Quatre Étranges Cavaliers, Allan Dwan (1954)

Silver Western, ou le brouillard des illusions

Note : 4 sur 5.

Quatre Étranges Cavaliers

Titre original : Silver Lode

Année : 1954

Réalisation : Allan Dwan

Avec : John Payne, Lizabeth Scott, Dan Duryea

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Il est amusant de constater qu’on peut trouver dans un film de 1954 de l’un des pionniers d’Hollywood, au sein d’une obscure production RKO, autant de justesse dans l’interprétation de l’ensemble de sa distribution, et autant de « modernité » dans son approche du western. Dans un genre qui est en train de connaître son âge d’or, le recours au folklore et aux stéréotypes est un peu la règle (à en user toutes les ficelles jusqu’à en faire crever Hollywood quelques années plus tard, et de permettre l’éclosion brutale et éphémère du western italien, reprenant là où les Américains n’avaient pas osé aller, avec une course à la surenchère, aux effets et aux excès). Et voilà que Allan Dwan, pionnier parmi les pionniers donc, prend le contre-pied du cinéma dit « classique » pour en faire déjà, la même année que Vera Cruz, un western dit « moderne ».* Alors que le western servait jusque-là de terreau fertile à des histoires efficaces car simples et directes, voilà qu’il n’est plus qu’un décor comme un autre pour illustrer ce qu’il y a de plus trouble, de plus complexe, dans les rapports humains, dans le rapport de l’homme au monde. Seulement, Allan Dwan n’est pas Aldrich, il doit coller à l’image qu’on se fait de lui, celle de pionnier ayant dirigé Douglas Fairbanks dans le Robin des bois de 1922, et voilà que deux de ses westerns pourtant admirables sont aujourd’hui relativement oubliés : Le mariage est pour demain, et donc ces Quatre Étranges Cavaliers (pour les mêmes raisons, on privilégie les films noirs de Tourneur et on en oublie ses westerns).

Quatre Étranges Cavaliers, Allan Dwan (1954) Silver Lode | Benedict Bogeaus Production, RKO Radio Pictures

Quand on n’a pas de star, on soigne ses seconds rôles. Payne n’est pas vraiment une star et ici ceux qui tiennent le film, ce sont bien ces acteurs de seconde zone prouvant qu’ils ont tout des acteurs de premier plan. Un mal pour un bien, car une étonnante homogénéité se dégage de la distribution. John Payne est une sorte de grand frère obscur de James Stewart à qui manquerait le charme maladroit, ou l’assurance tout à coup boiteuse et guillerette de John Wayne. Payne reste de marbre, inflexible dans son imperméabilité toute mouillée, et offre imperceptiblement le même regard en coin, histoire de suggérer tout un panier d’expressions tout-en-un, de la menace, au désir, en passant par la méfiance, l’introspection ou la circonspection… Il est bon John, et en se contentant d’être Payne, il est ne fait pas d’ombre au reste de la distribution. Son génie, on dira. Ou celui de Dwan.

C’est qu’il faut du flair, de l’intelligence et du savoir-faire pour réunir toute une brochette d’acteurs de talent qui, jusqu’au moindre figurant, se moulent dans un même univers, un même ton. Certains aujourd’hui y verraient de la théâtralité, mais c’est qu’il faut bien envoyer de la réplique et savoir se mouvoir devant une caméra et évoluer parmi ses copains pour donner à voir, raconter une histoire. Le réalisme, contrairement à ce que peuvent rêver toute une flopée de critiques n’ayant jamais foutu les pieds sur une scène, n’est pas la réalité. Mais une illusion de la réalité, une reproduction. Le vrai est peu de chose au cinéma, il n’est qu’une illusion pour ceux qui se laissent tromper par les images. En revanche, la justesse est tout. Et voilà ce qui caractérise à la fois l’interprétation des acteurs, mais aussi la dimension, la saveur, le ton, la couleur… moderne que le réalisateur parvient à inoculer à son film. Pas de stars donc, mais des acteurs pleins d’assurance et d’autorité (à ne pas confondre avec l’autoritarisme des acteurs qui forcent, s’agitent, comme s’ils cherchaient où mener leur personnage, alors que ceux qui font preuve d’autorité — et ça peut concerner des personnages n’en ayant aucune — ne cherchent pas : ils ont déjà trouvé — le ton juste). C’est la marque des acteurs intelligents, aguerris, ceux qui ont acquis des certitudes dans l’expérience mais aussi une modestie dans l’approche d’un rôle. Certains préféreront dire que ces acteurs ont de la personnalité. On peut dire ça aussi oui, ça permet de nier tout le travail qu’il y a derrière, celui qui, pour le coup, n’a rien de moderne pour des critiques entichés de l’idée du vrai. Cette intelligence des acteurs, elle s’évertue pourtant, non pas à se mettre en avant, mais à se confondre dans une distribution pour, ensemble, proposer une vision… juste du monde qu’on veut représenter. C’est une combinaison d’intelligences et d’expériences mises au profit d’un même but. Un travail de collaboration, d’échanges, hérité de la scène, qui est à mille lieues de la notion d’auteur tant prisée par les critiques. Si Dwan dirige, donne le ton, ce n’est pas lui qui joue. Et il n’a pas plus écrit la partition de ce qu’il fait jouer, que programmé la lecture que devra s’en faire tout spectateur. Si le metteur en scène interprète ce qu’un scénariste, une histoire, lui apporte, pour trouver une cohérence, il en produit une qui restera le plus souvent étrangère aux spectateurs. Tout le reste est silence… ou au contraire, paroles vaines. Un film, à travers son « auteur », ne propose aucun discours clair. Dans une forme de discours indirect, peut-être, on pourrait dire que le cinéaste crée un discours montré. Mais montrer n’est pas dire. Et c’est bien pourquoi toute interprétation future ne saurait être autre chose que personnelle. Bref, tout ça pour souligner l’importance du rôle tenu par l’interprétation, sous toutes ses formes, et que cette interprétation est conditionnée par le savoir-faire, l’intelligence subtile, d’un metteur en scène et de sa bande d’acteurs, seuls capables de restituer, ensemble, et au mieux, la complexité d’une histoire. Si le film paraît si… moderne, ce n’est pas la volonté de « l’auteur » Dwan, mais bien la concordance de différents points de vue sur un sujet précis. Allan Dwan dirige, possède le dernier choix, mais il n’est pas l’auteur de son sujet. Derrière la volonté supposée d’un cinéaste, il y a avant tout une histoire, reposant sur des faits factuels et des personnages plus ou moins grossièrement dessinés. Si la trame peut difficilement être tordue (certains le font habilement pour faire correspondre une « morale de l’histoire » à leurs propres goûts, désirs et intentions), le rôle du cinéaste, à la manière d’un chef d’orchestre, est d’en faire ressortir la, ou une, cohérence. Cela reste l’orchestre qui joue et le compositeur qui compose.

