Calamari Union, Aki Kaurismäki (1985)

Eira S

Note : 2 sur 5.

Calamari Union

Année : 1985

Réalisation : Aki Kaurismäki

Avec : Timo Eränkö, Kari Heiskanen, Asmo Hurula

Il y aurait la question de l’impossible adaptation de l’humour absurde, probablement plus formaté pour la scène que le cinéma, à se poser. Je crois l’avoir déjà traitée ici, et on n’est pas à proprement parler avec cet opus dans une adaptation, mais si Kaurismäki flirte toujours avec l’absurde, voire simplement avec l’humour, je n’ai pas souvenir qu’il ait été aussi loin que dans ce Calamar Union. Et en réalité, en dehors peut-être de l’humour absurde des Monty Python, je ne vois pas d’exemple de réussite franche de l’absurde au cinéma (même si au théâtre, j’ai peur que ça tourne également souvent en rond).

Si ça marche chez les Monty Python, c’est qu’ils sont sans doute plus versés dans l’humour que dans l’absurde. Question de dosage. Passé les quelques premières minutes fatidiques dont je parle quelque part et qui font perdre tout intérêt à l’absurde, si on n’y intègre pas un semblant de trame, avec sa cohérence et ses enjeux pour qu’on puisse se projeter vers un objectif désiré, un accomplissement, on finit par renoncer à se laisser convaincre par ce qui n’apparaît plus que comme des astuces, des trouvailles ou des caprices pleins d’absurdité. Quand le seul moteur d’un film devient l’audace ou l’imagination, on peinera à me convaincre que ça tourne à vide. De l’imagination (et a fortiori de l’audace si on n’est pas empêché par diverses contraintes liées à la production d’un film), tout le monde en a. Des petites situations absurdes qui se veulent amusantes et qui se multiplient sans but comme le fait ici Kaurismäki dans un de ses premiers films, tout le monde serait en mesure de le faire. On serait même tenté d’apprécier beaucoup plus les intermèdes musicaux : on ne fait jamais n’importe quoi avec un instrument.

Même quand on regarde En attendant Godot, l’objectif existe, le titre ne dit rien d’autre, et l’absurde ne se situe qu’au niveau des échanges entre les personnages. Le reste, la quête, l’attente d’un être qui ne vient pas, ce serait le nihilisme, cette saveur indispensable qui donnerait du même coup un sens à l’absurde quand il est associé à l’humour. Un film ne peut reposer trop longtemps sur un objectif inexistant, vague ou vain. Si au contraire comme ici ou chez Dupieux l’absurde se retrouve jusque dans la trame, si cette saveur supplémentaire, qu’elle soit nihiliste ou comique, n’apparaît jamais, personnellement, au bout de quelques minutes, je ne suis plus. Alors, bien sûr, on pourrait rétorquer que Kaurismäki a justement implémenté dans son histoire un objectif certes illusoire, mais bien réel, une sorte de lieu (Eira) où se rendre, impossible à atteindre. D’accord. Appelons ça du nihilisme. Et dans ce cas, je ne saurais un peu plus m’expliquer que l’absurde, une fois de plus ici, fasse pschitt. Sauf si cet objectif, même prétexte, n’est pas suffisamment prégnant tout au long du film…

