Les Révoltés de l’an 2000, Narciso Ibáñez Serrador (1976)

Note : 3 sur 5.

Les Révoltés de l’an 2000

Titre original : ¿Quién puede matar a un niño?

Titre anglais : Who Can Kill a Child?

Année : 1976

Réalisation : Narciso Ibáñez Serrador

Avec : Lewis Fiander, Prunella Ransome, Antonio Iranzo

La maîtrise formelle sur le terrain du thriller de l’auteur de La Résidence est impeccable : beaucoup de rythme, des portes qui claquent, un décor marquant… Son idée de départ pourrait gagner un concours d’accroches de cinéma (« Les enfants prennent leur revanche ! ») ; son écriture est très efficace et condensée comme il faut pendant une bonne partie du film avant que le monstre se découvre (le talon d’Achille des thrillers fantastiques et des films d’horreur, c’est qu’au bout d’un moment, il faut bien que le masque tombe ; or, en dramaturgie, ça signifie souvent la fin ; avoir repoussé l’échéance jusqu’au milieu de l’histoire relève assez de l’exploit). Parce qu’une fois que l’on entre dans le registre du sanglant, cela devient un peu n’importe quoi. Jouissif par moments, j’avoue, face à autant d’audace sadique contre des enfants (j’étais hilare une ou deux fois à la fin du film), mais toujours n’importe quoi.

Pourquoi ne partent-ils pas dès que le touriste comprend ce qu’il se passe ? Pourquoi le touriste donne-t-il des calmants à sa femme ? (Face à un danger immédiat, ne faut-il pas plutôt rester alerte ?…) Pourquoi la Hollandaise compose-t-elle au hasard des numéros sans rien dire ? (Ah oui, le motif de l’appel téléphonique tiré de Black Christmas.) Pourquoi le touriste tient-il tellement à sauver la Hollandaise (pour rester sur l’île, OK, et continuer le film, mais aussi ?), alors qu’un peu plus tard, il perd tout à coup son humanité quand la femme du pécheur se trouve mise en danger de la même manière et qu’il aurait suffi de l’inviter à les rejoindre dans la jeep pour décamper au plus vite ? (Ah, ce n’est pas une touriste, elle peut crever.) Pourquoi le touriste réagit-il à peine quand sa femme est tuée… par son fœtus alors que, disons, c’est une mort assez inattendue et violente ? (Il semble l’aimer beaucoup de surcroît, sa femme.) Pourquoi le touriste ne visite-t-il pas tout de suite la chambre 7 ? (Ben, pour y aller bien après, pardi.) La vision de la femme fragile, indéterminée, sans volonté propre qui est une sorte de sac de viande que son mari trimballe en voyage laisserait aujourd’hui le spectateur assez dubitatif. Vivement Alien (cette fois, ce sera l’homme qui « enfantera » un monstre).

Bref, il y a une pelletée de détails qui gâche la fête et qui plonge le film dans le navrant et la série B.

Pour le reste, je suis assez friand de ces excès loufoques et de ses références lourdes. Juste après Les Dents de la mer, Serrador joue sur le thème du tourisme balnéaire (il n’en reprend toutefois pas toutes les bonnes recettes, dont la plus importante : le monstre qui reste dans l’ombre). D’ailleurs, deux ans plus tard, Long Weekend jouera encore sur cette thématique de touristes lambda qui voient leurs saintes vacances perturbées par la nature sauvage. On avait déjà tout compris des excès de la société de consommation et du surtourisme dans les années 70… Il convoque et mélange aussi l’esprit des Oiseaux et celui des films de zombies qui possèdent déjà un accent espagnol en ce début de fléau (Le Massacre des morts-vivants, Une vierge chez les morts-vivants, La Chevauchée des morts-vivants, et… Romero ?) Les enfants se comportent ainsi comme une nuée de zombies revanchards mue par on ne sait quel phénomène étrange. On pourrait également songer au Village des damnés. Enfin, Serrador reprend un effet de la main qui dépasse d’un soupirail utilisé sur un carreau de porte close dans La Résidence. (La meilleure citation est encore celle que l’on se fait à moi-même.)

L’idée originale du film, c’est bien, comme dans Les Oiseaux, de proposer une revanche presque cathartique des victimes sur leurs bourreaux. L’introduction du film énumérant pendant plusieurs minutes les désastres humanitaires dans lesquels les enfants sont les principales victimes annonce la couleur. L’idée de départ (formidable, tournant vers le n’importe quoi) ressemble d’ailleurs tellement à une idée de Stephen King qu’il en proposera une relecture en 1978 avec la nouvelle Les Enfants du maïs. Il y a quelques idées pourries dans l’air du cinéma d’horreur. Elles se répandent vite, avant même que l’on ait compris qu’elles menaient nulle part. Et oui, il n’y a pas que les King qui sont champions dans le domaine des accroches en or et des espoirs déçus.


Les Révoltés de l’an 2000, Narciso Ibáñez Serrador 1976 ¿Quién puede matar a un niño? | Penta Films


Sur La Saveur des goûts amers :

Les indispensables du cinéma 1976

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La Résidence, Narciso Ibáñez Serrador (1969)

Jeunes Filles en psychose

Note : 4 sur 5.

