Le Cinquième Élément, Luc Besson (1997)

Ligne claire

Le Cinquième Élément

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The Fifth Element

Année : 1997

Réalisation : Luc Besson

Avec : Bruce Willis, Milla Jovovich, Gary Oldman, Ian Holm,
Chris Tucker

Je suis loin d’être un fan de Besson, mais ça doit être mon film préféré du « petit-maître » français.

L’atout du film, c’est qu’il ne se prend pas au sérieux. C’est le côté un peu vaudevillesque, le ton du film. Pourtant, on ne peut pas dire que ce soit une comédie des plus réussies. Il y a juste deux ou trois gags qui passent, mais c’est le ton général qui compte. Finalement, ça aurait pu être un film de Caro et Jeunet. Pas honte d’être désuet, pas honte de faire des effets grossiers, pas honte de mélanger les genres.

Je l’avais vu au cinéma en bande à sa sortie, et j’en ai un excellent souvenir. C’était le film qu’il fallait voir. Besson qui plante enfin sa caméra aux « staitses », avec une grosse star… On y croyait à l’époque. Et Besson passait même pour un auteur au pays des producteurs et du marché. Bien loin du cinéma de commande que fait un Letterier (je ne sais même pas comment ça s’écrit).

Parce que finalement, j’ai beau trouver Besson toujours assez soft au niveau du scénario, parfois du montage, on y retrouve une pâte bien personnelle. Le ton est nouveau (emprunté presque à Caro et Jeunet), mais on a le cinémascope et la clarté de l’image qui lui sont propres. Et la musique si particulière de Serra qui y est pour beaucoup dans la reconnaissance de ces films.

En cherchant la note que j’ai mis au film (systématiquement C), j’ai remarqué que je l’avais vu tout de même quatre ou cinq fois. Signe qu’on peut prendre du plaisir (en y jetant un œil quand ça repasse à la TV et en ratant la fin ou le milieu) en regardant des films médiocres. En fait, c’est un peu comme deux ou trois films de Tarkovski que je n’aime pas : il y a toujours un truc qui fait qu’on ne peut pas s’empêcher de le regarder, une scène le plus souvent (Tarko, c’est Nostalghia…, le film est d’un ennui asphyxiant, terriblement hermétique, mais il y a deux ou trois scènes qui sont comme des tableaux, purement formels, étranges, beaux, qui fait qu’on reste scotchés devant ; là pour le 5ᵉ élément, c’est la photo, les plans du début du film, le Blade runner clair…).


Le Cinquième Élément, Luc Besson 1997 | Columbia Pictures, Gaumont, Pinewood Studios


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Cloverfield, Matt Reeves (2008)

Combler le trou de la sécu

Cloverfield

Note : 3.5 sur 5.

Année : 2008

Réalisation : Matt Reeves

Un brin de Godzilla, un autre du Projet Blair Witch, le tout saupoudré d’Alien, des Monstres attaquent la ville ou des Dents de la mer ou encore de Starship Troopers. La dramaturgie est bien sûr réduite au minimum. On voit rarement le monstre dans son intégralité. On a droit au début à une scène pour présenter les personnages qui, un à un, mourront (ce n’est pas un spoiler ça, c’est le principe de tous ces films). Le seul fil conducteur étant de rejoindre une amie à l’autre bout de Manhattan en essayant de survivre aux monstres… Bref, tout est basé sur le « naturalisme » et la linéarité des événements. En cela, c’est vraiment semblable à Blair Witch. Après l’horreur, le film catastrophe donc joue avec les différents niveaux de réalité.

On avait déjà vu ce que les effets spéciaux étaient désormais capables de faire en matière de réalisme dans Le Fils de l’homme, dans la scène du débarquement d’Il faut sauver le soldat Ryan et dans la scène de bataille spatiale du dernier volet Star Wars. Comme dans le Fils de l’homme, l’idée est la transparence des effets pour accentuer le réalisme, la peur. C’est la technique qui se met au service du récit. Alors parfois, c’est un peu surfait. Le paradoxe, c’est que les moins crédibles, ce ne sont pas les images mais les acteurs, même si sur ce point, ils s’en sortent vraiment pas mal vu la difficulté d’être crédible et juste dans ce genre de truc qui se veut ultra-naturaliste.

Cloverfield, Matt Reeves 2008 | Pictures, Bad Robot, Cloverfield Productions
Si on ne voit rien, c’est que c’est produit par J.J. Abrams

On peut aussi penser que c’est un film directement issu du 11 septembre. Si les vieux films de science-fiction mettaient en scène les peurs contemporaines des Américains, à savoir la peur de l’invasion des Rouges, là c’est pareil, le danger vient de l’extérieur et s’attaque à la ville. La différence, c’est qu’il est moins défini, plus insaisissable. On ne sait pas s’il s’agit de monstre marin, d’extraterrestre, de créatures issues de la folie des hommes…, peu importe, l’Amérique est attaquée ! (D’ailleurs, ce n’est pas une coïncidence si Invasion est là encore comme une énième version de LInvasion des profanateurs de sépultures… Hollywood n’a pas cessé d’adapter cette histoire, avec dernièrement, une version télévisée en série et donc ici aussi avec le film avec Kidman.)

Après le 11 septembre, les Américains avaient cessé de faire ce genre de films par respect pour ce qui s’était passé. Mais l’Amérique digère ses démons en les imprimant sur pellicule et les digère vite. Des films comme Independance Day ou Armageddon, en dehors de leur (manque de) qualité, sont la véritable identité de l’Amérique. Un pays basé sur le mythe de l’Eldorado, fait de bannis, d’exilés, de persécutés, et s’isolant du reste du monde pour s’en protéger. Et donc, paranoïaque face aux menaces extérieures.

