
Le Lutteur et le Clown
Titre original : Borets i kloun/Борец и клоун
Année : 1957
Réalisation : Boris Barnet, Konstantin Youdine
Avec : Stanislav Chekan, Aleksandr Mikhaylov, Anatoliy Solovyov
Cinéma typique produit sous dictature. Je ne dirais pas « film de propagande » parce qu’après quarante ans de soviétisme, le pouvoir qui a glissé vers l’absolutisme et le culte de sa propre histoire n’a plus à vanter à travers les films, la publicité ou les médias les bienfaits de sa politique. On y voit plutôt un cinéma d’autocensure, un cinéma aseptisé aux conflits mous et à l’environnement idéalisé, un cinéma où les personnages représentés sourient invariablement pour exprimer leur bonheur de vivre l’un à côté de l’autre, des personnages volontaires et travailleurs, bons, et, s’il le faut, des personnages animés par un véritable sens du devoir, celui de dénoncer aux autorités compétentes les rares errements ou comportements contraires aux valeurs communes. Et quand un salopard qui fait ce qu’il sait faire de mieux (des saloperies) se présente, c’est forcément parce qu’il ne jure que par la politique ou par les valeurs individualistes que le pouvoir montre du doigt et s’est échiné depuis des décennies à combattre avec succès pour rendre la société meilleure. Ici, ce sera donc un clown jaloux qui n’a que le mot « compétition » à la bouche. « Il n’y a plus de débat à avoir : le communisme a gagné. » La fin de l’histoire.
Vous ne rencontrerez rien de bien subversif dans Le Lutteur et le Clown, sinon quelque chose qui n’impliquera jamais le pouvoir en place. Pas d’intrigue digne de ce nom ni de conflit bien élaboré. Juste une illustration plate d’événements heureux ou vaguement malheureux (c’est la vie), étrangement réunis les uns aux autres dans un monde idéal semblant n’avoir aucune prise avec le réel. Si Alenka (1961) dévoile un univers éloigné de toute civilisation en offrant à l’Union soviétique son Far East prospère sans cowboys ni Indiens, le monde dans lequel évoluent le lutteur et le clown n’est pas si isolé : les cowboys, ce sont les capitalistes, et les Indiens, les Occidentaux. Imaginez un monde dans lequel quand vous allumez la télévision, quand vous vous rendez au cinéma ou quand des histoires sont lues à vos enfants, c’est toujours la même histoire racontée : celle du Magicien d’Oziorsk. Le cauchemar. Et si vous cherchez ici Dorothy, c’est que Dorothy, c’est vous, le public. Alenka sera une variation en bus du Magicien d’Oziorsk ; Le Lutteur et le Clown en est une autre sur Le Lion peureux (un personnage parfaitement inoffensif que le communisme aura rendu fort, courageux et méritant face à la Méchante Sorcière de l’Ouest).
Je ne sais pas bien ce que vient faire le « clown » dans le titre d’ailleurs : l’amitié entre les deux personnages est vite expédiée, et ce n’est pas vraiment le sujet du film. Le sujet premier du film, c’est bien le lutteur. Sorte de gloire nationale russe refusant de combattre face aux tricheries des capitalistes (what else). On pourrait appeler ça une chronique ou une biographie, mais même ces types de récits ont leurs codes. Et c’est comme si Barnet, mais plus généralement le cinéma soviétique parlant jusqu’aux années 60, à force de se colorer de tout et de n’importe quoi faute de pouvoir dépeindre la moindre réalité du monde, n’en maîtrisait aucun.
À quoi ressemble le cinéma nord-coréen ? Probablement à ça. Du cinéma pour masses lobotomisées. Un cinéma dans lequel les thrillers font penser à des films d’aventures, les films d’aventures, à des drames, les drames, à des comédies, les comédies, à des contes pour enfants, et les contes pour enfants, à The Truman Show. Pas besoin d’hypnotiseur dans un cirque. Le cinéma se charge de vous endormir. Vous êtes en panne d’édulcorant pour votre café du matin ? Une cuiller de film soviétique en couleurs des années 50 fera l’affaire.
Ce qui change des films habituels de Barnet en revanche, c’est que pour une fois l’acteur principal a un petit quelque chose d’humain et de profondément sympathique. Un côté « Lion pas peureux » (du Magicien d’Oziorsk) ou de Nota Bene (le type de la chaîne YouTube). Voyez, je commence à mollir. Demain, je cogne trois fois mes souliers, et j’écris une liste de cadeaux pour Noël à Staline.
Le Lutteur et le Clown, Boris Barnet 1957 Borets i kloun / Борец и клоун | Mosfilm

