Gakko, Yôji Yamada (1994)

Great Teacher Yamada

Note : 4 sur 5.

L’École

Titre original : Gakko

Année : 1994

Réalisation : Yôji Yamada

Va me faire pleurer ce con…

Après deux chefs-d’œuvre dont la réalisation est séparée par près de quarante ans, il semble avec celui-ci se dégager l’esprit d’un auteur. Une sorte d’humanisme à la Uchida flirtant entre le drame, la comédie et le mélo. Si les deux premiers (Kiri no hata et Le Samouraï du crépuscule) étaient des films de genre, on est plus ici sans doute dans ce qui a marqué très probablement sa carrière : des comédies populaires du dimanche soir. On pourrait craindre de tomber dans du Joséphine, ange gardien, seulement les films de Yamada semblent au contraire jouir au Japon en plus d’une reconnaissance critique à en juger par la place des films de cette série sur l’école dans les classements de la Kinema Junpo (les deux premiers sont dans le top10 annuel, le troisième est film de l’année, sans compter les autres prix).

Il y a du Capra chez Yamada. Comme Capra, il purge l’humanité de ses mauvais côtés. Pas une trace de cruauté, d’arrière-pensées, de mauvaises intentions, de malentendus, de rancune… Tout n’est que bienveillance, solidarité, tolérance et amour. Un petit côté tire larme, c’est certain, mais quand c’est loin d’être idiot et que ça a la saveur tendre d’un marshmallow trempé dans le miel, on peut s’y laisser engluer sans grande résistance, personne n’est parfait.

Si la direction d’acteurs était plus hiératique dans Kiri no hata, on retrouve ici au contraire comme dans le Samouraï du crépuscule, une technique de jeu plus naturaliste. Les acteurs disposent d’une grande liberté de mouvements que le montage et le cadre ignoreront le plus souvent, pour donner l’impression que le récit suit les personnages et se tourne vers eux après qu’ils ont quelque chose à dire plutôt que ce soit au contraire les acteurs qui viennent obéir au rythme imposé par le récit. Cela laisse une place importante à la pensée (voire à l’improvisation) et l’acteur peut ainsi plus facilement laisser vagabonder son imagination, donc la nôtre. Si le récit n’appuie pas et n’annonce pas chaque élément important par un gros plan ou un mouvement de caméra, on se retrouve un peu comme dans un film d’Edward Yang où le hors-champ est presque aussi important que ce qu’on voit à l’écran. On n’en est pas à ce point, Yamada colle plus à ses personnages, mais il a la délicatesse de ne jamais trop en faire, du moins dans la manière de montrer (car dans le II, par son sujet plus casse-gueule — il est question d’handicapés mentaux — il va sans doute un peu trop loin dans son sujet). Comme dans Kiri no hata déjà, cette humanité s’accompagne ou se traduit avant tout par une justesse et une simplicité qui semble bien être la première caractéristique de Yamada. Ajoutez à ça des notes de musiques discrètes pour illustrer la nostalgie, la contemplation un peu naïve mais toute japonaise face aux éléments climatiques, et le tour est joué. Il y a chez Yamada un charme certain, une manière d’effleurer une forme de réel, ou d’idée du réel, idéalisée, qui ne laisse pas insensible.

L'Ecole, Gakko, Yôji Yamada 1994 NTV, Shochiku 3

L’Ecole, Gakko, Yôji Yamada 1994 | NTV, Shochiku

Il faut le reconnaître toutefois qu’on est en pleine supercherie. Le génie chez Capra comme chez Yamada est de nous présenter les hommes comme des saints. Le film surfe sur l’idée que des individus peuvent s’émanciper de leur condition en trouvant la lumière presque, une raison de se grandir, un refuge, à travers une salle de classe, un groupe, et un leader qui a tout pour mener cette petite troupe de ringards pas aidés par la vie, parce qu’il est lui-même parfait dans son imperfection, une sorte de James Stewart en pire, donc en mieux, plus vrai et gentil que nature. Le stéréotype du leader qui rayonne et infuse sur ses élèves grâce à une autorité molle et bienveillante. Je vous respecte, donc vous me respecterez en retour. L’histoire est toujours belle au cinéma, et forcément très éloignée de la réalité. D’un côté les élèves qui se retrouvent face à des profs qui les méprisent et de l’autre des profs qui méprisent leurs élèves parce qu’ils ne les respectent pas malgré… leur humanité. Ce n’était pas faute de leur avoir montré La vie est belle à Noël.

Nos profs pourront certes rester fascinés devant ces classes de douze élèves motivés malgré la fatigue ; des élèves volontaires comme le rappelle le prof au début du film quand il refuse l’affectation “diurne” qu’on lui propose. Motivé, motivé comme dit la chanson…, tout le monde est motivé. Et à la fin, un panneau tiré sur la corde nous explique qu’au Japon il existe aussi des classes de ce type animées par des volontaires. C’est à se demander pourquoi le monde tourne si mal puisque l’humanité est capable de tant de miracles… (Le dernier volet sera dans le même ton avec une classe pour chômeurs : on hésite entre Capra et Gérard Jugnot cette fois.)

Quand un élève montre un signe de faiblesse, de lassitude, de désespoir, ou s’effondre en larme, au cinéma, c’est un motif de compassion générale, et honnête, parfaitement gratuit, parce que ces personnages sont d’étranges robots à qui on aurait court-circuité toutes pensées torves et avides, des êtres sans calculs, comme ceux chez Imamura sans retenue. Au moins il y a une logique dramatique et une vision qui reste fascinante même si elle prend le risque à chaque fois de trop en faire…

On peut sourire aussi quand le prof encourage ses élèves à prendre la parole, il en ressort toujours quelque chose au cinéma, une sorte de morale positive qui chez Capra redonnerait foi en la république à un anarchiste ou en la vie tout simplement. La réalité est là encore bien différente, quand les professeurs jouent aux philosophes de comptoir, s’improvisent guides de la sainte parole humaniste, n’en sort que des leçons forcées, celles qui comme dans les mauvais films nous sont imposées. La meilleure des philosophies, ce n’est pas celle que savamment on nous explique, celle qu’on nous présente toute faite avec des contours moralisateurs tout prêts, mais au contraire où la logique qui la précède et la fait jaillir pousse et suggère une leçon. Ce n’est d’ailleurs pas autre chose qu’arrive Yamada à faire (probablement plus dans ce premier épisode que dans les deux suivants), car on a la sensation d’apprendre quelque chose qu’on ne saurait parfaitement exprimer… La liberté offerte au spectateur de se faire sa propre petite morale, c’est celle de l’expérience, le privilège des hommes depuis qu’on se raconte des histoires et qu’elles nous ont rapprochés les uns des autres, favorisant un esprit communautaire qui, il y a bien longtemps, voulait encore dire quelque chose. C’est bien sûr cet esprit, caché au plus profond de notre cerveau “humanien” que ce genre de films, fait appel. Et si cet esprit persiste, malgré tout encore aujourd’hui, si l’esprit communautaire n’est plus qu’un leurre (surtout au Japon où l’esprit occidental basé sur l’individu a cassé le lien traditionnel entre générations), c’est sans doute plus à des films qu’à une profession et à une mission, idéalisées comme il se doit dans le film. L’excellence est et sera toujours l’exception.

Étrange jeu avec la réalité en tout cas. User d’un style assez naturaliste qu’on enrobe d’effets et de musique mielleuse pour évoquer à travers une idée idéalisée de la réalité, un rêve. À force de ne plus savoir où on est, on finit en effet par se laisser convaincre que tout cela est crédible. Comme la magie, on n’y voit que du feu. Les plus grincheux et les plus cyniques pourraient se surprendre à s’y laisser prendre.

Le résultat, arrivé au bout des trois films, est pourtant très inégal. Trop souvent Yamada semble forcer ses effets et ses intentions bienveillantes frisent trop souvent le ton sur ton et la leçon de morale. Cet humanisme est bien plus efficace appliqué à des films de genre où justement il peut appliquer cette approche pour en faire un contrepoint avec ce qu’on peut attendre d’un polar ou d’un film de samouraï.

À noter une particularité dans le dernier film : l’histoire n’est plus centrée sur le professeur (qui n’est plus l’acteur des deux premiers) mais sur deux des élèves (le film aurait tout aussi bien pu être indépendant des deux autres, on reste « à l’école » à travers un stage estival mais le film est surtout plus une romance avec comme fond les difficultés sociales et familiales des deux principaux personnages — et Yamada y loue encore les vertus de l’esprit de groupe).



Sur La Saveur des goûts amers :

Top films japonais

Liens externes :


Flag in the Mist, Yôji Yamada (1965)

La Vierge en Fury

Flag in the Mist

Note : 5 sur 5.

Titre original : Kiri no hata

Année : 1965

Réalisation : Yôji Yamada

Roman / adaptation : Seichô Matsumoto / Shinobu Hashimoto

Avec : Chieko Baishô, Osamu Takizawa, Michiyo Aratama

— TOP FILMS

Je connaissais à peine Yôji Yamada (en 2013), mais c’est une histoire de Seichô Matsumoto (Harikami et The Castle of Sand, deux favoris) et une adaptation de Shinobu Hashimoto (déjà les deux adaptations des deux Matsumoto précités, et une pagaille de grands films de Kurosawa, Kobayashi et même de Naruse : Rashômon, Les 7 Samouraïs, La Forteresse cachée, Dodeskaden, Hara-kiri, Rébellion, Le Sabre du mal, Nuages d’été, Kotan…). Il y a également Michiyo Aratama (Suzaki Paradaisu : Akashingô, Kokoro, Ningen no jôken, et encore Le Sabre du mal, Nuages d’été…).

J’étais donc assez impatient de voir ce que ce film pouvait donner. Résultat, c’est un chef-d’œuvre.

C’est un de ces films avec un bon sens de la morale qui nous questionne sur notre propre identité, sur notre capacité à percevoir ce qu’il y a en nous et chez les autres de bien ou de mal, qui montre du doigt les véritables problèmes de nos sociétés grâce à une intrigue complexe dans laquelle chaque personnage opposé n’agit pas pour s’opposer à l’autre, mais au contraire pour préserver ses enjeux personnels. Au début, pas de mauvaises intentions. C’est toute une subtilité qui peut faire une grande différence, parce que les personnages ne sont pas antipathiques : ils cherchent, ou en tout cas donnent l’impression, de chercher une solution ensemble, et ce sont les circonstances qui font que leurs conflits ne peuvent pas se résoudre… Et c’est seulement une fois que l’opposition est inévitable qu’on sort les crocs. Aucune méchanceté, juste de l’instinct de survie, et ça rend ces personnages follement humains.

Il y avait ça déjà dans Le Vase de sable. Harikami un peu moins, il était plus simple dans sa structure mais au bout du compte, il revenait sur ce même type de sujet, celui de la culpabilité révélée, la faute de jugement… Et chez un autre auteur, on avait aussi cette même touche dans Le Détroit de la faim. C’est assez comparable aussi à des films de cette époque, comme certains Masumura, Une femme confesse et The False Student. Ce sont des films presque engagés politiquement ou qui semblent du moins montrer la dureté et l’injustice d’un système. Jamais de discours un peu pesant comme certains films politiques de la même époque en Occident, on reste dans le constat, même si les conclusions qui s’imposent sont assez évidentes : il y a une justice des pauvres et une justice des riches.

Flag in the Mist, Yôji Yamada 1965 Kiri no hata | Shochiku

Le sujet est clair. C’est celui qui nous est présenté tout de suite. On va droit au but.

Une jeune fille traverse tout le Japon pour demander à un grand avocat d’accepter de défendre son frère (unique membre de sa famille qui lui reste) qui est accusé du meurtre d’une vieille femme à qui il devait de l’argent. Son frère risque la peine de mort. Malgré son insistance, l’avocat refuse de prendre l’affaire : elle n’a à la fois pas l’argent demandé pour couvrir les frais, c’est trop loin, et les preuves semblent accabler son frère.

Ensuite, ce que propose le film, c’est d’illustrer et d’aller plus loin que le simple constat du « il y a une justice des pauvres et une autre pour les riches ». Si les pauvres ne peuvent accéder à la meilleure défense qui soit pour avoir une justice équitable, alors ils « peuvent » se retourner contre elle, et contre ceux qui, eux, profitent d’une justice avec des moyens confortables.

Le développement de l’intrigue est parfois totalement improbable ; il y a beaucoup de coïncidences forcées ; mais c’est un film presque à thèse, seule l’intention, le point de vue compte au final. Inutile de chercher une crédibilité dans ces rencontres et ces coïncidences, c’est comme une allégorie, pas réaliste pour un sou, pour être plus représentatif de la vérité, de la cruelle vérité. L’intrigue sert à illustrer une idée, et le récit n’a qu’une obstination, rester dans cette idée.

Il faut à peu près une heure pour que l’histoire se retourne comme pour montrer l’autre face d’une même pièce. Les mêmes événements se reproduisent presque de manière identique (c’est là par exemple que ça ne peut pas être crédible, mais encore une fois, ce n’est pas du tout gênant, au contraire, on sent la volonté d’opposer les deux solutions, les rapprocher le plus possible pour montrer que tout ce qui changera ce ne sera que le compte en banque des accusés — ou presque, à un détail près bien sûr). S’il n’y a pas de justice pour les pauvres, il n’y en aura pas non plus pour les riches… C’est un peu le héros tragique qui décide de jouer à Dieu et de forcer le destin… des autres. Le mythe bien japonais de la lady vengeance.

Ensuite, la structure de l’intrigue est montée à la perfection. Tous les éléments donnent l’impression qu’ils ont été créés pour un jour se rencontrer et se percuter. Comme dans un film de procès ou d’enquête policière, tous les éléments classiques de ces intrigues ne sont que du détail ; ce n’est qu’un prétexte à mettre les différents protagonistes en face l’un de l’autre pour faire ressortir leurs différences. Tout montre à quel point chacun des personnages est relié à l’autre, dépend de l’autre, mais en est aussi presque esclave. Elle attend de l’avocat, au début, qu’il défende son frère à son procès ; on ne peut pas imaginer personnage plus dévoué envers sa famille (son frère, qui n’est en fait pendant le film qu’une ombre puisqu’on ne le voit qu’à travers des flashbacks — l’angle, encore une fois, ce n’est pas le drame d’un procès bâclé, donc il peut crever à la limite, c’est juste accessoire et parfaitement hors sujet ; on ne le montre pas, on le fait dire pour signifier l’évolution dans le personnage de sa sœur). Et de l’autre côté, l’avocat est asservi à sa situation d’homme respectable, prisonnier aussi de son amour pour la femme qu’il veut sauver, dépendant finalement de la femme à qui il avait autrefois refusé son aide. Tragique, mais c’est aussi finalement le même petit jeu qui se joue à différents niveaux : je t’aide, tu m’aides, tu ne m’aides pas, je te nuis. La vie est une toile d’araignée tragique.

Ce qui est remarquablement rendu, c’est donc cette opposition entre ces deux personnages. A priori le rapport de force est inéquitable, et il est même inédit sous cet angle : une jeune fille pauvre de province et un grand avocat de la capitale. Mais les hommes, tous les hommes ont des faiblesses, surtout en face des jeunes filles… Une jeune fille d’autant plus attirante dans l’imaginaire japonais qu’elle est vierge, et qu’une confusion entre sexualité et vengeance renforce un peu plus la force de sa quête. On ne parle jamais de cette sexualité, parce que dans son obstination, elle ne peut pas penser à autre chose. Et quand il en est question à la fin, c’est un détail à la fois tragique et révélateur de son engagement… Comme une arme qu’elle se réservait en dernier recours. Une arme que, dans son intelligence (et non son machiavélisme comme chez certaines femmes dévorées par une vengeance féroce), elle avait prévue dès le début de se servir en espérant ne pas devoir l’utiliser…

Il y aurait pu donc y avoir un conflit frontal, brutal, manichéen. Et ce n’est pas du tout ça. On comprend que chacun a ses raisons, et d’ailleurs, ils font d’abord, et plus d’une fois, l’effort de comprendre et d’aller vers l’autre. Mais quand deux mondes sont autant séparés… Ç’aurait été une tragédie grecque, on aurait dit que les dieux décident à leur place. Le destin. C’est une tragédie moderne. Ou une pièce de Corneille : la sœur qui veut défendre l’honneur de son frère quitte à perdre le sien, quitte à vouer toute sa vie à cette même idée de réhabilitation. C’est une révolte sourde, froide face à l’injustice. Quand on est poussé par une certaine forme de devoir par la vengeance qu’on n’a pas forcément recherchée mais qui s’est proposée à vous et qu’il ne fallait plus qu’à saisir au vol, une opportunité…, eh bien, on décide, parce qu’on pense que c’est juste, et même si on sait que ce n’est pas juste, c’est une manière de se rendre justice soi-même, puisque la vraie justice, elle, a failli.

Bref, fascinant, profond et très instructif sur le monde et la société. Oui, nous pouvons difficilement nous affranchir de notre « classe ». Même avec la meilleure volonté du monde, même en étant positif et sympathique. Et on ne peut pas aller contre les règles de la société. La société est injuste et imparfaite. La littérature et le cinéma posent le constat ; ils ne jugent pas, ne proposent rien. Chacun à sa place.

Un mot sur le découpage très serré des scènes. Comme en littérature, c’est difficile d’arriver à ne pas s’installer dans une scène. En une phrase, on peut décrire une situation sans avoir besoin de la mettre en scène. Ici, c’est pareil. Le film prend même le parti d’arriver vers la fin à montrer l’évolution des personnages à travers le même mouvement : rencontre dans un bar, puis discussion en le quittant. La même scène revient ainsi plusieurs fois, un peu comme dans In the Mood for Love. C’est de la musique : c’est répétitif, mais à chaque mouvement, ça change imperceptiblement. C’est un jeu des sept erreurs : il faut être attentif aux détails et déceler ce qui a changé dans les relations des personnages. C’est rendu possible grâce à une maîtrise parfaite de la technique narrative, notamment en matière d’unité d’action : une trame et une seule, comme une obstination, les détails importent peu, seuls comptent ces éléments de l’intrigue qui évoluent quand tout le reste est statique ou dans le flou. Ensuite, c’est la densité des images, la rapidité d’exécution qui fait le reste.

Dès le générique, on est fasciné par toute cette séquence dans laquelle le personnage principal passe des heures, passant d’un train à un autre pour rejoindre la capitale. L’actrice est parfaite. On comprend presque la situation, l’humeur du film en trois secondes. On comprend qu’on ne la verra jamais sourire parce qu’elle est dévouée totalement à son affaire. Elle ne fait pas la gueule, elle n’est pas triste, mais déterminée. Un peu comme l’obstination qu’a le Comte de Monte-Cristo, d’abord à sortir du château d’If, et ensuite à préparer sa vengeance. Ce n’est pas la détermination d’une petite sotte : on sait déjà, dès cette première image, que si elle n’a pas ce qu’elle cherche, elle continuera encore et encore sans se démonter. Une obstination concentrée sur une seule chose : justice pour son frère. Et c’est seulement à la moitié du film alors, quand il n’y avait plus d’espoir, que les circonstances vont lui permettre de passer au niveau supérieur, l’ultime remède contre un monde qui ne tourne pas rond : la vengeance. La justice solitaire et rebelle des laissés-pour-compte.

C’est un type de personnages qu’on adore parce qu’il ne s’égare pas et fait tout jusqu’à la fin pour rester digne et droit. C’est seulement grâce à cette force de caractère, cette volonté de rester « vierge » à tous les niveaux, qu’on peut comprendre l’injustice qu’elle traverse et le revirement fatal qu’espère presque comme une délivrance le spectateur. Elle semble ne pas avoir de vie propre : elle défend son frère, point. Tout le reste semble aller inexorablement vers cette vengeance. Elle n’y a jamais pensé pourtant, au début. Ce sont les circonstances qui vont lui offrir une opportunité. Dans un premier temps, au contraire, c’est un ange. Elle n’en a jamais voulu à l’avocat. Ç’aurait été trop facile d’en faire une vengeresse immédiate, et moins efficace, parce que le but, c’est justement de ne pas dire qu’il y a les bons et les méchants, mais que même s’il y avait « des bons et des méchants », ils intervertiraient les rôles de temps en temps. Le spectateur doit sentir cette noblesse, cette résistance, et il doit se dire qu’il aurait cédé plus tôt. Seulement alors, on est prêts à accepter, à comprendre qu’elle profite d’une opportunité… Seulement alors, on est prêts à comprendre les coupables, tous les coupables.


Yôji Yamada

yamada kiri no hata

L’humaniste Yamada, qu’il s’applique à retranscrire la sombre histoire d’une sœur en lutte contre l’injustice d’un système et les petites corruptions laissant peu de place à ceux comme son frère incapables de se défendre loyalement, ou qu’il mette en scène des personnages attachant comme dans l’École ou dans Tora san, jusqu’aux derniers films de samouraïs. Toujours une même humanité, celle des individus seuls représentants des valeurs qui font une société qui, elle, pourtant, les applique rarement pour elle-même.

Classement :

10/10

  • Le Samouraï du crépuscule (2002)
  • Flag in the Mist / Kiri no hata (1965) *

9/10

  • Suna no utsuwa (1974) (co-scénariste)
  • Zero no shôten (1961) (co-scénariste)
  • I, the Executioner (1968) (co-scénariste)

8/10

  • La Servante et le Samouraï (2004)
  • Otoko wa tsurai yo (1969)
  • Tora-San’s Cherished Mother (1969)
  • L’École (1994)
  • Koi no katamichi kippu (1960) (assistant directeur)

7/10

  • Love and Honor (2006)
  • Gakko III (1998)
  • Otoko wa tsurai yo: Fûten no Tora (1970)

6/10

  • Gakko II (1996)

5/10

*Films commentés (articles) :

Yôji Yamada