La Princesse aveugle, Kenji Misumi (1959)

Ton vice est une forteresse cachée dont moi seule ai la clé

Note : 3.5 sur 5.

La Princesse aveugle

Titre original : Kagerô-gasa / かげろう笠

Année : 1959

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Kyôko Kagawa, Kazuo Hasegawa, Michiyo Aratama, Ganjirô Nakamura

Certains des premiers opus réalisés par Misumi ont bien une tonalité commune : le cinéaste se révèle spécialiste déjà des comédies vagabondes et des jolies histoires populaires. Un genre (la comédie vagabonde) qui définit assez bien la série qui le fera connaître en Occident : Zatoïchi. (Hanzo continue sur le registre de la comédie, voire de la farce, mais on est moins dans celui du vagabondage. Quant à Baby Cart, c’est le contraire, on touche un peu moins à la comédie — même si l’humour n’y est jamais bien loin — et on vagabonde plus volontiers. Même chose pour Nemuri Kyoshiro et Le Passage du grand bouddha qui sont des « séries » vagabondes, mais où l’humour y est quasi absent.). Comme autres comédies vagabondes, on peut ainsi citer : Les Deux Gardes du corps, Les Carnets secrets de Senbazuru, Les Carnets de route de Mito Kômon.

D’une manière plus générale, on est dans le registre affirmé du récit populaire. L’histoire d’amour entre une princesse et un vagabond, c’est un récit des Mille et Une Nuits, personne ne peut y croire sinon le public qui peut se reconnaître dans ce vagabond et qu’on caresse dans le sens du poil en le ramenant à la hauteur d’une classe dominante (dont on fait croire qu’elle ne le méprise pas). Et puisque j’ai mon côté pouilleux, je suis moi-même amateur de ce genre de réjouissances loin d’être réalistes.

La fable est adorable parce qu’elle est agitée par les contradictions du héros. Il se sait être un homme malhonnête (dans sa séquence introductive, il vole de pommes de terre), mais il est assez honnête pour en avoir honte face à la princesse et se pense surtout indigne de l’amour qu’elle lui porte. Les puissants aiment à raconter des histoires où les humbles restent à leur place ; et les pauvres aiment se voir ainsi dépeints. Le dévouement que le vagabond manifeste tout au long du film en dit pourtant long sur la capacité des gens simples à respecter un sens du devoir qui fait défaut aux personnes de rang supérieur souvent épinglées au contraire dans ces contes justement qualifiés de populaires. On gratte le vernis des nobles, mais on est loin de remettre en cause leur fonction première : asservir les plus pauvres. Un conte sera d’autant plus efficace qu’il traduit l’immuabilité du monde et transmet sans fin les stéréotypes de domination qui imprègnent nos sociétés depuis toujours. L’asservissement volontaire au coin du feu.

Quoi qu’il en soit, c’est formidablement construit. À tous les niveaux.

Au niveau du sujet, d’abord avec une histoire simple répondant aux codes et usages habituels de la fable :

Un conte populaire ne se réclame pas du réalisme, en revanche, il obéit à une structure commune, depuis des siècles, à toutes les cultures : un début avec une catastrophe, une rencontre heureuse ; un développement dans lequel les personnages cherchent à résoudre les problèmes et les conflits ; et enfin une résolution qui trouvera son apogée lors des séquences où les acteurs de l’histoire se retrouvent pour mettre un point final à leurs conflits. Du grand classique.

Au niveau, ensuite, des séquences (ou du récit devrait-on dire parce que si le cinéma, c’est le montage, on ne structure pas son film en séquences comme au théâtre, on profite des possibilités du montage alterné) et du découpage :

Un art dans lequel Misumi est maître (il laisse peut-être ses directeurs de la photo régler et définir les cadres, mais on retrouve certains tics de découpage comme l’usage des plans rapprochés en début de séquence qui ne trompent pas). Un plan rapproché en introduction donc, permet d’illustrer une situation en entrant presque symboliquement dans le sujet de la scène (comme je l’ai précisé ailleurs, c’est un moyen de jouer par énigme et d’attirer l’attention en faisant précéder les effets aux causes). Misumi élargit ensuite, use de montage alterné si c’est possible, à défaut, de champ-contrechamps (voire de montage-séquences) ; et il fait ainsi dialoguer toutes les ressources disponibles que le cinéma a inventées pour introduire des éléments dont on ne comprend pas forcément dans un premier temps la nature et dans quel cadre et dans quel contexte ils évoluent. Cela a une vertu : quand le spectateur picore ainsi des indices, il cherche à comprendre, son attention est toujours en alerte, et il ne lui faut pas attendre longtemps pour avoir la satisfaction d’avoir bientôt une vue plus large qui donne une meilleure idée de la situation — une forme de suspense permanent en somme.

