Griffes jaunes, John Huston (1942)

Note : 3 sur 5.

Griffes jaunes

Titre original : Across the Pacific

Année : 1942

Réalisation : John Huston

Avec : Humphrey Bogart, Mary Astor, Sydney Greenstreet

Intrigue d’espionnage en temps de guerre. Rien de très original sinon qu’on nous laisse croire quelques minutes que le personnage de Humphrey Bogart (désormais star après Le Faucon maltais réalisé avec la même équipe) puisse être infidèle à sa patrie. It was a feint (à laquelle personne n’était dupe). L’occasion surtout de voir Bogey en dehors de ce qu’on lui connaîtra par la suite être sa zone de confort : on le voit sourire à pleines dents, plaisanter et même manier une arme de guerre (bien plus “grosse” que celle de ses adversaires).

On remarquera surtout de bons passages dialogués avec Mary Astor (qui assurent les notes humoristiques du film, mais assez pince-sans-rire qui collent à la fois avec les années d’entre-deux-guerres et les années noires qui viennent de débuter avec la guerre et le précédent film de Huston), la présence toujours suspecte de Sydney Greenstreet, et une distribution asiatique incapable de parler japonais correctement. Et pour cause : tous les acteurs potentiels d’origine japonaise étant sans doute déjà victimes de l’internement préventif et xénophobe des Japonais dans le pays, les Japonais de l’intrigue semblent être tous joués par des acteurs sino-américains… C’est la face sombre de l’histoire du pays que la guerre fera par ailleurs bientôt passer d’une entité militaire négligeable dans le monde à celui qui développera l’arme la plus absolue et la plus radicale en moins d’une moitié de décennie… 1942, la plus grande puissance économique et industrielle du monde n’en est pas encore là, et le cinéma, avec certains films comme celui-ci, participe à changer les consciences (encore jusque-là isolationnistes) et à l’effort de guerre. Avant l’entrée en guerre effective de l’Amérique après l’attaque de Pearl Harbor (le film a été probablement lancé peu de temps après l’attaque qui a eu lieu en décembre 41, tandis que le film est sorti en septembre de l’année suivante), les oppositions entre les différents blocs et alliances étaient plus sous-jacentes (l’enjeu ici consiste vite à déjouer les projets japonais de s’attaquer au canal de Panama — une référence directe à Pearl Harbor). Un terrain de jeu idéal pour les films d’espionnage avant que les films de guerre s’imposent pour de bon, avec infiltrations, fausses identités, desseins cachés, traîtres, etc.

Signe des temps, et illustration que la production du film se trouve à un tournant historique de l’Amérique : Huston quitte les plateaux avant la fin du tournage pour rejoindre les armées (il est remplacé par Vincent Sherman).


Griffes jaunes, John Huston 1942 Across the Pacific | Warner Bros.


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La Légion noire, Archie Mayo (1937)

Note : 3.5 sur 5.

La Légion noire

Titre original : Black Legion

Année : 1937

Réalisation : Archie Mayo

Avec : Humphrey Bogart, Ann Sheridan, Dick Foran

Volontaire ou non, cinq ans plus tard, le film Échec à la Gestapo, de Vincent Sherman, avec le même Humphrey Bogart reprendra une scène où l’acteur se retrouve dans une réunion d’un groupe dangereux en sous-sol. La scène est devenue même sans doute une sorte de cliché, peut-être déjà utilisée dans les films de série B de l’époque du muet, vu que ça tient un peu du fantasme et de la peur des groupes secrets. Si ici et dans Échec à la Gestapo, ces groupes ont bien existé, on en reprend presque toujours un poncif principal : les “intrus” (ou comme c’est le cas ici, l’initié) arrivent alors que la séance secrète a déjà démarré. Dans d’autres films plus récents, on joue au contraire sur la peur induite de groupes inexistants comme dans Eyes Wide Shut, je ne sais plus quel Indiana Jones ou dans Un bourgeois tout petit, petit.

Pour le reste, le film fait partie de ces films politiques “humanistes” des années 30 cherchant à mettre en garde contre les mouvements “séparatistes”, on dirait aujourd’hui. Il manque alors peut-être un peu de relief, mais certains films, s’ils ne tombent pas totalement dans les évidences, peuvent se révéler nécessaires à faire, car ils décrivent une situation politique réelle et contiennent ainsi en eux un peu de l’histoire du pays et du contexte où ils ont été produits.