Il faut dire aussi que Kaurismäki est probablement toujours à la limite quand il est question de soulever mon intérêt, mais disons que, habituellement, il se retrouve dans un entre-deux qui lui est toujours profitable. Je ne crierai jamais au génie, mais l’atmosphère est là. Enlevez cet entre-deux qui joue sur la subtilité et le doute, sombrez un peu plus franchement dans l’humour ou dans l’absurde qui vous explose en pleine poire, et plus rien ne va. Peut-être aussi que ce qui constitue l’attrait des films de Kaurismäki, c’est le peu de visages qu’on y rencontre. C’est reposant en un sens. Et voir ici une dizaine de « Frank » écumer les rues et les bars en quête d’on ne sait quoi, cela n’a plus rien de reposant pour moi. L’atmosphère de Kaurismäki, on peut l’associer peut-être plus à la solitude (souvent à la rencontre des deux solitudes) qu’à l’humour pince-sans-rire ou à l’absurde. Montrer l’absurdité de nos existences, de nos activités, de nos relations, de nos amours, cela fait écho quelque part à la réalité du monde. Montrer un univers où tout est absurde, cela ne fait plus écho à rien. Au-delà de cette atmosphère si caractéristique des films du Finlandais, pour ce qui est de la forme (et Kaurismäki, c’est beaucoup la forme), je ne lui reconnais pas beaucoup de qualités. Il pose souvent sa caméra avec le plus de neutralité possible et il laisse faire la situation ou les dialogues, à la Jim Jarmusch presque. Roy Andersson, par exemple, donne, me semble-t-il, et si on reste dans les cinéastes comico-dépressifs, plus à voir à travers sa mise en scène, jouant mieux sur la distance et sur la variété des espaces conquis, d’un coup, par l’inattendu ou le cocasse. Sans atmosphère, la terre de Kauri est irrespirable. Une œuvre de jeunesse serait-on presque tenté de dire. La création, c’est parfois tester ses limites, changer le temps de cuisson, les accompagnements. C’est aussi peut-être pour ça qu’autant de créateurs rechignent à changer de recette quand ils semblent avoir trouvé la bonne. Et Kaurismäki tâtonne, clairement.


Calamari Union, Aki Kaurismäki 1985 | Villealfa Filmproductions


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Le Mûrier, Lee Doo-yong (1985)

La mûre, pas la guerre

Note : 2.5 sur 5.

Le Mûrier

Titre original : Ppong/

Titre anglais : Mulberry

Année : 1985

Réalisation : Lee Doo-yong

Avec : Lee Mi-sook, Lee Dae-kun

Prix du meilleur film des Korean Association of Film Critics Awards en 1986, j’avoue que je n’étais pas préparé à ça. Une sorte de k-pinku entre satire sociale et comédie noire. Rarement vu un mélange aussi inattendu et baroque. Le film est censé avoir été produit dans une dictature. La Corée est peut-être un des pays riches les plus prudes au monde ; et non pas qu’au milieu des années 80, la Corée était l’égale économique de celle d’aujourd’hui, mais allez produire un tel film dans ce pays aujourd’hui, avec toutes ses audaces coquines, vous n’y arriverez sans doute pas. Dans les films érotiques actuels coréens, on n’y montre pas le dixième de ce qu’on y montre ou fait ici (même si je suis loin d’être un spécialiste — je dis ça à l’attention de ma mère), alors en 1985… Y aurait-il tout un pan (rose) du cinéma coréen qui me serait encore inconnu ou ce Mûrier fait-il figure d’exception ? (Hum.)

La première situation sexualisée étonne déjà. On ne devrait pas être choqués pourtant : entre mari et femme, rien de plus naturel, devrait-on se dire en connaissant la suite. Disons que c’est la manière qui aurait de quoi surprendre. On se dispute ainsi, un peu sur le ton de la farce, et puis…, une petite fellation, comme ça, avant de partir pour le « travail » ? Étrange mise en bouche. Au-delà de l’audace de la chute de la séquence, c’est bien la douche écossaise dans les différents niveaux de lecture et de ton qui surprend. Tout jusque-là présageait une farce et bi-bim-bap : « Une petite pipe pour la route ? »

La femme d’un joueur invétéré, joueur occasionnel de bonneteau, maudit donc son homme pour ne pas lui ramener assez d’argent à la maison : une situation qui pourrait évoquer La Complainte du sentier (l’abandon de la famille laissée sans ressources ; le mari lâche réapparaissant épisodiquement), mais le ton est résolument celui de la farce, pas celui du drame. L’actrice est d’ailleurs excellente dans ce registre, tout en rupture, en exagérations et en plaintes (ou complaintes) plus ou moins feintes pour pousser le mari à réagir (typique de l’humour coréen avec son côté presque latin et grotesque). Bim-bam-boum.