Enfin, au niveau de l’espace scénique comme on dit au théâtre, donc au niveau de ce qui est destiné à apparaître dans le champ :

Ce n’est pas tout de savoir maîtriser toutes ces techniques purement cinématographiques si on ne sait pas mettre les acteurs en place. Cela implique d’être capable sur le tournage de les faire évoluer sans contredire la situation, mais aussi souvent d’essayer de raconter à travers le jeu des acteurs une dimension supplémentaire venant renforcer l’idée de départ en lui donnant de la profondeur, de la crédibilité et des contradictions. Bien sûr (surtout dans un jeu encore loin d’être réaliste puisque Misumi bénéficie d’acteurs de Kyoto souvent issus du kabuki), il faut encore définir chaque geste, chaque expression à l’avance (même quand on se contente de laisser les acteurs apprendre leur texte, si on ne travaille pas en amont et le laisse faire sur le tournage, ça n’a souvent ni queue ni tête). Tout ça se fait rarement sans répétition. Il y a des styles de jeu qui s’appuient sur la force du moment, l’attente de l’inattendu, sur l’improvisation, et il y a des styles de jeu qui comme avec Misumi sont dictés dans le moindre geste. Cela se remarque assez facilement : pas un geste de trop, pas une proposition hasardeuse, rarement un effet mal exécuté par un acteur. On perd en spontanéité ce qu’on gagne en pertinence et en précision. L’idéal pour un conte populaire et pour une comédie. On ne fait pas du naturalisme.

On prend ainsi plaisir à retrouver certains acteurs, dont l’étonnante Michiyo Aratama que je connaissais peu dans ce registre très codifié du jidaigeki comique (il faut la voir minauder comme il n’est pas permis, c’est adorable) et que Misumi retrouvera dix ans plus tard après une carrière remplie de chefs-d’œuvre sur Le Temple du démon.

Tout aussi étonnante, la présence de Kyôko Kagawa, grande habituée des maîtres nippons et qui semble avoir déjà travaillé avec Misumi dès 1955.

Enfin, on peut remarquer Kazuo Hasegawa dans un registre plus comique que d’habitude, registre qui sera en réalité bientôt celui de Shintarô Katsu (on est encore dans la tradition des « emplois », comme les acteurs de l’ancienne génération en France : on apprend des emplois, et on joue des archétypes, donc c’est un peu étonnant, mais d’une génération à l’autre, les mimiques, les expressions sont strictement identiques). L’acteur est peut-être la seule réserve que je pourrais avoir sur le film : l’acteur de Nuits de Chine ou de Tsuruhachi et Tsurujiro, star depuis des décennies, s’écarte non seulement de son registre habituel, mais paraît aussi vieillissant. À noter en revanche une magnifique séquence de rêve de la princesse où elle imagine son bienfaiteur vagabond parader en habit royal dans un décor assez conceptuel pouvant faire penser à ce que l’acteur connaîtra pour son dernier rôle dans La Vengeance d’un acteur de Kon Ichikawa. Ce sera seulement quatre ans plus tard, alors qu’un gouffre stylistique sépare les deux films (l’un est très classique, l’autre, rempli des expérimentations de son époque).

On profite que Kyôko Kagawa soit encore en vie pour lui dire combien on l’admire…


Photo de tournage, La Princesse aveugle, Kenji Misumi (1959) Kagerō-gasa | Daiei

Kenji Mizoguchi: The Life of a Film Director, Kaneto Shindô (1975)

Kenji Mizoguchi ou la Vie d’un artiste

Note : 4 sur 5.

Kenji Mizoguchi: The Life of a Film Director

Titre original : Aru eiga-kantoku no shogai

Année : 1975

Réalisation : Kaneto Shindô

Avec : acteurs et techniciens du maître

Une suite d’interviews d’un grand cinéaste sur son maître. On se croirait chez Drucker : Shindô ne s’intéresse qu’à cerner la personnalité réputée dure sur les plateaux, timide en dehors, de Kenji Mizoguchi.

Le film se contente donc de faire dans l’évocation, la déférence, et en cherchant à faire le portrait du cinéaste, Kaneto Shindô s’applique surtout à faire celui des acteurs, techniciens, et scénaristes amenés à croiser le chemin de Kenji Mizoguchi au cours de sa carrière. Si l’on apprend essentiellement de sa méticulosité quand il s’agit des techniciens, cela devient beaucoup plus intéressant quand les acteurs prennent la parole. En 1975, voir les acteurs habituels de sa filmographie se remémorer leur relation, cela fait son petit effet, parce qu’à l’image de ce que dit Kinuyo Tanaka quand elle répond à l’amour supposé que beaucoup prêtaient au réalisateur à son égard, eh bien, les acteurs, on les aime pour ce qu’ils dégagent à l’écran. Pas ce qu’on peut en lire dans les journaux ou ce qu’ils peuvent raconter les uns sur les autres en petit comité à propos de leur intimité. Mizoguchi, on aime ses films, on préfère donc quand ses acteurs parlent du cinéaste, plus que de l’homme, parce que ce sont les acteurs qu’il nous a appris à aimer à travers les personnages dans lesquels il les a mis en scène. J’aurais beaucoup moins d’appétit pour leur déférence d’usage quand il s’agit d’évoquer sa vie privée ou de décrire son génie (ça, c’est notre travail, pas le leur).

Le talent est donc là. C’est nous, spectateurs, qui en parlons souvent le mieux. Les voir, eux, évoquer leur travail ou la personnalité de leur maître, c’est surtout l’occasion de les revoir parfois des décennies après leurs apparitions dans nos films préférés.

