Hotel Imperial, Mauritz Stiller (1927)

Hotel Imperial

Hotel Imperial
Année : 1927

Réalisation :

Mauritz Stiller

Avec :

Pola Negri
James Hall
George Siegmann

8/10  

Meilleure que la version de Robert Forley.

On croirait voir un mixte étrange de deux films de Josef von Sternberg : Underworld (pour le bonhomme crasseux qui devient tout d’un coup le plus beau gominé de la terre) et The Last Command (pour le général jouant son petit caporal capricieux).

L’histoire me laisse toujours un peu sceptique (trop beau pour être vrai, trop cloisonné sans jouer sur les avantages d’un espace clos), mais la mise en œuvre du pionnier suédois passé à Hollywood, c’est chapeau. Mauritz Stiller est un maître en matière de montage, de mouvements de caméra et de surimpression. Et comme il n’est pas manchot non plus pour diriger des acteurs (c’est un ancien acteur, comme par hasard, lui n’était pas critique) ça donne des films parfaitement menés de bout en bout. Il y a de ces travellings avant ou arrière notamment qui feraient presque chialer Kubrick tellement c’est beau.

Pola Negri est plus belle que chez Lubitsch… Ces yeux clairs, cette intelligence, cette autorité… Impériale.


Hotel Imperial, Mauritz Stiller 1927 | Paramount Pictures

 



Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1927

Liens externes :


La Phalène d’argent, Dorothy Arzner (1933)

Dorothy au Merveilleux Pays Ozthèk

Note : 2.5 sur 5.

La Phalène d’argent

Titre original : Christopher Strong

Année : 1933

Réalisation : Dorothy Arzner

Avec : Katharine Hepburn, Colin Clive, Billie Burke

Soirée assez affligeante à la Cinémathèque où les tentatives d’hommages à une cinéaste médiocre tournent à la rencontre politique. Exemple parfait du « quand on fait un effort pour se mouler dans le politiquement correct, on prend le risque d’un retour de bâton plutôt inattendu ».

Comment défendre une cinéaste médiocre, comment la présenter ? C’est que des auteurs médiocres, il y en a de présentés tous les jours à la Cinémathèque, on en fait même des soirées spéciales le vendredi. Seulement là, parce qu’il faut contenter quelques militants qui veulent forcer, biaiser, l’histoire (du cinéma) on se trouve tout con à présenter une réalisatrice anecdotique (et ce n’est pas une critique quand on s’intéresse à l’histoire du cinéma) comme on présente les meilleurs cinéastes du siècle.

On évoque l’histoire, son rôle. On en vient, forcément, à rappeler que les principaux réalisateurs de l’époque, et donc Arzner, ne sont que des employés au service de studio, que leur apport créatif est parfois mineur, et enfin que la notion d’auteur est plus que discutable, sinon anachronique… Tout ce qu’on pourrait se permettre de dire avec n’importe quel autre cinéaste. Et là, on se fait taper sur les doigts parce que non, mon Dieu non, une femme cinéaste, ça ne peut être qu’une artiste opprimée, une auteure de talent dont l’importance n’a été que minimisée depuis des décennies par ces machos d’historiens du cinéma.

Ces militants, qui ont sifflé en présentation l’auteur du billet de présentation, et qui n’iront probablement pas voir les autres chefs-d’œuvre de la rétrospective, et qui, belle ironie ont applaudi à la fin de ce qu’il faut bien appeler une merdasse follement conventionnelle, ils y connaissent quoi aux films de cette période, ou même au cinéma ? Ça se sentait très vite, les lieux n’étaient pas fréquentés par des habitués. Ces gens-là ne sont pas des cinéphiles mais des agitateurs.

Quand on milite, quelles que soient ses idées, c’est assez con de miser sur le mauvais cheval. Et je ne dis pas ça pour Katharine Hepburn, parce que précisément, s’il fallait faire une rétrospective sur une femme, ou un “genre”, qui a eu une importance dans le cinéma à cette période charnière, à la naissance du parlant à Hollywood, c’est précisément sur Hepburn, précisément sur une de ces actrices au fort caractère qui a montré la voie à travers l’écran à de millions d’autres.

