Extrapolations, Scott Z. Burns (2023)

Techno-confusionnisme

Note : 2 sur 5.

Extrapolations

Année : 2023

Réalisation : Scott Z. Burns

Avec : Kit Harington, Sienna Miller, Daveed Diggs, Tahar Rahim, Diane Lane, Edward Norton, Marion Cotillard, Meryl Streep

C’est beau le confusionnisme. L’idée de départ part d’une bonne intention : proposer une série d’anticipation sous l’angle environnemental. Chaque épisode concerne une époque précise de la seconde moitié du siècle, et le générique y égraine quelques variables climatiques et environnementales qui annoncent la couleur pour ce qui est des intentions de la série. On y retrouve quelques personnages récurrents dont Mister Capitalisme vaillant représentant des aspirations écocidaires de l’humanité et détenteur opportun de l’antidote à la fin du monde.

De belles intentions qui feront plouf dès que les épisodes accumuleront les faux pas. Quand on traite un sujet, la moindre des choses est d’abord de bien en cerner les enjeux : l’évolution du monde au cours de ce siècle (une extrapolation, comme le titre l’indique) suivra inexorablement les prévisions annoncées par les scientifiques, comment la société s’adaptera-t-elle face à la transformation de son environnement et quelles solutions proposera-t-elle face à ce problème ? C’est bien d’écouter les scientifiques pour le constat, ce serait mieux d’en faire de même concernant l’adaptation et la solution : la série ne fait jamais que mettre en scène la technologie pour répondre à ces défis alors même que les scientifiques disent qu’il faudrait oublier cette voie-là justement parce qu’elle vient en contradiction avec la première des mesures qu’on se refuse à prendre, celle de la sobriété.

À partir de cet angle trompeur, en creux, la série illustre l’idée que si la planète se réchauffe, si nous ne faisons rien, c’est à cause des politiciens véreux, des populations lobotomisées et des entreprises cupides. Bravo, il y a un peu de tout ça, c’est vrai seulement, c’est pour nous dire que la solution (technologique) existe, et que c’est un peu une faute collective si on ne l’adopte pas. Quelques images furtives illustrent ce problème : à l’adaptation face à la montée des eaux, on construit de gigantesques digues (on peut le concevoir dans une série comme The Expanse, pas dans une autre qui se veut attachée à la science), pour répondre au manque d’eau dans certains territoires, on fait confiance à un désalinisateur d’eau inventé par la société Alpha de Mister Capitalisme (avec quelle énergie ?), et pour remplacer les transports polluants, on adopte des véhicules électriques miracles (avec quelle énergie ? avec des éoliennes ?). Seul l’épisode tourné en Inde propose une solution adaptative qui n’est pas liée à la technologie ou à un miracle énergétique : les populations sont invitées à vivre la nuit et à dormir le jour.

Il y a un côté « effet Tueurs nés » dans cette démarche, ce n’est pas en mettant en scène ce qu’on dénonce qu’on le combat efficacement. Le Tarantino de Tueurs nés, comme la SF en général, propose des images sans poser un regard critique sur elles. C’est d’ailleurs souvent la force de l’anticipation : ne pas avoir besoin de forcer un angle critique, car il suffit d’illustrer les conséquences sur le monde d’une « avancée » technologique pour susciter une réaction chez le spectateur. La série ici, comme Oliver Stone chargé de traduire l’esprit de Tarantino à l’écran, s’essaie à la satire, sauf qu’aucune satire ne peut être convaincante quand elle invisibilise une solution connue au profit d’une autre qui n’est qu’un mirage. Difficile d’adhérer à une telle démarche quand on est, en plus, à la fois juge et partie.

Difficile ainsi de passer le fait que la série est distribuée par Apple TV. D’un côté, la série écorne les magnats à la Job/Musk/Bezos (ce qui rappelle une autre tentative Don’t Look Up), d’un autre, elle va dans leur sens parce qu’elle illustre et prétend que la technologie finira par trouver une solution au réchauffement climatique. Le problème ne serait pas le réchauffement climatique, mais les solutions dont pourrait disposer la planète et que certains pourraient chercher à vouloir monnayer. Il fallait bien instiller un peu de complotisme pour expliquer pourquoi les sociétés humaines étaient incapables de répondre au défi auquel elles doivent faire face…

Il est là le confusionnisme. Partager un constat scientifique sur un problème qui ne cessera de s’amplifier à mesure qu’on refusera d’y faire face, mais au lieu de suivre les recommandations de la science pour atténuer les effets de la catastrophe à venir, suggérer à la fois que la technologie a réponse à tout, mais aussi que si cette solution technologique n’émerge pas, c’est à cause des sociétés intrinsèquement formatées à rejeter les initiatives géniales. On nage en pleine rhétorique complotiste, je suis même étonné qu’on n’en ait pas évoqué Galilée ou Einstein pour justifier la logique de l’inventeur de génie brimé par la société. On y trouve même certains relents randiens quand Mister Capitalisme, à la manière de l’architecte dans Le Rebelle, plaide sa cause lors de son procès. D’une certaine manière, on peut voir le geste de Mister Capitalisme cachant au monde la technologie capable de supprimer le carbone dans l’atmosphère comme un acte de résistance faisant écho à la grève des élites dans La Grève d’Ayn Rand. Pas sûr que les scientifiques adhèrent à ce passe-passe idéologique. Apple a la solution face au réchauffement climatique : faites confiance au génie technologique dont nous sommes les détenteurs.

