Une famille formidable, Mario Monicelli (1992)

Note : 3.5 sur 5.

Une famille formidable

Titre original : Parenti serpenti

Année : 1992

Réalisation : Mario Monicelli

Avec : Tommaso Bianco, Renato Cecchetto, Marina Confalone

On penserait presque voir un remake réussi de Pourvu que ce soit une fille. Au-delà du film de réunion de famille (un genre presque en soi), la comparaison s’arrête pourtant là, pas beaucoup d’autres similitudes. Pourvu que ce soit une fille avait probablement un meilleur scénario, mais si Une famille formidable est plus réussi, c’est que Monicelli semble avoir compris la leçon : fini les acteurs cosmopolites, on retrouve des acteurs du terroir, pas de stars, mais assez efficaces et crédibles. Ce n’est apparemment pas le cas, mais j’aurais juré que le film était adapté d’une pièce de théâtre : l’écriture, les séquences tournées pour trois quarts dans le même lieu, le jeu souvent très… latin (sonore). La direction d’acteurs est aussi beaucoup plus précise avec des acteurs souvent dans le même cadre capables de proposer un jeu en arrière-plan conforme à leur personnage et à la situation, détail qui est souvent le signe d’une mise en scène de théâtre, on est loin du réalisateur qui avait précédemment dirigé les acteurs de Pourvu que ce soit une fille sans arriver à les mettre à l’aise, comprendre la situation en cours ou créer une alchimie entre eux.

Le film pourrait d’abord être vu comme une chronique familiale à l’heure des fêtes de fin d’année, jusqu’à ce qu’un tournant réellement dramatique, avec tous les enjeux, les choix et les conflits resserrés autour d’une seule question (définir chez qui les parents iront vivre) vienne rebattre les cartes et fasse tourner le film vers une satire particulièrement acide (honneur à Monicelli de ne pas avoir cédé à la facilité de la farce, car cette fin a plus d’effet si on se garde de rire, et si c’est au contraire la consternation qui prend le dessus). Cette fin, assez peu crédible, sonne comme une morale brutale et provocatrice dans un pays autrefois si attaché à ses vieux et qui, comme toutes les grandes puissances, laisse place désormais à l’individualisme des populations en âge de travailler et à l’invisibilisation, la déconsidération, l’ostracisme, voire la paupérisation des anciens.

Par manque de star, toutefois, ce genre de cinéma très domestique a peu de chance de s’exporter en dehors de ses bases. C’est le problème d’une industrie cinématographique incapable de renouveler sa génération d’acteurs phares. On gagne en authenticité ce qu’on perd en universalisme.


Une famille formidable, Mario Monicelli 1992 Parenti serpenti | Clemi Cinematografica


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Pourvu que ce soit une fille, Mario Monicelli (1986)

Note : 2 sur 5.

Pourvu que ce soit une fille

Titre original : Speriamo che sia femmina

Année : 1986

Réalisation : Mario Monicelli

Avec : Liv Ullmann, Catherine Deneuve, Giuliana de Sio, Philippe Noiret, Bernard Blier, Stefania Sandrelli

Jolie entreprise de démolition. D’une histoire somme toute bien écrite, Mario Monicelli n’arrive à rien en faire, faute à une distribution trop hétéroclite et internationale (une Norvégienne, trois Français, et des Italiens) ou encore à sa paresse. On retrouve pourtant pas mal des thématiques propres à la comédie italienne avec son mélange de nostalgie, de bienveillance heureuse et d’humour tendre ou cruel…

Le problème, c’est qu’on ne peut tout simplement pas trouver une alchimie entre les acteurs quand ils parlent chacun leur langue sur le plateau et que tout ce petit monde finit dans une cabine de synchronisation pour enregistrer sa partition. Ajoutez à cela que la plupart ne semblent pas forcément comprendre que certains de leurs personnages sont des archétypes italiens (le spectateur ne le comprend lui-même qu’au fur et à mesure grâce aux situations) auxquels ils ne correspondent pas toujours, et que Monicelli ne les aide pas beaucoup à trouver leur voie et le film tourne à la catastrophe (avec des personnages quels qu’ils soient, des archétypes ou non, il faut arriver souvent à jouer sur différents tableaux : l’objectif d’un personnage d’abord, que ce soit son objectif général ou dans une scène en particulier, puis la situation générale d’une scène dans laquelle chacun joue sa propre partition, sert ses propres intérêts, et enfin, souvent ce qu’il y a de plus difficile à trouver, une forme de sous texte qui permet d’éviter la redondance, l’explication de texte, etc.).