La Résidence

Titre original : La residencia

Année : 1969

Réalisation : Narciso Ibáñez Serrador

Avec : Lilli Palmer, Cristina Galbó, John Moulder-Brown, Maribel Martín

Thriller savoureux entre Jeunes Filles en uniforme et Psychose avec quelques notes probablement inspirées de Rosemary’s Baby vu que le film de Roman Polanski est sorti l’année qui précède. J’y trouve aussi une certaine connexion (ambiance/thématique/esthétique) toute personnelle avec Alien3 : l’univers carcéral, les conflits internes dans une société reconstituée avec ses codes spécifiques et étranges, et cela, sans savoir qu’un monstre rôde dans les parages et vient les cueillir les uns après les autres… On y trouve aussi les premiers cisaillements timides des slashers à venir.

Mais l’intérêt est bien ailleurs que dans les dérives horrifiques, surtout finales, qui prennent peut-être trop justement référence au film d’Hitchcock (Psychose), et qui flirtent avec le grand-guignol (sans quoi, avec une meilleure fin, c’était un favori). Le film est avant tout un excellent thriller psychologique, tendance frustrations sexuelles (tant hétérosexuelles qu’homosexuelles ou incestueuses), jouant sur la peur banale du monstre tapi dans l’ombre ou derrière les murs, sur la séquestration et les sévices autoritaires, voire sadiques. Je suis bien plus amateur de ce type de thrillers que de ceux proposés à la même époque en Italie.

On se demande bien d’ailleurs d’où a pu sortir ce film espagnol tourné en anglais avec un casting international et des personnages français. Ce sont plus souvent les amateurs de films d’horreur qui trouvent moyen de le dénicher, alors que le film ne se résume pas qu’à ses quelques meurtres et qu’il est en réalité bien plus « tout public » qu’il en a l’air. Bien qu’ayant inspiré, semble-t-il, quelques slashers futurs, on n’y dénombre que peu de meurtres et la petite société que forme le pensionnat ne découvre en réalité jamais la réalité des horreurs qui se produisent dans les lieux (ah, le légendaire laisser-faire des gestionnaires de pensions françaises).

J’y vois aussi ce qui pourrait le plus se rapprocher de Justine ou les malheurs de la vertu, impossible à adapter au cinéma. Et l’entrée en matière m’a également fait penser à celle du Professeur de Valerio Zurlini : on découvre, avec les mêmes couleurs brunes et sombres, l’intérieur d’une école, non pas à travers les yeux du professeur, mais de ceux d’une nouvelle élève. La suite s’intègre plus dans un schéma classique de film de pensionnat.

Le plus fou peut-être, c’est la qualité générale du film : de la mise en scène à la photographie, du scénario à l’interprétation. Pour produire un bon thriller, il faut souvent également une bonne musique et d’excellents effets sonores. Il n’y a pas qu’un auteur sur un plateau de tournage. Un film est bien un assemblage, souvent chanceux, de divers talents dont le réalisateur n’est que le maître d’œuvre. Cela pourrait être tout autant un producteur. Ou plus généralement, personne. Ou la somme hasardeuse de tout ce petit monde. Une résidence en somme. Avec, on l’espère, moins de problèmes managériaux en son sein. Il n’y aurait ainsi rien à changer si on en faisait un remake aujourd’hui. C’était déjà un peu le cas d’autres films tournés avant basés sur la séquestration et une oppression malsaine tournant au crime : on retrouve les mêmes couleurs, marrons presque placentaires, de Rosemary’s Baby et, disons, organiques de La Servante. Ces trois films possèdent un quelque chose qui les rend intemporels. L’effet du huis clos peut-être. Il n’y a rien qui ressemble plus à un décor d’intérieur qu’un autre décor d’intérieur. Surtout quand on est condamnés à ne pas en sortir. Une prison est une prison, on finit par ne plus voir la couleur des murs… Je n’aimais pas le côté maléfique dans le film de Polanski, et ce qui me fait préférer largement celui-ci, c’est bien son côté Jeunes Filles en uniforme. Pour être parfaitement étranger aux choses religieuses, ces références m’ont toujours sorti des yeux, alors qu’un pensionnat rempli de tarés qui offrent tous le visage de la normalité, ça parle en principe à tout le monde.

Autre différence majeure avec les giallos (genre dans lequel le film est parfois enfermé) : alors que ceux-ci ont souvent des distributions tout aussi hétéroclites, et bien que le film soit intégralement doublé, les acteurs sont ici parfaits, à commencer par Lilli Palmer, qu’on retrouve toujours avec plaisir.


La Résidence, Narciso Ibáñez Serrador 1969 La residencia | Anabel Films

La Fille de tes rêves, Fernando Trueba (1998)

Note : 2.5 sur 5.

La Fille de tes rêves

Titre original : La niña de tus ojos

Année : 1998

Réalisation : Fernando Trueba

Avec : Penélope Cruz, Antonio Resines, Jorge Sanz, Rosa María Sardá

Quelle idée de proposer des comédies sur des monstres historiques et réels… ! Preuve est faite, une nouvelle fois peut-être, que l’humour s’exporte mal. Le film serait drôle, on pourrait lui pardonner cette faute de goût ; seulement, une comédie avec des juifs et des nazis qui ne servent que de prétexte à des situations qui n’ont rien de drôle mais qu’on fait jouer comme s’il s’agissait de grandes pitreries, j’avoue qu’on multiplie les faux pas.

