Petit organon sur le snobisme

Sindbad, Zoltan Huszarik 1971 Szindbad | Mafilm

——— Snobisme du spectateur ———

La tolérance des goûts, avis, subjectivités, appréciations, compréhensions, expériences de chacun va également jusqu’à ne pas interdire qui que ce soit à traduire ce qu’il pense par un simple « c’est de la merde ! ». Parce que le snobisme, ça commence un peu là.

En gros, à mon sens, il y a deux types de snobs. Celui qui ne comprend pas, et par conséquent, méprise le goût (pour faire simple) de l’autre ; et celui qui a honte de ses propres goûts et s’adapte à son entourage, son groupe, en se conformant à l’idée de ce qu’il faut dire et aimer. Quand on se félicite par exemple d’avoir « succombé à la tentation » et de ne pas assumer, il y a bien ici une question de honte et de critique de sa propre perception de ce que l’on voit et on est bien dans une forme de snobisme.

Pour le snobisme plus courant de première catégorie, celui du mépris du goût de l’autre, il partage avec le racisme certains schémas de pensée. Comme pour le racisme, on ferait fausse route à mon avis si on cherche à combattre frontalement ce snobisme (ou donc le racisme, ou le mépris…) en s’offusquant comme si c’était « le mal » et qu’il suffisait de se respecter pour que le monde des goûts et des couleurs soit un paradis… Le mépris est issu principalement de l’écart énorme existant entre deux vues différentes ; tellement différentes qu’elles semblent opposées et irréconciliables. Le problème, c’est que si on prend une posture outragée et qu’on balance un gros « c’est mes goûts, t’as les tiens, basta, on en reste là », on n’est pas loin de refourguer le mépris à celui qui vient de nous l’envoyer à la face. Chacun dans son coin se méprise avec joie, persuadé de sa « supériorité » sur le « camp » d’en face. C’est un réflexe compréhensif, mais un type, un jour, il y a longtemps, a dit que la haine engendrait la haine (et puis…, j’ai oublié mon texte). Bref, il faut faire comme Laurie et positiver : « Ah, c’est cool ça, on a des goûts tellement différents ! Comme c’est amusant ! Tu ne veux pas que l’on compare et que l’on rigole cinq minutes ? » Une discussion peut alors se mettre en place et aussi étrange que cela puisse paraître, on entre dans l’univers de l’autre, on comprend ses attentes, ses priorités et ses goûts.

Pour résumer. Ne pas taper sur ceux qui prennent le temps (très court) de dire que « c’est de la merde !… merde. » Assumer (comme disait le Commandant Cocteau « assume tes goûts de chiottes, c’est toi »). C’est à chacun de poser les limites. Il n’y a aucun mal, si on accepte que chacun ait ses goûts, que certains décident de se fabriquer un petit univers et négligent tout ce qui en est extérieur (et si on vient à rencontrer un métalleux objectant à Laurie — la philosophe — que c’est de la merde, bah, c’est celui qui le dit qui l’est).

C’est parfois difficile de faire des efforts d’ouverture (ou de relativisme), mais on ne peut pas à étendre son champ d’appréciation, partir à la découverte de tout et n’importe quoi, si on circonscrit trop précisément ce qu’il serait légitime d’apprécier ou non. Aimer et détester, c’est aussi affirmer sa personnalité, et jusqu’à un certain point, il faut aussi que cela puisse s’exprimer. Il y a un confort à partager les mêmes choses avec certaines personnes, et on peut se lasser à évoluer dans un univers où personne ne partagerait nos goûts. Si on décide de négliger quelque chose, donner un peu de mépris à une forme, un style, voire à ceux qui y trouvent leur bonheur, c’est une pincée de snobisme qui ne fait pas vraiment de tort. C’est comme les cons, on est toujours sans doute un peu un snob pour quelqu’un. Il faut l’accepter si on reste dans une certaine mesure. Parmi tous les amoureux de Twilight, combien feraient preuve du même snobisme à l’encontre d’autres (peut-être ceux, précisément, qui se seraient moqués de leurs goûts pour la saga) qui aimeraient, par exemple, John Ford ? Œil pour œil, dent pour dent ? Identifier l’autre comme snob, c’est déjà faire du snobisme. Quelqu’un rit de nos goûts ? Il faut assumer comme le Commandant Cocteau : c’est nous. J’aime Twilight ? Hell yeah ! J’aime Ford ? Oh, oui (rot). Et celui qui n’est pas d’accord, je lui éclate la rate, le traite de snob, d’intolérant, de pervers névropathe, de chewing-gum rigide, de Billy Elliott, de femme à barbe, et je lui dis que… que… même pas vrai !

Maintenant le risque, c’est de passer pour un idiot (ce qui peut toujours être un avantage quand on croise des cons). Et là, soit on est grand-seigneur en ignorant la remarque, soit on sort le miroir des révélations. Et pour cela, il faut préparer une arme de riposte.

— Non, mais t’es sérieuse, ton film préféré, c’est Love Actually ?!…

— Oh, oui !… J’hésite avec Super Blonde et Mulan, cela dit.

— Ah, oui, d’accord…

— Comment ça « d’accord » ? Tu aimes quoi, toi, par exemple ?

— Des bons films. Des films que tu ne connais pas.

— Balance toujours que je ris à mon tour.

— Non, mais tu ne dois pas connaître, moi je suis cinéphile. Je ne dis pas que tu n’es pas cinéphile, tout le monde a dans son entourage quelqu’un qui n’est pas cinéphile, je n’ai aucun problème avec ça. Tiens, j’ai même un pote, je suis sûr, il n’est pas cinéphile. Bah, je l’aime bien quand même. Bon… il est totalement idiot, mais…

— Ah, donc je n’y connais rien et je suis une idiote ? Avec trois titres de films, tu arrives à scanner ma personnalité et ma valeur marchande ?

— Nan, mais… y a pas de mal à ne pas être cinéphile…

— Très bien. Alors, cite-moi les films que, toi, tu apprécies. Ce sont des films expérimentaux, muets ?…

— Muet ? Ah, tu rigoles, c’est chiant les films muets. Ah si, Chaplin, c’est bien Chaplin. Tu connais, je suppose ?

— Les films muets…, chiants ? Tu en as vu au moins ? En dehors de Chaplin ? Parce que je n’en ai pas vu beaucoup, mais j’en ai vu un ou deux que j’adore.

— Sérieux…

— Sérieux, oui. Parce que moi je suis curieuse. J’aime les films que j’aime, ça me regarde. Et je peux aussi m’ouvrir à d’autres cinémas et aller au-delà de mes préjugés. Tu as vu Love Actually ?

— Le… heu…, nan, le film original, le muet ?

— Non, le film tout naze que l’idiote que je suis adore.

— Ah, oui, nan, en fait je ne l’ai pas vu.

— Donc, ce que tu es en train de me dire, c’est que tu es cinéphile, que tu te fais un avis sur les films sans les voir et sur les gens qui les apprécient, tu es incapable de me citer les films que toi tu apprécies et en plus de ça tu rechignes à voir des films muets parce que c’est chiant ?

— … Bah, oui, pis merde, c’est un noir et blanc…

— Ah.

— Oui, donc, heu…, tu peux me citer, toi, un film muet que tu as apprécié ? Hein ?

— La Jeune Fille au carton à chapeau. C’est génial. Ça parle d’une fille qui joue aux idiotes.


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