Tatemae oblige, toujours, on sent parfois poindre quelques hésitations à parler de certains aspects de la vie du réalisateur, dire ce qu’ils pensent réellement, et puis dans un sourire poli, ils se ravisent et sortent les compliments d’usage. Les acteurs sont nés pour vivre de et à travers leur hypocrisie ; le double jeu, c’est leur fonds de commerce. Alors, pour un acteur japonais, vous imaginez… C’est même chez Kinuyo Tanaka l’essentiel de son génie tant on perçoit en permanence un fond caché poindre par petites touches derrière son masque. C’est assez plaisant de voir Kaneto Shindô la pousser dans ses derniers retranchements de femme polie, lui, qui toute sa vie a caché sa relation avec Nobuko Otowa, son actrice principale habituelle, avant de l’épouser seulement deux ans après ce film, en 1977 (il feint de l’interviewer d’ailleurs comme les autres, ou pas, dans un salon discret). Kinuyo Tanaka, dans cette interview, présente quant à elle cette étrange capacité à être spontanée comme il faut tout en parvenant (alors que cela devrait représenter deux qualités contraires) à donner l’impression de dire exactement ce qu’elle veut dire sans en dévoiler trop, avec toujours la même classe distante et polie. Elle prétend qu’elle connaissait très peu le réalisateur dans sa vie privée, mais à l’évidence, certains acteurs n’ont pas besoin de trop surjouer sur un plateau quand il est question de feindre de tomber amoureux de ce genre d’actrices. Vous pouvez la placer devant dix hommes différents, vous lui laissez faire son numéro et la moitié en tombe amoureux. On répète à l’envi que Mizoguchi ne dirigeait pas ses acteurs, on comprend pourquoi. Les acteurs géniaux, comme Kinuyo Tanaka, vous n’avez qu’à les mettre devant une caméra, et le simple fait de respirer intrigue le spectateur et le pousse à les regarder.

On peut juste regretter de ne pas avoir plus d’Ayako Wakao. Ou de ne pas avoir un même type de film sur Masumura. Il n’a pas ça dans ses cartons Michel Drucker ?


 

Isuzu Yamada, Michiyo Kogure, Kinuyo Tanaka dans Kenji Mizoguchi: The Life of a Film Director, Kaneto Shindô 1975 | Kindai Eiga Kyokai


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Lettre d’amour, Kinuyo Tanaka (1953)

Vous avez un Imai

Koibumi

Note : 4 sur 5.

Lettre d’amour

Titre original : Koibumi

aka : Love Letters

Année : 1953

Réalisation : Kinuyo Tanaka

Adaptation : Keisuke Kinoshita

Avec : Masayuki Mori, Yoshiko Kuga, Jûkichi Uno, Kyôko Kagawa, Chieko Nakakita, Takako Irie

Pour son premier film en tant que réalisatrice, l’actrice Kinuyo Tanaka (« épouse et mère du cinéma japonais ») met le paquet. C’est peut-être à la fois la qualité du film et son principal défaut. Tanaka veut en mettre plein la vue, alors pour bien faire, elle profite d’une adaptation exécutée par Kinoshita (déjà lui-même réalisateur aguerri) d’un roman d’un écrivain populaire déjà adapté par ailleurs deux fois par Mikio Naruse : Fumio Niwa. Elle fait surtout presque passer l’ensemble des grosses têtes du cinéma japonais de l’époque dans le champ de sa caméra. Même Chishû Ryû y fait une apparition inutile. Kinuyo Tanaka tient, quant à elle, un petit rôle en or où elle est forcément excellente… mais était-ce bien nécessaire ?

On est dans un shomingeki tendance mélo, un peu avant que Naruse y plonge totalement, un terrain sur lequel Mizoguchi (le cinéaste chez qui Kinuyo Tanaka a sans doute été le mieux utilisée) s’aventurera rarement. S’il fallait y chercher une correspondance de style, il faudrait plus certainement lorgner du côté de Tadashi Imai. D’ailleurs on y retrouve la présence, dans un des deux rôles principaux, de Yoshiko Kuga, actrice chez Imai notamment dans Jusqu’à notre prochaine rencontre, dont le ton de Lettre d’amour semble vouloir se rapprocher.

Pour une bonne part aussi Kinuyo Tanaka semble avoir fait son marché sur le plateau d’Oharu femme galante.

Tous ces efforts seraient louables s’ils n’étaient pas au fond un peu inutiles et desservaient le film dans ces excès. L’idée d’avoir une tête connue pour chaque personnage, même anecdotique, n’est pas mauvaise en soi ; le problème, c’est que pour un sujet aussi intimiste (l’amour contrarié entre un homme et une femme), il faut, à un moment, comme sait le faire Naruse à l’époque, recentrer son récit autour de ces deux tourtereaux. Or, entre ces deux amoureux, on aura finalement droit qu’à une seule scène, et encore, même pas dans le dernier acte où tout devrait se jouer. C’est plutôt frustrant. L’intrigue se perd ainsi à un moment à voir le frangin et la fille en question flirter plus ou moins, et le personnage du meilleur ami tend là aussi à prendre toujours trop de place. Voilà une sorte de carré magique avec lequel les bords auraient très vite dû s’araser pour ne plus se concentrer que sur une ligne dramatique unique… Résultat, quand Kinuyo Tanaka lance les violons et les larmes, ce sera toujours avec les confidents, jamais avec les deux protagonistes principaux. Kinuyo Tanaka (ou Kinoshita, ou l’auteur, Fumio Niwa), nous prive par ailleurs de la dernière scène de rencontre espérée alors que l’un accourt vers l’autre… (vu la tournure sur la fin des événements, ce n’était pas très tentant, de quoi rappeler le dénouement lamentable du Nain d’Uchikawa dans une chambre d’hôpital).