Le soft power féministe il était là, à l’écran, son génie nous explosait à la gueule. Et tout ce que ces imbéciles voient, ce n’est que le talent (sic, raclement de gorge) de Dorothy Arzner. Que tous ceux-là réclament des rétrospectives de ces stars féminines du muet et des années 30 avant que le code foute tout ça à la poubelle, parce qu’on ne biaise pas l’histoire, et l’histoire c’est là qu’elle s’est faite. Faut pas être cinéphile pour reconnaître du talent à une réalisatrice sans envergure et pour reconnaître que la seule chose qui sauve le film du navet total c’est bien la présence d’une des plus grandes actrices du XXᵉ siècle. Encore jeunette et déjà une autorité naturelle, une présence sans faille, des nuances grinçantes qui vous empêche de détourner les yeux, une intelligence de chaque instant… bref, un génie. Elle aura sa rétro, elle ? Est-ce que les militants en ont seulement quelque chose à foutre ou est-ce qu’ils sont tellement biaisés par les considérations auteuristes de l’époque qu’ils ne peuvent croire qu’il n’y ait et qu’il n’y a toujours eu que les “réalisateurs” qui ont compté ? Parce que sinon, une rétrospective Leni Riefenstahl, pourquoi pas. S’il faut que ce soit des femmes autant qu’elles aient du talent et que leur poids historique dans l’histoire soit significatif.

Ah, on rira quand dans un siècle, les mêmes iront chercher le nom des réalisatrices dans les épisodes de séries TV. La série TV, grosse machine artisanale où tant de réalisateurs/trices sont passés…

C’était d’autant plus ironique, qu’au point de vue purement créatif, je parle de la réalisation, tout le travail un peu original, a été effectué par un homme, Slavko Vorkapich, avec ses fameux effets de transition (un peu datés d’ailleurs).

Et quel sort réserve-t-on à une autre femme qui pourrait tout autant voire plus faire figure ici « d’auteure » : la scénariste attitrée d’Arzner, Zoe Akins ? Rien que dalle. Sans doute parce qu’il y a pire que d’être une femme cinéaste dans l’échelle des valeurs, ou du pouvoir, ou de la biaisatitude, c’est d’être une femme scénariste, qui plus est homosexuelle, qui se tapait la metteur en scène. Qui porte la culotte ? qui est l’auteure entre celle qui écrit dans l’ombre et l’autre qui plante sa caméra comme il faut dans un studio ?…

Tout cela n’a aucun sens. Dans un film de studio, l’auteur, c’est le studio, point. Tous les collaborateurs sont des pions. En revanche, le pouvoir à l’écran des acteurs (et donc des actrices), il est bien réel, parce que c’est à eux que les spectateurs s’identifieront. Qu’une femme soit derrière la caméra, ça n’aura rien changé à la condition de la femme au cours du XXᵉ siècle. Ces actrices de Hollywood, donc de studio, et pas forcément américaines, du muet jusqu’à l’instauration du code, elles, elles ont changé la face du monde et ont participé au seul véritable pouvoir capable de changer au moins la donne, de donner la direction : le soft power. Le véritable pouvoir il est là, chers militants. Il est sur pellicule, pas derrière la caméra. C’est de la culture, chose étrange, à laquelle ces zouaves n’ont que foutre, précisément parce que l’art n’a pas de sexe. Ça se dit comment, ça, soft power en langage politiquement correct ? Ça ne se dit pas. Ça se voit. Et certains n’ont donc rien vu ce soir de Katharine Hepburn. Se promener un 14 juillet 89 à Paris, rêver de liberté et d’égalité, et ne rien savoir de ce qui se passe à la Bastille. Ça s’appelle militer les yeux bander, ou se pavaner avec un t-shirt Che parce que la rébellion est à la mode. Artifice, mon amour.

Merci, au revoir, ceux-là, on ne les reverra plus pour le reste de la rétro.

Ah, et le film ? ben, le film est nul, mais ce n’est pas forcément du fait de son admirable « auteure ».


Quelques images, de qualité médiocre comme le film, de la bande-annonce pour vous sustenter avant d’aller voir ailleurs :

 

La Phalène d’argent, Dorothy Arzner 1933, Christopher Strong | RKO


Liens externes :


Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche, Gregory La Cava (1933)

Nul prophète à la Maison-Blanche

Note : 2.5 sur 5.

Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche

Titre original : Gabriel Over the White House

Année : 1933

Réalisation : Gregory La Cava

Avec : Walter Huston, Karen Morley, Franchot Tone

Les deux premiers actes sont très bons (le premier au niveau des dialogues et de l’humour, le second pour la mise en place de petites idées utopistes du président), malheureusement, le troisième est une sorte de discours du Rebelle illustré par des maoïstes intégristes… Une demi-heure de conneries sans nom, propagandiste d’un autre temps, à coup de « on va faire la guerre à tous les méchants de la planète, nous, la race anglo-saxonne, parce qu’on n’arrive pas à nous mettre d’accord avec les autres, ces sous-développés ; on va leur montrer combien le christianisme va sauver le monde »…

Rarement vu un film se vautrer à ce point en commençant fort et finir ainsi dans la boue. Ne jamais faire confiance à des artistes pour trouver des solutions aux problèmes du monde. Toutes les utopies mènent à une forme de fascisme…

Reste les acteurs formidables et une mise en scène efficace. À se demander pourquoi Franchot Tone et Karen Morley ne sont pas devenus de véritables stars à cette époque. Leur talent est indéniable et ils sont tous deux plutôt charmants… Un petit côté trop lisse peut-être pour l’époque, un manque de fantaisie. On loue plutôt, pour franchir cette ultime marche de la gloire, l’impertinence, voire la sauvagerie ou un côté tendant franchement vers la screwball. Trop sages, trop policés. Soit. Mais avoir de tels seconds rôles dans une distribution, c’est un luxe. Dommage de les y voir dans un film qui les oublie trop vite.

Il est à noter aussi que cette rétrospective « élections américaines » à la Cinémathèque (en réalité plus une rétrospective sur la politique américaine) permet assez bien de pointer du doigt les errances jamais irrésolues d’un système en politique et cela quel qu’il soit. Depuis les Grecs (qui avaient inventé ce qui se rapproche le plus de la démocratie directe), les mêmes constats, le même espoir d’un monde meilleur, et toujours la nécessité de se résoudre à une seule conclusion : le monde évolue, change, progresse sans doute dans un sens sans qu’on sache souvent vers où, mais il avance seul, poussé par des forces souterraines qui sont presque toujours issues de la société civile ; le progrès, s’il existe, est presque toujours à mettre au crédit des avancées scientifiques, médicales ou technologiques. Aucune utopie n’a jamais fait la preuve de sa capacité à promouvoir le bien-être, le progrès ou le bonheur pour tous. Peut-être parce que justement, le monde et le progrès ne se nourrissent pas de bonnes intentions, et parce qu’aucun « programme » ne saurait satisfaire l’ensemble des populations ou « lutter » pour un hypothétique bien commun.


 

Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche, Gregory La Cava 1933 | Le Président dictateur, Gabriel Over the White House | Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer


Liens externes :


Crépuscule de gloire, Josef von Sternberg (1928)

Crépuscule de gloire

The Last Command

Note : 4.5 sur 5.

Crépuscule de gloire

Titre original : The Last Command

Année : 1928

Réalisation : Josef von Sternberg

Avec : Emil Jannings, Evelyn Brent, William Powell

— TOP FILMS

(Quelle bonne idée de proposer à la Cinémathèque des œuvres sans accompagnement… L’utilisation de guitares électriques et de bruitages suspects proposés pour la projection des Nuits de Chicago était déjà bien limite, là ça tourne un peu à la farce…)

La revoyure a au moins eu le mérite de pointer du doigt le gros point faible du film. Le flash-back, l’essentiel du film, en Russie, est chiant à mourir. Tout tient en fait dans les quelques scènes du début où on oppose dans un montage parallèle un figurant au bord de la rupture et un réalisateur en quête d’un acteur pour un personnage de général russe ; et bien plus encore dans les dernières scènes où la rencontre se fait. Un jeu de miroirs plutôt embarrassant et pathétique. On loue souvent la performance de Emil Jannings, mais je n’ai vu pour ma part que William Powell. Toute la classe, le charisme, la flamboyance du futur acteur de Godfrey, de The Thin Man ou du Grand Ziegfleld, sont déjà là. Tout dans le regard, une sévérité pour happer d’un coup le spectateur, une rectitude qui lui donne l’impassibilité et le flegme de la noblesse, et puis soudain, l’œil qui se fait plus attendri, plus pensif, signe d’une humanité contenue. Là est la véritable bienveillance, celle qu’on accorde à ses prochains par petits gestes, loin des projecteurs et de la foule ; là est le génie de William Powell. Et pourtant, il parle. Aussi.

Un peu maigre pour faire un film. Seule l’anecdote tient la route, et au milieu, l’histoire d’amour paraît un peu accessoire et difficile à croire. C’est rare, mais parfois, il suffit d’un début et d’une fin. L’idée est tellement généreuse que je peux fermer les yeux sur les défauts de cette histoire.

Josef, sinon, dans ses œuvres. Encore et toujours des travellings d’accompagnement, latéraux ou dans l’axe, parfois simplement pour décrire une foule…


 

Crépuscule de gloire, Josef von Sternberg 1928 The Last Command | Paramount

Vu le : 5 février 2014

Revu le 16 septembre 2016 (tek)


Sur La Saveur des goûts amers :

— TOP FILMS

Les Indispensables du cinéma 1928

Liens externes :


L’Impératrice rouge, Josef von Sternberg (1934)

Crème anglaise

Note : 4.5 sur 5.

L’Impératrice rouge

Titre original : The Scarlet Empress

Année : 1934

Réalisation : Josef von Sternberg

Avec : Marlene Dietrich, John Lodge, Sam Jaffe, C. Aubrey Smith, Gavin Gordon, Louise Dresser

— TOP FILMS

Montagnes de chantilly garnies au foin d’étable, fauteuils en plâtre rehaussés de gargouilles eisensteiniennes, blanc de poulet ou jambon d’anchois trempé à l’huile de coude, nuages de lait frappés aux éclats d’albâtre, diamants distribués comme des perles de reine, neiges au bois dormant sur tronc laqué et houppier pelé, ermitages sur coulis de béchamel, feuilletés d’oie croustillant au blanc des yeux, marengos crevés à la purée d’hiver, poudre de riz sur perruque en cascade, viennoiseries baignées sous une poudreuse de retraite, berlingots pochés au foutre de canard, poussières d’albumine sublimées en bokeh d’argent, mousselines de lumières kaléidoscopiques, sucre glace en rab ou à foison, garnison on duty pour la reine buissonnière… je retrouve à ce second visionnage le même festin baroque et blanchâtre que j’y avais trouvé au premier : L’Impératrice rouge, c’est l’éléphant blanc de Josef von Sternberg. Son joyau, son froufrou, qui vaut d’abord pour sa radicalité éclairée au fer-blanc. Non pas un blanc à La Passion de Jeanne d’Arc, mais un blanc habillé de noir qui ne sert ici qu’à le rehausser. Car si dans un film noir ou dans le cinéma expressionniste, tout tend à rendre l’atmosphère oppressante et mystérieuse, à travers ses noirs (ces gouffres qu’osent à peine éclairer les quadrilatères de lumière), dans L’Impératrice rouge, c’est bien tout le contraire qui y est suggéré. Au loin le cinéma expressionniste ; ici, l’enluminure. Faute de couleurs, les noirs servent le relief. Peut-être un seul autre film réussira à produire sur pellicule ce que Gustave Doré pouvait proposer dans ses illustrations : La Belle et la Bête, de Jean Cocteau.

Alors, ces excès baroques et lumineux demeurent, mais à la revoyure, un aspect du film qui m’avait le plus surpris il y a trois ans semble ne plus coller aussi parfaitement qu’il le devrait : son humour. On pourrait s’amuser à rapprocher ce style aux fantaisies « bon marché » d’Ernst Lubitsch de sa période allemande, en particulier trois de ses films tournés en 1919 : La Poupée, La Princesse aux huîtres et Madame DuBarry. Le grotesque et la démesure des décors y sont bien présents, et en ce qui concerne précisément l’humour, von Sternberg, s’il joue parfois plus des yeux roulés sous les aisselles que des lignes de dialogues comme il le devrait, il trouve avec ce Scarlet Empress un ton humoristique qu’on retrouve rarement à ma connaissance dans ses autres films. L’effet de surprise en moins, sans doute, les répliques font moins mouche. Rien d’étrange toutefois d’y trouver un lien avec Ernst Lubitsch, les deux cinéastes partageant à l’époque les services d’un des plus prolifiques et talentueux art directors d’Hollywood pour le compte de la Paramount : Hans Dreier. Il se pourrait donc bien que la sophistication de nombreux films de l’un et de l’autre soit pour beaucoup à y mettre au crédit d’une certaine Dreier’s touch. (Billy Wilder fera également appel à lui plus tard pour quelques-uns de ses meilleurs films.) Il y a une époque où le cinéma pouvait mêler efficacement glamour et humour ; une époque où toutes les meilleures viennoiseries d’Europe se sont répandues en poudre d’or sur le cinéma américain…

Autre mauvaise surprise, l’emploi un peu abusif des montages-séquences. C’est aussi dans ces séquences que toute la démesure baroque du cinéaste peut s’exprimer, pourtant la sophistication paresseuse du montage paraît un peu pâlotte face à l’exubérance et la créativité sans limites des décors. Le procédé est très utilisé à l’époque pour condenser l’action, jouer d’ellipses et accélérer le rythme, mais la volonté d’user du procédé pour le même type de séquences, souvent aussi de préférer la musique aux lignes de dialogues pour faire avancer l’action, finit par être lassant (un peu comme dans un bon film d’Eisenstein). Pas au point de friser l’indigestion, certes, mais attention aux dégâts lors du prochain visionnage.

Restera l’essentiel, une pièce montée sur une île flottante qui jamais ne chavire, quelques répliques dignes des Marx Brothers, une audace permanente et un style qui flirte entre les lignes : on espérerait peut-être voir un mélodrame historique avec Greta Garbo et l’insolence de Marlene Dietrich (à l’image encore d’une Ossi Oswalda dans les films précités de Lubitsch) semble être là pour rappeler qu’on ne se prend jamais au sérieux. Au lieu d’assister à l’ascension un peu ronflante de la Grande Catherine, Josef von Sternberg nous propose l’ascension d’une femme commençant sa trajectoire en It girl (il avait participé à l’adaptation en 1927 avec Clara Bow de It) pour la finir quasiment en femme fatale. Au niveau du style, le passage du mélo non consommé au burlesque retenu, malgré les dernières réserves, offre tout du long une impression d’unité et une cohérence peu évidente à trouver. Un peu comme arriver à faire monter ses yeux en neige tout en espérant se regarder dans le blanc des œufs sans broncher… L’écueil, comme souvent dans ce genre d’exercices, c’est de trouver des acteurs pour jouer la même partition. Josef von Sternberg est loin d’être un grand directeur d’acteurs, mais la mayonnaise a pris et ça tient toujours.

L’Impératrice rouge est l’un de ces miracles inexplicables qui constellent l’histoire du cinéma. Rien ne ressemble à L’Impératrice rouge ; tout juste peut-on lui trouver des aînés et des descendants (certaines adaptations shakespeariennes de Orson Welles, quelques films de Peter Greenaway ou de Ken Russell) ; et assez peu de rapport avec une autre démesure, plus sombre, plus tragique, des films muets de Josef von Sternberg. Un miracle. Une île flottante pour quelques déserteurs endormis, gourmands d’aventures étranges et baroques.

Surtout, laissons la lumière allumée.


L’Impératrice rouge, Josef von Sternberg 1934 The Scarlet Empress | Paramount


Vu en janvier 2013 (A-) ; revu le 31 août 2016 (9)

Les Faubourgs de New York, Raoul Walsh (1933)

Les Faubourgs du temps

Les Faubourgs de New York

Note : 3 sur 5.

Titre original : The Bowery

Année : 1933

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Wallace Beery, George Raft, Jackie Cooper, Fay Wray

C’est une période méconnue du cinéma. 1933, on pense d’abord aux films de gangsters, aux comédies de Capra, des Marx brothers, à Lubitsch… Que du grand classique aujourd’hui. Là, il faut l’avouer, même si Walsh n’est pas un inconnu, ça reste assez obscur. J’ai déjà évoqué le cas de ces deux acteurs que sont Wallace Beery et George Raft. Deux stars oubliées de ces années 30… Le problème, c’est qu’on les retrouve tous les deux à l’affiche… Il manque la star qui se serait extirpée de ces folles années 30.

Par ailleurs, le film est plutôt réussi. Si Beery joue le rôle qui le caractérise dans ses nombreux seconds rôles, j’ai découvert Raft, ici, dans une comédie. Il est assez remarquable dans une composition forcément beaucoup moins en retenue que dans un film de gangsters (pré-noir aux ambiances lourdes, au jeu intense et plein d’autorité). Si on dit d’ailleurs que Hitler aurait piqué à Chaplin sa moustache pour se rendre plus sympathique, il pourrait avoir emprunté à Raft ses jeux de mains, ses saluts presque de dandys (même si Raft y ajoutait quelques pirouettes assez représentatives du jeu burlesque de l’époque).

Dommage que ces deux acteurs n’aient pas la même renommée aujourd’hui que des acteurs similaires comme Laurel et Hardy pour Beery ; et Edward G. Robinson, James Cagney pour Raft. C’est quoi le problème ? Ils ont parfois joué les seconds rôles et ils n’ont pas passé les 40’s. Il est vrai qu’en France, on a été privé des films us pendant la guerre et on a mangé tout d’un coup les films de cette période, or ni l’un ni l’autre ne semblaient être dans les bons coups et finiront par ne plus avoir ce statut de star… La période d’avant-guerre était loin, un autre monde. Pas beaucoup de chefs-d’œuvre vus d’Europe, et ce n’est pas celui-ci qui changera la donne. En France, les stars dont on se souvient, sont celles qui tournent avec les grands metteurs en scène. Walsh en est un, mais on n’est pas dans sa période, et on le relie assez peu aux comédies… Si en plus, on a droit à des acteurs qui ne dépasseront pas les 40’s, on aura vite fait d’oublier tout ça.

Je reviens au film. L’histoire ne ressemble en rien à ce que Walsh fera par la suite (pas vu les muets qui précèdent). Pas vraiment une comédie fine, le burlesque n’est pas loin. On est dans une tradition du music-hall, à la Broadway. Le but est clairement de divertir, de faire rire. La réussite du film tient dans l’opposition entre ces deux acteurs aussi différents l’un que l’autre (Beery est rustre, Raft est distingué). Il y a aussi la découverte du Manhattan de la fin du XIXᵉ siècle. Le Bowery était un des quartiers de New York. Le personnage de Raft, Steve Brodie appartient au folklore new-yorkais. Les deux hommes se disputent le pouvoir dans le quartier, tous deux fricotant dans pas mal d’affaires douteuses. C’est Gangs of New York avant l’heure (plus récent dans l’histoire new-yorkaise aussi). Beery tient d’abord le Bowery, puis Raft, après avoir gagné son pari : survivre à sa chute depuis le pont de Brooklyn. Un exploit qui fera sa renommée, le rendra riche, et donc, lui ouvrira les portes de la ville. Viennent se mêler à eux deux autres personnages : la femme éperdue qui tombe amoureuse de tout ce qui bouge (magnifique Fay Wray, l’année de King Kong), logiquement tiraillée entre l’un et l’autre ; et le jeune gosse des rues recueilli par Beery mais jalousant le nouvel amour que Beery porte à Fay Wray (c’est déjà Jackie Cooper, éternel complice de Beery, que ce soit dans Le Champion ou dans L’Île au trésor). Si le film est un peu oublié aujourd’hui, en dehors du fait que ce n’est pas un grand film, c’est peut-être un peu aussi à cause de ce sujet. Hollywood a finalement assez peu traité cette période côté est, pourtant complètement folle. Parce que cette histoire, si elle peut paraître saugrenue est pourtant historique. Les zozos comme ce Steve Brodie, capables des pires paris, n’étaient pas rares. Dans des villes grouillantes, sans télévision, sans cinéma, sans téléphone, chaque grande ville était un monde à part, et on pouvait se faire une renommée très vite, dans la rue, avec de tels exploits, grâce à la puissance du média de l’époque, la presse. Ces faubourgs de New York, c’est déjà Gotham city. Et il faut noter tout de même que si cet univers du fin de siècle n’a pas perduré dans l’imaginaire de ce côté de l’Atlantique, il est encore présent aux États-Unis, et ça se remarque dans le langage et l’imaginaire collectif. Brodie semble en faire partie, tout comme Houdini, très présent dans cet imaginaire et qui est une autre star immense de l’époque, oubliée de la culture populaire de part chez nous. C’est comme si toute cette époque était passée au brain-walshing

Bref, si le film n’est pas extraordinaire, le contexte de l’époque, son univers, est une véritable découverte. Dans un monde d’images, il est parfois difficile d’imaginer qu’il y a eu un monde, grouillant, avant le parlant, et même, avant la généralisation des images de cinéma. Curieusement, c’est comme si en captant la vie à travers une caméra, en étant capable de la reproduire des années après, on avait compris combien elle était précieuse. Des folies comme celles de sauter du pont de Brooklyn, on les verra encore au temps du muet ; Keaton nous l’a montré. Ensuite, le pouvoir des images semble avoir fait son chemin, la boucherie de la guerre aussi sans doute, et les progrès de la médecine, et la conception de la valeur de la vie a radicalement changé. Monde étrange… Et j’en reviens à ma première idée. Les stars qui disparaissent et qui restent d’une époque à l’autre. L’histoire du cinéma, comme l’histoire tout court d’ailleurs, est toujours interprétée selon la vision contemporaine des choses… Le contexte, les goûts, les attentes d’une époque sont difficilement appréciables. Seuls restent les faits, alors que curieusement, aux moments où ils se produisent, on est beaucoup plus sensible à l’apparence des choses et aux résistances du passé (ces idées reçues, ces habitudes, ces usages, ces modes de pensée qui perdurent une génération tout au plus et disparaissent, le temps de la mémoire d’un homme, d’une vie, d’une transmission — on sait ce que pensent nos parents, mais nos grands-parents ? non, c’est oublié). Alors oui, il est difficile de s’imaginer Wallace Beery et George Raft comme d’immenses stars… à une époque où Bogart, qui est lui resté dans notre mémoire collective, venait bien après Raft à l’affiche. Avant de courir après un faucon maltais ou de tomber d’un grand sommeil, Bogart était un acteur de second plan. Il s’est fait un nom en reprenant les rôles que les stars de l’époque refusaient. Les goûts, les codes, évoluent, et Bogart a profité d’un de ces basculements. Était-il meilleur acteur ? Était-il plus populaire ? Non, les goûts ont changé, et les rôles que d’autres refusaient parce que les histoires ne correspondaient pas à l’air du temps, il les a interprétés. Un immense coup de bol d’être dans la mouvance des choses. L’ancienne star, George Raft, n’est rien dans l’imaginaire des gens, quand l’autre est une icône… Derrière la grande scène éclairée de l’histoire, il y a toujours des faubourgs, des héros oubliés, qui portent ceux placés au sommet de la vague. On ne retient que l’écume, que les lumières de la ville, mais derrière, il y a un océan tout entier. Voyez, George Raft sur son rafiot ! il n’a plus de voile ! Et nous on avance, on avance, et on oublie. Bientôt aussi Bogart lâchera prise…


Les Faubourgs de New York, Raoul Walsh 1933 The Bowery | 20th Century Pictures

 


Liens externes :


Sabotage à Berlin, Raoul Walsh (1942)

Sabotage à Berlin

Desperate journey Année : 1942

Réalisation :

Raoul Walsh

7/10  IMDb

De l’action et encore de l’action. Ça n’arrête pas.

Un groupe d’aviateurs part d’Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale pour lancer une bombe sur une voie ferrée à l’est de l’Allemagne. Ils se font repérer et leur avion se crashe. S’ensuit alors une longue course-poursuite avec les Allemands. Au fil des aventures, ils perdent leurs amis et rencontre « une bonne allemande ». Seuls arrivent à s’échapper en héros Errol Flynn, Ronald Reagan (excellent acteur franchement, en tout cas, son personnage l’est), et Arthur Kennedy (acteur de western et le reporter bien plus tard dans Lawrence d’Arabie).

Vraiment divertissant.


Sabotage à Berlin, Raoul Walsh 1942 | Warner Bros.