La suite étonne plus encore. Les hommes se succèdent dans le Lee de la femme abandonnée, le plus souvent contre quelques contributions en nature. Le seul à qui elle se refuse, c’est l’idiot du village, qui assiste tout envieux à ses parties de jambes en l’air, et qui n’a rien, lui, à proposer en échange (en réalité, ils ont tous leur côté « idiot du village », on sent le dédain pour le petit peuple des campagnes). Le plus étrange, c’est qu’elle semble y prendre parfois du plaisir, la bourrique. Et avec elle, chef opérateur et metteur en scène réunis s’amusent tout autant visiblement en s’appliquant à rendre les situations érotiques tout à fait jolies et plaisantes : Emmanuelle fait la mûre. On se croirait presque dans Le Village dans la brume, tourné deux ans plus tôt, et où on pointait déjà du doigt les mœurs sexuelles étranges des petites gens de la campagne, sauf qu’on était plus dans un thriller psychologique façon Les Chiens de paille : tout y était suspect, source de danger pour le personnage féminin principal ou de malaise. Dans Le Mûrier, au contraire, que la femme délaissée soit poussée par la force des choses à se prostituer, qu’elle se fasse violer, molester par les gens du village, par le mari à qui on révèle la chose à son retour (pas du tout façon Night Drum), l’humour est toujours là pour faire comme si rien n’était grave. Même le sujet de la prostitution y est traité à la légère : des petits coups pour un sac de riz, quelques feuilles de mûrier ; et puis, la femme y prend goût, comprenant qu’elle pourrait y gagner encore autre chose qui satisferait à sa coquetterie… Je ne suis pas certain de comprendre le message… Au lieu d’en faire résolument une victime, la farce oblige à en faire une garce, une femme intéressée… L’inévitable lubricité des pentes savonneuses, sans doute.

On n’hésite pas non plus à nous montrer l’actrice à demi dénudée. Pas besoin d’en montrer beaucoup : elle est si belle que dix centimètres de peau nue là où on ne voit habituellement qu’un hanbok possède un pouvoir suggestif et sexuel bien plus grand que n’importe quel film érotique actuel (si tant est que ça existe encore).

Le sens de la satire coréenne m’échappe un peu sur ce coup. Les critiques de cinéma coréens de l’époque devront m’expliquer la chose. Il y a certaines distances qu’on met volontairement avec les personnages à travers l’humour qui sont parfois malvenues : on hausse les épaules devant la lâcheté du mari, et on fait de sa femme, non pas la victime directe de l’inconsidération coupable de son homme, mais au moins une complice, sinon une garce se laissant aller à la facilité de faire commerce de son corps. Comme si les femmes qui en étaient victimes étaient malgré tout un peu nymphomanes… (Con même.)

C’est bien la satire, encore faut-il que ça tire sur le bon cheval. Et c’est toute la difficulté du genre, quand on y mêle érotisme et farce.

Le film s’achève avec les pleurs de la femme voyant son mari partir à nouveau sur les routes, comme pour relancer un nouveau cycle de souffrance, d’humiliations, de solitude, de viol ou de prostitution. D’accord, sauf qu’à force de tout prendre à la légère, on n’a guère plus d’empathie pour elle. Puisque rien n’est grave, en quoi cela devrait-il être un problème si ce cycle pourtant infernal continuait ? Elle fera farce. Comme les fois précédentes.


Le Mûrier, Lee Doo-yong (1985) Ppong/뽕 | Taehung Pictures


Liens externes :

  • IMDb
  • iCM 
  • Le film sur la chaine YouTube des Archives coréennes du cinéma (sous-titrage anglais, 4K)


Colonel Redl, István Szabó (1985)

Less pion

Note : 4 sur 5.

Colonel Redl

Titre original : Oberst Redl

Année : 1985

Réalisation : István Szabó

Avec : Klaus Maria Brandauer, Hans Christian Blech, Armin Mueller-Stahl, Gudrun Landgrebe

Magnifique film sur les préludes à une guerre qui sera la Grande boucherie du XXᵉ siècle, ou comment l’ambition d’un officier aux origines modestes devient chef de la police secrète attaché au service d’un archiduc de triste mémoire et finit par devenir la victime des petits complots guère glorieux qui agitaient l’Europe centrale avant que tout ce petit monde trouve enfin prétexte à se péter sur la gueule.