La maîtrise de la mise en scène, toutefois, et celle, forcément, de la direction d’acteurs, restent impressionnantes. Le sujet (les lettres d’amour envoyées par les femmes japonaises délaissées par leur amant américain), en revanche, sert un peu de prétexte à notre amourette. Ou le contraire.


Lettre d’amour, Kinuyo Tanaka 1953 Koibumi | Shintoho


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Les Sœurs Makioka (Bruine de neige), Yutaka Abe (1950)

Hideko monte les paliers

Note : 3.5 sur 5.

Les Sœurs Makioka (Bruine de neige)

Titre original : Sasameyuki

Année : 1950

Réalisation : Yutaka Abe

Avec : Hideko Takamine, Ranko Hanai, Yukiko Todoroki, Hisako Yamane

Première adaptation, semble-t-il, d’un roman de Jun’ichirô Tanizaki (dont Masumura adaptera quelques romans). Un peu refroidi par l’adaptation soporifique, hiératique et acidulée de Kon Ichikawa en 1983[IMDb], j’avançais à reculons devant cette version. Pour tout dire, ça ne commençait pas mieux puisque j’ai manqué plusieurs fois de m’endormir au début du film… Et soudain, Hideko… Hideko est arrivée, et la voilà qui vous harponne le cœur un peu comme dans chaque film : sur le tard. On se dit d’abord « Tiens, que vient faire dans cette histoire ma jeannette-qui-rit-jeannette-qui-pleure préférée ? ». Et puis le film semble tomber sous le charme de cette étrange chose et se désintéresse de tout le reste. Des sœurettes, il n’en reste maintenant plus qu’une. On ne voit que celle-là. On pourrait même se demander si ce rôle ne constitue pas une sorte de chaînon manquant entre sa carrière d’adolescente chez Naruse, notamment (dans Hideko receveuse d’autobus, ou déjà au travail, et jeune adulte, dans Les Descendants de Taro Urashima), et son rôle en 1952 dans L’Éclair. Entre-temps, évidemment, beaucoup de rôles (et de ceux-là, je n’ai vu que le Carmen revient au pays dans lequel elle joue encore les zouaves*), alors simple conjecture. Seulement, tout ce qui suivra dans les Naruse est déjà présent, et peut-être pour la première fois. Il faut avouer que c’est plutôt impressionnant. Au point d’éclipser tout le reste.

*Dans Bagatelle au printemps, adaptation de Marius de Pagnol où elle joue « Fanny » en 1949 (donc précisément à la même période), elle joue sur les deux tableaux, la jeunette enamourée de son Jules (ou de son Marius), et propose ensuite, mais tout en nuances, une composition de femme devenue mère et épouse.

Je ne dirai jamais assez ma fascination pour le génie de cette actrice. Elle est une des rares à pouvoir jouer le mépris en restant sympathique (autrement dit, elle pourrait jouer n’importe quelle totalité négative, qu’elle arriverait à garder la sympathie du spectateur, c’est probablement le souhait de tous les acteurs — pas forcément des cinéastes — et c’est la chose la plus compliquée à faire, avec celle de faire rire). Elle est capable de proposer dans un même film une palette d’expressions impressionnante, passant de l’amusement le plus futile à la gravité tragique. Elle peut aussi (et là encore, c’est une qualité rare) offrir d’un côté une gamme d’intentions de situation, sorte d’expressions apparentes et continues, et de l’autre des nuances éparses censées suggérer des expressions involontaires, volées, ou simplement des contrepoints à une humeur générale. C’est comme en musique avec une harmonie qui s’installe, se répète, ronronne, à laquelle viennent s’ajouter des notes qui forment une mélodie, une sorte de discours du cœur plus insaisissable, plus indomptable. C’est aussi une fenêtre entrebâillée sur ce qu’un personnage chercherait peut-être à cacher, ou au contraire un sursaut de la volonté naissante, de la conscience, pour s’opposer aux tourments d’une situation pesante… Et ce n’est pas le tout de vouloir le faire, le plus dur comme en musique est de composer l’une avec l’autre, en même temps, dans une cohérence combinée qui apparaîtra toujours comme une évidence. La réussite des films futurs de Naruse viendra aussi beaucoup de là, dans cette capacité de son actrice principale à exprimer parfois en même temps un personnage affrontant le sort avec dignité, et montrer soudain des jaillissements d’orgueil ou de révolte au milieu de ces accablements insistants.

Les Sœurs Makioka (Bruine de neige), Yutaka Abe 1950 Sasameyuki | Shintoho

On voit tout ça dans les films qui suivront de Naruse. Pas forcément en proposant dans chacun d’entre eux une tessiture aussi large qu’ici. On découvre cela ici presque par accident et petit à petit. On voit Hideko Takamine commencer à placer des nuances à la limite du burlesque (dont elle est issue, il me semble) dans de simples gestes. Cette manière presque insolente d’interpeller les autres acteurs avec des gestes imprévus ou de jouer des hanches comme une star de Broadway (ou Carmen, déjà) pour défier son interlocuteur (et l’on dit bien que pour les acteurs, tout part du corps). Ça colle (semble-t-il) parfaitement avec son personnage, car c’est, des quatre, celle qui s’ouvre le plus au monde moderne. C’est la seule par exemple à porter constamment des robes à la mode occidentale, et là, il faut avouer qu’on ne le voit pas aussi bien jouer de ce corps petit et replet dans les films qui suivront. On remarque tout de suite cette composition qui fait la singularité de beaucoup de clowns : si elle peut être légèrement rebondie, elle est aussi tout en muscles et chacun d’eux semble prêt à tout moment à se tendre. Elle a une manière bien à elle par exemple de repousser ses coudes en arrière et de bomber la poitrine, qui la montre toujours en alerte, prête à vous sauter au visage pour vous mordre ou pour vous embrasser. Une sorte de mélange de Betty Boop et de Ginger Rogers. Mais elle se rapprocherait plus encore d’une Giulietta Masina, capable également, comme elle, de jouer et de passer en un instant d’une partition tragique à une autre comique.

On est dans le mélodrame, et aucun mélo ne saurait être convaincant sans nuances. C’était l’erreur d’Ichikawa dans sa version (plus que mélo, c’était, dans mon souvenir, d’un sérieux yoshidien ; justement aussi parce que le cinéaste semblait réaliser ça comme un film réaliste, respectueux, cadenassé… chiant quoi). Toute la gamme y passe donc : la femme contrariée par son amour, la femme légèrement intéressée, la femme éperdue et trahie, la femme accablée par le destin, l’insolente, la rigolote, la pleurnicheuse, puis la désabusée et la femme ivre… Hideko, c’est un dessin animé, une caricature, à elle seule. Et pourtant, on y croit. Parce qu’elle ne semble jamais jouer en dehors de sa zone de confort, en faire trop, chercher à épater. Elle est juste là, et avale tout l’espace. Et même quand on la connaît et qu’on la voit dans un rôle précédant ses grands rôles narusien (le Mikio, il a dû en avoir des idées en voyant son Hideko jouer l’omnibus sur huit octaves), on se dit qu’elle va faire le job et sans plus, parce qu’elle cache bien son jeu, comme toujours, parce qu’elle n’est pas d’une beauté flamboyante comme Ayako Wakao ou comme d’autres. Mais voilà, Hideko, c’est Passepartout qui volerait la vedette à son Phileas Fogg, c’est un Sancho Panza qui éclipserait Don Quichotte. Une magicienne, on devrait savoir qu’elle finira par décrocher la timbale, chaque fois on s’y laisse prendre.

À noter que le film arrive bien mieux que son remake à traduire cette histoire finalement assez ennuyeuse (cent fois répétée : les anciennes familles respectables devant faire face à une nouvelle situation, la difficulté de trouver un parti pour ces demoiselles, etc.). Parce que dans le cinéma japonais, bien souvent ce ne sont pas les histoires (les péripéties) qui comptent, mais ce qu’on en fait (suffit de voir un Ozu pour s’en convaincre). La mise en scène est parfaite (excellent sens du rythme et du découpage, avec quelques tics piochés chez Shimizu) ; mieux encore, le montage et la musique structurent parfaitement le récit autour de nombreux montages-séquences (dans la grande tradition classique hollywoodienne, que ce soit pour montrer le temps qui passe entre deux séquences — ou chapitres ou pourrait dire —, ou pour illustrer en une séquence musicale un ensemble de petites scènes muettes sur le même thème).

Non pas un grand film, mais une Hideko qui vole tout, c’est un film qui se regarde sans peine.

(À noter aussi la première apparition, en sœur à couettes, de Kyôko Kagawa.)


Listes sur IMDb : 

MyMovies: A-C+

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Ninjutsu, Hiroshi Inagaki (1957) (Yagyû Bugeichô)

Partie de mikado, première manche

Ninjutsu I

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : Yagyû bugeichô

Année : 1957

Réalisation : Hiroshi Inagaki

Avec : Toshirô Mifune, Yoshiko Kuga, Kyôko Kagawa, Mariko Okada

Deux clans se réunissent pour s’affronter autour d’une partie de mikado. Leurs chefs respectifs se disputent la légalité d’un coup, et pour cela, impliquent les ninjas qui devront alors déterminer si le mikado avait bel et bien bougé… Sauf que quand Toshiru Mifune débarque, c’est tous les bâtonnets qui tremblent, et c’est à lui que les deux clans finissent par faire la guerre…

Bref, je n’ai rien compris à cette intrigue livrée à bâtons rompus. Dès le début, on est plongé dans une intrigue politique dont il est difficile de se retrouver. Il doit y avoir quelque chose là-dedans de familier pour un Japonais du milieu des années 50, mais pour moi ce fut bien obscur. Difficile de s’emballer pour une telle histoire, au point souvent, comme on dit sur le continent, qu’on ne distingue plus Qi est Qi.

Le reste n’est guère plus brillant. Ne serait-ce que la lumière justement… Si l’histoire est opaque, le cliché est lumineux. Trop sans doute. Je reproche souvent la même image criarde à Inagaki. Les productions japonaises de l’époque ne font pas dans l’originalité : ce goût pour l’enluminure était à la mode partout ailleurs, signe des grands films populaires voués à concurrencer le petit écran en plein essor. Si aux États-Unis, on s’en sort encore mieux qu’ailleurs (de mémoire, African Queen ou Distant Drums proposaient ce genre de photos affreuses), c’est un peu aussi ce qui symbolisa en France certaines productions dites du « cinéma de papa », cette certaine qualité française tant décriée par les futurs cinéastes des Cahiers. Un peu plus tôt, en 47, on dit que Michael Powell avait dû ajouter du rouge à lèvres à Deborah Kerr dans Le Narcisse noir, alors que le rôle ne s’y prêtait pas du tout. Pourquoi ? Parce que la pellicule offrait des couleurs si fadasses qu’on ne pouvait pas y couper. C’est le piège de certains films en couleurs des années 50, et Inagaki me semble y être toujours tombé. D’un côté, certaines couleurs semblent crier à l’écran avant d’agoniser ; d’autres ne sont rien d’autre que la lumière crue, clinique, si commune aux hôpitaux. L’habitude était encore pour les acteurs de se grimer de blanc, comme au théâtre, seulement ici, on les croirait tous badigeonnés de crème comme préparés à se faire rôtir au soleil ou au four. C’est que leur peau luisante a bien quelque chose de la dinde déplumée et savamment farcie avant de la foutre au feu…

Comme film de production « qualité japonaise », il y avait pourtant de quoi faire. On y retrouve un assemblage impressionnant de petites stars de l’époque, et même, une des égéries du cinéma des années 60 avec la délicieuse et crémeuse Mariko Okada, future femme de Yoshida.

Pas moyen non plus de reporter son intérêt sur les scènes de combat. On est, là encore, loin des films des années 60.

J’ai une deuxième manche qui m’attend. J’espère éviter la farce.


Révision pour le second volet (vu le 19 mars) : Étonnement, la photo y est bien meilleure. Le jour et la nuit. Préfigure les opusculaires ou les Uchida à venir. L’histoire, elle, reste… mikadesque.



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Anzukko, Mikio Naruse (1958)

Anzukko

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1958

Réalisation : Mikio Naruse

Avec : Sô Yamamura ⋅ Kyôko Kagawa ⋅ Isao Kimura ⋅ Keiju Kobayashi

Naruse a participé lui-même à l’adaptation de cette histoire de Saisei Muroo (Frère aîné, Sœur cadette). On commence par un film à la Ozu où il faut marier la fille. Les prétendants se succèdent et il faut croire qu’ils ne feront pas le bon choix. Le film prend alors un nouveau tournant où le récit se concentre sur une confrontation entre le beau-fils et le père, souvent par l’intermédiaire de la fille, qui était pourtant le personnage principal au début, mais qui ne sert plus ici que de messagère entre les deux. Le sujet est devenu le parallèle entre la réussite du père écrivain et la volonté du fils de réussir dans le même domaine mais sans succès. Incapable de subvenir aux besoins de sa famille (alors que la fille se refuse à avoir des enfants, comme pour montrer qu’elle a fait une faute en faisant ce choix ; jamais on ne les verra vraiment comme des amants ou même un couple, mais plutôt comme des adolescents qui n’ont rien en commun) le père les héberge, accentuant du même coup la confrontation entre les deux hommes, et les comparaisons…

Le fils est malheureusement trop antipathique et la fille est plus ou moins inactive. Ce qui faisait la force des films de Naruse, ce sont bien sûr ces hommes lâches, mais ils sont relégués au second plan, c’est le plus souvent pour montrer à quel point les femmes sont fortes, entreprenantes et dignes. Ici, elle reste digne, mais elle ne va pas se séparer de son mari comme elle le pourrait et comme Setsuko Hara le faisait dans Le Repas pour affirmer son caractère par exemple. Elle reste une petite fille, qui a besoin de son papa. Difficile de comprendre quel est le principal sujet de cette histoire et d’avoir de la sympathie pour tous ces personnages.

Anzukko, Mikio Naruse 1958 | Toho Company

Le ton du film est à l’opposé de celui de Ma mère ne mourra jamais[1]. Ici, c’est le désespoir qui règne, et le fils a beau travailler, il n’arrive jamais à rien. Si on sait que la fille s’évertue à travailler chez elle pour gagner un peu d’argent, on ne l’y voit pas trop forcer le destin pour faire avancer sa famille ; elle préfère se réfugier chez papa. C’est un peu comme voir un funambule avec un filet, on a peine à croire qu’ils sont réellement en danger puisqu’ils peuvent à tout moment retourner sur la rampe.


[1] Ma mère ne mourra jamais dans notes de visionnages


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Madadayo, Akira Kurosawa (1993)

Bernard et Minet

Madadayo

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1993

Réalisation : Akira Kurosawa

Avec : Tatsuo Matsumura, Hisashi Igawa, Jôji Tokoro

Je ne vois pas trop où il veut nous mener le bon vieux Kuro avec ce film. Il y a certainement des références à connaître et qui m’échappent, notamment l’évocation de la fin de la vie de ce professeur-écrivain sur lequel l’histoire est basée (un personnage connu au Japon, que personnellement j’ignore). Le film trouve ensuite sans doute un écho dans sa propre vie de vieux professeur proche de la fin ; mais pour moi, spectateur, je ne vois rien qui puisse me toucher.

L’histoire du chat, version nippone du Chacun cherche son chat, est d’un ennui à mourir. On a du mal à trouver un peu de sympathie pour ce vieux bonhomme décrépit, limite gâteux, et qui redevient un bébé à la disparition de son chat… Bah oui, les chats sont des opportunistes. Ils errent de maisons en maisons quand ça leur chante. Ils ont bien sept vies et n’ont aucune loyauté envers ceux qui les nourrissent. Si le vieux sensei voulait un peu de loyauté, il fallait qu’il prenne un clebs. Là encore, il doit y avoir un rapport avec la vie même de l’auteur dont s’inspire la vie du personnage, vu qu’il a écrit sur les chats (Je suis un chat). Mais bon, s’il faut connaître toutes ces références pour comprendre un film, je ne vois pas l’intérêt ; même avec, je ne suis pas persuadé que l’histoire en soit plus émouvante…

Pour émouvoir, il ne faut pas simplement faire dire à travers la dévotion des élèves que le sensei est un homme exceptionnel. Il faut aussi nous le faire sentir par ses actions ou ses paroles. Parce que c’est peut-être une chose entendue pour les Japonais qui connaissent l’écrivain, mais pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est une chose à prouver. Et rien dans ce que fait ou dit le personnage, ne peut nous émouvoir ou montrer que c’est un grand sage… Si on repense à Barberousse par exemple, il suffit d’un ou deux dialogues pour être convaincu du talent particulier du personnage, qui est plus qu’un médecin. Là, on voit un vieux bonhomme avec une cour d’élèves qui le vénèrent, mais jamais il ne fait la preuve de ce pour quoi il est vénéré.

Le seul plaisir du film, c’est la présence presque fantomatique, voire potiche, du personnage de la femme de vieux sensei, joué par Kyōko Kagawa, la merveilleuse actrice aperçue chez Naruse, l’actrice des Amants crucifiés, et qui, là, ne sert à rien… Pendant tout le film, je n’ai regardé qu’elle, présente dans pratiquement tous les plans, mais qui ne fait qu’écouter… C’est sûr l’écoute pour un acteur, c’est très dur, donc autant prendre une grande actrice pour ça… C’est comme si Resnais demandait à Catherine Deneuve de faire de la figuration…

Reste la rigueur de la mise en scène du maître, les couleurs, le rythme… Mais ce qui compte, c’est l’histoire et ce qu’on nous raconte. Et là, si l’histoire ne nous raconte rien, j’ai peine à comprendre ce qu’on veut nous dire…


Madadayo, Akira Kurosawa 1993 | DENTSU Music And Entertainment, Daiei, Kurosawa Production Co., Tokuma Shoten


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Les salauds dorment en paix, Akira Kurosawa (1960)

Samouraïs en col blanc

Les salauds dorment en paix

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Warui yatsu hodo yoku nemuru

Année : 1960

Réalisation : Akira Kurosawa

Avec : Toshirô Mifune, Masayuki Mori, Kyôko Kagawa, Takashi Shimura, Kô Nishimura, Kamatari Fujiwara, Chishû Ryû, Ken Mitsuda, Nobuo Nakamura

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Un film atypique qui aurait pu lancer la mode des thrillers d’entreprise. Masumura s’y était essayé deux ou trois fois avec par exemple (et avec le même succès) : La Voiture d’essai noire (Intimidation est pas mal du tout aussi). Alors que les films politiques italiens de la même époque me semblent plus souvent focalisés sur la classe ouvrière, au Japon on préfère les élites dirigeantes. Un chef d’entreprise publique, ç’a finalement la même relation avec ses employés qu’un seigneur féodal avec ses samouraïs ou qu’un chef de clan avec ses yakuzas. Le film n’est pas tendre avec ce monde. Non seulement il est corrompu, mais la fin est sans détour : le système ne peut pas changer et les salauds peuvent toujours dormir en paix. C’est fascinant de voir cette hiérarchie dans l’entreprise japonaise, ce respect infaillible envers ses supérieurs, même quand ils sont corrompus sinon plus, ces notions de respect, de devoir, d’honneur.

On a donc affaire à une histoire de corruption, de marchés truqués, de détournement de fonds. Le train-train ordinaire des escrocs et des criminels en col blanc en somme. Ce n’est pas une mafia, ils ne font pas commerce de produits illicites, ils ne sont pas en lien direct avec le crime, mais ce sont des gros pourris, et toute la question, c’est toujours de savoir à quel point ils sont coupables puisqu’ils ne font toujours que répondre aux ordres qui viennent d’en haut. Ils sont tellement respectueux de l’autorité des supérieurs que quand il y a des fuites et qu’il faut trouver un bouc émissaire, les fonctionnaires, les cadres intermédiaires, acceptent toujours de porter le chapeau, voire de se suicider pour la sauvegarde de l’entreprise. Ça commence par les cadres intermédiaires, les comptables, et puis petit à petit, ça atteint les hauts fonctionnaires. Toujours les mêmes principes : on obéit, l’intérêt de l’entreprise est supérieur à l’intérêt individuel ou à un quelconque intérêt commun obéissant à une morale. Et c’est ainsi que si chacun sert au moment utile de fusible, la pérennité d’un système crapuleux n’est jamais remise en cause.

Les salauds dorment en paix, Akira Kurosawa 1960 | Toho Company, Kurosawa Production Co

Ça, c’est le contexte du film, au milieu de tout ça, il y a une histoire, et c’est là qu’intervient le personnage de Toshiro Mifune. Fils d’un de ces hauts fonctionnaires qui a été poussé au suicide, il rentre dans l’entreprise dans l’idée de se venger. Il parvient au plus près du vice-président en se mariant avec sa fille et va organiser sa vengeance en faisant tomber les têtes une à une. Le système aura raison de lui. Tout est bien qui finit bien… pour les crapules.

Kurosawa s’applique à casser certains codes narratifs. Dans un film de deux heures, on sait reconnaître où on en est. Les films sont parfaitement formatés pour une introduction, un développement, jusqu’au dénouement. On sait quand ça commence et quand ça se termine. Là, on est un peu perdu. Certaines séquences sont très longues. Plus que des scènes, il s’agit de tableau, un peu comme chez Brecht. Elles ont leur propre vie, leur propre objectif et leur propre déroulement. On est habitué au cinéma à ce que tout aille vite, que tout soit précipité, et au final, les thèmes, les conflits, sont survolés, on comprend les grandes lignes, souvent sans aucune nuance. Là, en prenant son temps, Kurosawa nous permet de profiter à plein des situations en s’y attardant. On n’est plus dans un rythme cinématographique, mais souvent réellement théâtral. Ça donne du relief à l’histoire, mais on reste perdu sans l’étroit carcan d’une dramaturgie formatée pour les deux heures.

L’histoire est inspirée d’Hamlet. Le thème de la vengeance, le côté, « il y a quelque chose de pourri dans l’entreprise », la fille qui rappelle Ophélie. Et ça s’arrête là. On pourrait aussi y voir une référence sympathique au théâtre grec, surtout dans la première scène, celle du mariage, qui doit bien durer un quart d’heure et qui est montrée à travers les yeux, les commentaires, des journalistes. Ce n’est rien d’autre que ce que les Grecs faisaient dans leurs tragédies avec le chœur, pour commenter, présenter l’action, et parfois même, interagir avec les personnages de l’histoire. C’est encore plus perceptible quand, à la fin de cette scène, l’un des journalistes dit que ce qu’ils viennent de voir ferait une bonne pièce en un acte et qu’un autre lui répond en plaisantant que ça ne serait qu’un prologue d’une pièce beaucoup plus vaste… On voit tout l’attachement de Kurosawa à la culture européenne. Si on l’aime autant en Occident, c’est peut-être justement parce qu’il fait des films qui nous sont proches, qui sont dans la droite ligne de ce que notre culture a produit de mieux, du théâtre antique, à la tragédie classique en passant par les pièces de Shakespeare. Et parce qu’on y trouve un sens moral qui ne nous est pas étranger (il n’y aurait probablement pas la même critique du bushido dans un cinéma japonais sans influence occidentale).

Kurosawa récupère toutes les stars de la Toho : Toshiro Mifune, bien sûr, Takashi Shimura, le fidèle, et Masayuki Mori, qui jouera la même année un salaud d’un autre genre dans Quand une femme monte l’escalier. On ne les voit jamais tous les trois ensemble, et la distribution manque un peu de personnages féminins, mais quel plaisir de voir tout ce monde réuni.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1960

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Top films japonais

Liens externes :


L’Éclair, Mikio Naruse (1952)

L’Éclair

Inazuma Année : 1952

Réalisation :

Mikio Naruse

6,5/10 IMDb   iCM
Listes :

Les Indispensables du cinéma 1952

Avec :

Hideko Takamine
Mitsuko Miura
Kyôko Kagawa
Chieko Murata
Chieko Nakakita

Je n’ai pas compris le film.

Je devais être un peu distrait par la beauté d’Hideko Takamine, mais je me suis embrouillé à suivre l’histoire. Ça ressemble en fait aux débuts des films de Naruse : on apprend toujours à connaître des personnages, mais d’habitude, après il y a un truc qui se passe, là non, la fin arrive vite, je n’ai pas percuté. On a droit à un dénouement entre le personnage de la fille et de la mère, pourtant, je n’avais pas l’impression que ça semblait être le thème du film. J’attendais l’histoire d’amour, le mélo et on s’en tire avec un film psychologique sur la réconciliation entre une fille et sa mère…

J’ai dû rater une bobine en me focalisant sur celle d’Hideko.


L’Éclair, Mikio Naruse 1952 Inazuma | Daiei production