La fin (avec un retournement vite expédié du principal accusé) est trop facile, mais là encore, c’est assez conforme aux films d’époque qui s’encombraient rarement de détours psychologiques ou de mises en suspension du récit pour gagner en relief et en réalisme. De l’action, de l’action, de l’action. Et pas mal aussi de concision. On produit à la chaîne : les sujets politiques et sociétaux ne sont pas interdits, mais on ne s’attarde pas.

À noter que Bogart n’est pas encore une star quand il tourne le film, il vient seulement de s’assurer un rôle de second couteau sur les films de la Warner Bros. grâce à La Forêt pétrifiée du même Archie Mayo et sera ainsi employé par le studio jusqu’au Faucon maltais qui lui assurera une place en tête d’affiche le reste de sa carrière. Ceci explique pourquoi on l’y retrouve ici ce qu’on pourrait identifier comme un contre-emploi (en rapport aux personnages bien installés et mythiques qui feront bientôt de lui une star et l’icône presque à la fois d’une période, voire d’une certaine forme de virilité appréciée ou reconnue des cinéphiles). Bogart n’est pas encore Bogey : on le découvre surtout fragile, revanchard, acculé avant de finir détruit par la culpabilité. On est loin de l’assurance et du charme qu’on lui connaîtra bientôt. Comme quoi, l’attitude, le statut, ça joue beaucoup dans le charisme et l’autorité que l’on croit naturels chez les acteurs ou les individus, dans la vie, capables ou soucieux de se mettre en avant.


La Légion noire, Archie Mayo 1937 Black Legion | Warner Bros.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1937

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Rue sans issue, William Wyler (1937)

La rue meurt

Dead End Année : 1937

Réalisation :

William Wyler

7/10  IMDb

Les Indispensables du cinéma 1937

Avec

Sylvia Sidney, Joel McCrea, Humphrey Bogart

Un peu court. Le thème est intéressant, mais on n’a pas le temps de s’identifier aux personnages et à l’action.

L’histoire se déroule à New York, dans un quartier où les riches habitations empiètent sur les vieux quartiers miséreux. Baby face, un mafieux qui y a grandi y revient nostalgique de son premier amour, pendant qu’on suit la vie de Bohème de quatre ou cinq mômes qu’on appellera plus tard les Dead end kids et qu’on retrouvera dans plusieurs films de la Warner (Crime School, Les Anges aux figures sales, Je suis un criminel).

Huis clos avec une écriture théâtrale (le film est adapté, il me semble), on ne sort finalement jamais de ces décors de « fin de rue ». Ça fait très chronique, parce qu’on suit trois groupes de personnages qui n’ont pas forcément de rapport entre eux sinon que leurs histoires se télescopent dans une même unité spatiale. Bogart meurt un peu tôt, (pas encore la star qu’il deviendra par la suite).

Un film à voir malgré tout, une curiosité, et ça reste du Wyler. Ces décors sont magnifiques. Et on ne peut pas résister au sourire avenant et aux yeux humides de Sylvia Sidney.


Rue sans issue, William Wyler 1937 Dead End | The Samuel Goldwyn Company


L’École du crime (1938), Lewis Seiler

Bogie Night

L’École du crime

Note : 3 sur 5.

Titre original : Crime School

Année : 1938

Réalisation : Lewis Seiler

Avec : The ‘Dead End’ Kids, Humphrey Bogart, Gale Page

Sympa de retrouver les Dead End Kids, après They Made Me a Criminal et Les Anges aux figures sales. Ils ont cette fois le beau rôle.

L’histoire suit un cheminement archétypal reproduit cent fois depuis cette époque, et en particulier dans les séries américaines. La punition, le Bon Samaritain qui prend sous son aile un gamin, qui lui propose de l’aider ; l’enfant refuse par défiance ou par fierté ; puis il finit par se ranger de son côté après que le bon tombé du ciel lui a prouvé sa valeur et gagné sa confiance. Tout se passe parfaitement pendant un temps, mais le jeu de manipulation commence, et les « méchants » ouvrent les yeux du gamin sur les mauvaises intentions, réelles ou supposées du bon Bogart envers sa sœur ; retournement brutal de comportement, le petit monstre redevient le monstre qu’il était avant et veut se venger… Bien sûr, il échoue, Bogart camoufle ce qui a débordé. Tout est bien qui finit bien.