Rien à dire sur les acteurs d’ailleurs, voire sur la mise en scène, disons, technique…

La mise en scène, c’est aussi adopter la bonne approche, éviter le mauvais goût, ne pas forcer les portes (ici, de l’humour). Ce n’est déjà pas bien glorieux d’avoir un humour aussi poussif, si en plus le contexte historique met mal à l’aise, cela en devient extrêmement gênant et problématique sur la durée d’un film. Imaginons que Trueba ait gommé totalement l’aspect humoristique de cette histoire, il resterait toute une panoplie de personnages stéréotypés difficile à supporter. C’est souvent le cas en comédie, mais l’intérêt pour les personnages, c’est aussi ça parfois qui peut faire en sorte qu’on laisse une chance à un film. Je ne parle même pas des personnages secondaires, parce que pour les principaux, c’est une catastrophe : la star au grand cœur qui veut sauver un juif (pas des juifs, son juif, celui avec de jolis yeux bleus), le metteur en scène amoureux de son actrice et qui entretient une relation avec elle alors qu’il est marié, l’acteur principal qui se révèle être à l’opposé du personnage qu’il interprète…

À ranger à côté de La vie est belle dans les films européens blindés de thunes cherchant un compromis commercial entre la comédie et le drame et qui se vautrent. On y retrouve d’ailleurs quelques éléments de la réussite de La Belle Époque : de l’humour et un film d’époque. La différence peut-être, c’est qu’il n’était pas outrageusement boursouflé comme La Fille de tes rêves. Comme quoi, c’est bien le fric, parfois, qui dénature les comédies légères. De la légèreté à la lourdeur ; de la comédie qui reste à hauteur humaine à un trop-plein d’ambition…


La Fille de tes rêves, Fernando Trueba 1998 La niña de tus ojos | CARTEL, Fernando Trueba Producciones Cinematográficas, Lolafilms


L’Enfer de la drogue, Eloy De La Iglesia (1983)

Note : 3.5 sur 5.

L’Enfer de la drogue

Titre original : Overdose/El pico

Année : 1983

Réalisation : Eloy De La Iglesia

Avec : José Luis Manzano, José Manuel Cervino, Luis Iriondo

C’est assez étrange de voir un film traiter d’un sujet aussi glauque (avec, parfois, les images qui vont avec) tout en parvenant à le rendre suffisamment lumineux pour ne pas faire fuir le public. On peut en deviner la raison : le regard quasiment toujours bienveillant du cinéaste envers tous ses personnages à l’exception notable des femmes. L’une est mourante et est un stéréotype de la femme docile et obéissante ; l’autre en tête d’affiche est une tentatrice. Pour le reste du portrait féminin : on passe des gamines qui font de la figuration aux prostituées, en passant par la mère héroïnomane qui calme son bébé avec un peu de « sucre glace ».

On pourra difficilement arguer que le regard porté sur les femmes puisse être autre chose que misogyne. Surtout quand on voit le traitement relativement différent réservé aux personnages masculins. Un homosexuel (limite pédophile) rédempteur et protecteur (pas dans le bon sens du terme) ; des fils à papa ouverts à toutes les conneries possibles, dont le meurtre ; un père, chef d’une police qui est loin d’adopter des méthodes démocratiques ; un chef politique indépendantiste qui ne lâchera pas une larme à la mort de son fils. Rien de bien positif dans tout ça, vous me direz ; et pourtant, et en dépit de tous ces travers, le regard porté sur eux, au contraire de celui porté sur les femmes, est toujours compréhensif et positif.

Cela, il faut bien l’avouer, laisse une impression étrange tout au long du film. Je ne sais pas si c’est un exploit, en tout cas, on peut voir ça comme un exercice de style. Parvenir à rendre sympathiques, lumineux, autant de personnages tordus. Pari réussi. Au milieu des toxicomanes, des dealers et des trafiquants de drogue, des policiers corrompus ou des indépendantistes violents, des fils à papa ou des pédophiles, le problème, c’est les femmes. Plus qu’un simple chapeau, on dit « tricorne » ! Plus que la faute des juifs, des nantis, des pauvres, des lépreux, pourquoi est-ce que ce ne serait pas toujours la faute des femmes, hein ?

Nan, il faut avouer que déployer un tel degré de misogynie décontracté, l’air de rien, comme si c’était une évidence, fait figure d’exploit. Tricorne, Eloy. (Bon, on va dire que j’exagère un peu : Eloy a un regard bienveillant envers la mère et les prostituées.)

Et il faut bien l’avouer, malgré tous ces personnages toxiques, le film ne manque pas d’être plaisant et bien construit. Allez comprendre… Je n’aurais jamais cru que le regard positif d’un cinéaste sur autant de personnages problématiques pouvait avoir autant d’influence sur la perception du spectateur…

Dans certaines limites.


L’Enfer de la drogue, Eloy De La Iglesia (1983) El pico | Ópalo Films


Lucia et le sexe, Julio Medem (2001)

Irrésistible

Note : 1.5 sur 5.

