La Tête d’un homme, Julien Duvivier (1933)

La Tête d’un homme

Note : 2.5 sur 5.

La Tête d’un homme

Année : 1933

Réalisation : Julien Duvivier

Avec : Harry Baur, Valery Inkijinoff, Alexandre Rignault, Gina Manès, Damia

Film affreusement lent avec pas mal de résurgences de films muets. On sent presque que Duvivier chercherait à trouver une sorte d’intensité molle inspirée de M le maudit (1931), assaisonnée par quelques tourments crapuleux assez peu photogéniques, sans doute déjà bien présents dans l’histoire de Simenon, et qui feraient plutôt penser à Crime et Châtiment. Le tour ne prend pas. Duvivier avait un superbe scénario de Simenon, et il n’en a pas tiré grand-chose sinon un film lent à l’intensité inévitablement forcée.

Le film n’est même pas à voir pour Harry Baur qu’on a connu plus inspiré : le stoïcisme de Maigret, à lui ce gros ours sensible, ne lui convient pas vraiment. Une dernière scène intense avec les larmes qui vont avec, mais avant ça il semble s’ennuyer et son humanité légendaire n’y change pas beaucoup plus (je demande à voir, mais jusqu’à présent Harry Baur a surtout été convaincant dans des rôles de victimes — David Golder, Les Misérables, Un grand amour de Beethoven —, pas assez roublard pour ça, et pas assez « fin » pour Maigret).

En fait, les deux seuls rayons d’espoir du film, c’est l’interprétation de l’acteur russe Valéry Inkijinoff (le nuage de Tempête sur l’Asie a semble-t-il passé la frontière), d’une autorité et d’une présence, pour le coup, franchement impressionnantes. Le même caractère, ou faciès plutôt, insaisissable, que Yul Brynner, qu’on imagine venir de lointaines steppes non identifiées, mais surtout une intelligence dans le regard et une assurance folles… Pour voler la vedette à Harry Baur, il faut en avoir du talent. Le dernier bon point du film, c’est la chanteuse Damia qui pousse sur un coin de lit sa complainte d’une grande joyeuseté : et la nuit m’envahit, tout est brume, tout est gris


 
La Tête d’un homme, Julien Duvivier 1933 | Les Films Marcel Vandal et Charles Delac

Sur La Saveur des goûts amers : 

Les Indispensables du cinéma 1933

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Une histoire du cinéma français

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Identification des braves, dans Panique, de Julien Duvivier

Réponse à la critique d’oso sur Panique, de Julien Duvivier, et à son joli incipit :

Maudit soit celui qui porte avec fierté sa différence et mort à celui qui ose braver la norme en se moquant des murmures qui fleurissent sur son passage. Pas assez jouasse au goût de son boucher, lequel encaisse pourtant sans vergogne le billet que l’indésirable lui tend, avare en « bonjour » lorsqu’il croise les adultes et jugé trop avenant envers les enfants, le barbu solitaire du coin inquiète.

Les misanthropes, parfois, chacun aime un peu se définir ainsi, un peu comme les gens qui ne sont jamais seuls et qui te lancent tout d’un coup un « oh, moi, je suis un grand solitaire ». Il doit y avoir de ça, dans cette capacité à s’identifier avec des personnages tout de même en marge (la seconde phrase de l’entame, il n’y a déjà plus que des sales types comme moi à qui ça correspond). Et cette capacité qu’ont les histoires à nous émouvoir, ou à nous intéresser, avec des types pour qui dans la vie, on se complaira à ne jamais aller au-delà des apparences. Une identification réussie, c’est quand une histoire arrive à proposer un tel grand écart. Elle est censée nous aider, au fond, à changer nos comportements, mais cela, ce serait croire que l’art ou les films peuvent changer quoi que ce soit à nos vies une fois qu’on doit lutter : on aura toujours tout intérêt à voir des monstres et à trouver des têtes de Turc ou des boucs émissaires. Parce que quand la foule désigne un coupable, on gagne toujours à ne pas être celui-là. Il n’y a dans les films que les apparences ou les injustices sont révélées. Et si on s’y retrouve, c’est plus à cause de notre peur panique de nous trouver dans cette situation (et tout dans notre vie concourt à créer un voile d’apparences contraires susceptibles de nous en prémunir) que parce qu’on prend soudain conscience que dans notre vie, bien plus qu’être à la place du misanthrope, on participe à la foule. On s’identifie toujours à la victime, parce qu’on se sent tous victimes, et on s’identifie toujours au solitaire, parce qu’au fond on l’est tous (même celui qui n’a donc pas une minute à lui). Elle est sans doute là l’arnaque, il doit être strictement impossible de s’identifier aux bourreaux, à la foule. La révolution pourtant, elle serait plus là. Et je reviens à la première phrase qui doit trouver un écho chez tellement de monde…, c’est un peu un principe dans les disciplines frauduleuses (et l’art en est une) : il faut flatter celui à qui on s’adresse avec des phrases qui lui parlent en lui donnant l’impression qu’elles ont été écrites spécialement pour lui. On voit ça chez les manipulateurs-gourous ou les astrologues par exemple.

On serait tous des Monsieur Hire ? Mon cul, oui. Monsieur Hire, c’est l’ombre dont on a peur quand le jour nous éclaire et que tout va bien, et c’est celle qu’on piétine sans états d’âme quand plus rien ne va. On croit que c’est nous parce qu’elle ne nous quitte jamais, mais en réalité, elle a une seule utilité, qu’elle reste toute dévouée à notre seule présence, comme un prétexte à nous grandir quand on regarde en nous-mêmes.


Panique, Julien Duvivier 1946 | Filmsonor


David Golder (1931) Julien Duvivier

L’argent du vieux

David Golder

Note : 4 sur 5.

Année : 1931

Réalisation : Julien Duvivier

Avec : Harry Baur ⋅ Paule Andral ⋅ Jackie Monnie

Curieuses trajectoires que celles d’Irène Némirovsky, de son personnage, et de l’interprète principale de ce film, Harry Baur. Le film questionne l’histoire et ce que nous en faisons. L’histoire doit être simple pour pouvoir la retenir. Parce que l’histoire, ce sont des grandes lignes. On oublie ce qui est trop complexe, ou ce qui en reste est vulgairement remanié. On se rappellera l’affaire Dreyfus plus que du capitaine Dreyfus, parce que « l’affaire » est un étendard, le symbole d’une époque. Je ne connaissais rien d’Irène Némirovsky avant ce film et son parcours est pour le moins surprenant, et mon ignorance devra pourtant composer à ce que j’ai appris d’elle… dans les grandes lignes piochées sur le Net (il faut bien commencer par quelque chose, et ça commence toujours par une vue grossière dans un ensemble forcément plus complexe).

La complexité d’Irène Némirovsky, donc, semblait résider dans le fait qu’étant d’origine juive, elle n’était pas la dernière à les critiquer. On le voit bien dans le film, on n’échappe pas à ce qu’on jugerait aujourd’hui grossier, nauséabond, voire carrément antisémite (certains dégainent vite à ce sujet). D’ailleurs, l’auteure reniera sa confession, ou ses origines, pour adopter la religion catholique et avancer dans sa « quête d’assimilation ». Une quête qui échouera finalement, se voyant refuser la nationalité française à la veille de la seconde guerre mondiale. Fréquentant les milieux culturels de droite, elle n’aura donc de cesse d’aller à contre-courant de cette image « du juif », n’hésitant pas elle-même à en faire une caricature dans ses écrits pour mieux s’en distinguer. Ce sera peine perdue ; toute la meilleure volonté du monde n’arrivera pas à détordre ce qui est intrinsèquement mauvais, et la folie nazie aura raison de son obstination… Ironie tragique et quête vaine à vouloir devenir ce que l’on souhaiterait être quand, en fait, on ne sera jamais que ce que les autres voudront bien faire de nous.

On peut comprendre qu’un tel parcours soit difficile à concevoir. Alors, on préfère oublier. Ainsi, l’écrivaine Irène Némirovsky semble avoir disparu du paysage culturel après-guerre, et ce n’est seulement que ces dernières années qu’on la redécouvre.

Duvivier en revanche fait partie des cinéastes qui compte, mais il faut bien avouer que ce premier film parlant est un peu oublié. L’avant-guerre au cinéma, ce n’est déjà pas bien brillant, on préfère se rappeler ce qui ne fâche pas : Renoir et Vigo. Dans une France où le sport national est la chasse à l’antisémite, au collabo, voir un film un peu tendancieux, écrit par « une auteure juive mais pas juive enfin j’me comprends », mieux vaut garder ce qui sent bon la France du Front Populaire.

Et puis, Duvivier, c’est bien gentil, mais il faut une tête d’affiche, un Gabin, un Jouvet ou un Michel Simon. Sans ça… Comment Harry Baur ? Eh bien oui, Harry Baur, quoi. Le Raimu du Jura, le Jean Valjean de Raymond Bernard… Évidemment, non, ce n’est pas pareil. Et pourtant. Même destin tragique ou presque. Lui n’était pas juif, mais la rumeur… C’est vrai quoi, avec un nom comme ça. Destin tragique et complexe, que fait l’histoire ? Elle préfère oublier. C’est vrai, avant-guerre, il n’y a eu que le Front Populaire, et pendant, il n’y a eu que des déportés (anonymes, c’est mieux), des résistants et des collabos. C’est curieux comme des destins personnels échappent à l’image qu’on se fait d’une époque, et comme la mémoire et l’histoire ont besoin de lignes et d’images claires pour imprégner nos consciences. Ça se fait toujours au détriment d’une réalité pleine de complexité, de détails contradictoires, de retournements ou d’incertitudes. Pourtant, il faut bien en garder quelque chose.

Honorons donc ce film et ses acteurs parce qu’ils le méritent. La première partie du film est un peu lente à se dessiner, déjà noire. Le film démarre vraiment quand on vient à découvrir les intentions et caractères des personnages de la famille de David Golder. Au premier coup d’œil, Golder n’avait rien d’un personnage sympathique. Mais en comparaison avec sa femme et sa fille, d’incroyables crapules pourries par l’argent, lui est un ange. C’est en tout cas ce qu’il se révèle être au fil de l’histoire. Se faisant de plus en plus victime, sa vie n’en finira plus d’être un désastre, sans cesse, poussé à la limite par les deux femmes de sa vie (on pourrait même supposer que non contente de flirter avec les contradictions et la détestation de soi, Irène Némirovsky poussait le bouchon encore plus loin jusqu’à se faire misogyne…). Le film est donc ainsi comme une longue expiration : Golder voyant sa fin venir décide de ne plus lutter en se rendant compte qu’il est seul au monde. Pour se libérer de ce vide existentiel, la mort lui paraît une issue logique et confortable. Mais, même résolu à cette idée, il lui sera impossible de trouver la paix… Qu’il est difficile d’être un homme.


David Golder 1931 Julien Duvivier | Les Films Marcel Vandal et Charles Delac

Julien Duvivier

8/10

  • Six Destins (1942)
  • David Golder (1931) 

7/10

  • Sous le ciel de Paris (1951)
  • Pépé le Moko (1937)
  • La Belle Équipe (1936)
  • Panique (1946)

6/10

  • Anna Karénine (1948)
  • Au bonheur des dames (1930)
  • Voici le temps des assassins… (1956)
  • Marie-Octobre (1959)
  • Marianne de ma jeunesse (1955)
  • Obsessions (1943)
  • La Fin du jour (1939)
  • Poil de carotte (1932)

5/10

  • Pot Bouille (1957)
  • Maria Chapdelaine (1934)
  • La Bandera (1935)
  • La Tête d’un homme (1933) 

4/10

  • Le Prix du sang (1919) 

3/10

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Simples notes :

Le Prix du sang (1919)

Tous les ingrédients du mauvais mélodrame. Vengeance filiale, secret tenu jusqu’à la révélation, péripéties rocambolesques, excès multiples…

 

Julien Duvivier