On le voit notamment avec Liv Ullmann et Catherine Deneuve : elles ne savent pas quoi faire de leur corps, et cette maladresse est souvent le signe pour un acteur qu’il n’arrive pas à se situer dans une situation et par rapport aux autres, à comprendre l’état d’esprit du personnage et peine à être assez à l’aise pour faire la part entre l’accessoire et l’essentiel. Quand un acteur est perdu, il met tout au même niveau, il joue au premier degré le texte qu’on lui donne et s’y accroche comme une bouée. Pire, il interprète toutes les nuances du texte sans en comprendre le sens général, et c’est notamment ce que fait l’actrice norvégienne dans une des dernières scènes du film où on la voit repasser son linge au crépuscule en compagnie de ses deux filles. La scène est bien écrite, elle arrive à point nommé dans le film, la petite note nostalgique est bonne, pourtant rien ne marche, l’actrice semble complètement perdue, et ne comprenant pas la situation et l’état d’esprit du personnage, elle se cramponne au texte et joue toutes les nuances possibles qui lui apparaissent derrière chaque virgule ou allusion.

Monicelli ne prend sans doute pas assez son temps, le film est trop dense, avec trop de personnages, alors il précipite les choses, on peut penser que certaines séquences ont été coupées au détriment du développement de certains personnages, et surtout, jamais il n’arrivera à coller à l’humeur tout à la fois joviale et triste du scénario (voire à la musique qui retrouvera elle après coup le ton suggéré par les événements et la couleur générale du film).

Le sujet était pourtant en or, mais c’est assez ironique que dans un film où on loue la sororité (rurale, aristocratique, mais la sororité tout de même), dans un monde où les hommes ne sont jamais à la hauteur, le seul qui s’en tire avec les honneurs, ce soit celui qui interprète le dernier d’entre eux, jugé inoffensif, joué génialement par Bernard Blier. Les autres ont peut-être l’excuse de ne pas jouer tout à fait dans leur registre habituel, loin de leurs repères, mais c’est aussi le cas pour Bernard Blier, bien que son registre soit bien plus étendu que celui des actrices qui l’accompagnent (Noiret disparaît vite du film, et on aurait imaginé un Vittorio De Sica dans le rôle ; j’adore Noiret, mais s’il peut être bon dans les comédies, il est bon dans certains excès, la veulerie, la sincérité et une gouaille assez populaire, il n’a rien d’aristocratique, d’à la fois bouffon et suffisamment distant pour être « bien né » ; pour le reste, il a le talent d’être toujours à l’aise dans ce qu’il fait, même quand il ne correspond pas au rôle).

Blier a tout compris de comment jouer la maladie (Alzheimer, en l’occurrence). Comme pour la folie, il faut la jouer avec la plus grande des sincérités. Avec un tel rôle, le second degré n’existe pas (ou plutôt, il est permanent dans le regard de ceux qui l’accompagnent et connaissent ses troubles, et ceux qui sont spectateurs devant l’écran, mais pour le principal intéressé, les arrière-pensées sont inexistantes). On retrouve le Blier qui avait une scène géniale dans Buffet froid. Comment jouer l’absurde ? Comme si c’était une évidence. Ne surtout pas jouer l’étrangeté, le rire : c’est toujours celui qui regarde qui commente. Et si les mauvais acteurs commentent ou expliquent toujours ce qu’ils font pour être sûrs que le spectateur comprend leur subtilité (un paradoxe), les bons acteurs rendent les choses simples et évidentes. Un fou ne joue jamais la folie : la folie, elle est autour de lui. Quand son personnage dit vouloir passer un coup de fil (de son invention), rien de plus naturel pour lui : ce sont les autres (et nous avec) qui savent et qui comprennent. Il forcerait sur l’idiotie, la naïveté ou la fragilité, et on ne pourrait y croire.

Et c’est ainsi qu’on ne voit que lui. Le seul à faire rire (tendrement, parce qu’il respecte justement les malades qu’il représente en en faisant quelque chose de lunaire, pas une “folie”) et le seul à être crédible. Là encore, un paradoxe, alors qu’a priori, les autres n’avaient pas à composer ainsi un personnage… Il était là le secret. Dès que tu forces, que tu cherches encore la voie menant au personnage au lieu de l’avoir trouvée, tu composes, tu tâtonnes, tu erres, tu oublies tes partenaires de jeu, et tu végètes.