Il serait intéressant de comparer la culture américaine avec les deux autres civilisations qui ont une histoire d’isolationnisme. On remarque dans la culture nippone une même peur de l’apocalypse, de l’étranger venant d’un ailleurs inconnu (cf. Godzilla). Le Japon a connu deux catastrophes nucléaires sur son sol. La Chine, elle, n’a pas vraiment cette culture, alors même que son voisin l’a bel et bien envahie (et d’autres depuis deux siècles). C’est un peu comme si la Chine se suffisait à elle-même, qu’elle était trop imposante pour servir de cible aux monstres et aux catastrophes. Tu peux attaquer la Chine, mais c’est si vaste, si dense, que tu ne fais que lui bouffer deux ou trois feuilles de mûrier — le mûrier, lui, dans l’imaginaire collectif, est immuable. Sa culture est basée surtout sur des conflits à l’intérieur même de son territoire ; jusque dans sa culture, la Chine est restée très refermée sur elle-même. Même la culture issue de Hong-Kong reste très axée sur elle-même, voir vers la Chine et quand Wong-Kar Wai s’expatrie dans le Sud-Est asiatique ou en Argentine, ce n’est évidemment pas pour montrer l’étranger sous un mauvais jour (d’ailleurs il ne les montre pas, ce n’est qu’un décor). Il y a peut-être une culture similaire en Corée, influencée par le Japon ou par mimétisme par la Corée du Nord… avec l’arrivée de quelques films catastrophe avec des grosses b-bêtes qui tuent la ville (donc la nation).

Chaque culture met en scène ses propres démons. L’Amérique met en scène ses peurs de l’étranger. Ça se traduit soit par des récits remplis de violence urbaine, soit par de récits métaphoriques à travers tout le cinéma de genre. Le Japon tente de vivre après l’apocalypse d’Hiroshima, la Chine revisite son époque médiévale pour échapper à la censure ou traduit l’oppression des communautés de quartiers, du communisme en général à travers la mise en scène de truands qui ont tout pouvoir dans un monde sans justice, sans police.

Et l’Europe dans tout ça ? Les Allemands ne sont jamais aussi bons que quand ils revisitent leur histoire (Goodbye Lenine, La Vie des autres). Les délires de Visconti et surtout de Fellini ont été les fossoyeurs du cinéma italien ; Nanni Moretti et Benigni émergent de temps en temps, mais le néoréalisme et la comédie italienne n’ont pas eu de suite. La culture aujourd’hui, en Italie, elle est sur les chaînes de Berlusconi…

En Espagne, on semble se tourner rarement vers le passé, ou sinon l’époque franquiste n’est qu’un décor. Le meilleur film sur cette époque est sans doute anglais avec Land and Freedom de Ken Loach. Seul Almodovar a émergé. Ses délires étant le signe d’une liberté nouvellement acquise. Il s’est depuis assagi, mais ses films restent des farces intemporelles, d’excellents films qui pourraient être aussi bien japonais ou français ; c’est un peu de la world culture

L’Angleterre n’a pas à se trouver une culture, elle n’a pas de démons à affronter (à part du côté de l’Irlande peut-être…) car elle n’est finalement devenue qu’une sous-culture de la grande Amérique. Elle est après Hollywood, le centre cinématographique américain : une très grande partie des stars us sont en fait britanniques, ainsi que ses techniciens, une partie du phénomène pop musique est née là-bas ; le seul démon qu’elle pourrait avoir, c’est l’Amérique elle-même… sinon, qui irait se plaindre de la Reine ? (À noter toutefois qu’on peut voir James Bond comme le fantasme ou la nostalgie de la puissance de l’empire britannique).

Et en France ? Elle est schizophrène. Autrefois sa culture était au centre de toutes les attentions ; aujourd’hui, elle déprime en se sentant peu écoutée. Surtout, elle ne cesse de vouloir se comparer à la culture dominante qu’est la culture américaine, parce qu’elle ne connaît rien d’autre qu’être le centre de toutes les attentions. Jalouse, elle essaie d’imiter, mais ça ne marche pas (et pour cause, on n’intéresse pas grand monde quand on parle des démons des autres). Reste des genres peu appréciés du grand public qui ne voit que par la culture américaine, ne cesse de réclamer des chewing-gums aux G.I venus les délivrer, et qui en en ayant honte se reporte vers la découverte des autres cultures du monde (au lieu de se tourner vers sa propre histoire, ou ses propres mythes, comme on le fait donc en Chine par exemple). Comme l’Angleterre, si la culture française avait un démon ce serait la culture américaine, la peur de devoir se comparer à elle, la peur d’être oubliée et de ne plus être jugée à sa juste valeur telle une grand-mère qui rappelle à ses enfants qu’elle aussi était belle autrefois. La culture française a pourtant des démons qu’elle met souvent en scène mais qui attirent peu l’attention de son public. Nos démons d’aujourd’hui sont la peur de la précarité, le conflit social ou familial. Bienvenue chez ceux qui n’ont pas de problèmes. Problèmes de riches, de gens heureux (qui ne le savent même pas). Les gens heureux n’ont pas d’histoire. C’est parce qu’on ne vit pas mieux dans aucun pays du monde qu’il est difficile de se trouver des démons à combattre. Les nôtres sont minuscules, donc risibles. Parfois. Surtout quand le pays de l’existentialisme hésite entre la Maman, et la Putain. Chez Maupassant, chez Flaubert non plus il n’y a que des conflits de genre « minimes », mais ils ont été portés par le rayonnement d’une culture à son apogée. S’ils vivaient aujourd’hui, ils seraient dépassés. Ce qui intéresse chez eux, c’est l’environnement bien français de la fin du XXᵉ siècle. Un environnement déjà décrit dans d’innombrables récits ; même s’ils nous décrivent un petit village de campagne sans intérêt ou une chambre à Paris, ça nous paraît déjà fantastique rien qu’à leur évocation ; parce qu’il y a derrière tout ça une culture qui nous est familière, qui est familière au monde entier. Difficile d’avoir été quand on est plus, on ne sait quoi faire… Copier, réinventer ? On se cherche…