C’est bien huilé, mais cela a été tellement repris depuis, qu’il est difficile d’y trouver un réel plaisir. Le film est court ; son message aussi : « Il ne faut pas être dur avec les sauvageons, sinon on finit par y tuer tout espoir de tendresse ». Hum… Ou bien : « Personne n’est irrécupérable ». D’accord… Ou enfin : « Ce n’est pas le libre arbitre de l’homme (encore moins de l’enfant) qui fait l’homme, c’est son environnement ». Pourquoi pas. Et juste, finalement, mais un peu timide. À quand un School Crime avec des sauvageons bien de chez nous ? Peu probable. On en est pourtant en plein dedans, et si le cinéma avait quelque chose à dire sur son temps, en 1938 ou aujourd’hui, le message pourrait être le même. Ce qui a changé, c’est le cynisme, sans doute. L’individualisme aussi. On veut bien lâcher un impôt comme autrefois on donnait pour les pauvres, et ça nous donne droit à ce qu’on traite ce petit peuple à la dure et qu’on ne lui laisse rien passer. En gagnant du confort, on gagne aussi une certaine intolérance à ce qu’on y soit dérangés. Alors non, une telle œuvre de nos jours reste improbable. Et le paradoxe, comme j’ai dit, c’est que c’est un schéma souvent répété dans les fictions que l’on regarde. Il était déjà difficile d’y croire ou d’en faire un bon film en 1938, là au moins non plus rien n’a changé puisqu’on cantonne ça à la télévision. Pourtant, faire des bons films avec de bonnes intentions, c’est possible. Peut-être que ce qui compte, ce n’est pas justement qu’elles soient bonnes, mais qu’elles soient délivrées avec justesse. Mystère.

La dimension sociale aurait pu être intéressante si elle avait été au centre du récit. On a plus affaire à une histoire à la Joséphine, Ange gardien plutôt qu’un réel réquisitoire contre les mauvais traitements des jeunes délinquants dans les maisons de correction. Le sujet du film devient vite la vengeance et les magouilles de l’ancien directeur du centre pour récupérer son poste et rendre la vie dure à Bogart. Autant de péripéties qui brouillent le message en question. Le message, est plus d’être bon au lieu d’être juste, en devient donc obscur. Difficile de convaincre dans ces conditions.

Quelques similitudes au début avec le film de Barry Levinson, Sleepers. Des gosses issus du même quartier de New York (Hell’s Kitchen), la même maison de correction.

Et il est toujours étonnant de voir un film avec Humphrey Bogart, avant la naissance du film noir. Il jouait souvent les types biens (et justes), une sorte de Tom Hanks des débuts, attendant son heure en emmagasinant le plein de sympathie du public. Seulement Hanks, finalement, n’a jamais pris de risques, ou n’a pas eu la chance de proposer à ce public des rôles qui offriraient une nouvelle palette à cette personnalité sympathique. Bogart l’a fait, sans doute malgré lui, mais le capital sympathie qu’il traîne avec lui dans ces crime films pré-noirs sera un atout majeur dans ses rôles à venir. Qu’on ait vu ou non ces films précédents d’ailleurs, car il en reste aussi toujours un peu chez un acteur qui joue avec sa véritable nature ou qui garde une partie souvent de la peau des personnages qu’il a interprétés. Il pourra ainsi jouer des rôles de durs avec subtilité, une autorité simple, celle des gars à qui on sait qu’on peut faire confiance. Aux personnages de James Cagney, on savait qu’on pouvait tout leur demander, mais c’était une tornade, c’était un peu tout ou rien, les Années folles. Avec Bogart, la confiance au boss, on lui offre parce qu’on sait, qu’au fond, il a un regard bienveillant sur nous (que ce soit un boss, un détective, ou un criminel d’ailleurs) comme un supérieur militaire qu’on respecte pour son grade, mais aussi et surtout parce que c’est un frère (d’armes). Et si l’âme du film noir à venir n’était pas justement là ? Une sorte de calque de la guerre : une menace qui rôde, une quête qu’on poursuit plus par devoir que par nécessité, un dévouement sans failles à sa condition ou son travail, la résistance suspecte (et souvent jugée un peu vite en en faisant une thématique psychanalytique) aux femmes (qui pourraient tout autant être des agents du mal), une constance malgré les doutes, voire une certaine désillusion, et souvent aussi, une obéissance à une forme d’autorité bienveillante (même si parfois criminelle).

Celui qui fait son apprentissage ici, ce ne sont pas les Dead End Kids, mais bien Bogie. See you – soon.


L’École du crime 1938, Lewis Seiler | Warner Bros


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Une femme dangereuse, Raoul Walsh (1940) They Drive by Night

Les Miauleuses

Une femme dangereuse

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : They Drive by Night

Année : 1940

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : George Raft, Ida Lupino, Humphrey Bogart, Ann Sheridan

— TOP FILMS

Un film plutôt singulier que voilà. Pendant plus d’une heure, on a affaire à une sorte de chronique prolétaire à l’américaine. Deux routiers, deux frères (George Raft et Humphrey Bogart) tentent de se débrouiller dans la jungle capitaliste. L’un est plutôt débrouillard (George Raft), l’autre plutôt paresseux et quelconque (Bogart). Aucune problématique énoncée dans l’introduction, le sujet, c’est juste de les montrer se débrouiller dans la vie, faire face aux problèmes, aux coups durs. Et en Amérique, pour s’en sortir, on se met à son compte… American way of life. La liberté de réussir, la liberté de tout perdre… Mais ce ne sera pas le sujet de notre histoire — en fin de compte.

[À partir d’ici, j’évoque les développements de l’histoire. Principalement.]

Raft tombe amoureux d’une belle rousse, Bogart s’endort en volant, perd un bras et est ainsi à la charge de son frère… Tout ça serait finalement plutôt banal, même si pas loin au fond de ce qui naîtra peu de temps après en Italie avec le néoréalisme (voire toujours dans ce qu’on identifiera un peu plus tard comme un autre film noir et qui fera neuf ans plus tard lui aussi vroom vroom, Les Bas-Fonds de Frisco). Seulement un personnage va faire pencher le récit vers une trame plus traditionnelle, plus dramatique. Un personnage typique de film noir (l’un des premiers ici donc), la femme fatale, la mante religieuse… Qui de mieux pour tenir ce rôle qu’Ida Lupino ? On est loin de son personnage d’aveugle miséricordieuse de La Maison dans l’ombre, elle tient là le type de rôle qu’elle a le plus souvent eu au cours de sa carrière : la vamp odieuse, manipulatrice et finalement fragile, fragile d’aimer à la folie un homme qui se refuse à elle et pour qui elle est capable de tuer… Un personnage en or, une actrice en or… N’importe quelle comédienne aurait rendu ce personnage antipathique. Ida Lupino, elle, arrive à rendre cette garce attrayante, malgré ses actions qui l’a fait bien passer dans l’élite des belles salopes, dans le who’s who des grandes connasses du XXᵉ siècle. Une femme fatale en somme.

La Lupino est donc mariée à un patron camionneur, un nouveau riche, qu’elle méprise parce qu’il n’a pas la classe tranquille du gentleman-prolétaire, George Raft. La beauté de la chose, c’est que tout comme la Lupino, Raft n’a pas le physique parfait. Loin d’être un adonis, toutes les filles semblent pourtant lui tomber dans les bras… On y croit. Parce que ce George Raft, il a l’autorité pour, la présence. Et comme dans Les Anges aux figures salles ou Ces fantastiques années 20, Bogart tient encore là un second rôle, encore un loser qui lui va à merveille. On se laisse déjà convaincre par ce personnage sans charme particulier, mais le type bien par excellence, intelligent, travailleur, honnête et dévoué, et qui séduit malgré lui ici la femme du patron. La Lupino a beau faire des loopings autour de lui comme une mouche autour d’un fromage appétissant, Raft est un gentleman : on ne touche pas à la marchandise de son patron d’ami, on reste indifférent aux belles parades d’amour de la vamp endiablée…

Une femme dangereuse, Raoul Walsh (1940) They Drive by Night | Warner Bros

On commence à sentir le truc… À forcer de tourner autour de Raft, la Lupino va finir pas perdre la tête et va se laisser chahuter par les rapides de la jalousie. Il faut attendre une heure dix de film pour qu’on sorte de la route tranquille de la chronique. La Lupino, en bon personnage de film noir, se met enfin en action et maquille le meurtre de son mari en un suicide typiquement américain : asphyxie du mari ivre mort dans son garage alors que le moteur de l’auto tourne encore… (Si la Lupino avait pu le tuer avec un paquet de Marlboro, nul doute qu’elle ne se serait pas privée)

C’est l’un des avantages de la censure puritaine de l’époque. Puisqu’il n’est plus permis de montrer des crapules en laissant penser qu’on pourrait en prendre parti, eh bien on ne montre plus que les criminels de l’ombre, les escrocs qui ont tout des gens honnêtes, et on suggère que le mal pourrait être tapi partout, surtout là où on ne l’attend pas. L’ombre nauséabonde de la guerre qui rôde tout près, le sexe malfaisant et diabolique de la femme qui s’émancipe… Le climat du monde est pesant, tant sur le plan intérieur où Hollywood voudrait faire oublier ses années folles aux yeux du public de l’Amérique profonde, qu’à l’extérieur où la menace communiste se trouve tout à coup dépassée par une autre plus brutale, plus réelle, et c’est cette atmosphère qui transparaît à l’aube de cette nouvelle décennie pour créer le film noir. L’art ne fait pas de politique, il en est tributaire. Ou plus simplement le témoin.