Il faut donc, pour que tout ce petit monde puisse s’exprimer et tirer dans le même sens, une matière commune qui est l’histoire. La subtilité commence là. Le western est là, avec ses chevaux, sa ville isolée, ses shérifs, ses sales mioches, ses ivrognes, ses prostituées et ses filles bonnes à marier, pourtant c’était comme si tous les codes du genre étaient inversés. C’est là qu’est la subtilité, dans ce jeu (le meilleur proposé depuis Shakespeare) qui est celui des apparences. Faux-semblants, méprises, mensonges, vérités de plus en plus floues, arnaques, corrupteurs corrompus et corrompus corrupteurs… Rien n’est plus facilement identifiable. Ni noir ni blanc, ni même tout à fait gris. Le brouillard des illusions. Identifie-toi, Hamlet !

Ainsi, pas besoin de lever la voix. Pas de grands instants de bravoure. Ni ironie ni exubérance, ni folklore. La musique reste discrète, il faut presque la bousculer comme on réveille la fanfare, pour qu’elle s’y mette. Pas de coup d’éclat dans la mise en scène, pas d’esbroufe. L’éternelle modernité du classicisme en somme… Un classicisme de film noir. De ces films noirs qui s’affranchissent au mieux de l’inspiration expressionniste et qui se focalisent sur ses « héros ». Une forme d’incommunicabilité avant l’heure peut-être. Qui es-tu vraiment, John Payne ? Ou plutôt, Dan Ballard ? Si on n’échappe pas aux scènes de poursuite et de la confrontation finale, avant ça, on est dans un récit de type analytique. Comment faire moderne avec du vieux, messieurs les critiques ? Œdipe avait déjà tout vu (façon de parler). Ainsi, au lieu de suivre le développement d’une action en train de se nouer sous nos yeux, comme dans tout bon western qui se respecte (le western classique est une aventure, la chevauchée remplaçant l’odyssée hasardeuse d’Ulysse), les événements importants dont il sera question tout au long du film se sont passés deux ans auparavant. Tout le problème ici sera donc de démêler le vrai du faux, éviter d’abord le lynchage de ces quatre cavaliers venant arracher ce monsieur tout le monde qu’on imagine mal être l’auteur du crime dont on l’accuse, et puis échapper à ses bourreaux tout en s’efforçant de prouver son innocence.

Le poids du passé (la griffe du passé on pourrait dire) est un thème analytique (hum, moderne) qui est donc commun à la fois aux films noirs et à certains de ces westerns (noirs, ou modernes). Resitué dans un univers… moderne, citadin, on pourrait très bien y voir un film noir, et l’astuce aurait pu ne pas être claire pour tout le monde. Or, Allan Dwan (sans connaître pour autant le concept de « films noirs »), adapte, interprète donc, cette histoire comme s’il s’agissait d’un film noir. Il en adopte les codes, de la même manière que le film adopte certains codes du western classique pour les retourner. On reste dans le jeu des apparences, du trompe-l’œil (« Vous vous mettez le doigt dans l’Œil ! » pourrait nous souffler Œdipe, qui en a vu d’autres). Le Far West n’est donc qu’un prétexte, qu’un terrain de jeu pour montrer l’ambivalence et la complexité du monde. Tout le film baigne dans une atmosphère lugubre (boîte 32, étiquette c14 : « le western crépusculaire ») et bien sûr, pas la moindre ironie, l’instant est grave.

Les deux genres que sont le film noir et le western ont en commun l’une des grandes figures, ou cadre identifié, dans le rayon « personnages », en particulier au XXᵉ siècle, et pour laquelle la contribution de la culture us est indéniable : je nomme donc « l’antihéros ». (Mais est-ce que tout héros réussi n’a pas en lui déjà cette dimension souterraine sans quoi aucune force crédible ne serait capable, de l’intérieur, de le freiner, le pousser à renoncer à sa quête, à sa foi, à son devoir ?… l’antihéros en cela ne serait rien de plus qu’un héros, toujours, dans un stade, souvent long ou final, où il a cédé au désespoir et au renoncement, où il décide de ne plus se fier aux illusions — là encore, concept faussement objectif qui ne fait que rendre encore plus opaque ce qu’il prétend éclairer, cadrer, identifier).

La trame souvent dans ces « films noirs et désillusionnés » est presque invariablement la même : on use d’enjeux triviaux auxquels un enfant est déjà confronté. L’enfant n’est-il pas sans cesse confronté à sa propre culpabilité et ne teste-t-il pas en permanence les limites de la loi qu’on lui impose ? N’est-il pas tout de suite confronté à la justice et à l’injustice ? Au fond, si nous nous attachons si facilement à ces histoires, c’est qu’elles nous permettent, alors qu’enfant on en est toujours réduit à l’impuissance, de refuser une situation et de fuir. Le film noir et le western sont comme des toiles poreuses où se concentre et s’imbibe tous nos désirs contrariés : « Ah, si seulement on pouvait fuir ! échapper à ce monde qui ne semble être fait que d’infinies contrariétés et de fuir, fuir simplement ! » De quoi a-t-on besoin de plus pour faire un film… moderne (ou analytique, noir, dwanien ?…) qu’un faux coupable fuyant la justice des hommes, se refusant à son sort et tenter de remettre seul le monde en ordre ?

Voilà l’Amérique telle qu’on se la représente quand elle nous fascine. Celle qui cultive l’individualisme, où un homme se fait, se corrige, convainc tout seul et en dépit de tout le reste.

Seul, ou presque, car de cet apôtre de l’individualisme (dernière voie possible vers la rédemption), un seul personnage peut encore se rabaisser à lui proposer son aide, à avoir une foi indécrottable en lui : la prostituée. Le stéréotype est un archétype qui a mal tourné ; l’art n’est donc pas dans la nature (du personnage), mais dans la mesure. Pour que ce soit réussi, il faut que la prostituée malgré sa fonction se comporte en princesse (en opposition avec les femmes bien comme il faut qui n’ont rien de respectable). Elle doit aimer sincèrement mais pas aveuglément, elle doit être honnête et loyale pour représenter le seul recours possible digne d’être employé par le héros… Bref, l’image d’une mère, d’une icône, d’une sainte (d’une madeleine trempée dans le ✝)… Oui, disons…, une mère dans les bras de laquelle on pourrait chercher du soutien, quand l’autorité nous écrase et nous assaille. Elle est là l’Amérique. La liberté en porte-jarretelles. Celle qui compromet ses fesses mais pas sa rectitude. L’Amérique qui se couche tôt pour faire dresser les hommes et qui, en dépit de tout, reste droite dans ses bottes. Derrière tout self-made-man qui s’amollit se cache une pute qui l’endurcit. Les prostituées aussi préfèrent le noir… Oui, l’Amérique dans ce qu’elle a de meilleure. Celle des Lumières de l’Ouest.


