au pouvoir grandissant de la télévision, et alors l’espièglerie presque sainte du personnage de Ichi, et cet âge d’or formidable du cinéma japonais des années 60, seront alors bien loin.

Me reste à voir ce que donnent les derniers morceaux épars des aventures du masseur aveugle…

La Légende de Zatôichi : Le Shogun de l’ombre, Kenji Misumi 1970 Zatôichi abare-himatsuri
| Daiei, Katsu Production


Listes sur IMDb : 

Jidai-geki à lame

Liens externes :


La Légende de Zatôichi : La Lettre, Kimiyoshi Yasuda (1964)

Zatôichi 9

Note : 4.5 sur 5.

La Légende de Zatôichi : La Lettre

Titre original : Zatoichi sekisho yaburi

Année : 1964

Réalisation : Kimiyoshi Yasuda

Avec : Shintarô Katsu, Miwa Takada, Eiko Taki, Kichijirô Ueda, Mikijirô Hira

TOP FILMS —

Comment une telle série peut-elle produire autant de grands films ?… On est dans ce qu’il y a de plus abouti dans le serial, autrement dit là où on se passe d’introduction pour le personnage principal, et où tout l’intérêt réside dans la découverte d’un nouveau territoire, d’un nouveau contexte, d’une nouvelle mission… On retrouve le même plaisir dans L’Empire contre-attaque ou dans la série Kung Fu avec David Caradine. Du vrai, du bon, serial populaire.

Plus que l’histoire, ce qui fascine c’est encore la maîtrise hallucinante de la technique. Tout ça fait royalement voler en éclats la politique des auteurs. Parce que oui, il y a du sens derrière toutes ces aventures de masseur errant, mais le personnage se suffit à lui-même, nul besoin d’une saloperie d’auteur qui serait le seul capable de diriger la machine. Qui dirige ? Yasuda ? (qui réalisera le meilleur comme le pire dans la série, et rien de notable par ailleurs) La Daiei ? Shintaro Katsu ? On s’en tape et le résultat est là : d’une constance remarquable. Il faut voir notamment comment est réalisée la scène où Zatôichi reconnaît chez un ivrogne l’image d’un père… Champ-contrechamp, et le tout est mis en valeur par des mouvements de caméra et un montage parfaitement invisibles. Efficacité optimale. Un réalisateur doit faire des choix et parfois ça se joue dans le détail, l’invisible. On aurait mieux fait bien sûr de jouer les « auteurs » et de manipuler sa caméra comme un chien avec un doudou ou au contraire comme un conducteur de funiculaire (« wow, c’est super élaboré, tu fais comment ? » « j’appuie là »).

J’aurais rarement vu une utilisation des décors dans des auberges aussi bien menée (ou designée) et les chorégraphies de combat sont de plus en plus fascinantes. Au minimum toujours. On ne voit rien, aucune recherche du fer, ça charcute, ou plutôt, ça a charcuté, parce qu’on ne voit rien partir vers la chair. Et on entend. L’image aussi est sublime.

À noter, parmi les opposants du masseur aveugle, Mikijirô Hira, habitué des bonnes productions de films de sabre des années 60, excellent dans deux films de Hideo Gosga : Le Sabre de la bête et Trois Samouraïs hors-la-loi ou encore dans l’excellent Grand Attentat.

La Légende de Zatôichi : La Lettre, Kimiyoshi Yasuda 1964 | Daiei


Sur La Saveur des goûts amers :

TOP FILMS —

Top films japonais

Liens externes :