Le plus ironique dans tout ça, c’est que, souvent, en dehors de la culture us qui n’a jamais de peine à mettre en scène ses démons. Freud s’il n’avait pas été Viennois aurait été quelques décennies plus tard Américain ─ d’ailleurs ses « théories » ne sont pas plus populaires ailleurs qu’aux USA, partout ailleurs, sauf en France, il est dépassé), les cultures elles-mêmes ne sont pas toujours les mieux placées pour parler de leurs propres démons. Du moins, de les affronter directement. Le meilleur film sur Hiroshima, le plus explicite, c’est un film français, Hiroshima mon amour. Le Tombeau des lucioles par exemple aurait pu traiter le sujet, mais a glissé timidement sur autre chose, une autre catastrophe (mais un démon tout à fait identique. Le meilleur film sur la part d’ombre de l’histoire française a été réalisé par Kubrick, avec les Sentiers de la Gloire et ses « fusillés pour l’exemple » durant la grande guerre. Les films sur la résistance ont été nombreux, mais sur la collaboration, sur le régime de Pétain, finalement, c’est timide. On préfère encore se souvenir des héros, plutôt que des monstres, or les héros sans monstres ne sont rien, et là, c’est comme si ces héros ne faisaient jamais face à leurs démons, comme si c’était du vent. Les collabos ? En dehors de Lacombe Lucien, je n’en vois pas beaucoup, sinon des crapules juste bonnes à glorifier les autres qui eux sont des héros. Et puis, il y a La Bataille d’Alger… forcément, un film italien.

Il y a un domaine que les Français devraient donc aussi creuser, au lieu de vouloir imiter la violence urbaine américaine (totalement inexistante en France ou presque), c’est le film catastrophe ou de science-fiction sur la peur des envahisseurs, de l’intrus, de l’étranger. On cherche parfois à imiter leur violence urbaine alors qu’on habite sans doute dans un des pays les plus sûrs au monde, où il fait le plus bon vivre, alors qu’on a un point commun avec eux, même si notre approche est sans doute encore plus schizophrène, c’est la peur de l’autre, de l’intrus, de l’infiltré. La série V aurait dû être française (elle tire d’ailleurs son inspiration de la résistance française pendant l’occupation), toute la gamme de films sur le thème des Envahisseurs auraient sans doute une crédibilité. Restera ensuite bien sûr de ne pas aller vers le sens de cette peur… « On va vous faire peur, et vous avez raison d’avoir peur !!! »

Encore faut-il avoir des auteurs disponibles et écoutés (on peut avoir des auteurs, mais ils ne sont pas toujours pris au sérieux… Ainsi entre mille exemples on peut citer La Planète des Singes de Pierre Boule, Papillon de Henri Charrière, Le Salaire de la peur de Georges Arnaud également adapté par Friedkin alors que le film pour le coup de Clouzot était une grande réussite ; et nos auteurs populaires, le plus souvent, faute de culture d’adaptation cinéma, iront voir du côté de la BD). On pourrait traiter la Guerre d’Algérie, les attentats de la fin des années 90, le déploiement d’armée ou d’ONG dans le monde… Même ça, on ne fait pas, on préfère laisser faire par les autres. Quand la femme (française) de Richard Pearl sort un bouquin, ce sont les Américains qui l’adaptent…

On n’aime pas mettre en scène nos peurs ? Et donne des leçons de morale au monde entier et on n’est pas capable d’apporter un jugement critique sur nos propres démons. S’il y avait à définir l’esprit français, le voilà. Et si par hasard un type prenait le risque de parler de ses peurs, on crierait tout de suite (en j’en ferais probablement partie) au balourd. À défaut d’avoir encore des loups pour nous faire peur, on tire sur les balourds (oui, je suis lourd). Ce n’est pas ce qui est arrivé à Kassovitz avec L’Ordre et la Morale ?

Au fond, on peut se rassurer autrement. Si on n’a pas (ou plus) d’auteurs français qui influencent la culture du monde, au moins, on peut être fier d’avoir une économie (grand paradoxe) qui fait vivre une bonne partie du cinéma du monde (hors USA). Sans Canal+, ou Arte, et sans les redistributions sur recette à la production française (qui produit une très grande part dans le cinéma hors France), certains cinémas étrangers n’existeraient pas. L’influence de la culture française, elle est là. Pas d’auteurs, mais des producteurs. Une sorte de grand programme pour l’aide au développement cinématographique… Un vrai paradoxe (une autre schizophrénie) pour cette culture qui met en avant autant « la politique des auteurs »… sans en avoir, ou plutôt qui refuse de voir les siens… Ou qui considère qu’un cinéaste qui met en scène nos peurs contemporaines n’est pas un auteur (nouvelle ironie, un film comme Cloverfield n’aurait pas du tout été possible en France à cause de son aspect purement commercial, pourtant les Cahiers adorent le film…). De David Lynch à Almodovar, en passant par Wim Wenders, Nanni Moretti, Wong Kar-wai, Aki Kaurismaki ou Theo Angelopulos, les fonds français sont partout. Et tels les bons marchands, il n’y a pas mieux que nous pour mettre en valeur les produits venant de ces ailleurs, à travers une quantité impressionnante de festivals sur tout notre territoire. La France, c’est ni Florence, ni Vienne, mais c’est déjà Venise, et ce n’est déjà pas si mal. Mais faisons en sorte maintenant de ne pas couler… En acceptant de produire nos merdes sidérales, nos films qui font peur. Il y a des vertus cathartiques à regarder un film qui s’attaque à nos peurs. On ne prend plaisir qu’en face des peurs des autres, on ne nous met jamais en danger… Tu m’étonnes ensuite qu’on se bourre de médocs. Le monstre de Cloverfield pourrait bien résorber le trou de la sécu ! Mais oui…