Difficile de voir ainsi agoniser le cinéma italien. Le film donne un peu l’impression de forcer là encore les coproductions pour s’assurer des financements et un retour sur investissement dans les pays d’origine des acteurs. Le pire des choix possibles. Si cela peut marcher dans des grandes productions ou avec des cinéastes suffisamment cosmopolites comme Luchino Visconti, c’est typiquement le genre d’assemblages baroques qui sentent bon la fin de règne. Le manque d’authenticité, d’alchimie entre les acteurs, rien de mieux pour rater un film. Je n’ai pas beaucoup d’exemples par ailleurs qu’avec des acteurs parlant la même langue, réunir tout un parterre de vedettes pour le moindre rôle aide beaucoup à servir un film. Une myriade de stars iront plus difficilement vers leur personnage. Au mieux, avec des vedettes qui ramènent tout à elles, les seconds rôles arrivent à rendre crédibles des situations en collant parfaitement à leur personnage, chose que font rarement les vedettes souvent plus habituées à forcer des personnages à coller à leur personnalité que le contraire. C’est souvent aussi un signe de paresse de la part de cinéastes établis ayant peur de ne plus compter (Wes Anderson et Martin Scorsese font ça de nos jours, mais toutes les époques, et souvent tous les cinéastes vedettes sur le déclin, ont connu ces facilités).


Pourvu que ce soit une fille, Mario Monicelli 1986 Speriamo che sia femmina | Clemi Cinematografica, Producteurs Associés, Films A2


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Mes chers amis, Mario Monicelli (1975)

Note : 3.5 sur 5.

Mes chers amis

Titre original : Amici miei

Année : 1975

Réalisation : Mario Monicelli

Scénario : Pietro Germi

Avec : Ugo Tognazzi, Gastone Moschin, Philippe Noiret, Duilio Del Prete, Adolfo Celi

Film souvent à la limite de la vulgarité. On sait qu’avec Ugo Tognazzi, on y échappe rarement, mais la note finale est assez conforme à ce qui a toujours fait le succès de la comédie italienne : un savant mélange d’humour parfois burlesque et de mélancolie. C’est un peu Une vie difficile à la sauce Les Femmes des autres, en somme : des retrouvailles entre potes (un genre en soi), forcément potaches et mélancoliques.

Ces quatre potes et demi seraient insupportables dans la vraie vie, mais il faut reconnaître une certaine créativité dans leurs audaces malgré un certain recours parfois à la cruauté niaise. Les plus courtes sont les meilleures : les baffes balancées sur les quais de gare, il fallait y penser, étonnant que le slapstick hollywoodien n’y ait pas pensé (ou ça m’a échappé), et l’étron dans le pot de bébé, j’avoue un peu honteux que ça me fait rire (bien plus que l’humour qui vise à se moquer des personnes naïves, Blier ici en l’occurrence).

Le problème, il est peut-être un peu là aussi. Si le film hésite avec la distance à adopter avec cette bande de crétins (on ne tombe jamais dans le burlesque total et on sent malgré tout un certain regard critique, voire satirique, contrairement à d’autres comédies de la même époque, qui permet de changer de regard envers ces grands enfants de cinquante ans passés), il s’attarde trop sur certaines situations qui n’ont rien d’amusant. Pour une comédie, on rit d’ailleurs rarement, voire jamais, ce qui pour le coup n’est pas forcément une fin en soi, parce que c’est peut-être en reniant cette possibilité d’entre-deux, entre comédie et drame, que le film échappe à la vulgarité, ce à quoi d’autres comédies italiennes cesseront bientôt d’aspirer. Et à force de chercher à provoquer le rire, on tombe dans le grotesque.

Ces cinq idiots ne sont pas si inoffensifs, ils sont aussi surtout immatures, inconscients et seuls. C’est bien ce dont se rendait compte Sordi à la fin d’Une vie difficile. Faire de crétins des personnages finalement aimables, c’est aussi et surtout ça le talent de la comédie italienne. En 1975, en revanche, elle est comme déjà pratiquement morte. Philippe Noiret fait bien la transition d’ailleurs : ce ton de bon vivant, un peu salopard et mélancolique, désabusé, ce sera sa marque de fabrique dans le cinéma français des décennies suivantes. L’occasion de se rappeler que les comédies françaises des années 80-90, comparées à ce qu’on connaît aujourd’hui, c’était peut-être le dernier âge d’or de la comédie française… La comédie italienne était déjà elle aux oubliettes.