Si le petit jeu politique n’a pas grand intérêt et vaut surtout pour les allusions historiques qu’on peut déceler ici ou là, on est happé par la justesse de la mise en scène de Szabó, appliqué à rendre l’atmosphère « fin de siècle » des intrigues souvent plus personnelles que politiques. Parce que derrière le sujet historique, l’ambition de Redl, on raconte une histoire privée bien plus intéressante. D’abord, Redl a honte de ses origines, et s’il devient plus royaliste que le roi, plus loyal, c’est surtout parce qu’on le sent obligé de devoir justifier aux yeux de tous sa position. Ensuite, Redl étant homosexuel, il doit donner le change à tout moment pour ne pas éveiller les soupçons et semble toujours tiraillé entre ses propres désirs (son amour jamais avoué semble-t-il pour son ami d’enfance, au contraire de lui, aristocrate, moins vertueux et bien moins loyal à l’Empire) et sa volonté de plaire à sa hiérarchie.

Pour illustrer les troubles permanents de Redl, Klaus Maria Brandauer (doublé, toutefois, les joies des coproductions européennes) est exceptionnel : j’ai rarement vu un acteur avec un visage aussi expressif interpréter un personnage cherchant autant, lui au contraire, à ne rien laisser transparaître. Un jeu tout en nuances, en sous-texte et en apartés, malheureusement trop rare au cinéma, surtout avec les hommes chez qui le premier degré, l’impassibilité, est souvent la règle. Quoi qu’il fasse, Redl semble contrarié par des démons invisibles, tourmenté par son désir de réussir et de plaire, de ne pas se montrer sous son véritable jour. Et tout cela, Klaus Maria Brandauer arrive à l’exprimer sans perdre de son autorité, sans tomber dans la fragilité et l’apitoiement qui rendrait son interprétation désagréable.

On sait que dans Barry Lyndon, Kubrick avait un peu perdu le fil avec son personnage sur la fin en ne parvenant pas à le préserver d’une certaine errance morale (le roman étant à la première personne, William Makepeace Thackeray échappait à cet écueil, et ne pas avoir préservé cet angle est peut-être le seul bémol qu’on pourrait reprocher au film du génie new-yorkais). Rien de cela ici. Un défaut différent cependant empêche le film peut-être d’atteindre les sommets : son rythme est tellement resserré (rendu nécessaire par la longueur déjà conséquente du film), et Redl se trouve finalement tellement seul à la fois dans son ascension et dans sa chute (la seule personne qui partage réellement son intimité, c’est sa maîtresse, mais il ne se dévoile jamais à elle) que le récit manque parfois de relief, de pesanteur bénéfique, de grâce ou encore de grands moments d’opposition nécessaires dans un dénouement. Or, malgré tout, les grands films, me semble-t-il, sont toujours l’affaire de rencontres et de relations : preuve peut-être encore d’une certaine frilosité à l’époque (la libération sexuelle a ses limites). Le film aurait peut-être gagné à insister sur la relation intime entre Redl et son ami de jeunesse, plus que sur celle avec sa maîtresse, ou celle encore moins développée avec sa femme.

Un beau film tout de même sur une ambition contrariée au moment de croiser les frêles fils du destin d’une Europe amenée bientôt à s’agiter dans une grande explosion de violence sans limite…

La photo est magnifique et rappelle beaucoup la lumière cotonneuse, scintillante et orangée de Sindbad.