Affaire classée, donc. Ce n’est pas un film de flic (c’est rarement ce qui intéresse Walsh, lui c’est plutôt les faits, les personnages qui l’intéressent, plus que les mystères, les films à énigme…), mais le récit de la rencontre d’un homme bien avec une femme pas bien… qui n’est pas bien, malade, que le gentil monsieur se refuse à elle… Le scorpion qui tombe amoureux du lapino, la lionne qui s’éprend du saint-bernard… C’est touchant finalement qu’un monstre puisse tomber amoureux d’un ange…

La Lupino offre les clés de l’entreprise à son amoureux, comme une chatte qui vient vous offrir une souris pour vous dire que vous comptez pour elle. Raft sent le coup tordu, il a son kayak qui vrombit sur les rochers, mais c’est une occasion à saisir. Et le voilà donc grand patron. Seulement, il ne faut pas contrarier une vieille chatte jalouse quand elle croit vous faire le plus beau des cadeaux. Et quand Raft présente sa rouquine à la patronne qui se rend compte tout d’un coup qu’elle n’est qu’une sorte de dindon de la farce, elle glousse, s’emporte et révèle alors « tout ce qu’elle a fait pour lui » et lui l’ingrate petite souris qui au lieu de la remercier s’en va au bras d’une rouquine sans le sou… La Lupino est maintenant bien loin du bon fromage d’autrefois, et ça commence sérieusement à sentir le pâté. Raft ne mange pas dans cette gamelle-là et s’en va de la manière la plus blessante qui soit pour une belle cabotine qui vient d’avouer son crime et surtout le mobile de son crime (« mais c’est pour toi que je l’ai fait ! mon amour !… » dit-elle alors toute miaulante) : presque indifférent (les chattes aiment bien se chamailler en guise de préliminaire et refuser le conflit, c’est comme se prendre un râteau en pleine poire, alors l’indifférence, c’est pire que tout !).

On rouvre l’affaire… parce que la vengeance est un plat qui se savoure en miaulant. La Lupino s’en va tout raconter à la police : « J’ai assassiné mon mari ! mais si je l’ai fait c’est parce que mon amant m’y a poussée ! ». (La garce…) Le bol de lait est du côté de la chatte : les apparences ne mentent pas, jamais (sinon, il n’y aurait que des criminels en prison). Mais encore, là, ce n’est pas le sujet : on a échappé au film de flic, on n’aura pas le film de prétoire. Parce qu’on est déjà dans le film noir, et dans un film noir, on est trop désabusé pour croire encore en la justice des hommes… Rien que deux ou trois témoins à la barre (on est en plein dénouement, ça peut être un procédé utile pour refaire un tour rapide du récit), puis arrive la Lupino… complètement lessivée après être passée à la machine de l’amour non partagé, rongée par la culpabilité d’un crime « pour rien », la pauvre est devenue complètement maboule… « Allô, docteur ? » Affaire classée : la veuve était folle…

Et la fin se termine sur un clin d’œil d’une morale plutôt douteuse… Raft, jouant jusqu’au bout son personnage d’homme parfait, décide de se retirer de l’affaire dans laquelle il n’a aucune légitimité. Seulement sa rouquine de femme s’en mêle et demande aux amis-employés de son mari (ou pas tout à fait encore…) de ne pas le laisser partir (c’est qu’un chat roux se salit bien vite avec un mari plein de cambouis). Ils arrivent finalement à le convaincre de rester dans la scène finale, qui se termine donc sur un clin d’œil de la nouvelle chatte à ses souris. Celui qui se fait couillonner encore et encore, c’est le bon, l’homme honnête, on y échappe pas… Et je me permets de citer Thoreau (que j’ai piqué dans Into the Wild) : « Plutôt que l’amour, que l’argent, que la foi, donnez-moi la vérité. » Pas pour cette fois encore, George… On aura beau dire, ça reste les chattes, à la maison comme dans le monde, qui portent la culotte.