Heu, oui Cloverfield… He ben, j’ai été dévoré par le monstre du hors sujet. Zavez pas vu ma main trembler ? Voilà une capture que j’ai pu préserver dans la pagaille :


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Rencontres du troisième type, Steven Spielberg (1977)

La montagne magique

Rencontres du troisième type

Close Encounters of the Third Kind

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Close Encounters of the Third Kind

Année : 1977

Réalisation : Steven Spielberg

Avec : Richard Dreyfuss, Teri Garr, François Truffaut

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C’est un peu mon film fétiche. Je l’ai vu tout petit à la même époque que E.T, avant même Star Wars (normal, il y a un âge où on regarde ce que les parents regardent). Le film a eu beaucoup de succès à l’époque, mais pas autant que le film précédent de Spielberg (Jaws) et que les suivants (Indiana Jones et E.T). Si bien qu’aujourd’hui on ne le connaît peut-être pas autant que les autres films de Spielberg…, d’autant plus que son titre n’est pas terrible et qu’on pourrait le voir aujourd’hui comme une vulgaire introduction à E.T et que pour couronner le tout, le film est sorti six mois après Star Wars, de quoi profiter d’un premier effet de mode de la SF, mais de très vite retomber dans l’ombre du film de Lucas.

Reste que pour moi, c’est un chef-d’œuvre. Chez aucun autre cinéaste, on voit la vie de banlieue traitée comme Spielberg le fait ici. Il l’avait déjà fait dans Jaws, il continuera dans ET… Les scènes dans les familles sont absolument géniales, pas loin des meilleures scènes de Cassavetes (oui, monsieur). La différence, c’est que tel Shakespeare, Spielberg mélange les genres (oui, monsieur). Son film n’est pas une analyse sociale ou psychologique : il vise à montrer. Et il ne montre pas la vie ordinaire des gens, mais la vie ordinaire des gens embarqués dans des événements exceptionnels. Certains disent que c’est commercial…, que faisait d’autre Shakespeare ? Il informait son public tout en le divertissant. Tous ses personnages sont exceptionnels, tous les événements ou presque de son théâtre sont des moments importants de l’histoire, ou des histoires exceptionnelles. Spielberg et Shakespeare : même combat. S’il leur arrive de proposer une analyse, ou plutôt une vision d’un monde, d’une société, ils ne s’y attardent pas ; ça reste anecdotique dans leur sujet, parce que ce qu’il cherche avant tout c’est plaire, divertir. Aristote, il y a plus de 2000 ans, ne disait pas le contraire… Il n’y a que des snobs irrités aujourd’hui par le succès, coincés du cul (un peu constipé, je vais y revenir) qui méprisent ce cinéaste (tout en vénérant sans doute Shakespeare parce que c’est ancien, sans y reconnaître la volonté de l’auteur de plaire…).

Rencontres du troisième type, Steven Spielberg (1977) | Julia Phillips and Michael Phillips Productions, EMI Films

Qu’y a-t-il de mal à raconter des histoires qui plaisent ? Est-ce que Jésus est un prophète commercial ? Est-ce que Gutenberg méritait le bûcher parce qu’il a rendu possible l’accès à tous de la culture… à des plaisirs nouveaux. Il n’y a pas que la connaissance et le savoir dans les livres. Si on les lit, c’est aussi parce qu’on y trouve du plaisir. Si on aime les récits du vieux conteur à la lumière douce de l’âtre, c’est aussi pour en apprécier les effets magiques. Les conteurs d’antan cherchaient à émouvoir, bien sûr, ce n’était pas l’objet premier de ces histoires, car elles visaient avant tout à évoquer des événements passés. Mais si les conteurs avaient utilisé des méthodes prosaïques pour raconter leurs histoires, c’est que pour les diffuser, il faut bien un peu de magie, de rêve, d’exceptionnel. Il ne faut pas oublier l’origine de chaque histoire : c’est le conte oral et non la thèse. Les « pseudo-intellos » sont les fossoyeurs de la poésie, ils ne veulent pas voir le sens du beau et du mystérieux dans ces formes brutes de récit. Eux qui ne s’attachent qu’au fond, ne voient que la forme des films de Spielberg, que les effets de mise en scène, le désir de plaire…, et n’y voient pas tout le génie que cela comprend. C’est bien plus simple de faire un film froid, sans saveur, neutre, analytique. On paraît toujours plus intelligent quand on ne se mouille pas (et c’est bien ce dont il est question pour certains : paraître intelligent), alors que jouer avec le feu de la pyrotechnie, c’est prendre le risque de se brûler et d’en faire trop. Tout l’art réside dans la mesure. L’une des vieilles règles aristotéliciennes, c’est la vraisemblance… Si le récit qu’on expose est déjà un réel sans saveur, sans artifices, où est la difficulté de traiter de la vraisemblance puisqu’on s’efforce de montrer la vie telle qu’elle est vraiment ?