*Concept censé se rapporter à une chronologie du cinéma américain qui serait passé d’un cinéma des espérances à celui de la désillusion. On aurait d’une part un basculement du classique au moderne avec Citizen Kane (et avec pendant et surtout après la guerre toute une vague des films sur le désenchantement, parfois des séries B que cette critique française nommera « films noirs »). Et de l’autre, une renaissance du western après le classicisme fordien, autour de deux réalisateurs à la fois de films noirs et de westerns, Jacques Tourneur et surtout Robert Aldrich (de manière assez tardive, autre cinéaste de la transversalité, on pourrait citer Hawks, à la fois auteur de films de gangsters, de films noirs, de westerns classiques et de westerns modernes…, une transversalité à la limite de l’horizontale, prêt à se coucher pour un rien, ce qui fera de lui l’étendard couché de « la politique des hauteurs »). Ce concept de modernité dans le western (et pas seulement), est donc hérité de cette formidable critique française (en particulier les Cahiers du cinéma), qui aime ranger les films, les réalisateurs, dans des boîtes, y foutre des étiquettes, et donc faire, dans une sorte d’auto-discrédit, le contraire de ce qu’elle loue justement dans ces films soi-disant « modernes » ; à savoir, définir des couleurs primaires, distinctes, selon qu’un film ou un cinéaste entre dans tel ou tel cadre (en fonction aussi d’une période ou d’une interprétation éminemment personnelle des motivations ou des intentions d’un « auteur »). Car cette modernité serait précisément l’absence de manichéisme, l’incapacité à livrer au spectateur les contours d’une fable moralisante, l’image nette d’un héros sans faille. En fait, rien n’est moderne et rien n’est classique. Tout cela est mêlé depuis des lustres, et la dualité, le désenchantement, a toujours été une part importante du cinéma hollywoodien comme de n’importe quelle culture… Modernité, et ton cul…

Toute posture est une imposture. On commence par identifier des formes, à percevoir une dialectique derrière les images, on classe, et au final on ne comprend plus rien même si tout donne l’apparence d’une cohérence. Un monstre, point. Parce que dire que les Quatre Étranges Cavaliers possède à la fois les particularités du western et du film noir et qu’on en fait selon toute logique un « western noir », on a raison jusqu’à un certain point. Chercher à comprendre, c’est discriminer ; discriminer, c’est exclure, et exclure, c’est (se) tromper. À force de modeler une image de ce qu’on veut comprendre, on ne fait rien d’autre que constituer une image de ce qu’on veut voir. Un peu comme les faux souvenirs. Est-ce que parler de « western noir » définit et aide à situer le film ? Ça aide certainement à poser des concepts « durs » sur une perception du monde ou de l’esthétisme qui ne peuvent être que flous. À force d’identifier, on se fie à ce qu’on dit ou sait, et non à ce qu’on voit ou expérimente. Voyons donc chaque film, d’abord, comme une expérience unique. Les outils de classification peuvent servir et sont nécessaires, mais il ne faut pas s’en rendre esclave : les jalons, les mouvements, les définitions, sont d’abord des utilités, une fois qu’on les possède, il faut s’évertuer à s’en écarter pour voir à nouveau l’œuvre et non plus son modèle.

On ne peut pas s’émouvoir d’un certain relativisme qu’on décèle, ou croit déceler, à travers les images, l’histoire et son interprétation proposées par un cinéaste, et refuser ce même relativisme en imposant une interprétation unique de ces mêmes images. Aucune histoire du cinéma, aucune critique, ne peut se faire sans une très grande part de subjectivité. Toute notre perception de ces « œuvres montrées » est conditionnée par ce qu’on sait de l’histoire même du film, du tournage, du cinéaste et de ce qu’en ont déjà dit du film d’autres spectateurs ou des critiques. Une seule constance demeure : les malentendus, la mauvaise interprétation, l’analyse un peu présomptueuse, toujours légitime quand cela reste personnel, un peu moins quand on veut en faire une certitude pour tous. C’est bien de voir une œuvre et de tenter d’en traduire quelque chose, d’y trouver des correspondances avec d’autres œuvres et céder au petit jeu des influences ou des références, mais ce qu’on en tire ne sera jamais que ce qu’on en fait et au fond peu importe qu’on se mette le doigt dans l’œil, le tout étant de ne pas se convaincre que ce que l’on voit, croit ou sait, représente la réalité. Le film (et tous ces cinéastes ou ces films qui semblent nous rappeler la même chose, nous mettre en garde contre les leurres) ne dit pas autre chose. — Mais on n’est pas, ici, obligés de me suivre.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1954

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Les 365 westerns à voir avant de tomber de sa selle

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Cinéma en pâté d’articles

Liens externes :


L’Homme qui n’a pas d’étoile, King Vidor (1955)

Le Barbelé

L’Homme qui n’a pas d’étoile

Note : 3 sur 5.

Titre original : Man Without a Star

Année : 1955

Réalisation : King Vidor

Avec : Kirk Douglas, Jeanne Crain, Richard Boone, Claire Trevor

Je ne me rappelais pas bien de ce western, et pour cause, rien de bien original dans cette histoire. C’est construit comme il se doit, j’ai notamment remarqué un début au film, un milieu et une fin, mais ça m’a paru un peu court. Un bon film, c’est un film dans lequel on commence à trouver le temps long (traditionnellement durant le milieu de l’histoire, mais certaines techniques soporifiques permettent d’initier l’ennui chez le spectateur bien avant), puis, en insistant et en produisant à l’intérieur du récit (au milieu du film plus généralement) un nouveau départ, on procède ainsi à un retournement spectaculaire des attentes du spectateur. Celui qui retourne sa veste aura toujours tendance à se révéler plus royaliste que le roi. La tiédeur est le fait des petits films ; les grands ennuient avant de nous conquérir pour de bon.