Colonel Redl, István Szabó 1985 Oberst Redl |Manfred Durniok Filmproduktion, Mokép, Objektív Film, ZDF, ORF


Sur La Saveur des goûts amers :

Top des meilleurs films hongrois

Listes sur IMDb : 

L’obscurité de Lim

MyMovies : A-C+

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Détective, Jean-Luc Godard (1985)

Détective

7/10 IMDb

Réalisation : Jean-Luc Godard

Un film de Godard, c’est comme une tablette de Toblerone. Un gros Toblerone. T — O — B — L — E — R — O — N — E. *

(* écrit en néon sur le toit d’un immeuble)

En gros, tu bouffes un morceau, un tableau, t’as tout vu et rien compris. Les noisettes, ce sont les références permanentes qu’il sera le seul à comprendre (on ne voit parfois même pas ce que lisent ses personnages, mais c’est sûr, voir plein de bouquins à l’écran, c’est aussi classe que des acteurs en train fumer), et le chocolat, ce sont ces éternels aphorismes visuels. Parfois c’est poétique, mais c’est vide et plein de prétention. Un boxeur qui file une gauche, puis une droite à deux nichons dont la propriétaire l’incite à travailler encore et encore ses enchaînements, c’est vrai, c’est mignon.

On peut au moins apprécier les acteurs. La théâtralité cinématographique de Laurent Terzieff face à l’autre, celle-ci non cinématographique, de Alain Cuny ; la spontanéité des Nathalie Baye, de Claude Brasseur, de Emmanuelle Seigner, ou de Julie Delpy ; et puis l’étrange et éternelle fantaisie de Jean-Pierre Léaud. Johnny quant à lui est nul, mais est-ce étonnant ? Godard de toute façon ne dirige personne, il caste et se détourne ensuite de ses acteurs pour s’intéresser aux objets : des slogans aphoriens autour de marques au sol, des jump cuts inondés de musique intempestive très pète-cul, partout des inserts beaucoup plus intelligents que tout le monde.

Même le titre sonne comme une marque de parfum. Tout chez JLG est cosmétique, publicitaire, cruciverbeux. Au mieux son cinéma est ludique, indolore.


Détective, Jean-Luc Godard 1985 | Sara Films, JLG Films


To Live and Die in L.A., William Friedkin (1985)

Calipolarnie

To Live and Die in L.A. (Police fédérale, Los Angeles)Année : 1985

Réalisation :

William Friedkin

8/10  IMDb

Eh bien voilà dans quoi je l’aime le vieux Willy, dans les polars balourds et renégats. C’est sale, ça pue le fric, la drogue et le vice, mais c’est ça — aussi — la Californie. Un petit polar sans prétention ça ne se refuse pas. Et Willy ne cherche rien à faire d’autre que de suivre la longue tradition des crime films à l’américaine. Il s’efface derrière son sujet, il met très bien en images et en rythme les quelques séquences d’action, que demander de plus ? On n’a jamais demandé à Willy d’être un génie, juste de faire le job. Et il le fait justement quand il ne se prend par pour autre chose.

To Live and Die in L.A., William Friedkin 1985 | SLM Production Group, New Century Productions, United Artists


Mon ami Ivan Lapshin, Aleksey German (1985)

Ma bobine se dévide

Moy drug Ivan Lapshin

Note : 3 sur 5.

Mon ami Ivan Lapshin

Titre original : Moy drug Ivan Lapshin

Année : 1985

Réalisation : Aleksey German

Avec : Andrei Boltnev, Nina Ruslanova, Andrey Mironov

Il faut reconnaître à German un réel talent pour la mise en place, la composition des images et des scènes, la direction d’acteurs, mais c’est à peu près tout ce qu’il a à proposer. L’essentiel paraît un peu vain, inutile ou incompréhensible derrière l’habilité affichée dont German veut en permanence faire preuve dans ses films. Quand l’effet produit une certaine distanciation, le procédé peut alors être intéressant ; le problème, c’est que pour entamer une mise à distance du sujet, il faut l’avoir déjà compris et en saisir tous les enjeux. C’était aussi le grand défaut d’Il est difficile d’être un dieu.

Chaque spectateur a sans doute plus ou moins besoin de se laisser mener par la main ; moi, j’ai besoin d’être accompagné tout de même un moment, et si l’introduction ne m’éveille rien, si je me perds déjà, il est probable que je n’adhère jamais au film. Il me restera alors la possibilité de m’émerveiller face à ce savoir-faire, assez commun chez les Russes, en particulier quand il est question de créer des personnages avec leur vie propre, montrer une psychologie à travers un simple geste, ne pas s’y attarder et proposer en permanence quelque chose de nouveau au regard du spectateur… C’est fascinant, certes, reste que German soigne l’artifice plutôt que l’essentiel.