Mes chers amis, Mario Monicelli (1975) Amici miei | R.P.A. Cinematografica, Rizzoli Film


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1975

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Un bourgeois tout petit, petit, Mario Monicelli (1977)

Du Grand-Grand-Guignol

Note : 2 sur 5.

Un bourgeois tout petit, petit

Titre original : Un borghese piccolo piccolo

Année : 1977

Réalisation : Mario Monicelli

Avec : Alberto Sordi, Shelley Winters, Vincenzo Crocitti, Romolo Valli

Les limites supportables de la satire explosées.

J’avoue avoir du mal à suivre l’avis général sur ce film. La comédie italienne connaît un vrai déclin au cours des années 70, mais on touche tout de même ici l’horreur en matière de mélange des genres. La satire est le genre le plus difficile qui soit. Un coup de volant à gauche ou à droite en trop, une pincée de sel de trop, d’acidité, et l’alchimie attendue s’effondre.

Alors, peut-être que ce n’est pas une satire, mais une farce macabre. Quoi qu’il en soit, dès les premières minutes du film (donc bien avant le retournement criminel et vengeur du film), j’ai senti un malaise. Le même malaise que j’éprouve parfois quand je vois débarquer… Ugo Tognazzi sur l’écran. Acteur formidable de farces, mais un acteur qui n’aura jamais été meilleur que dans les petites comédies ; le monstre Tognazzi ne m’a jamais séduit à cause de la trop grande distance qu’il prenait avec les personnages, les monstres qu’il caricaturait. Le génie de la farce, et a fortiori de la satire (malgré tout l’acide), c’est de ne jamais pour autant faire des personnages épinglés des personnes antipathiques. Il est arrivé à Alfredo Sordi de jouer des personnages intéressés, cupides, mais jamais il ne faisait d’eux des êtres malfaisants. Ils étaient veules, de petits personnages comme le titre du film ici le décrit bien, mais le récit ne les condamnait jamais complètement : ils étaient petits et c’est pour ça qu’on pouvait encore en rire, ils étaient ridicules, et surtout, étaient parfaitement inoffensifs. Comme de grands enfants à qui on peut tout pardonner. Des personnages de guignols : la caricature, la satire ne s’arrêtait jamais à leurs traits de caractère personnels, c’était toujours la classe ou leur type de personnages qui étaient moqués. La grande majorité des personnages comiques du cinéma italien des années 50 et 60 sont ainsi inoffensifs, de grands enfants, des archétypes du théâtre (commedia dell’arte, théâtre napolitain, guignol, peu importe, les principes sont les mêmes), et on garde ainsi pour eux malgré tous leurs défauts, une forme de sympathie. Le vieil acariâtre, le pauvre roublard, le mâle séducteur, le matamore, l’avare, etc., tous sont ridicules et moqués pour leur trait de caractère particulier. Ici, au contraire, la farce tourne très vite au vinaigre. La satire contre la petite bourgeoisie est dure, cruelle et illégitime, au lieu d’être moquée, on tire gratuitement sur elle, et malgré les efforts de Sordi pour rendre son personnage plus sympathique (selon Jean-François Rauger à la projection), Monicelli semble s’en foutre totalement et prend plaisir au contraire à rendre les personnages principaux non plus des caricatures, mais des monstres antipathiques et laids, non plus des caricatures typiques de la société italienne, mais des individus particuliers : on ne vise plus les petits-bourgeois, mais un petit-bourgeois. Monicelli ira jusqu’à faire du personnage de Sordi un parfait salaud, un vengeur froid qui n’a plus rien à voir avec un personnage de comédie de caractères, mais l’évolution problématique de la comédie italienne arrivait déjà bien avant que le film tourne ainsi au revenge movie. C’est une évolution propre à ces années 70, pas au film de Monicelli.

La satire, on peut l’accepter (en tout cas, selon ma sensibilité, vu l’accueil du film) quand on fait la critique et la caricature d’un certain type de personnages par petites touches ridicules autour d’un trait de caractère parfaitement identifiable. C’est du travail d’impressionnisme autour d’un archétype connu de tous. À partir du moment où on décrit sur la longueur les desseins particulièrement bas d’un personnage, et non plus d’un certain type de personnage, ce n’est plus une caricature, c’est autre chose. On passe de l’acide de la satire au venin de la comédie noire, voire au film politique. Le film devient celui d’un bourgeois déchargeant son fiel contre une classe sociale en particulier susceptible de devenir responsable de tous les maux d’une société : le bourgeois se moque des petits en leur disant presque « dévorez-vous ». Et au lieu de se retourner contre lui, les petits se dévorent entre eux.