L’Homme qui n’a pas d’étoile, King Vidor 1955 Man Without a Star | Universal International Pictures (UI)

(Relecture :) La même année (1955), D.D Beauchamp, adaptateur ici d’un roman avec un scénariste plus aguerri (Borden Chase), scénarise Le mariage est pour demain, pour Allan Dwan (avec qui il avait déjà travaillé pour La Belle du Montana ; et qui pourtant — Le mariage — est plus court de deux minutes — preuve aussi qu’avec une idée simple et sans parenthèses inutiles, en allan dwan à l’essentiel, on peut faire de grands films). Eh bien, D.D, ça manque de densité dans les péripéties et de complexité dans les rapports entre les personnages. Pas moyen dans tout ça de trouver le temps long, et au bout du compte ça ressemble à une tranche de vie toute simple : Kirk Douglas qui s’arrête dans une ville, qui chope un boulot (début) ; on apprend qu’il n’aime pas les barbelés, il prend sous son aile un type qui lui rappelle son jeune frère (milieu) ; et puis basta (fin prématurée). On ne sait pas trop de quoi ça parle d’autre, quel est l’enjeu, le réel sujet de tout ça. Pour un roi du spoiler comme moi qui aime reproduire les évolutions du récit, je me sens bien démuni. Le rapport avec le gosse est d’une banalité effrayante, vu et revu mille fois. Le personnage de Kirk Douglas était plein de promesses, mais l’archétype du « cow-boy » intelligent, viril, solitaire, séducteur, qui ne cherche pas les embrouilles et qui les trouve, flirte tendrement avec le stéréotype. Le rapport avec la patronne est déjà plus singulier, mais comme le reste, ça manque de retournements et de péripéties. On n’est pas loin de la fin bâclée de Jumper… quand le personnage de Douglas dit simplement « au revoir » sans raison… D’accord, au revoir, moi aussi j’ai une autre séance qui m’attend…

Il y a des westerns plus longs que celui-ci…, et je suis loin de penser que de s’imposer une relecture décennale aide en quoi que ce soit à l’appréciation du film. Rendez-vous dans dix ans peut-être.

L’Attaque de la malle-poste, Henry Hathaway (1951)

Les Enfermés dehors

L’Attaque de la malle-poste

Rawhide

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Rawhide

Année : 1951

Réalisation : Henry Hathaway

Avec : Tyrone Power, Susan Hayward, Hugh Marlowe, Jack Elam

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Petit western méconnu d’Hathaway, c’est sans doute pourtant un des meilleurs du genre. Pas seulement un western, mais surtout un huis clos (ou quasi, et considéré souvent comme un western noir), un film d’une grande intensité dans la veine des films de prises d’otages (Les Visiteurs, d’Elia Kazan, La Maison des otages, de William Wyler, Un après-midi de chien, de Lumet, Funny Games, de Haneke…).

susan-hayward-tyrone powell-1951

Mon spoiler… Tyrone Power aide son ami à tenir un relais de diligence en plein milieu de nulle part (entre San Francisco et Saint-Louis). On apprend rapidement qu’une bande de voyous rôde dans les parages, on demande alors à la diligence, qui s’apprêtait à repartir, de rester. Susan Hayward n’est pas d’accord, mais on ne lui laisse pas le choix : elle devra passer la nuit au relais avec son enfant. Enfin, son enfant…, on apprendra plus tard qu’il s’agit en fait du fils de sa sœur (laissant peser le doute sur sa condition quand elle demande qu’on l’appelle Mademoiselle et non Madame…). Un homme seul arrive alors au relais et dit être le shérif Miles. Il se révèle en fait être le chef de la bande qui sévit dans les parages : l’ami de Power est tué et Power gardé en otage, car les bandits veulent s’en prendre le lendemain à une diligence pleine d’or, et Power est le seul en sonnant du clairon à leur donner le signal comme quoi tout va bien… Tevis, une des crapules de la bande, le plus fou, le plus sadique (Jack Elam qu’on retrouvera quelques années plus tard dans Il était une fois dans l’Ouest : l’un des hommes de la bande d’Henry Fonda) s’amuse avec des vêtements féminins. Zimmerman, le véritable nom de celui qui s’était fait passer pour le shérif Miles, plus intelligent, plus éduqué (dans la tradition des chefs de bande) comprend que ça signifie (il est fort !) qu’il y a une femme, et que… par déduction, elle ne peut être que celle de Power. Ah, ah !… La Hayward revient donc au relais après avoir fait trempette dans un bain. La bande les enferme tous deux dans la chambre les croyant mariés, en attendant la diligence le lendemain. Power demande à Hayward de ne pas nier ce malentendu sinon il lui assure qu’ils la tueront. Durant la nuit, Power entame le mur avec un couteau qu’il a réussi à piquer en cuisine, il essaye également de faire passer un message écrit à une autre diligence qui passera au relais mais qui n’intéresse pas la bande, mais ce sera sans succès. Le lendemain, le mur laisse apparaître un trou conséquent mais pas suffisant pour laisser passer un adulte et ils n’ont plus rien pour entamer le mur. Quand la diligence arrive enfin, tout le monde se met en place pour leur faire croire que tout est normal, Hayward suit la scène depuis la chambre, et c’est ce moment que choisit le bébé pour passer à travers le mur ! Agacé par les cris hystériques d’Hayward, Tevis ouvre la porte de la chambre, Zimmerman arrive pour l’engueuler, mais Tevis le tue et devient du même coup le chef de la bande… Au loin, les hommes de la diligence ont cru entendre des échanges de coups de feu et décident de s’approcher l’arme au poing. S’ensuit un gun fight particulièrement violent et sadique : Power et Tevis se canardant l’un et l’autre à couvert, l’issue semble délicate, mais le bébé arrive entre les deux. Tevis avait là l’occasion de faire rendre les armes à Power… en tirant sur le bébé ! Mais Hayward l’achève. Tout est bien qui finit bien.

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Le film est assez remarquable à plusieurs niveaux. D’abord son aspect assez fortement naturaliste. Le huis clos rend impossible le côté épique qu’on voit dans la plupart des westerns. C’est un anti-western en ce sens, comme peut l’être La Cible humaine où l’action se concentre sur deux ou trois lieux dans une même ville et où l’action principale est… l’attente (un peu également comme dans Rio Bravo ou dans 3h10 pour Yuma si je me rappelle bien). Cet effet est accentué par la mise en scène : l’emploi d’une grande profondeur de champ (pourtant dans des espaces clos) permet d’utiliser comme dans Citizen Kane ou comme chez Leone plusieurs « plans » dans le cadre. On a surtout ce plan qui tape à la figure de la présentation de la gueule sadique de Tavis : son visage en gros plan (avec son strabisme, ça fait peur) et un arrière-plan parfaitement net. Le noir et blanc permet avec ses jeux de contrastes d’apporter un côté réaliste que ne possédait pas le Technicolor à l’époque. L’image est à la fois plus réaliste et plus brute. On pense à plusieurs cinéastes pour certaines séquences : Le Trou, de Becker, quand ils creusent le mur (on peut en trouver dix milles des films de ce genre, c’est vrai), Hitchcock, quand il suggère plusieurs scènes à l’avance que le bébé se faufilera sous le mur (l’ironie aussi de la situation), ou encore Haneke, et sa violence sadique, le minimalisme.