Bref, je parlais de ces scènes entre le personnage de Richard Dreyfuss et sa femme au milieu de leurs enfants. Des scènes que certains applaudiraient dans Une femme sous influence…, seulement, c’est du Spielberg, beurk, c’est mal vu, on ne doit pas aimer ce genre de dessert trop gras et trop sucré…

Pour être franc, je ne revois pas ce film tous les ans non plus. Mais j’avais lu quelque part que dans la version originale Truffaut jouait en français. Ce qui m’avait plutôt étonné parce qu’il a tout de même un rôle conséquent. J’étais donc curieux de voir la vraie version, celle où Truffaut parlait français et était traduit, en direct, si on peut dire. Et ce qui marque dans le film en fait, c’est que, en effet, le cinéaste français ne parle pour ainsi dire jamais en anglais, mais qu’il n’est pas non plus toujours traduit ! Ce qui doit donner aux spectateurs non francophones une impression bizarre, parce qu’ils entendent du français, ne le comprennent pas, et cependant, grâce au contexte et au jeu d’acteur très doinelien de Truffaut, doivent sans doute comprendre les trois quarts de ce qu’il dit. Et il n’est pas pour autant sous-titré. En fait, tout se joue dans la suggestion. Truffaut, c’est un peu comme le requin dans Les Dents de la mer : on ne le voit jamais et pourtant on est persuadé de l’avoir vu pendant tout le film. Truffaut, les Ricains ne le comprennent pas, mais au final, ils ont tout compris de ce qu’il raconte. Spielberg, s’il arrive à capter l’attention du spectateur, c’est bien qu’il arrive à faire travailler son imagination, contrairement à ce que pourraient penser certains, devant un film de Spielberg, on n’est pas inactif, stupide. Brecht visait à « faire penser », Spielberg vise, lui, à « faire rêver ». Il faut les deux…

On devrait d’ailleurs être fiers de l’image de la France dans ce film. S’il est parfois fait allusion dans des scènes du début aux Nations Unies ou à une organisation internationale de déchiffrement des codes envoyés par les extraterrestres, il n’y a que deux nations mises en avant dans le film. Bien sûr la France est souvent montrée en second plan, mais tout de même… Dans la longue séquence finale de la rencontre, les deux drapeaux qui flottent dans la base, sont les drapeaux ricain et français. Quand Richard Dreyfuss, demande avec véhémence qui est en charge dans la base, qui est le responsable, on lui dit que « Monsieur Lacombe est celui qui commande tout ici » À quoi il répondra : « Mais il n’est même pas Américain ! » En effet, ça peut paraître curieux. On est souvent agacé de voir que dans les mégas productions hollywoodiennes, les extraterrestres rentrent toujours en contact avec les Américains, s’il y a des colonies dans l’espace, il n’y a que des Américains… C’est un peu comme si sur Terre, il n’y avait que des Américains. Eh bien, là pourtant, dans peut-être le premier film du genre (il y a un peu du Jour où la terre s’arrêta, c’est vrai, mais ça fait loin), c’est un savant français qui mène la barque. Bien sûr, il y a les méchants militaires us avec leurs lunettes noires qui veulent prendre le contrôle, mais le véritable pouvoir, c’est Truffaut. — Pas très crédible, mais sympathique à voir. Spielberg fait d’une pierre deux coups : il rend hommage à la fois à Truffaut lui-même, mais aussi à Jacques Vallée, un des ufologues les plus connus à l’époque.

Le film est surtout connu pour cette longue séquence finale de la rencontre. Tout est transporté par la musique de Williams, les effets spéciaux de Douglas Trumball et par la mise en scène, attentive, précise, discrète de Spielberg. Mais ce qui m’a marqué encore plus, tout petit, ce sont ces séquences curieuses où certains personnages tentent de reproduire leur vision de cette montagne perdue au milieu de nulle part. Dans mon esprit d’enfant, c’était toujours resté quelque chose de mystérieux, je ne faisais pas le lien avec la suite. Pour moi, ce n’était pas une vision. Leur attitude mystérieuse demeurait inexpliquée. C’était des séquences où, tout à coup, sans aucune raison, des personnages se mettaient à jouer avec la nourriture, avec la terre, la mousse… Ce comportement devait éveiller des sentiments étranges en moi, parce qu’un personnage qui n’a comme intérêt que de dessiner, construire un énorme phallus de purée, il doit y avoir quelque chose d’une obscénité enfouie là-dedans… Mais surtout, c’est la scène où Dreyfuss fait une immense montagne de boue (pour ne pas dire de merde) dans son salon. Pour un enfant, il est autant interdit de jouer avec la nourriture que de jouer avec son caca (ou peut-être que c’est devenu un lien logique pour moi après ce film). Quoi qu’il en soit, pour moi, c’était bien ça, à cette époque, Richard Dreyfuss ne faisait rien d’autre que de jouer avec son caca… Sa quête, son obsession à lui c’était d’élever un immense phallus de merde dans son salon ! De quoi traumatiser un enfant…

« ET…télétron… maison. »