Montrer ainsi l’obstination du personnage de Sordi à trouver une place pour son fils, ce serait amusant si ça servait de toile de fond et que se faisant, il ne rencontrait que des freins à sa stupide quête. Au contraire de ça, tout va dans le sens de ses bas desseins jusqu’à ce retournement digne du Grand-Guignol : son boss l’appuie en lui proposant de lui faire intégrer la loge maçonnique du coin et en lui refilant le sujet du concours pour son fils… Je ne vois plus en quoi ces stratagèmes d’une bassesse inouïe relèvent de la satire. C’est de la haine, du mépris de classe, rien de plus. Et c’est d’autant plus malsain que la satire, on peut, et on doit y adhérer, quand elle s’applique à faire la nique aux puissants. Or, comme le titre l’indique ici, on ne s’en prend qu’aux petits-bourgeois, autrement dit à ceux qui aspirent à la bourgeoisie. Autant je peux comprendre la logique de critiquer ces “petits” qui sont les premiers esclaves serviles et volontaires de leurs maîtres, autant les petits-bourgeois exposés dans le film sont surtout… des fonctionnaires. La haine du fonctionnaire traité comme un fainéant et un parasite. De la satire à la haine, il n’y a qu’un pas. Et c’est là qu’on voit toute la différence entre les satires des décennies précédentes avec celles, grossières, outrancières et malsaines des années 70. Elles ne sont plus gauchistes en prenant le parti des petits contre les gros, elles s’attaquent aux petits et à leurs petites aspirations venant d’auteurs embourgeoisés. Un grand classique. Ce qui finit tout compte fait par ne plus faire de ces films que des comédies réactionnaires. La satire vient toujours du petit pour moquer les puissants, quand ce sont les puissants qui se moquent des petits sur qui ils s’assoient, ce n’est plus de la satire, c’est de la saloperie.

Ensuite, dès qu’on plonge dans le revenge movie, dès que le guignol laisse place au Grand-Guignol, plus rien ne va, c’est malaise sur malaise. Mais le mal était déjà bien présent avant cet écart de mauvais goût. Dieu qu’on est loin du génie satirique (et bienveillant) d’Une vie difficile par exemple.

Le film était donc suivi d’une discussion avec Jean-François Rauger, son fils, également critique et programmateur (partageant les mêmes goûts d’ailleurs pour le cinéma japonais et italien de son père). J’avais envie de prendre le micro et de lui demander s’il ne se reconnaissait pas un peu dans le film, et si au fond, ce n’était pas un peu ça qui leur plaisait tant dans le film au Rauger. Pour finir, je lui aurais demandé ce qu’il aurait fait du meurtrier de son fils s’il avait été ainsi victime d’un coup de malchance. Au mauvais endroit, au mauvais moment. Ça aurait été drôle… Ou parfaitement déplacé. Comme le tournant criminel du film.



Un bourgeois tout petit, petit, Mario Monicelli (1977) Un borghese piccolo piccolo | Auro Cinematografica

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Les Indispensables du cinéma 1977

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Les Nouveaux Monstres, Scola, Risi et Monicelli (1977)

Perdre la farce

Note : 2.5 sur 5.

Les Nouveaux Monstres

Titre original : I nuovi mostri

Année : 1977

Réalisation : Dino Risi, Mario Monicelli, Ettore Scola

Avec : Vittorio Gassman, Ornella Muti, Alberto Sordi, Ugo Tognazzi

C’est bien de s’y mettre à trois pour acter la mort cérébrale de la comédie italienne…

La première séquence donne le ton : la mort du cinéma italien viendra par la télévision avec ses tours de chant ridicules. La vulgarité est aussi déjà, ou encore, de la partie. Et on y échappera rarement par la suite.

La comédie italienne, ce n’est pas toujours de la grande subtilité, c’est souvent aussi parfois de la farce, du grotesque, voire de la satire lourde tirée par les poils des fesses. Alors, le mieux qu’on puisse tirer de tous ces sketches lourdingues est sans doute à trouver du côté de la satire ; mais comme il est toujours question de mesure dans « l’art de la fable », que ce soit dans le drame, dans la comédie, et plus encore dans la satire qui est une mayonnaise complexe et délicate, la vulgarité de ces Nouveaux Monstres explose les limites supportables de la mesure… Et difficile alors, au milieu de ce brouillard grotesque et vulgaire, de tirer ce qui pourrait appartenir à la satire.