Lucia et le sexe

Titre original : Lucía y el sexo

Année : 2001

Réalisation : Julio Medem

Avec : Paz Vega, Tristán Ulloa, Najwa Nimri

Formidable cinéma bourgeois où un écrivain avec le physique de Dominique Pinon et le talent additionné de Philippe Djian et de Marc Levy peut se retrouver au milieu d’une histoire de cul avec trois femmes folles de lui toutes plus belles les unes que les autres…

On pourrait presque avoir l’impression que ce cinéma de personnes sans problème a comme finalité de troller le spectateur moyen, laid et pauvre tellement le film multiplie les clichés puants de la bourgeoisie ‘cultivée’ sans histoire. Ce bourgeois bohème, du moins tel que représenté ici et qui s’apparente plus aux fantasmes extravagants et sexuels de petit garçon gâté par la vie, vit dans un grand et bel appartement où le ménage se fait tout seul, écrit des histoires idiotes le matin avec un mug de café sur sa table de travail, achève son chapitre sans grandes difficultés, puis vient embrasser la femme qui a passé la nuit avec lui et qui l’attend devant la fenêtre en train d’admirer les premiers rayons du soleil. Que calor. 37,2° le matin.

La veille, ils ont fait l’amour (« le meilleur coup de sa vie », on parle du Dominique Pinon écrivain), et la femme en question s’était présentée à lui dans un bar en lui disant qu’elle avait lu tous ses chefs-d’œuvre et qu’elle en était déjà tombée amoureuse sans même le connaître. Quel charme, Dominique !

Con comme la…

Lui, parce qu’elle est jolie, et lui sentimental, lui raconte qu’il l’aime aussi (c’est fou ce qu’on peut être sentimental quand la fille est jolie). Non, non, rien à voir avec des fantasmes strictement masculins, voilà un véritable épisode de la vie standard d’un petit-bourgeois espagnol : toutes les femmes, surtout les plus jolies, ne peuvent que succomber à mon charme. La vie facile, tu devrais essayer, spectateur pauvre et laid. Essaie la sapiosexualité aussi. Et devient riche et célèbre. Tu fais pas d’efforts (d’imagination).

D’ailleurs, le roman que notre écrivain à succès local est en train d’écrire raconte une autre histoire tout aussi crédible et sentimentale. Ne t’y trompe pas, spectateur : nous les bobos, des histoires folles où des femmes canon nous tombent dans les bras, ça nous arrive tous les jours, alors crois-le ou non, on édulcore quand même un peu notre vie trépidante qu’on décrit dans les romans et qui n’en sont pas tout à fait, sinon ça pourrait t’énerver.

Un jour donc, c’était il y a six ans, notre jeune bourgeois écrivain se tape une serveuse au beau milieu de la mer (t’as déjà fait l’amour dans l’eau, toi ?, moi je te conseille pas, mais peut-être que les femmes ont des pouvoirs super-lubrifiants quand des super-bourgeois les pénètrent). Aventure facile et sans lendemain, les femmes adorent ça (du moins, celles fantasmées par les gentils garçons). Surtout la génération sida. À la fin des années 90, comme en tout temps, si on tombe enceinte, c’est qu’on n’a pas utilisé de capote. Alors voilà, enceinte. Paf. Hé, oui, parce que le jeune bourgeois, c’est à savoir, il déborde tellement de fertilité que parfois avec un simple regard, il peut féconder les jolies serveuses qui travaillent aussi chez Elite.

Et s’en foutre royalement. Parce que l’écrivain bourgeois, il a autre chose à faire que de se soucier de ces histoires de gosses. Surtout quand c’est les siens : une serveuse ne devrait avoir aucun problème à élever son gosse seule d’ailleurs. La routine. La vraie vie. Hé, le jeune bourgeois, il a des mannequins différentes chaque nuit dans son lit, et le matin il leur dit au revoir avant de bosser, lui, sur Word 95… pas de place pour la vie de famille. Ou le respect des femmes. La liberté, quoi. La vraie, sexuelle. Pour les hommes sans problème. La vie de famille, hein, c’est bon pour les pauvres, les gens ordinaires. Et puis, pour les femmes qui n’ont pas eu de chance.

Le monde regorge de mannequins Elite, y a qu’à se servir. Une d’engrossée, dix de retroussées.

Manger dans la main de l’homme.

Mais, tout de même, au bout de six ans, comme le bourgeois a l’esprit curieux quand il enfante avec son foutre explosif et divin, il veut voir la gueule de son mioche. Au bout de six ans. Gentleman. Pas pour rien qu’il est irrésistible. Au bout de six ans. Une fois que le mioche a passé l’âge de chier dans ses couches et avant la crise d’adolescence. La belle vie. Les femmes voient que c’est un connard, mais elles continuent d’en vouloir à sa bite. Irrésistible.

Le Marc Levy avec la gueule de Dominique Pinon en profite pour culbuter la baby-sitter de sa fille, parce que pourquoi pas. C’est tout de même pas sa faute si c’est encore une baby-sitter de l’agence Elite et si lui est ir-ré-sis-tible. Car oui, le bourgeois bohème a une chose à dire au monde réel : les femmes, surtout si elles sont jolies, elles sont forcément sexualisées. Donc baisables. Toujours. Une femme que tu désires, c’est une femme qui forcément est disponible. Hé, n’est pas Dominique Pinon qui veut.

Tu ne savais pas ? Essaie dans la rue la prochaine fois, avec la première venue : présente-toi avec ta gueule de Dominique Pinon, dis-leur que tu écris des histoires à la con, et elles te suivront direct dans ton pieu. Les femmes servent à ça. Répondre à tes instincts primaires, à tes besoins, à tes fantasmes. La vraie vie quoi. Tu savais pas ?