Un grand film.

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L’Attaque de la malle-poste, Henry Hathaway (1951) Rawhide | Twentieth Century Fox

Les Implacables, Raoul Walsh (1955)

Les Implacables

The Tall MenThe Tall Men Année : 1955

Réalisation :

Raoul Walsh

6/10  IMDb

Liste sur La Saveur des goûts amers :

Les 365 westerns à voir avant de tomber de sa selle

Western noyé parmi les autres grands films de ce genre de cette époque. Terriblement conventionnel. Parfois ça peut être excellent, là, il manque un truc, c’est trop prévisible, trop entendu.

Triangle amoureux, la femme tiraillée entre son désir de luxe et son amour véritable, la mission de conduire un troupeau à travers une partie de l’Amérique, face aux Indiens…

C’est fait un peu trop de stéréotypes pour faire un bon film, d’autant plus qu’on ne cherche jamais à sortir véritablement des sentiers battus.

Au final, ça marche, les acteurs sont bons, la mise en scène est propre, la photo magnifique, il y a de l’action, mais on a l’impression d’avoir vu ce film cent fois sans autre contribution majeure au genre.


Les Implacables, Raoul Walsh 1955 The Tall Men | Twentieth Century Fox


Victime du destin, Raoul Walsh (1953)

La Cible humaine 2, ou l’art du renoncement

Victime du destin

The Lawless Breed

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The Lawless Breed

Année : 1953

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Rock Hudson, Julie Adams, Mary Castle

gâchoterie

Film sympathique à la morale inattendue. Une sorte de western basé sur la vie (et l’autobiographie) d’une des plus fines gâchettes du Texas qui passa seize ans de sa vie dans un pénitencier.

Le film se révélera être un film militant contre le port d’armes. Voilà qui est assez inattendu pour un western, genre dans lequel on cause rarement de cet aspect des choses, surtout quand il s’agit d’un homme qui a souvent usé de son « droit » de se défendre.

Wes est le fils d’un homme pieux et dur, mais il ne partage pas ses idées religieuses. Il ne partage finalement qu’une seule chose avec lui : l’amour de sa sœur, recueillie dès son enfance par son père alors qu’elle était orpheline. Wes compte bien se marier avec elle, un jour, fonder une bonne petite famille avec un ranch, tout ce dont rêve un Texan. Mais pas avant d’avoir gagné suffisamment d’argent. Battu par son père qui n’apprécie pas son penchant pour les jeux d’argent et le goût des armes, Wes s’enfuit. Il gagne souvent à la table de jeu mais cela lui vaut pas mal d’inimitié. Et dans l’Ouest, quand on n’apprécie pas, ça se termine souvent par un duel. Là, la règle est simple, c’est celui qui dégaine le premier qui a tort ; si on dégaine en second, on est en légitime défense. D’où l’utilité d’être rapide et précis. Ce sera le tort de Wes pendant tout le film. Il finit par se faire une réputation de fin tireur et se met à dos une fratrie après avoir liquidé l’un d’eux. Ils y passeront tous. Chaque fois, Wes dégaine en second. Seulement, cela commence à lui attirer de plus en plus de soucis, notamment la flicaille corrompue pour qui les circonstances semblent un peu trop souvent favorables au garçon. Wes, s’estimant dans son bon droit, refuse de se rendre à la police. Il se laisse enfin convaincre quand il est question de son mariage avec sa belle. Il se sert de l’argent qu’il a gagné aux jeux pour payer les « frais » de justice, et il demande que son procès soit remis à un peu plus tard, le temps qu’il choisisse une robe de mariée pour sa sœur et qu’il l’épouse. Un shérif d’une autre ville ne l’entend pas de cette oreille, et lui ordonne de se rendre sur-le-champ. Wes refuse et le shérif lui tire dans le dos. Wes n’est que blessé, il se retourne et alors qu’on le croyait désarmé, sort une arme de son veston et tire sur le shérif. Il se réfugie chez son père, mais là aussi, on commence à trouver douteuse cette manière qu’il a toujours de s’en tirer. Même sa rouquine de sœur se demande s’il n’est pas juste un assassin. Pas le temps de s’expliquer : une milice vient le chercher jusque chez son père, il n’a pas levé son arme que la milice tire déjà sur la maison… Wes parvient à s’enfuir, mais sa rouquine de sœur est tuée. Dans le dos.

Dès lors, commence une course-poursuite, puis un jeu de cache-cache qui durera plusieurs années, durant lesquelles il se pacse avec la fille de saloon qui l’avait, elle, toujours soutenu et aimé (magnifique Julie Adams). Finalement, il accepte son amour, lui demande sa main et lui fait un gosse (on est rapide ou l’on ne l’est pas). Mais toute la région est sur sa trace et attend un signe de sa part qui trahira sa présence. C’est chose faite quand il enverra une lettre à son père pour lui signifier la naissance de son fils (« On ne me l’a pas fait dans le dos, p’pa. »). Plusieurs rangers lui tendent un piège, et il est finalement arrêté, puis jugé. Faute de témoin pour l’accabler le jour du procès pour le meurtre du shérif qu’il a tué, il n’écope finalement que de vingt ans de pénitencier.

Il en ressort une quinzaine d’années plus tard, part directement déposer un manuscrit au premier éditeur venu : l’histoire de sa vie. C’était ainsi que commençait le film. On retrouve l’éditeur à la fin de sa lecture. Les yeux encore mouillés d’émotion, on entend sa femme lui prier de venir prendre son goûter, lui demande ce qu’il a lu, comment l’histoire se finit. Et l’éditeur de dire : « Je ne sais pas, parce que l’histoire n’est pas encore achevée. »

Et en effet, le véritable intérêt du film tient dans cet épilogue.

Wes rejoint sa femme dans le ranch où il l’avait laissée quinze ans plus tôt. Il découvre son fils de seize ans pour la première fois. C’est presque un homme désormais. Et Wes pète les plombs, comme son père autrefois, quand il voit que son fils a repris le relais en portant fièrement son arme à la ceinture (ah, les familles monoparentales…). Wes, lui, a changé, il semble avoir compris que même s’il était toujours dans son bon droit durant ses duels, il était coupable par le simple fait de porter une arme, même si la loi lui autorisait… Quels que soient les hommes, les conflits et les querelles sont légion. Mais toutes ne se régleraient pas en duel si les armes n’étaient pas aussi répandues, si on ne possédait pas une arme aussi radicale à la ceinture…

Wes retrouve son fils dans un saloon où un inconnu reconnaissant le fils du fameux Wes lui cherche des noises (un peu comme on en cherche à Gregory Peck dans la Cible humaine), le gamin est tout près de dégainer son arme, mais son père arrive à temps pour l’y en empêcher. Toutefois, en partant, Wes est blessé alors que l’homme qui lui a tiré dessus (toujours de dos) le menaçait. Pour se justifier, l’homme regarde autour de lui pour trouver des alliances, en disant qu’il l’avait vu tirer son arme… Il est maîtrisé par les hommes présents. Wes n’est que blessé. Il fait promettre à son fils de ne plus porter d’arme.