On se contente donc de sauver ce qu’on peut de cette horreur. Des intentions tout au mieux. Satire sur l’église, sur le petit-bourgeois, sur les jet-setteurs, sur les pauvres, sur les artistes (mais pas trop, on est toujours moins durs avec les copains), sur le vieux fils ingrat…

Ça tâche, ça dénonce, ça se moque, avec le plus mauvais goût, alors comme le tableau nous donnerait presque des aigreurs d’estomac, on se rabat sur le seul rayon de soleil du film : et paradoxalement, il faut le trouver sans doute dans le seul sketch destiné à ne pas être comique du film, d’une noirceur rude et brutale, celui où Ornella Muti apparaît pour la seconde fois. Après l’auto-stoppeuse, l’hôtesse de l’air. Du rire jaune un peu moqueur, au rire noir embarrassant. Allez comprendre…

Le cinéma italien s’est sans doute fait d’abord à travers ses acteurs, et un des trois vieux réalisateurs de ce chant du cygne ne s’y est pas trompé en voyant à travers cette actrice la dernière bombe éphémère mal exploitée du cinéma domestique. D’une beauté ravageuse, pleine d’assurance, l’œil joueur et insolent, on devine derrière ce charme fatal et pourtant encore toujours adolescent l’intelligence des grandes actrices, celle qui était familière aux actrices des années cinquante et soixante du cinéma italien et qui n’est plus, bientôt remplacée par la vulgarité, télévisuelle celle-là, des années 80…

Ornella Mutti, un talent évident : un mélange de spontanéité (la justesse sans forcer des grands acteurs) et de maîtrise. Il est rare pour une si jeune actrice d’être capable de jouer autant déjà sur la maîtrise : elle sait jouer de son regard, mais elle sait aussi, comme disait un vieux professeur, « retenir les chevaux », autrement dit, tenir son audience (ou son partenaire) au creux de sa main (les grands acteurs savent jouer principalement sur le sous-texte : il y a ce qu’on dit, et ce que le corps, l’intonation ou l’expression du visage disent, parfois en contradiction avec les mots). Une alliance des contraires qui fascine toujours autant…

Dans le premier sketch, elle était déjà parfaite ; dans le second, elle se contente de parler avec le regard, et Ornella Muti qui regarde, ça pourrait presque faire un film à lui seul — et quelques paragraphes supplémentaires. (Dino Risi en était sans doute aussi convaincu et enchaînera avec l’actrice avec Dernier Amour, à peine plus inspiré.)

Au rayon des vieux acteurs, Alberto Sordi étouffe la concurrence dans deux sketches où il assure à lui seul le show : d’abord en jouant un propriétaire stoïque de Rolls-Royce, puis dans un rôle d’acteur comique faisant l’oraison funèbre de son comparse mort qui lui permet d’étaler toute l’étendue de son talent d’acteurs de music-hall (de ses talents devrait-on dire, puisque l’art de cette scène, aujourd’hui pour beaucoup disparue, est précisément de savoir manier différents talents : comique, chant et danse, au minimum).

Puissent ces laborieuses, et monstrueuses, années 70 italiennes reposer en paix… Rideau.


 

Les Nouveaux Monstres, Scola, Risi et Monicelli 1977 I nuovi mostri | Dean Film


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Boccace 70, Vittorio De Sica, Federico Fellini, Mario Monicelli, Luchino Visconti (1962)

Note : 3.5 sur 5.

Boccace 70

Titre original : Boccaccio 70

Année : 1962

Réalisation :   Vittorio De Sica, Federico FelliniMario Monicelli, Luchino Visconti

Avec : Anita Ekberg, Sophia Loren, Romy Schneider, Marisa Solinas, Peppino De Filippo, Tomas Milian, Germano Gilioli

Le premier segment de Monicelli est un bijou. Satire à l’italienne avec quelques délires sur le modernisme à la Tati. Un jeune couple travaillant dans la même entreprise doit tenir secret leur mariage parce que, contractuellement, elle, jeune épouse, doit rester jeune fille ; de son côté l’époux n’a qu’un petit poste de livreur. C’est d’une extrême bienveillance pour ces deux tourtereaux. En quelques minutes, le résumé des petites bisbilles sans conséquences entre deux jeunots magnifiques qui s’aiment d’un amour tendre et sincère. Une particularité de la comédie italienne, capable de toucher là où ça gratte avec la plus grande justesse et, malgré tout, bienveillance. Désolant de voir que ce cinéma est révolu. Qui aurait cru qu’une femme aussi pingre pouvait la rendre aussi sexy. C’est beau les amoureux, surtout quand ils font un bras d’honneur au monde, et qu’ils restent dans le leur.