Et là c’est le drame, ta mioche est bouffée par le clébard de la maisonnée alors même que tu t’enfilais vicieusement la baby-sitter dans la chambre de sa mère (l’ex-serveuse désormais maquée avec un footballer). Je rigole pas, c’est forcément un accident terrible et injuste. Crédible aussi. Tellement improbable dans ce monde où tout te sourit. Un signe malheureux du destin qui n’a pas compris qui tu étais. Un mec bien (riche et connu). Ou le signe que te pousse le bouchon un peu loin. Dans le cliché ou dans les fantasmes, tu choisis.

Hé oui, de la culbutée à la culpabilité, il n’y a qu’un pas…

Lolo, il baisait avec la baby-sitter pendant que toutou bouffait ma fille.

Après le drame, elle, la baby-sitter de chez Elite, fera une tentative de suicide (et puis, on en entendra plus jamais parler : faut pas pousser, la déprime, c’est moins sexy). Mais lui aussi, rongé par la culpabilité (ou la honte d’inventer de telles conneries, on peut nous aussi rêver), en ferra de même (la tentative de suicide, seul recours du bourgeois en détresse post-traumatique). Bon, entre-temps, il a tout de même eu la présence d’esprit pour échapper au scandale de s’échapper par la fenêtre la nuit de l’accident (les bourgeois ont décidément tous les droits — ou leurs fantasmes sont révélateurs de leur courage).

Heureusement, tout est bien qui finit bien, parce que la serveuse Elite 2 quitte son fiancé de footballer et se retire dans un gîte dans le trou du cul du monde (mais ensoleillé) et y rencontrera par hasard la femme Elite 1, celle qui était tombée amoureuse de l’écrivain en lisant ses histoires à la con. Le destin est à nouveau gentil avec le bourgeois, il peut sécher ses larmes de crocodile. Y a pas mort « d’homme ». Et bientôt, il pourra commencer une vie polygame heureuse et sans phare ni mioche ou clebs entre ses pattes. Le bonheur bourgeois en somme. Ou le fantasme de ceux qui aspirent à le devenir. Un bonheur qui s’achève baigné de lumière. Avec les promesses d’une vie meilleure (enfin). Assez de l’errance sexuelle et des filles faciles de chez Elite, place à la vie tranquille d’un ménage à trois. Dominique Pinon se sacrifie pour leur bonheur à elles : ce sont elles qui le réclament. Oh, non, ce n’est pas moi qui rêve que toutes les femmes tombent à mes pieds, ce sont elles qui me supplient de devenir les pantins sexuels de mes fantasmes. La preuve, on appellera cette histoire : Lucia et le sexe. Je n’ai rien à voir là-dedans, c’est son histoire à elle. Moi, je me contente d’être…

Irrésistible.

(En vrai, je revisite un peu, mais je suis pas très attentif quand c’est aussi vulgaire.)


 

Lucía y el sexo, Julio Medem 2001 | Alicia Produce, Canal+ España, Sogecine


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Abre los ojos, Alejandro Amenábar (1997)

Odyssée post-mortem

Note : 4 sur 5.

Ouvre les yeux

Titre original : Abre los ojos

Année : 1997

Réalisation : Alejandro Amenábar

Avec : Eduardo Noriega, Penélope Cruz

Pas bien pressé de le voir. Je suis pourtant un grand amateur de son remake avec Tom Cruise… Et j’aurais sans doute inversé l’ordre de préférence si j’avais vu le film d’Alejandro à sa sortie. Son film marche parfaitement. Un scénario qui semble sorti de la tête d’un Tod Browning sous hypnose. Follement tiré par les cheveux, mais étonnement sans fausses notes.

C’est le genre de scénarios qui sort des essais d’étudiants de cinéma : tous les clichés y passent. On va de twist en twist (très à la mode dans les années 90), de fausses révélations en fausses révélations ; la musique copie ce qui se fait ailleurs pour bien diriger les émotions du spectateur ; on abuse des possibilités narratives et de mise en abîme du rêve ; contexte mal défini et personnages secondaires tout dévoués au premier (et pour cause) ; jeune héritier sans attaches ni travail ; le personnage défiguré dans un accident de voiture (rappelant Le Visage d’un autre qui faisait, lui, le choix d’une approche plus distante et expérimentale) ; le coup de foudre pur et sans arrière-pensée ; le double féminin (positif-négatif) ; la scène du réveil qui n’en est pas un suivi du montage-séquence de préparation au départ du nid ; le portrait dessiné qui servira de planting à un autre moment du récit, etc. Un vrai catalogue des poncifs du genre.

Mais voilà, l’étudiant Amenábar maîtrise son sujet : il fait tout ce qu’il ne faut pas faire, il se tend à lui-même piège sur piège, et pourtant, à l’image de son héros, par sa maîtrise, son bon goût (indispensable dans un thriller psychologique et d’anticipation), il parvient toujours à s’en relever. Le plus surprenant, c’est qu’on y croit. Et cette maîtrise, c’est un ensemble de choses (toujours les mêmes astuces de dissimulation des escrocs ou des magiciens) : le rythme du film, la musique donc aussi qui nous empêche de nous réveiller, une structure narrative capable de relances voire de retours, le recours à ces bons vieux montages-séquences pour nous refiler un peu de somnifères et nous empêcher de penser ou de perdre notre attention, etc.