Et là, j’ose une analyse encore plus poussée (hi… hi… hi… — pas le son du vieillard qui rit, mais bien celui du petit Lim constipé sur son pot qui ne veut pas voir l’étron magique sortir de son popotin) que j’appellerai en toute simplicité : « psycacanalyse de mon troisième type à moi ». J’ai donc dit que j’avais vu ET à la même période… Et certains exégètes très sensés ont relevé que si les enfants aimaient particulièrement ET, c’est que celui-ci ressemblait à un véritable étron… Je passe sur les détails et le pourquoi pour un gamin un étron sur patte (de surcroît venant de l’espace) peut paraître si passionnant… Parce que pour moi, ce qui m’a le plus marqué dans ce film, ce n’est pas le départ larmoyant de la petite créature couverte de “boue” ou la connexion qui pouvait exister entre un étron de l’espace et un gamin de dix ans (et une fleur qui reprend vie grâce à l’engrais ET), non pour moi, c’est le mythique « ET téléphone maison, ET rentre à la maison »… Tellement mythique que j’amusais toute la classe en imitant la voix de la créature disant cette phrase. Je vous laisse le soin de faire le lien très spirituel entre mes constipations de jeunesse et le « ET go home ».

En fait, l’objectif de la dramaturgie, c’est de divertir et d’instruire. Depuis les Grecs, et sans doute bien avant, c’est ainsi. C’est seulement à mon avis, avec la naissance du théâtre épique de Brecht (qui n’a d’épique que le nom), et la théorisation d’un art de la distanciation pour faire réfléchir, que la dramaturgie s’est un peu détournée du public de masse (un paradoxe puisque c’était le but premier). Au Moyen Âge, on jouait des pièces, des farces, des bouffonneries, des pièces religieuses, sur le parvis de l’église. On mélangeait un peu tous les genres et c’était la télévision de l’époque. Le peuple, pour l’instruire (essentiellement de la chose religieuse), il n’y avait qu’un moyen : le théâtre. La chanson de geste, c’est le même principe : on chante les louanges des exploits des héros passés, ça avait une valeur informative, et personne n’aurait à l’époque l’idée de faire un truc austère, puisque l’idée est de toucher le plus de monde, d’instruire le plus de monde. Chez les Grecs, c’était la même chose, Aristote en parle même dans sa poétique : le but de l’art, c’est de plaire et d’instruire. Même chose en Afrique avec les contes oraux, en Asie avec les différents théâtres “chantés”…

Là, où c’est devenu un peu pervers, c’est que de fil en aiguille, puisqu’un genre en crée souvent un autre, une théorie en amène une autre, l’idée de départ de Brecht qui est de rendre moins bête le peuple qui devait sans doute à cette époque regarder la Star Ac’ de l’époque, est devenue ailleurs du pseudo-intellectualisme. De l’idée de départ d’instruire le peuple, on en est venu à faire une dramaturgie d’élite pour des élites. C’est quelque chose qui a plané dans l’air un certain temps sans s’imposer, parce qu’au milieu du XXᵉ siècle, on avait encore dans l’idée de plaire au plus grand nombre (cf. Jean Vilar, les films de l’époque qui sont à la fois exigeants et tout public). Mais tout s’est précipité, en France, autour des années 60. Ça a commencé par le Nouveau Roman. Robbe-Grillet, c’est intéressant, mais c’est de la littérature expérimentale. Le problème, c’est qu’on ne fait pas d’une expérimentation quelque chose de populaire, et avec l’augmentation d’une tranche de la population qui a accès au savoir, aux choses “intellectuelles”, bah ce genre de truc qui aurait dû rester underground a trouvé un public suffisant pour plaire et pour survivre. Mais surtout l’apparente simplicité du style, cet intérêt de s’attacher aux petites choses simples de la vie, aux non-dits communs de tout le monde, a donné la fausse impression que l’art, que la dramaturgie, c’était simple à faire, et que surtout, ça pouvait se suffire à lui-même dans une sorte de regard sur lui-même totalement effrayant. Cette époque, avec le Nouveau Roman, la starification de la philosophie ou plutôt du couple Sartre-Beauvoir, c’est le chant du cygne de la culture française, et la naissance du grand n’importe quoi. Le grand paradoxe, à cette époque, c’est que tout le monde s’émerveille de cette culture, elle est donc encore “populaire”, mais un art tourné vers l’intellect, vers la réflexion, la masturbation, vers les choses communes de la vie au quotidien, ça ne peut pas avoir comme vocation de plaire à long terme.

Un autre exemple très significatif de ce tournant, c’est la nouvelle vague française au cinéma (d’ailleurs cette multiplication de l’épithète “nouveau” devait être un signe qu’il y avait un truc qui se cassait la gueule). Les premiers films, en dehors de leur qualité (Le Beau Serge par exemple, c’est très moyen) sont véritablement novateurs. Mais c’est en rien une révolution… Les Italiens avaient remis les caméras dans la rue quinze ans plus tôt. Mais les films suivants sont sans cesse (en dehors des exceptions confirmant la règle) toujours plus élitistes. Et toute cette mentalité se propage, à cause de la puissance et du rayonnement d’alors de la culture française, partout dans le monde (en dehors peut-être de l’Asie). Alors malgré tout, il y a des génies qui naissent de ce grand n’importe quoi. Bresson, Bergman, Tarkovski… (quoiqu’il y avait aussi une culture de l’austérité chez les Scandinaves et chez les Russes bien avant que ça explose chez nous… Brecht avait d’un côté influencé les austères protestants et de l’autre les Slaves au sang chaud mais bridés par un pouvoir austère). Mais dans l’ensemble, puisque l’idée de cet art coupé de son public, n’a aucun sens, ça roule un peu comme des villages de consanguins. Les individus au fil des générations deviennent de plus en plus débiles, de moins en moins exigeants avec leur art tout en prétendant atteindre le summum de la création car faisant partie d’un cercle restreint « d’initiés ». C’est un non-sens total. Et ce qui a couronné le tout, c’est la révolution en 68. La liberté de faire n’importe quoi s’est propagée, on a vomi l’ancienne « qualité française », cette liberté devient la possibilité de mettre sur un piédestal le n’importe quoi, tout le monde se prétend artiste avant-gardiste, veut inventer quelque chose de nouveau (alors que les véritables savants eux savent qu’on n’a rien inventé depuis les Grecs, mais à ces savants, on a fini par leur couper la barbe et par leur faire manger pour les faire taire). Tout le monde produit, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil… Bref, on ne se rend pas compte qu’on est déjà dans le trou. Et le fossé entre un art d’élite et un art du peuple se creuse. Les uns méprisant les facilités et le goût de plaire, l’absence d’intérêt intellectuel, d’instruction, de l’art populaire et les autres méprisant l’austérité des nouveaux pseudo-intellectuels-masturbateurs… Les deux règles premières d’Aristote se scindaient en deux. C’est le schisme culturel. D’un côté, les partisans de l’art du “plaire”, de l’autre, les partisans de l’art du “instruire”. Tout ce petit monde ne se rejoignant jamais sans comprendre qu’ils ont tous les deux torts.