La partie de Fellini ne vaut que pour la présence technicolorée d’Anita Ekberg. Fellini y développe déjà ces délires démesurés, ses fantasmes ridicules. C’est parfois brillant, souvent vulgaire ou vain. Globalement, c’est long et répétitif. J’ai failli piquer du nez plusieurs fois. Peut-être que les fantasmes imagés étaient les miens.

Le gros morceau de Visconti est insupportable de bout en bout. Les personnages sont antipathiques, des aristocrates, comme par hasard. On voit le talent à venir de Romy par intermittence, mais elle force tellement qu’on a du mal à n’y voir encore que la sottise de Sissi. Fallait vraiment y mettre de la bonne volonté pour repérer le talent, parce que le personnage ne lui convient finalement pas très bien (à moins que ce soit elle qui soit encore incapable de la tirer plus vers une forme de gravité et de dignité, d’intelligence et d’intériorité, qu’on lui connaîtra par la suite ; cette légèreté la rend franchement insupportable). Tomas Milian en fait aussi des tonnes, mais on ne l’appelle pas Milian pour rien. Dès que Visconti devient bavard, j’ai envie de lui faire chier les tomes de la Recherche. L’élégance de l’aristo, Luchino, c’est de la fermer. Fais-moi taire ces deux emmerdeurs. Cela dit l’idée de départ — enfin qui prend surtout corps à la fin — est pas mal du tout : pour ranimer la flamme entre les deux, elle se voit rabaissée à proposer à son mari qu’il la paie pour faire l’amour. Sont quand même d’un compliqué ces aristos… Ça ferait une bonne nouvelle, mais là, non, juste non. Les plaintes au milieu des fastes et des serviteurs, c’est d’un vulgaire…

La dernière partie de De Sica est sympathique. Après les deux qui précèdent, ça fait du bien de se retrouver à Naples. L’impression de prendre un grand bol d’air frais au milieu des collines de Sophia Loren. Cette femme est si bien constituée, si généreuse, qu’on peut la trouver dans tous les atlas géographiques… Pas humain. Et je ne voudrais pas dire, mais dans l’exercice du fou rire, la Loren grille sans discussion la petite Romy. On n’honore pas assez les acteurs de comédie, c’est pourtant bien plus dur que tirer des tronches d’enterrement d’un kilomètre de long (Milian approuve, mais avec sa gueule, lui, la terre tremble…).


> un « raté » de la Cinémathèque

Boccace 70, Vittorio De Sica, Federico Fellini, Mario Monicelli, Luchino Visconti 1962 Boccaccio 70 Cineriz, Concordia Compagnia Cinematografica, Francinex, Gray-Film


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Le Pigeon, Mario Monicelli (1958)

L’Armée branquignol

Le Pigeon

Note : 5 sur 5.

Titre original : I soliti ignoti

Année : 1958

Réalisation : Mario Monicelli

Avec : Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Renato Salvatori

— TOP FILMS —

Peut-être l’une des meilleures comédies qui soit. Une comédie, une farce, hilarant du début à la fin, tournant autour des bêtises de quatre ou cinq malfrats stupides et ridicules.

L’écriture est presque aussi précise qu’une pièce de théâtre. Cela commence par la mise à l’ombre de Cosimo pour une tentative de vol de voiture (pendant le générique). Il demande alors à sa petite amie de partir à la recherche d’un “pigeon” qui pourra avouer être l’auteur du délit et ainsi lui permettre de sortir moyennant paiement après la substitution. Vient ensuite toute une série de scènes pour trouver ce pigeon, scènes prétextes en fait à la présentation de ce qui constituera le futur gang malheureux. On propose d’abord à Mario, sans emploi et qui vit de petits recels, mais celui-ci a déjà servi deux fois de pigeon et il risquerait une plus lourde peine. Il va donc avec Capanelle, qui lui avait proposé (et qui a lui tout à fait la physionomie du pigeon : sorte de Sim italien s’exprimant le plus souvent d’onomatopées et toujours à picorer quelque chose), retrouver Michele, un Sicilien aux manières forcées d’aristocrate habitué aux histoires louches. Mais lui non plus ne peut pas…, ils vont donc tous à leur tour retrouver Tiberio, un photographe sans camera, et qui a un casier vierge. Il ne peut pas… Et ils proposent enfin à Peppe, boxeur prétentieux mais sans talent. Qui accepte.