Souvent aussi, on doit cette maîtrise tout simplement aux acteurs. Vous me mettez Tom Cruise dans n’importe quel film et, j’y suis pour rien, cet escroc pourrait presque me faire croire en la scientologie… Eh bien ici, c’est pareil. Eduardo Noriega est solide, quant à Penélope Cruz, on peut difficilement espérer mieux dans ce rôle. Loin d’être un grand admirateur de l’actrice (contrairement au Cruise), force est de reconnaître qu’il y a dans ce film comme une évidence. Il ne suffit pas d’être jolie, elle a un quelque chose d’impalpable, d’à la fois mystérieux (ou insaisissable) et de poigne, d’autorité qui rejoint pas mal de la force, de l’intelligence et de la conviction de ces actrices qui, repérées très jeunes, peuvent surfer toute une carrière sur ces quelques années de grâce où elles apparaissaient pour la première fois et qui ont eu la chance d’apparaître dans un film dont le personnage qu’elles interprétaient leur correspondait parfaitement. C’est dommage sans doute que des actrices à la fois plus belles ou plus talentueuses n’aient jamais ce petit truc en plus, et c’est peut-être ça qu’on appelle le male gaze, mais leur truc en plus, il est bien là, se situer exactement à une forme d’intersection entre le talent, l’intelligence et la beauté. Juste ce qu’il faut des trois, et c’est là que le spectateur (mâle) ne s’en remet jamais. Des actrices superbes, il y en a des tas, trop, mais parce qu’elles n’ont pas l’intelligence et le talent au même niveau de leur physique, elles font pschitt. D’autres avec un grand talent, n’ont pas non plus ce qu’il faut ailleurs, etc. Et quand on est donc bien pourvu dans ces trois qualités premières sans être au max dans l’une des trois, ça fait les stars imparables qu’on connaît, de Louise Brooks à Barbara Stanwyck, de Ayako Wakao à Jennifer Lawrence, de Isabelle Adjani à Isabelle Huppert, de Sophia Loren à Audrey Hepburn, de Nicole Kidman à Penélope Cruz (en passant par Tom Cruise, what else).

Il n’y a pas forcément de grands secrets pour faire un bon film. On peut suivre tous les meilleurs cours du monde expliquant comment écrire le scénario parfait, définir ce qu’il faut éviter, le talent c’est peut-être aussi d’arriver à nous plonger dans une torpeur proche du rêve, nous enlever une part de notre conscience, de notre jugement, nous faire oublier tout le reste, et nous faire croire aux histoires les plus saugrenues. Le savoir-faire en somme. Celui d’un escroc, d’un magicien, d’un alchimiste, ou d’un artisan touché par la grâce le temps d’un film. Les miracles, ce qu’on peut définir comme événements inexplicables, on ne les rencontre que provoqués par les mains expertes ou chanceuses de quelques artistes. Des rencontres le plus souvent assurément. Des adéquations inespérées intervenant au bon moment avec les bonnes personnes.

Alejandro Amenábar avait vingt-cinq ans en réalisant ce film. Les Autres et Mar adentro suivront très vite. Beaucoup moins convaincants, la grâce du débutant s’estompera plus vite que celle de son actrice qui aura la chance de servir de muse à un autre cinéaste (ou d’avoir été une vedette avant lui)… Comme d’habitude, j’avais commencé par la fin (Tésis encore à voir). Étrange ou non, certaines cinématographies ne peuvent décoller sans acteurs : on connaît l’exemple du cinéma italien qui a cessé d’exister, pas seulement par manque de financements ou par le non-renouvellement de ses auteurs, mais bien à cause sans doute d’un manque d’acteurs de haut niveau. Étrange ou non donc, à travers mon prisme déformé, j’ai comme l’impression que le cinéma italien est mort aux pieds d’Ornella Muti, juste avant que le cinéma espagnol émerge à l’international grâce notamment à Almodovar et à Penélope Cruz.

Sinon, sérieusement, Internet en 1997 ?! Je n’ai eu Internet qu’en 2006. C’est dire si j’ai souvent un train de retard…


 

Abre los ojos, Alejandro Amenábar 1997 | Canal+ España, Las Producciones del Escorpión, Les Films Alain Sarde, Lucky Red, Sogetel


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Peppermint frappé, Carlos Saura (1967)

Peppermint frappé

Note : 2.5 sur 5.

Peppermint frappé

Année : 1967

Réalisation : Carlos Saura

Avec : Geraldine Chaplin, José Luis López Vázquez, Alfredo Mayo, Emiliano Redondo, Ana María Custodio

Un des films préférés de Kubrick paraît-il, mais également le premier film de Saura avec Geraldine Chaplin, peut-être le premier en couleur, et réalisé en hommage à Buñuel.

Eh bien, puisqu’un film, c’est la composition parfois miraculeuse de divers éléments pas toujours maîtrisables par qui que ce soit, je crois qu’il y a une bonne flopée d’éléments dans ce film qui, me concernant, n’appartiennent en rien à des miracles. On voit à des kilomètres ce que Saura veut faire, et si par ailleurs, Saura a souvent reproduit ce qui se faisait ailleurs, ici, ça ne marche tout simplement pas. Au pifomètre, je dirais que ça ressemble à du Nicolas Roeg (dont tous les films sont antérieurs, c’est dire si j’ai un nez calibré pour les devinettes).