On pourrait se contenter de cette histoire comme une chronique, une simple évocation d’une période (les années 30 en Union soviétique, le bonheur des appartements collectifs, les purges, les troupes d’acteurs, les amours contrariés), mais même là, j’aurais du mal à m’en satisfaire. Il manque pour moi quelque chose. On n’est pas au même niveau d’Il est difficile d’être un dieu, qui en plus d’être inintéressant était d’une laideur coupable (de mémoire, La Vérification possédait les mêmes défauts). Et les mêmes maigres qualités.

Avec des scènes plus condensées, jouant beaucoup plus sur les évocations, le montage, on se prendrait presque à rêver voir un film de Tarkovski (celui du Miroir, la poésie en moins), seulement German fait un peu du ton sur ton quand il se regarde opérer magistralement des plans-séquences, et il ne fait que répéter des séquences qui, prises séparément, n’ont pas plus d’intérêt que le reste. C’est bien orchestré, mais il manquera toujours un petit quelque chose pour me satisfaire. La séquence d’introduction (un plan-séquence, forcément) laissait présager le meilleur, et puis tout s’effrite lentement, ou se vide, comme une bouteille renversée. Arrivés à la fin, on a vu le contenu se déverser, de loin, avec désintérêt, à ne pas savoir si c’était du vin, de la vodka ou de l’eau. Et au fond, on s’en fout.


Mon ami Ivan Lapshin, Aleksey German 1985 Moy drug Ivan Lapshin | Lenfilm Studio, Pervoe Tvorcheskoe Obedinenie


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À la recherche de Garbo, Sidney Lumet (1985)

La Colline d’une femme perdue

Garbo TalksÀ la recherche de Garbo, Sidney Lumet (1985) Année : 1985

Lien :

Cent ans de cinéma Télérama

IMDb  iCM

6/10

Réalisateur : 

Sidney Lumet

Avec :

Anne Bancroft, Ron Silver, Carrie Fisher

Anne Bancroft va mourir (en vrai, elle est morte en 2005). Elle est fan de la Garbo et voudrait la voir avant de crever. Mais c’est la Garbo, elle vit pratiquement recluse depuis qu’elle s’est retirée prématurément du cinéma… Son fils mène l’enquête alors que ça femme (princesse Carrie Fisher, sans son solo) et qu’il tente de garder son boulot (il quittera finalement les deux, finissant au bras de la ravissante Catherine Hicks, qui joue la mère dans la série Sept à la maison ou chez pas quoi…). Il finit par la trouver (elle ressemble plutôt à la mère d’Anthony Perkins dans Psychose), elle vient au chevet de la mère du héros à sa maman…

Tout ça est bien intéressant, comédie rythmée avec une musique pompière des plus kitschs (j’adore),… j’ai rarement vu la Garbo aussi peu expressive dans un film. Quoi qu’il en soit ça vaut surtout pour sa fin (on croirait que tout est fait pour elle). Le fils se trimballe dans un parc avec son amoureuse (qui a décidé elle aussi de laisser tomber son job pour devenir comédienne) et il rencontre par hasard la Garbo… « Tu sais pourquoi je t’adore, Gilbert ?! Parce que tu es un garçon plein de surprises… Oh, mais c’est Greta Garbo ! Non je ne le crois pas ! Oh, mais elle vient vers nous ! » La Garbo : « Bonjour Gilbert, comment allez-vous ? » « Bien merci. » Et elle se barre. La petite amie n’en revient pas, et nous, on est mort de rire. Mince la Garbo quoi ! la star recluse qui a dû parler à trois personnes en trente ans ! (Une autre fois, c’est quand elle est allée visiter les anciens studios suédois où elle avait travaillé : Bergman qui la rencontrait alors raconte qu’il la trouvait bien jolie… avant de voir son visage altéré par une ride. Une ride qui vous tranche la poire, et c’est la face du monde qui en est chamboulée…)

Au-delà de ça, un Lumet dispensable.


À la recherche de Garbo, Sidney Lumet 1985 | United Artists


L’Honneur des Prizzi, John Huston (1985)

Un Huston à oublier

L’Honneur des Prizzi

Note : 3 sur 5.

Titre original : Prizzi’s Honor

Année : 1985

Réalisation : John Huston

Avec : Jack Nicholson, Kathleen Turner

Tragédie cornélienne : le devoir contre la passion, le dilemme impossible… Malheureusement, le récit emprunte un peu aussi à la forme toute particulière de la tragédie cornélienne, sans doute sans s’en rendre compte… et ce n’est pas une réussite parce qu’on reste en permanence dans un entre-deux, celui qu’on ressent quand certains choix n’ont pas été faits.

Unité d’action, de temps, de lieu, de ton… Il y a une tradition depuis Shakespeare de multiplier les petites intrigues autour d’une intrigue principale. Cela a pour but de la renforcer en lui donnant du relief, et ça donne la possibilité de multiplier les tons, les genres, les types de situations. Les possibilités sont plus nombreuses que dans un récit qui est en quête de l’épure, de la simplicité, de l’unicité… comme dans la tragédie classique. L’intrigue classique a son charme et son rayon d’action. Et ce type de récit, prenant comme environnement les mafiosos, n’en fait pas partie. D’autant plus que si ça y ressemble, ça n’a pas la rigueur d’une tragédie classique. Ce n’était pas la volonté des auteurs, c’est évident. Juste une direction prise comme ça, par hasard. Peut-être en y allant à fond, cela aurait pu faire son effet. Mais là, on a en mémoire des films comme Le Parrain ou Scarface. Et celui-ci, à côté, paraît vraiment démodé. Il semble chercher un ton, une identité, qu’il ne trouvera jamais.

Unité d’action, pourquoi pas, même si, à mon sens, ça met un peu trop longtemps à se mettre en place. On ne perçoit pas assez la menace que représente le personnage de Turner pour flairer le danger et donc comprendre dans quelle voie le film nous embarque. On ne comprend qu’une fois que le secret de son identité est révélé. Et il arrive bien trop tard. Car au fond, ce n’est pas ça le sujet du film… Et quand on a un récit concis, basé sur l’unicité, ça ne passe pas, on ne voit que ça.

L’Honneur des Prizzi, John Huston 1985 | ABC Motion Pictures

Unité de temps… Les tragédies classiques se déroulent le plus souvent dans un temps fictif de quelques heures. Tout se concentre dans une même temporalité pour ne pas perdre l’intensité des scènes, utile pour former une sorte de crescendo jusqu’au dénouement qui doit être l’apothéose du récit. Là, l’histoire s’étale sur quelques semaines, le temps d’un récit d’une comédie, d’un film réaliste. C’est donc une période de temps, soit trop large soit trop courte. Pour gagner en intensité, il aurait fallu regrouper les événements sur moins d’une semaine, pour créer un effet de précipitation, de perpétuel danger. Ou il aurait fallu, au contraire, densifier tout ça, comme on le fait plus traditionnellement pour gagner en épaisseur, pour en faire un récit épique dans lequel les péripéties peuvent se multiplier, s’accumuler, pour que les effets, du temps puissent faire leur œuvre.

Unité de lieu… Huston cherche sans cesse à nous expliquer où les personnages se trouvent. On n’en est pas à l’image du plan d’ensemble de la maison du ranch des Ewing dans Dallas, mais le récit basculant souvent de NY à LA, il se sent obligé de nous le dire, alors que ce n’est pas essentiel au récit, en utilisant un procédé qu’on utilise plus depuis les années cinquante : l’insert d’un avion allant vers la gauche pour suggérer le départ vers la côte ouest, et le contraire… Un effet, utilisé le plus dans des comédies ou des films légers… Ça donne vraiment un côté totalement désuet à la mise en scène. Et encore une fois, soit il y a trop de lieux, soit il n’y en a pas assez. Il n’y a pas de demi-mesure en dramaturgie : il faut faire les choses à fond, il faut être extrémiste. Sinon, ça ressemble à rien, sinon à la vie, et le cinéma, ce n’est pas la vie.