Le plus remarquable dans ces scènes de présentation, c’est qu’en dehors de la caricature de la traditionnelle scène de formation de groupe (montrée en plus là de manière dramatique, avec le groupe se grossissant à mesure des rencontres comme si pour tous, il devenait vital de trouver un pigeon dans cette histoire), c’est que tous ont une situation bien particulière dans leur vie. Ce sont évidemment tous des ratés et à mille lieues les uns des autres. Capanelle est un vieillard limite de la sénilité. Mario est un séducteur qui parle toujours de sa bonne mère qu’il faut préserver (alors qu’il est, on le saura plus tard, orphelin, et donnera lieu à une scène surréaliste lors de son retour à l’orphelinat). Michele est petit et laid, et séquestre chez lui sa magnifique sœur (Claudia Cardinale) avant de lui trouver un mari. Tiberio (Marcello Mastroiani) élève seul son bébé car sa mère est en prison. Et Peppe (Vittorio Gassman) est un séducteur qui est déjà la caricature du Fanfaron de Risi.

Peppe va donc servir de pigeon, mais suite à une scène de commedia dell’arte entre Peppe et Cosimo (énorme moment d’anthologie : « comment mais c’est toi ! — oui c’est moi je l’avoue, quand j’ai su qu’un vieil homme innocent était inculpé à ma place, j’ai accouru »…, tout ça joué avec une telle vérité qu’on s’y croirait) tous deux se retrouvent incarcérés. C’est là que Peppe va mettre à contribution son passage en cellule pour soutirer les informations à Cosimo pour préparer leur prochain coup : s’emparer du contenu du coffre du mont-de-piété en passant par l’appartement voisin. Pour se faire conseiller, il demande à Dante (Toto) de les aider. Après quelques semaines de préparation, et quelques contretemps (appartement finalement occupé, séduire la bonne, Mario se retirant pour épouser la sœur de Michele, Tiberio se cassant le bras mais participant tout de même à l’aventure…) le gang, réduit à quatre éléments (Peppe, Tiberio, Capanelle et Michele) se lance à l’assaut de l’appartement tel Cervantes face à ses moulins… Cela ne va évidemment pas se passer comme prévu.

Le film se termine sur une image à la fois hilarante et symbolique : Peppe qui cherchait à échapper à deux policiers, se réfugie dans une foule qui le happe. C’est en fait une queue de travailleurs se massant devant une usine en attendant l’ouverture des portes. Contre sa volonté, il suit le mouvement et se retrouve obligé d’aller travailler. On est plus très loin de Chaplin à ce moment-là.


Le Pigeon, Mario Monicelli (1958) | Cinecittà, Lux Film, Vides Cinematografica

Mario Monicelli

Classement : 

10/10

  • Le Pigeon (1958) 

9/10

8/10

  • La Grande Guerre (1959)
  • Pères et Fils (1957)
  • Dans les coulisses (1950)

7/10

  • Larmes de joie (1960)
  • Boccace 70 (1962) 
  • Un héros de notre temps (1955)
  • Gendarmes et Voleurs (1951)
  • La Fille au pistolet (1968)
  • Mes chers amis (1975)
  • Une famille formidable (1992)

6/10

  • Les Camarades (1963)
  • L’Armée Brancaleone (1966)

5/10

  • Drôles de couples (1970)
  • Caprice à l’italienne (1968)
  • Les Nouveaux Monstres (1977)

4/10

  • Un bourgeois tout petit, petit (1977)
  • Pourvu que ce soit une fille (1986)

3/10

Films commentés (articles) :

Simples notes :

Gendarmes et Voleurs (1951)

Première demi-heure un peu répétitive (la même course poursuite s’étire et n’en finit pas), puis quasiment une heure de mise en place pour en arriver à ce qui représente le cœur de la comédie italienne : un sens populaire certain, de la fraternité (on devine ici entre qui) et la comédie qui se mue en mélodrame. Tous les ingrédients qui feront les meilleurs films de Monicelli ou de Risi (par exemple avec Une vie difficile). Tout tient évidemment grâce aux acteurs, malheureusement, tous géniaux qu’ils sont, ils ne peuvent que ramer pendant une bonne partie du film. Loin d’être mauvais, mais assez décevant au bout du compte, compte tenu de la réputation du film.

Mario Monicelli