Fort heureusement, le monde a fini par se détourner de notre vision absurde de l’art, et on a cessé d’influencer le monde de nos idées idiotes. On retrouve ailleurs ce même schisme entre deux cultures distinctes, d’une part la culture Pop, qui ose à peine se définir comme une culture (en France, ce terme est tout de même devenu un gros mot = si on va dans la rue et qu’on demande à un type avec une casquette et un maillot de basket ce qu’il pense de la culture, il répondra : ah non c’est chiant la culture…) et de l’autre celle qui se prétend comme la seule culture légitime, celle qui fait de l’HArrrt.

Donc, nous, on continue, certaines cultures étrangères sont tombées dans le piège, mais la culture dominante du monde a fini par s’en moquer totalement. La culture américaine si on peut par exemple aujourd’hui bien voir une démarcation entre différents types d’œuvres…, on parle de cinéma indépendant par exemple en opposition au cinéma d’Hollywood, on a tout le mouvement underground new-yorkais (qui est apparu sans doute même avant tout le n’importe quoi français, mais eux, c’était surtout dû pour une trop grande concentration de talents du monde entier) qui touche à tous les arts… Mais globalement, il y a une même idée de plaire et d’instruire en même temps, en tout cas de plaire par l’exigence du contenu. Bien sûr, la culture us nous abreuve de bêtises chaque jour, mais il n’y a pas de secret : si tout naît là-bas, c’est aussi qu’il y a des putains de talents qui ne se demandent pas de quel bord ils sont, qui font les choses comme on les a toujours faites avant ce putain de XXᵉ siècle.

Alors oui comparer Spielberg à Shakespeare, ça peut faire vomir certains parce que ce n’est pas dans l’ordre des choses. Et au fond, ils sont très différents, si on oublie le point commun sur lequel je pointais le doigt en faisant cette comparaison : ce sont deux putains de conteurs qui atteignent l’universalité, qui sont au-dessus de toute querelle de clocher.

Alors, si l’un est méprisé parce qu’il est compris dans ce grand préjugé, que le théâtre, c’est vieux et poussiéreux, chiant (un bon tiers des pièces de Shakespeare sont des comédies et toutes ses pièces contiennent des scènes de comédie…, on oublie aussi que Molière n’écrivait rien d’autre que des comédies, que Cervantes n’en était pas loin… — alors, c’est passé de mode, mais découvrir un vieux truc, c’est un peu comme aller à l’autre bout de la planète pour découvrir une autre culture), et si l’autre l’est tout autant, parce qu’il a du succès, parce que ses histoires sont simples et compréhensibles de tous, que dans tous ces films ou presque il y a un rapport à la vision de l’enfant, à sa naïveté ; si l’exotisme et l’aventure sont perçus comme des puérilités de seulement dignes des fêtes foraines ; si on ferme les yeux sur son génie de conteur…, alors oui, c’est bien, bien dommage. Tous ces gens-là se privent bêtement de cette saveur universelle connue depuis des millénaires par les conteurs et les spectateurs : le mélange parfait du plaisir et de l’instruction.

Que font les jeunes animaux pour apprendre à survivre dans la nature ? Ils jouent. Nos propres enfants font la même chose, les spectateurs font la même chose. Si je m’ennuie, je n’apprends rien ; si je m’amuse, si mon plaisir est mis en éveil, j’apprends, je m’enrichis. C’est à la base de notre nature.

Ouh là, désolé pour la montagne de merde… !


Blade Runner, Ridley Scott (1982)

Blade Runner

Note : 5 sur 5.

Titre original : Blade Runner

Année : 1982

Réalisation : Ridley Scott

Avec : Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young, Edward James Olmos, Daryl Hannah, Joanna Cassidy

— TOP FILMS —

Suite de notes anciennes souvent incompréhensibles.

Journal d’un cinéphile prépubère : le 14 août 1997

Un travail extraordinaire sur la mise en scène. Une mise en scène envahissante focalisée sur des ambiances travaillées. L’action dramatique (celle qui touche aux événements de l’intrigue à proprement parler) se met en retrait et devient presque anecdotique face aux actions d’ambiance multiples. Une place tellement envahissante qu’elles tendent à prendre un rôle dramatique dans l’esprit du spectateur. L’intrigue, ainsi, peut se perdre à la première vision et paraître hermétique : on ne comprend les différentes évolutions et éléments qu’à la seconde ou troisième vision du film, une fois le choc esthétique passé.