Allez vous faire foutre.

Le techno-solutionnisme est un mirage. Un épisode central en deux volets poussait pourtant à nous laisser penser que la série prenait ce sujet sous le bon angle avant que le second épisode prenne un tournant totalement inattendu en parlant de tout autre chose : une John Galt au féminin s’élançait dans les airs avec l’idée de bombarder la planète d’un produit chimique qui limiterait le rayonnement sur Terre. La géo-ingénierie, c’est niet, le techno-solutionnisme, c’est oui (on n’est pas sur BASF TV).

Après ces deux épisodes étranges, la série poursuit sur une vague confusionniste avec deux épisodes, presque hors sujet, qui sont paradoxalement les meilleurs de la série. On semble alors s’être perdus au milieu de deux épisodes remâchés de Black Mirror ; le réchauffement climatique semble un peu loin.

Avant ça, dès les premiers épisodes, la série surfe sur une logique high-tech tout à fait profitable à l’imaginaire que cherche à développement Apple et préparait le terrain pour la question du techno-solutionnisme arrivant plus tard (ce n’est pas un procès d’intention qu’imaginer que le but d’une entreprise, c’est de vendre ses produits). On se déplace tranquilou en hélicoptère électrique pour aller au boulot à l’autre bout de la planète, on a des écrans partout, des implants pour communiquer, on papote même avec la dernière baleine parce que la technologie a résolu la question de la communication interespèces, on papote avec des IA, le futur comme on en rêve, en tout cas, le futur tel que Apple se résignera à nous offrir parce que c’est le futur qu’on lui demande (c’est beau, ce sens du service). Autrement dit, Apple est en train de nous dire : « le monde va s’écrouler, mais ce n’est pas grave, car la technologie sera toujours là pour vous accompagner et répondre à vos besoins ».

D’accord, mais avec quelle énergie, tocards ?

Je vais faire ma Greta en répétant ce que dit la science, encore et encore. L’enjeu, c’est la sobriété. La géo-ingénierie, ça commence par cesser les émissions à effet de serre. Les émissions, c’est de l’énergie consommée, donc le problème, c’est bien notre consommation d’énergie et notre surconsommation tout court. Vous prétendez disposer d’une solution énergétique miracle ? Très bien, faites-en la preuve, mais d’abord, arrêtons les énergies fossiles. Et ça, ça ne peut se faire sans sobriété. Parce qu’aucune énergie n’est aussi puissante et facile à mettre en œuvre que les énergies fossiles. La sobriété, tocards, vous en parlez quand ?

La science pose un problème sur la table, dit que la première solution pour y remédier c’est la sobriété ; les technologistes arrivent et disent : « on a la solution, on va consommer encore plus grâce à ce nouveau machin ». L’arnaque : on ne parle pas du réchauffement de la planète sans parler de sobriété ou de décroissance. La planète a des limites, le monde qu’on cherche à préserver dans la série alors qu’on imagine autour de lui s’effondrer se fait encore en hypothéquant toujours plus les parcelles de vie et d’habitabilité du monde réel. La série donne l’impression en fait de chercher à se centrer sur des individus adoptant un mode de vie que l’on sait aujourd’hui insoutenable et ne jamais chercher à décrire ce qui se passe à l’extérieur de ce monde préservé : ce mode de vie prisé et mis à l’honneur encore dans la série ne peut plus être, au fil des décennies, un mode de vie adopté par le plus grand nombre, mais celui, au contraire, d’un petit nombre de privilégiés, ceux que l’on voit dans la série.

Bref, faire une série sur les conséquences et les enjeux du réchauffement climatique et parler du techno-solutionnisme plutôt que la sobriété, c’est tout de même un contresens phénoménal et une véritable faute de goût, voire une imposture politique. Comme on le dit si bien, la série, « elle dessert la cause qu’elle prétend défendre ».

Pas étonnant alors de trouver Marion Cotillard déguisée dans ce grand bal des hypocrites. Pourtant (ô ironie), elle a hérité peut-être du meilleur épisode. Elle est bien entourée d’ailleurs, signe que la qualité du script a été suffisante à réunir quelques stars plus que l’idée de participer à une série militante (sic). Contrairement à tous les autres épisodes, on traite le sujet en faisant un pas de côté, et on s’enferme chez soi un soir de réveillon. Dehors, c’est un peu la fin du monde (enfin une image crédible du futur), chacun semble avoir déserté la ville (pour les cimetières sans doute) ou plus probablement les rues littéralement irrespirables : la population, si elle existe, se cloître chez elle. L’épisode décrit bien une certaine problématique à se sentir piégé : faire semblant de ne rien voir du monde qui s’écroule autour de soi ou rejoindre un programme de lobotomisation où telles des graines préservées en Arctique, on vous endort pour échapper au monde réel. Grâce au huis clos, clairement ici, on réussit l’approche de la satire. