Avec : Franco Nero, Riccardo Cucciolla, Georges Wilson
Le film peine à trouver son rythme. Franco Nero est parfait, mais semble être le plus souvent laissé à lui-même par Damiano Damiani. Le réalisateur se concentre un peu trop sur l’immersion de son personnage de la petite bourgeoisie italienne dans un milieu carcéral hostile en oubliant de rappeler de temps en temps que de toute évidence son personnage principal est, et se sent, victime d’une erreur judiciaire. S’il avait rappelé ça, on aurait pu voir venir le complot qui se tramait contre un des détenus avec sa complicité malheureuse.
Au lieu de ça, tout ce qui précède, dans tout ce que ça implique d’intolérable, insiste trop sur la dénonciation des conditions de vie dans une prison, quand le sujet est ailleurs. Alors que jusque-là le pouvoir détenu par la mafia dans la prison ne participait qu’à la description d’ensemble, dans le dernier tiers du film, il prend enfin tout son sens, et tout son pouvoir dramatique : au lieu de craindre pour la vie de l’architecte, à qui on n’en voudrait pour x raison, on commence à craindre la machination dans laquelle on l’a embarqué malgré lui et dont on sent bien qu’il lui sera impossible d’échapper. De descriptif, le film devient plus politique, est un thriller paranoïaque et moral.
Dommage de ne pas être parvenu à instiller dès le début ces caractéristiques qui auraient fait du film un produit réellement inquiétant.
Nous sommes tous en liberté provisoire, Damiano Damiani, L’istruttoria è chiusa dimentichi 1971 | Fair Film
Avec : Bette Davis, Horst Buchholz, Catherine Spaak
Le sujet n’est pas inintéressant, mais il semble toujours manquer chez Damiano Damiani un petit quelque chose qu’il lui permettrait de mettre parfaitement en valeur les histoires qu’il adapte. En dehors de quelques musiques diégétiques par exemple, il semble ne pas vouloir, ou ne pas savoir, utiliser la musique pour rehausser la tension dans ses films. Si avec la caméra, il se débrouille, sa direction d’acteurs semble inexistante et son sens dramatique suspect. Dans un drame sexuel et psychologique, voire social, comme ici, sur la durée, Damiano Damiani peine à créer le juste ton et l’harmonie nécessaire à ce qu’une forme de suspense, de curiosité, de réflexion, puisse se faire. Dans la construction d’un récit, et dans la mise en scène, avec les acteurs, à travers les regards ou les silences, il faut arriver à faire peser sur le présent, le moment présent de l’action, dans la situation, le poids du passé (parfois inconnu, caché, mais suggéré) et celui de l’avenir (incertitude sur les relations, conflits futurs, résolution des conflits à travers des compromis ou achèvement d’un but). Quand sur le présent ne pèse jamais ni le passé ni l’avenir, si on attend de chaque séquence qu’elle trouve son propre rythme, sa propre logique, sa propre intensité, le film rame. Et on s’ennuie. C’est exactement ce qui arrive ici.
Si Catherine Spaak s’en sort pas trop mal, c’est à la fois parce que l’insouciance qui définit beaucoup son personnage n’est pas le trait de caractère le plus compliqué à rendre pour une actrice, parce qu’elle a beaucoup de talent, et parce que c’est essentiellement le type de personnage qu’elle incarnait à l’époque. Mais pour ce qui est de l’acteur masculin, sur les épaules de qui doivent reposer tous les conflits intérieurs, les incertitudes morales, les détours psychologiques, sans l’aide d’un grand directeur d’acteurs, ou sans disposer instinctivement des pulsions qui animent le personnage, impossible d’adopter dans chaque situation le ton requis. Je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’aucun acteur puisse jamais arriver à rendre un tel personnage sympathique… Pas convaincu non plus qu’avoir trois acteurs principaux de nationalités différentes aide beaucoup à trouver une cohérence de jeu et une volonté de travailler ensemble…
Dommage que Damiano Damiani ne se soit pas aventuré plus souvent vers des sujets personnels comme pour Les Femmes des autres : adapter les histoires des autres (ici, Alberto Moravia), a fortiori des romans, ça demande un certain savoir-faire, en particulier une certaine audace à s’approprier un sujet, à ne pas le respecter, et au contraire d’un Lattuada par exemple, je doute que Damiano Damiani avait ce sens de l’adaptation ou de la « qualité italienne »
L’Ennui et sa diversion, l’érotisme, Damiano Damiani 1963 | Compagnia Cinematografica Champion, Les Films Concordia
Admirable comédie (de caractères) italienne d’un style grinçant comme seuls les Italiens pouvaient le faire à l’époque. C’est aussi une comédie de retrouvailles entre potes, autre genre en soi (vu récemment l’excellent Return of the Secaucus Seven de John Sayles dans cette veine, mais on peut citer aussi Diner, Peter’s Friends, Les Copains d’abord, Les Petits Mouchoirs, Vincent, François, Paul et les autres, etc.).
La bande recomposée d’un soir est menée par une sorte de Casanova au grand cœur, prototype du garçon charmant aussi bien apprécié par les femmes que par les hommes ; les premières, pour son mélange étrange et irrésistible de séducteur invétéré et de sincérité, les seconds, pour sa capacité à leur rabattre de futures victimes consentantes (ou non).
Le séducteur se révèle être bien plus respectueux des femmes qu’il côtoie et manipule à l’insu de leur plein gré que sa bande d’amis, prototypes, eux, des petits-bourgeois soucieux de sauver les apparences, leur statut social, sans jamais être les derniers à duper des victimes ou à se foutre des conséquences de leurs « conquêtes ».
Rien n’est pour autant blanc ou noir dans ces relations. La bande est plus ou moins présentée à travers les yeux d’un des amis (le film en fait d’abord l’introduction pour aller ensuite de retrouvailles en retrouvailles) qui, de retour dans sa ville natale, vient s’enquérir de son vieux charmeur de pote. Ce sera finalement le seul à lui montrer un peu de considération, à ne pas le voir seulement comme un rabatteur de minettes qui n’a pas su prendre le tournant de la vie rangée d’adulte responsable (donc hypocrite, corrompu et toujours volage malgré l’image livrée à la société), mais aussi le seul à conclure, parmi les séducteurs de la bande, avec un autre personnage, féminin, clé sans doute de la réussite du film.
Cette femme est plus jeune qu’eux, déjà sans illusions, et semble trouver parmi cette bande d’amis reconstituée une forme de liberté éphémère, pas seulement sexuelle, pouvant lui faire oublier le temps d’une soirée son statut de femme vouée à être trompée, victime et objets du désir des hommes.
Elle a tout compris déjà de l’injustice des codes et des rapports humains entre les hommes et les femmes dans cette société bourgeoise : en tant que femme, elle peut seulement rêver de la même liberté, des mêmes détours sans jamais avoir à subir les conséquences de ses écarts volages, car à moins de partir loin une fois sa réputation faite, si elle profite aujourd’hui des mêmes plaisirs que lui offre sa jeunesse, plaisirs accordés aux hommes seulement, il sera difficile pour elle de préserver les apparences d’une jeune fille comme il faut. Les hommes volages ne prennent le risque que de gagner un statut de séducteur qui rendra jaloux les autres hommes — et leur femme, un peu moins séduisante ; jouer le même jeu qu’eux lui brûlera, elle, assurément les ailes.
Un homme, avec le temps, finit au pire par se prendre quelques beignes dans la figure par des maris, des frères, ou comme ici des ouvriers pourtant pas bien méchants ; une femme qui se laisse trop ostensiblement ouvrir aux plaisirs des autres pour contenter les siens finira, elle, par recevoir des coups bas après lesquels on ne se relève pas, et oubliée plus vite encore par ceux qui hier disaient l’aimer. Il y a des amours sincères qui peuvent prendre tout de l’apparence des aventures passagères, et il y a des promesses d’amour faites par des hommes donnant toutes les garanties des hommes de bonnes familles qui cachent toujours ou presque leurs basses pulsions de mâles coureurs et frustrés. À côté de cela, il y a des hommes sincères aussi, qui ont toujours l’air d’en vouloir à vos fesses, et il y a des hommes, qui avec leur air d’hommes rangés ne s’intéressent réellement qu’à ces fesses. Les apparences sont trompeuses comme souvent.
Tout est gris, comme l’un de ces potes le dira au sortir du premier restaurant pour qualifier sa soirée.
Il faut parfois de bons contrepoints pour faire un grand film, ce personnage féminin (plus un autre, croisé à la fin du film, et représentant en quelque sorte le négatif du premier vingt ans après), dans un film de potes, en est un excellent ici. L’ambivalence (l’hypocrisie surtout) baignant le reste des relations entre les hommes, au milieu de cette bonne humeur de façade, en constitue un autre. Derrière les sourires, les jeux de séduction et les baisers partagés à la nuit tombée, beaucoup de tragédies personnelles. Et la description d’une société malade.
Les Femmes des autres, Damiano Damiani 1963 La rimpatriata | 22 Dicembre, Galatea Film, Societa Editoriale Cinematografica Italiana
La morale finale est radicale, mais le film est jusque-là terriblement ennuyeux, car composé essentiellement de scènes dialoguées : souvent des interrogatoires, quelques confrontations entre personnages opposés qui font pschitt.
Pas d’action, très peu de séquences capables de nous faire sortir du train-train habituel des séquences. Une étrange impression que ça n’avance pas : les opposants restent ou retournent dans leur « QG » et se regardent avec des jumelles : rien de pire pour créer la tension. C’est statique, mais c’est souvent aussi incompréhensible : l’enquête est basée encore une fois sur le verbe plus que sur l’action, plus sur les éléments passés du récit, plus que sur les enjeux et les prises de décision, les actions, présents.
Seul aspect relativement mieux maîtrisé que dans les films précédents que j’ai vus de Damiano Damiani : l’emploi parcimonieux de la musique.
(Les traducteurs employés par les boîtes de distribution de films ne se foulent pas trop : on chope un fichier RT de sous-titres sur le net, et on retraduit le morceau… Le problème, c’est que le travail est à moitié fait : certaines phrases, ici en espagnol, sont laissées en l’état, aucun correcteur ne passe après et les fautes sont nombreuses et affolantes, les coquilles parfois risibles, « tête de moule » pour « tête de mule »…)
Jeux précoces
Thriller réaliste assez mal fichu. L’idée de faire intervenir une fillette pour adopter une approche plus ludique pourrait rappeler certains films noirs (anglais notamment, ou des polars français des années 30 ou 40), mais si l’approche est intéressante, je trouve que le récit s’étale trop dans la longueur : il faut faire un choix, soit il faut mettre au centre du récit la relation entre l’assassin et la fillette, soit il faut vite s’en détourner et revenir très tôt à l’enquête. Au contraire de ça, le personnage de Pietro Germi, l’enquêteur, arrive trop sur le tard. Le revirement du comportement du meurtrier est alors bien trop antipathique pour qu’on puisse y apporter un quelconque intérêt, et les avancées vers la résolution du crime sont lentes et trop peu convaincantes. Le choix d’un acteur différent aurait peut-être aussi changé la donne.