En plus, les véritables actions d’ambiance (celles qui sont précisées par le scénario et l’action générale, et non par une mise en scène pour créer une atmosphère) sont légitimement refoulées à un rôle moins important, de remplissage. Elles paraissent invisibles et contribuent à l’élaboration d’une ambiance vraisemblable, car la réalisation ne s’y attarde pas : c’est compris dans la mise en scène mais la caméra reste fixée sur l’essentiel. Par exemple, quand Deckard trouve son premier répliquant avec la femme au serpent, on ne se rend même pas compte qu’en s’enfuyant, une autre femme du cabaret vient lui demander ce qui se passe : cette action d’ambiance est pratiquement éludée par la rigueur de la mise en scène, et contribue ainsi à créer du « vent », une sorte de bruit ambiant fait d’actions secondaires en marge de l’action principale.

Blade Runner, Ridley Scott (1982) | The Ladd Company, Shaw Brothers, Warner Bros.

Ensuite, quand Deckard la poursuit, la mise en scène instaure plus de plans d’ambiance qui nous inspireront une parade mystique dans les rues de Los Angeles, et n’insiste pas en faisant des plans plus dramatiques (tournés vers l’action du moment) : on sait qu’il doit la rechercher, c’est un tout, c’est l’essence de la séquence, mais les plans montrent autre chose, et on oublie qu’il la cherche pour la tuer, car c’est presque anecdotique (on se doute qu’il la supprimera) : une fois que la séquence introduit cette idée et qu’on est convaincu de son identité, ce thème de la poursuite, il en est fatalement question durant la séquence, alors autant montrer autre chose qui va plus loin, avec un sens à chaque plan. L’environnement existe et prend une part dramatique lorsque les plans de la réalisation aident à construire l’état psychique des personnages. En somme, la mise en scène de Scott consiste à montrer ou à chercher ce qui se cache derrière ce récit, et derrière chaque action, l’action d’ambiance devenant le reflet révélateur de l’action dramatique.

La réalisation dans Blade Runner a beau être sophistiquée, recherchée, elle n’est jamais explicative ou répétitive : elle n’est nullement prétentieuse. Scott montre les choses simplement dans un parfait équilibre de lenteur et de montage renouvelant l’action. La mise en scène est donc transparente et efficace. De plus, ces actions, si elles sont traitées dans une forme parfaite (unité, concision), le fond n’est pas mal non plus : il s’agit d’actions-conséquences, et non d’action-causes ; elles se suffisent à elle-même, ne suggérant qu’imagination, et non une suite, et donc une réflexion, et participent ainsi à la création d’une vision, et d’une ambiance mystérieuse.

Le traitement et l’importance de l’espace et des décors sont assez particuliers. Ridley Scott a voulu leur donner une grande importance, à en croire le travail de création qu’il en découle, et à son identité spécifique (anticipation, bien sûr, mais on retrouve des éléments traditionnels, surtout dans la mégapole asiatique qu’est devenue LA, et chez Tyrell où l’environnement est au début pharaonique, et à la fin dans sa chambre, baroque, avec des bougies ; on se croirait dans La Belle et la Bête ou dans le Dracula de Francis Ford Coppola ; ou encore dans l’immeuble désaffecté du jeune généticien où se déroule toute l’action de la rencontre entre Deckard et le répliquant).

Néanmoins, si le travail de décoration-design n’est pas primaire, la réalisation ne joue pas son jeu et évite le ton sur ton, et la réflexion de Scott est intéressante : si les décors et l’espace sont bons, ils se verront inévitablement, et participeront à créer une ambiance ; ainsi la réalisation se porte plus sur la psychologie des personnages, en les mettant en évidence, mais il est compris dans un espace, un décor, à forte personnalité ; il invite ainsi le spectateur à ne pas regarder que l’évidence, le premier plan, mais ce qu’il y a derrière. C’est un traitement différent de celui de Kubrick par exemple, qui lui est primaire (il montre le rien, en suggérant, ou montrant, beaucoup par des plans larges, très éclairés), concret, pragmatique, et tout autant mystique, même si ses plans montrent des personnages, ils sont compris dans l’environnement, souvent clos, labyrinthique, par des plans d’intérieurs larges, immobiles, objectifs, froids, avec de rares gros plans ou simples plans rapprochés, tandis que le gros du développement des séquences chez Scott se fait par des plans rapprochés : on pénètre dans l’action. Kubrick, lui, les identifie, émeut, par sa distanciation, Scott n’utilise les plans larges que pour introduire, montrer des actions non-essentielles, ou dans des inter-séquences de présentation d’ambiance, d’intermède rythmique (les publicités). La réalisation de David Fincher se rapprocherait plus de celle de Scott dans Blade Runner, sans la lenteur et le mystère.

À noter aussi que cette lumière obscure, ces néons, et ses lumières tourbillonnantes autour d’espaces nocturnes, contribuent à ne jouer le rôle de l’espace et des décors que dans une mesure paradoxale : on cherche plus à les voir quand ils sont dans l’obscurité qu’on les découvre au même moment que les personnages. Là encore tout le contraire des lumières de Kubrick qui aspergeait ses décors d’une lumière claire et envahissante tout en suggérant qu’on ne voyait pas tout. Dans les deux cas, il y a un mystère à découvrir derrière ces décors angoissants, simplement par le fait qu’on n’utilise pas une luminosité ordinaire et qu’on semble y tapir des éléments susceptibles d’apparaître à tout moment.

J’écrirai, un jour, un commentaire digne de ce nom…