D’abord, les motivations du personnage principal, si elles sont manifestement soumises à des troubles psychologiques quelconques, ne sont pas bien claires ; ce qui ne serait pas toujours un handicap si tout le reste ne se goupillait aussi mal. Les séquences se succèdent (et se répètent, devrait-on même dire) sans qu’elles n’apportent réellement quelque chose de nouveau sur la nature des troubles ou des motivations de ce bonhomme, pire, sans qu’elles n’arrivent à nous faire croire aux liens qui relient ces différents personnages. Rien n’est dit sur la relation fraternelle avec celui qui devient peu à peu un rival, la relation avec Elena est assez peu crédible (le personnage principal prétend qu’ils se sont déjà rencontrés, commence à devenir insistant, et Saura semble s’amuser à jouer le trouble, initié cette fois par Elena comme si elle participait à la folie de son personnage principal, ce qui est tout sauf vraisemblable). La relation avec l’infirmière, par ailleurs, se développe bien trop facilement, un peu comme si ce n’était qu’un personnage répondant aux caprices tout autant de l’auteur qui l’a créé que du médecin.

Cela pourrait être une représentation tout à fait tordue imbibée du petit monde intérieur du médecin, mais si c’était l’intention de Carlos Saura (et certes, il y a un quelque chose de Buñuel-Carrière, collaboration antérieure à ce film, me dit mon petit doigt, mais la filiation esthétique et idéologique est assez claire), ça ne va sans doute pas assez loin.

Le nombre particulièrement restreint des personnages (voire de lieux publics avec la présence et le mouvement des figurants) donne également une impression étrange au film, alors même que Saura sort de La Chasse qui se prêtait beaucoup plus à la chose, et alors même qu’il semblera par la suite avoir une préférence pour les espaces clos remplis des mêmes personnages à l’écart du monde. Ici, en dehors du fait que ça peut effectivement apporter au film une note onirique recherchée par Saura, certaines séquences ne s’y prêtent pas, et les décors n’aident pas beaucoup plus à croire à ce choix (la contextualisation de cette maison d’enfance où ils viennent se réfugier est assez confuse et en tout cas, ce lieu n’opère en rien comme un huis clos comme peuvent le faire certains décors de ses films plus réussis).

Kubrick avait des goûts étranges, mais c’est peut-être ce qui distingue les génies qui ont du flair et les autres, réduits à faire des devinettes avec eux-mêmes…


 
Peppermint frappé, Carlos Saura 1967 | Elías Querejeta Producciones Cinematográficas

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La Chasse, Carlos Saura (1966)

La Chasse

Note : 4 sur 5.

La Chasse

Titre original : La caza

Année : 1966

Réalisation : Carlos Saura

Avec : Ismael Merlo, Alfredo Mayo, José María Prada, Emilio Gutiérrez Caba

C’est amusant, ça commence comme Délivrance de Boorman, avec le départ d’une bande de potes se retrouvant à l’occasion d’une partie de chasse, et cette chasse devient le prétexte à une suite de règlements de compte qu’on devine macabre (Saura reprend également certains principes narratifs brillants d’un film qu’il n’a probablement pas vu, La Chasse, de Erik Lochen, notamment les voix intérieures lors des battues).

C’est assez bien construit, avec à chaque séquence du premier acte un certain nombre d’informations qui apparaissent, révélées à la fois pour le spectateur et pour un des personnages ignorants d’un de ces pans ainsi dévoilés du passé de l’un d’entre eux. Procédé dramatique très théâtral, voire littéraire, mais efficace dans cette capacité à en dire le plus en peu de temps.

Carlos Saura semble, comme à son habitude, s’émanciper des risques de la censure en plaçant ses personnages dans des lieux isolés, petites sociétés à l’écart du monde, que certains se plairont alors à voir comme des miniatures de la grande société, mais qui peuvent surtout, comme lorsque que ce procédé est utilisé, devenir une allégorie de la société des hommes, dans son ensemble espace (on retrouve aussi un peu du Huis clos de Sartre). Dictature ou non, les hommes ont finalement toujours les mêmes travers, les mêmes désirs, les mêmes secrets… Peut-être que c’est justement la pluralité des interprétations qui fait la valeur d’une œuvre. L’interprétation (des acteurs cette fois) et la mise en scène sont brillantes (certaines séquences sous la chaleur de plomb filmées muettes en travelling et en longue focale sur les corps abandonnés au soleil rappellent celle de La Femme des sables).


 
La Chasse, Carlos Saura 1966 La caza | Elías Querejeta Producciones Cinematográficas

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Anna et les loups, Carlos Saura (1973)

Anna et les loups

Note : 4 sur 5.

Anna et les loups

Titre original : Ana y los lobos

Année : 1973

Réalisation : Carlos Saura

Avec : Geraldine Chaplin, Fernando Fernán Gómez, José María Prada, Rafaela Aparicio

Toujours aussi étonnant de voir l’interprétation qui est faite des films de Carlos Saura… Le réalisateur aura beau des années après la fin du régime franquiste dire que ses films ne sont pas des allégories, le public et les critiques prendront toujours un malin plaisir à plonger tête la première dans cette interprétation facile ou forcée.

Mais le spectateur a toujours raison…

Les films de Carlos Saura gardent heureusement sans ça toute leur fascination et leur puissance évocatrice (aux spectateurs d’accepter de ne voir là que des interprétations personnelles, pas celles révélées d’un auteur). On a en sommes ici le même schéma pervers et inversé du Théorème de Pasolini avec un intrus venant chambouler les habitudes déjà étranges et malsaines d’une famille bourgeoise de la campagne espagnole. Geraldine Chaplin est parfaite dans son rôle, belle comme un cœur, que Saura a la bonne idée de présenter quasi nue à chaque plan (été oblige comme prétexte à la concupiscence attisée du spectateur), ce qui ne manquera pas, en plus de tenter les mâles des salles obscures, de nourrir la frustration des trois frères de notre histoire. L’intruse venant troubler cette tranquillité oisive et bourgeoise (on peut le dire) d’une famille malade d’elle-même ne tardera pas à voir déverser sur elle toutes les projections malsaines de monstres tenus jusque-là à l’écart, et non sans raison, de la société des hommes.

C’est peut-être l’époque qui veut ça, on y retrouve souvent ce principe de récit dans des maisons de fous avec ou sans intrus : Les Poings dans les poches, Cérémonie secrète, The Servant… Des relations binaires aussi, mais souvent, c’est le lieu (un domicile riche et ancien) agissant comme une prison dorée, une boîte de Pandore géante pour tenants de la consanguinité, qui est le révélateur, l’antre, des folies enfouies, cachées ou à venir, d’une famille recluse derrière les règles d’une société agonisante ou déjà disparue.


 
Anna et les loups, Carlos Saura 1973 Ana y los lobos | Elías Querejeta Producciones Cinematográficas, Olympusat

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Douleur et Gloire, Pedro Almodóvar (2019)

Note : 3 sur 5.

Douleur et Gloire

Titre original : Dolor y gloria

Année : 2019

Réalisation : Pedro Almodóvar

Avec : Penélope Cruz, Antonio Banderas, Leonardo Sbaraglia

Où sont passées l’hystérie et la fantaisie bienheureuses de Pedro ? Un dessin qui réapparaît 50 ans après (un des seuls éléments du film réellement « almodovarien ») noyé dans un puits d’autofiction…

Le film consiste ainsi en une suite d’évocations nostalgiques, faciles prétextes à faire des allers-retours entre présent et passé. Un passé censé donner les clés à son auteur pour retrouver l’inspiration (et l’envie) perdue, comme dans une spirale sans fin dans laquelle un auteur viendrait se nourrir de ses souvenirs et de ses expériences personnelles pour alimenter ses histoires. La ficelle dont se sert Amodovar pour sortir dans le trou où il cherche lui-même à s’enterrer est un peu grosse. On regarde poliment comme on suivrait, gênés mais avec une réelle empathie, les écarts et les doutes d’un ami, tout en ayant l’espoir bien caché que ça se termine au plus vite ces confessions plus thérapeutiques que cinématographiques.

Il y a une différence entre se nourrir, digérer, chier, donner à ce “produit” une consistance nouvelle au spectateur en lui cuisinant ça avec une sauce qui le fera ressembler à tout autre chose, l’art du recyclage en somme, et convier le spectateur à sa table en lui refourguant des miettes à peine digérées de son analyse introspective. Pedro Almodovar tombe dans ce piège, celui de la facilité et de l’auto-contemplation torturée, qui est aussi l’illusion de penser qu’un spectateur sera toujours étonné et heureux de voir ses croquis de travail, ses cahiers raturés ou son journal intime, à défaut de pouvoir lui proposer autre chose.

Alors oui, bien sûr, c’est émouvant de voir un auteur qu’on a aimé, faire part de ses doutes, se mettre en scène sans complaisance, mais passé la curiosité, l’empathie naturelle, il faut reconnaître que la démarche ne va guère plus loin qu’un appel à la sympathie, qu’un appel à l’aide. Et le spectateur se doit d’être égoïste : c’est l’auteur qui va vers lui pour donner ce dont il a besoin, pas le contraire.

J’imagine toutefois que beaucoup y verront une chronique émouvante d’un artiste dans le doute, d’un homme seul ne vivant plus qu’avec ses douleurs, ses angoisses, ses faux pas assumés… Seulement en réalité, cet Almodovar-là fantasmé, décrit et autofictionné, il n’est pas tant que ça à plaindre : il n’est pas si seul que ça puisqu’on le demande partout dans le monde, des amis veillent sur lui et cherchent à le voir, des rétrospectives (qu’il boude) lui sont consacrées, les médecins sont aux petits soins avec lui… Être Pedro Almodovar n’est pas suffisant pour m’émouvoir de ce côté-là.

Allez, reparle-nous à nouveau de toi, Pedro, mais à travers les autres, et surtout, surtout, à travers les femmes. Des femmes de caractère ou des travelos fiers de l’être. Pas des petites douceurs maquillées en “ploucs”. C’est ce cinéma-là de toi qui me manque. De vraies histoires qui nous parlent de nous, de nos différences, de nos excès, des limites de notre tolérance, et qui est au fond un hymne à la vie. Parce qu’ici, on a un peu l’impression que pour toi, la vie, c’était hier, et qu’aujourd’hui n’est plus qu’un enfer.


 


 

 

 

 

 

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