Naïf, mais c’est pour la bonne cause.


Victime du destin, Raoul Walsh 1953 The Lawless Breed  | Universal International Pictures


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L’Homme des vallées perdues, George Stevens (1953)

No-Western

L’Homme des vallées perdues

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Shane

Année : 1953

Réalisation : George Stevens

Avec : Alan Ladd, Jean Arthur, Van Heflin, Jack Palance

L’Homme des vallées perdues, George Stevens (1953) | Paramount Pictures

En voilà un film pas capitaliste pour un sou. Le western souvent a traité le thème de la propriété, oui, mais l’image du gros propriétaire terrien, c’est l’image même de l’entrepreneur grand cerbère du capitalisme sauvage, le prédateur… Hollywood a rarement été de droite, ni américaine même…

Et en ce jour de la mort de Charlton Heston, on pense à une certaine confusion dans l’imaginaire américain : on parle hypocritement des cow-boys comme des pionniers de l’Amérique, ce qui est vrai, mais ce terme regroupe aussi à tort les voyous, petites frappes qui font aussi l’histoire de l’Amérique : ces crapules armées qui n’ont pas de propriété, qui errent sans autre ambition de ramasser du fric, non pas pour le profit mais parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire, pour la frime, l’arrogance ou pour se payer juste un coup à boire… Celui-ci, ce n’est pas un cow-boy, c’est le hooligan, l’homme de main, le tueur, l’assassin… C’est sûr, ça fait plus beau d’appeler tout ce petit monde cow-boy.

Au moins dans Shane, il n’y a pas d’ambiguïté : le cow-boy, ici, on l’appelle « bouseux », c’est lui, le véritable pionnier américain, l’Européen en fuite, un homme martyrisé, un lâche qui se découvre un goût pour l’aventure, c’est le fermier, le paysan, il porte rarement des armes à feu ou ne sait pas s’en servir ; et il y a le gros propriétaire (le cancer du capitalisme) qui menace dans un no law’s land, et qui finit par faire appel à « l’étranger », le tueur (car le tueur vient toujours d’ailleurs). Ce n’est pas encore Deadwood, mais c’est déjà moins hypocrite.

Il y a un gouffre entre la mythologie de l’esprit américain vu par les Américains (ou les autres) et ce qu’on voit dans les films. Comme d’habitude, l’art est une histoire de malentendu. Rien de mieux qu’un western pour expliquer la mentalité us, l’origine de leurs valeurs, mais c’est aussi le cinéma qui est à l’origine, par un gros malentendu, d’un certain nombre de valeurs fausses, ou retraduites (même si Buffalo Bill a précédé le cinéma dans cette tentative réussie de passer de l’histoire au folklore). D’où le goût de certains Américains pour les armes, leur volonté de voir dans cette « liberté » (de se tuer) un des fondements de l’esprit américain. C’est vrai, mais là où il y a tromperie, c’est que ce n’est pas hérité de la culture des cow-boys cherchant à se défendre des méchants prédateurs (ni même des Indiens), mais bien l’héritage d’une culture de tueurs (souvent employés par ce même patron, ou entité maléfique car étrangère, ou pourvu d’une forme de pouvoir coercitif toujours très mal vu par les honnêtes entrepreneurs des prairies, un Yankee presque, l’image typique de l’oppresseur — donc le patron loin de l’esprit du simple et honnête cow-boy travaillant à son compte).

Charlton Heston est comme le môme dans le film qu’on voit souvent dans les westerns, qui est fasciné par les armes et qui veut apprendre à s’en servir… Toujours le même problème. L’Amérique est une vraie pisseuse, elle a l’arrogance d’une gamine de dix ans. Le seul problème, c’est qu’il n’y a pas chez eux comme dans le film, une maman pour venir dire que les armes à feu ce n’est pas bien ou un « cow-boy » pour dire que c’est un outil et que tout dépend de l’intention de celui qui s’en sert… L’Amérique, c’est un peu la société de Sa Majesté des mouches : des gamins au pouvoir avec personne pour leur taper sur les doigts. C’est bien joué, amusez-vous, ça amuse toute la planète de voir des gamins heureux gambader et se chamailler, quand c’est pour de faux…

Les Américains ont grandi trop vite. Du moins…, il faut savoir de quelle Amérique on parle, parce que là on parle bien de l’Ouest américain, une région qui n’a pas plus de deux siècles d’existence (hors Indiens), un no man’s land, un pays sans loi. On parle toujours de cette Amérique-là…, et qui est devenue l’Est américain, qui a fait de ce pays, l’une des plus vieilles démocraties du monde ? Ils sont où les « esterns », film de cette époque ? Là aussi, pour le coup, il est là le no man’s land. (C’est sûr qu’aucune société établie ne peut rivaliser avec la puissance de l’évocation des contes de la western culture : être de l’Est c’est être encore un peu finalement britannique, avoir la sophistication des Européens, mais être de l’Ouest, c’est finalement ça être américain, être à la fois indépendant, un peu rustre — aujourd’hui on dirait cool, c’est semble-t-il la valeur ultime désormais dans le monde — et inconscient — fascinant comme regarder germer une graine, la regarder grandir, assister en direct à l’écriture d’une nouvelle mythologie depuis… depuis Homère finalement).

Donc voilà, parfois il y a des films qui remettent les choses à leur place… Ceux qui portent des armes et qui s’en servent sont des voyous.

Sinon, ça demeure un film moyen. Sympathique, mais loin d’être un chef-d’œuvre. Alan Ladd est… comment ils disent les critiques pour avoir l’air intelligent ?… Lisse ?… Bon non, ça ne veut rien dire, c’est vrai qu’il est beau, et qu’il manque un truc, une certaine virilité, il est trop parfait pour être crédible. D’accord, il est lisse… Et Jean Arthur joue une jeune maman alors qu’elle a plus de cinquante balais. Van Heflin, en revanche, c’est tout autre chose. Il jouait déjà le bon dans 3h10 pour Yuma avec sa gueule de mouche et son sourire de prédateur.

Reste un procédé que j’aime bien et qui me rappellera toujours L’Ile mystérieuse. Le récit décrit tout un tas de méchants bien coriaces, jusqu’à ce qu’un autre méchant encore plus coriace fasse son apparition : Jack Palance.


« Salut, Alan, je suis le coriace de l’histoire ! Ah, ah ! »

Au-delà du Missouri, William A. Wellman (1951)

Midwestern

Across the Wide MissouriAcross the Wide MissouriAnnée : 1951

Réalisation :

William A. Wellman

6/10 IMDb iCM
Avec :

Clark Gable
Ricardo Montalban
John Hodiak

Wellman aime faire des trucs débiles. Ici, pendant que les acteurs parlent autour d’un calumet, ils se refilent un pou… N’importe quoi…

Il n’y a pas vraiment de scénario. C’est un peu flemmard. « L’intérêt » du film réside dans sa et dans la nature. Un western loin du Far West. On doit aller de l’Iowa au Montana. C’est vallonné, il y a des lacs et des forêts, c’est le pays de castors et le tout est beau, rarement vu au cinéma.

Les personnages ne sont pas de « vrais Américains » (pas de John Wayne en vue, archétype de l’Américain sans racine européenne). Mais on a plutôt affaire à un joyeux melting-pot : des Écossais, un Français, des Indiens et… un Clark Gable. Rien que pour le voir faire pan-pan-culcul à son Indienne de femme, ça vaut le détour. Le reste… passons notre tour.


L’Énigme du lac noir, Michael Gordon (1951)

L’Énigme du lac noir

The Secret of Convict LakeThe Secret of Convict Lake Année : 1951

6/10  IMDb  iCM

Liste sur IMDb  :

Huis clos – behind locked doors (or almost)

Réalisation :

Michael Gordon

Avec :

Glenn Ford
Gene Tierney
Ethel Barrymore

Ça n’a pas l’air, mais c’est un western.

Des évadés traversent les montagnes les fers aux pieds et trouvent « secours » dans une petite collectivité (une sorte de ranch familiale avec trois ou quatre huttes perdues dans le froid) qui n’est habitée que par des femmes. Bonjour l’ambiance. C’est un peu comme si la veille d’un combat, on disait, à deux boxers qui allaient dormir dans la même chambre…

On retrouve pas mal de personnages traditionnels du western, c’est conforme à la mythologie donc. On n’est pas loin aussi du conte pour faire peur aux enfants qui fait peur. Oui, un côté western dans la nuit assez intrigant. Apparemment ce serait une histoire vraie — le genre d’histoires qui fait le mythe des pionniers d’Amérique.

Glenn Ford, c’est l’éternel acteur qui à l’air d’en avoir toujours rien à foutre (une sorte de cool attitude très américaine aussi ; qu’il joue une brute ou un prof, c’est toujours pareil, mais c’est efficace). Plus surprenant, on y retrouve Gene Tierney. La douceur et la glace, ça correspond bien au film, mais peut-être un peu trop sophistiquée pour la circonstance.

Mise en scène correcte. Ce sera son dernier film avant d’être victime de son temps et de revenir dix ans plus tard — pas facile de faire des films en 1950 quand on était de gauche…


Johnny Guitar, Nicholas Ray (1954)

Faut pas gâcher

Johnny Guitar Johnny Guitar (1954) Nicholas RayAnnée : 1954

 

9/10  IMDb iCM

Les Indispensables du cinéma 1954

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Listes sur IMDb :

Limguela top films

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Lim’s favorite westerns

Réalisation :
Nicholas Ray

Avec :

Joan Crawford, Sterling Hayden, Mercedes McCambridge, Ward Bond, John Carradine, Ernest Borgnine

Johnny Guitare (ou Johnny Guitar), c’est un classique. Et il ne faut pas s’y tromper, ce n’est pas un western, ce n’est pas un film épique, ce n’est pas non plus malgré ce que pourrait laisser penser l’affiche avec ses couleurs flamboyantes, une opérette. Non, c’est un vaudeville. Ce qui est remarquable dans ce chef-d’œuvre, ce sont les dialogues. Ici on ne chevauche aucun cheval, on chevauche les répliques comme pour surenchérir sur la précédente. C’est un gun fight avec des mots. Alors quand tout d’un coup, ça se finit, on est un peu surpris et on se met comme une musique qui s’achève et qui résonne toujours dans notre tête à imaginer ce que pourrait ajouter un personnage en répondant aux phrases les plus anodines…

­– Nous irons en ville demain…

– Ah oui, la ville, j’y suis allé un jour… C’est un lieu pas comme les autres.

– Je prends du café. Tu en veux ?

– Ah, le café… Tu as toujours su en faire mieux que personne.

– Tu m’as dit autrefois que ta mère savait très bien le faire…

– Oui, et grand-mère aussi sait faire du bon café.

Bref, faut pas se prendre pour Mozart, et comme pour mémé, faut pas gâcher, un petit plaisir avec une tartine de spoilers avec quelques-unes des meilleures répliques au début du film. Parce qu’une splendeur de musique de chambre où chaque note vient comme une évidence après la précédente, ça s’écoute, ça ne s’explique pas.

« Elle pense comme un homme, agit comme un homme, et me fait douter d’en être un. »

« C’est le journal du mois dernier. Combien de fois l’as-tu lu ?

– J’aime savoir ce qui se passe.

– Bientôt, il se passera des choses ici. »

« Lance la roulette.

– Pourquoi ? Pas de clients.

– J’aime l’entendre. »

« Bonne chance, Vienna. Même si c’est peu.

– Je ne crois pas à la chance. Un bon tireur ne compte pas sur un trèfle à quatre feuilles. »

« On a des ennuis, n’en ajoutez pas.

– Les seuls ennuis ici sont ceux que vous apportez. »

« Nous vous arrêtons, vous et vos hommes.

– Tu peux arrêter la roulette. »

« On ne veut pas de vous ici !

– La terre n’est pas à vous. Pas celle-ci.

– Il vous en restera de quoi y être enterrée.

– Je compte être enterrée ici… au vingtième siècle.

« Maintenant, dehors !

– De grands mots pour une petite arme. (…)

– Posez cette arme, Vienna.

– En bas, je vends du whisky et des jeux. Si vous montez, vous achetez une balle dans la tête. »

Johnny Guitare qui se retrouve au milieu de deux camps cherche à détendre l’atmosphère :

Johnny Guitare : Vous m’offrez cette cigarette ?… (à l’autre camp :) Auriez-vous du feu, ami ? Rien ne vaut une cigarette et une tasse de café. Certains sont obsédés par l’or et l’argent. Pour d’autres, c’est les terres et le bétail. Et il y a ceux qui ont un faible pour le whisky et les femmes. Mais au fond, de quoi un homme a-t-il besoin ? D’une cigarette et d’un café.

Dancing Kid : Qui êtes-vous ?

Johnny Guitare : Je m’appelle Johnny Guitare.

Dancing Kid : C’est pas un nom.

Johnny Guitare : Vous voulez le changer ?

Vienna : Vous êtes ici pour jouer, pas pour insulter mes clients.

Johnny Guitare : Si c’est ça, vos clients, j’hésite à accepter.

Dancing Kid : Vous êtes sûr de vous, pour un homme sans arme.

Vienna : Et mal élevé.

Johnny Guitare : Le Dancing Kid ?

Dancing Kid : C’est mon nom, ami. Vous voulez le changer ?

Johnny Guitare : Non, il me plaît. Vous savez danser ?

Dancing Kid : Vous savez jouer ?

« Et vos armes ?

– Je n’en ai pas.

– Ou vous les avez jetées après.

– Quel esprit méfiant…

– Et pourquoi pas ?

– Je ne suis pas le tireur le plus rapide de l’Ouest. »

« Je t’aide à faire tes valises ?

– Je les ai jetées en arrivant ici. »

« Vous restez ?

– Il faut s’arrêter un jour. L’endroit paraît tranquille. Et amical.

– Vous me plaisez. Voulez-vous travailler pour moi ?

– Quel genre de travail ?

– Je trouverai. Vous n’aurez qu’à jouer pour moi.

– J’ai déjà une offre.

– La mienne est meilleure.

– Laisse M. Guitare décider lui-même.

– Tout à coup, vous ne me plaisez plus.

– Ça m’attriste. Je déteste perdre un ami. »

« J’ai toujours voulu tuer un guitariste.

– Noble ambition. »

« À ta place, je monterais à cheval et partirais pour ne pas revenir.

– Je devrais, mais je ne fais jamais ce que je devrais. »

« Tu n’as pas du tout changé, Johnny.

– Que croyais-tu ?

– En cinq ans, on devrait apprendre.

– Il y a cinq ans, je t’ai connue dans un saloon, tu y es toujours. Je ne vois pas de changement.

– Mais celui-ci m’appartient. »

« Tu croyais vraiment qu’après 5 ans, je t’attendrais ?

– La route est longue, d’Albuquerque. Je laissais errer mes pensées. Je me disais que nous serions réunis.

– C’est très généreux à vous, M. Logan. Est-ce une demande ?

– Un homme doit se fixer un jour. L’endroit en vaut un autre.

– C’est la déclaration la plus touchante jamais entendue.

– Je suis comblée. »

« Pourquoi ne dors-tu pas ?

– Des rêves. De mauvais rêves.

– J’en ai aussi, parfois.

– Combien d’hommes as-tu oubliés ?

– Autant que de femmes dont tu te souviens. Ne t’en va pas.

– Je n’ai pas bougé. Dis-moi quelque chose de gentil.

– Bien sûr. Que veux-tu entendre ?

– Mens-moi. Dis-moi que tu m’as attendu. Dis-moi.

– Je t’ai attendu.

– Tu serais morte si je n’étais pas revenu.

– Je serais morte si tu n’étais pas revenu.

– Dis-moi que tu m’aimes encore comme je t’aime.

– Je t’aime encore comme tu m’aimes.

– Merci beaucoup. »


Rivière sans retour, Otto Preminger (1954)

Viagara, la devanture humide en Cinémascope

Rivière sans retour

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : River of No Return

Année : 1954

Réalisation : Otto Preminger

Avec : Robert Mitchum, Marilyn Monroe, Rory Calhoun

Journal d’un cinéphile prépubère

Bon film, agréable, avec des atouts, mais avec un tel sujet, et surtout la manière dont il est traité, difficile de faire mieux.

Le lyrisme, ou le tragique, qu’aurait pu initier ce sujet, semble trop fade. Ce manque d’ambition est surtout palpable dans l’épilogue quand Mitchum enlève Monroe : traitée de manière presque anecdotique (comme le reste du film), sans effets ni procédés, sans mise en relief, ça laisse une impression de désinvolture. Pourtant, la mise en scène est propre, dans la continuité des réalisations « classiques » hollywoodiennes, mais c’est justement ce trop grand classicisme qui pénalise le film. Il faut se positionner entre nécessité d’unité et recherche de profondeur. L’audace, le traitement qui est fait dans les moments intenses, tout ça manque furieusement (c’est vrai aussi que l’histoire n’est pas propice aux grandes envolées, quand le sujet, lui, s’y prêtait).

Le manque d’identification aux personnages (et à l’action) n’arrange rien. L’emploi systématique du champ-contrechamp dans certaines scènes, laissant les décors de ce qui est censé être un western, en arrière-plan, comme un paysage de carte postale, paraît trop formel et découpe les personnages de leur environnement. On retrouve aussi une mauvaise habitude, propre à ce cinéma, de vouloir accélérer artificiellement le rythme en diminuant les possibilités de pauses, et cela, au détriment de la sensibilité, du mystère, de l’imagination, et donc de l’identification.

Malgré ces contraintes techniques imposées par une grosse production, les acteurs s’en tirent plutôt bien, et sans eux, les spectateurs se détourneraient totalement des enjeux de leur aventure. Le film tient en 1 h 30, la brièveté n’est pas toujours une vertu, et c’est peut-être ici le signe que la Twentieth Century Fox cherchait à profiter à moindres frais de sa star, d’un nouveau format spectaculaire et de « paysages somptueux » (comme plus tard avec Niagara). Raisons pour lesquelles Preminger, sans doute, n’aurait pas cherché à tirer le meilleur de cette histoire. L’accent ayant été mis ailleurs, il n’en avait peut-être pas les moyens. Mais sans cette volonté de vouloir proposer au public le meilleur traitement possible, le spectateur, lui, se laisse emporter par la lassitude.

Malgré tout, même avec un drame plat (unité simple), on peut y trouver la marque d’un certain savoir-faire. Le sujet de base reste intéressant. On remarque aussi un sens agréable des dialogues. Reste une certaine fadeur dans les rebondissements et un manque d’audace dans le « tragique ». La rencontre avec les « chasseurs », les Indiens, et les rapides sont attendus, mais presque décevants. On n’y rencontre pas grand monde dans ce Rivière sans retour. Le meurtre du fils rappelant celui du père est bien introduit et reste une bonne idée. Et la beauté de Marilyn est insoutenable durant la scène de la « caverne ». Quand elle revient après une bonne douche dans des chutes, les cheveux peignés comme une princesse, on rigole, mais on a encore les yeux mouillés. Très bonne présence aussi du gamin, surtout dans la première scène du développement, avant que les deux autres arrivent.


Rivière sans retour, Otto Preminger (1954) | Twentieth Century Fox