Mise en scène bâclée qui ne se soucie guère des anachronismes. Ça prend l’aspect d’un film fauché qui ne peut même pas proposer une bande-son originale. Huston rend mal ce qu’une telle famille pourrait représenter. On reste accroché aux personnages principaux sans avoir aucune vision du contexte, de l’environnement. On a l’impression que les mafieux trafiquent dans leur coin ; on ne voit pas assez les marques de leur influence (elle est suggérée mais jamais montrée et c’est le genre de chose qu’il faut prouver par l’image ; c’est un peu comme dire tel ou tel personnage est intelligent ; ça ne sert à rien de le dire, il faut le prouver). Trop peu de personnages ; pas assez de densité ; le film file trop vite. C’est un aller sans détour quand un grand film, lui, proposera à chaque scène un moment d’anthologie, comme un omnibus qui jusqu’à la fin, à chaque station embarquera des nouveaux bagages alourdissant toujours un peu plus le train. Le risque en est plus grand, mais c’est bien pour ça qu’on regarde. La curiosité de voir s’il va finir par se crasher.

Bref, pas très inspiré tout ça. Soit parce que la production n’avait pas les moyens de se lancer dans un tel projet, soit parce que ce n’est pas le genre de films qui correspond à Huston. Ce n’est certainement pas un metteur en scène d’ambiance, capable de tirer au mieux un scénario vers le haut si celui-ci montre quelques lacunes. Ça pouvait marcher trente ans plus tôt, avec une mise en scène plus serrée, moins lumineuse, en adoptant les usages esthétiques du film noir. Pourquoi pas… Mais là, le film semble avoir cinquante ans de plus que Le Parrain, tourné plus de dix ans plus tôt ! Sinon, c’est tout bonnement cette histoire qui par son côté hybride était inadaptable…

Reste les acteurs. Mention spéciale à Kathleen Turner et à son charme magnétique. Nicholson est un peu en dessous, pas très crédible en sicilien, des tics de vieil acteur fatigué plein les sourcils (déjà), donnant toujours l’impression de rechercher ses clés dans les poches de son pantalon ou de prendre l’air agacé comme si tous ses partenaires sortaient des absurdités à chaque phrase… Heureusement que c’est Jack, qu’on l’a aimé dans d’autres personnages et qu’il en reste quelque chose pour nous. Angelica Huston est pas mal, mais plus ou moins ridicule dans une ou deux scènes où elle se trouve « en aparté » (le papa n’ayant sans doute plus la lucidité qu’il avait tout jeune quand il avait dirigé son propre père…).



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Blanche et Marie, Jacques Renard (1985)

Blanche et Marieblanche-et-marie-jacques-renard-1985Année : 1985

Réalisation :

Jacques Renard

6/10  lien imdb

Journal d’un cinéphile prépubère 22 août 95

Le film ne développe pas bien, ou pas assez, certains thèmes brisant les préjugés sur la Résistance. Ce qui aurait dû être au centre de l’action principale ne devient que de vils prétextes anecdotiques pour constituer l’ambiance et le contexte du film. Par conséquent le drame est mou, creux, et mal raconté. Il manque au film un canevas, une ligne dramatique jonchée de problèmes à résoudre, ce qui aurait été initié dans un film plus thématique. Le film est un démonstration niaise, sans structure, chaotique.

Pourtant les scénaristes étaient parvenus à déceler dans cette mine d’or historique quelques bons trésors mais ils apparaissent sans éclat. Certains choix désastreux ont amené à offrir au spectateur une vision glorifiante de la Résistance. L’accent aurait pu être mis sur le résistant qui voulait violer Marie, sur la pharmacienne portée en triomphe à la fin de la guerre. L’histoire ne se souvient que de ses héros, mais la fiction peut apporter un contrepoint nécessaire. La Résistance n’était pas forcément composée que de bons patriotes et de bonnes personnes. Si la fiction ne sert pas à questionner l’histoire, les mythes, à quoi peut-elle donc bien servir ?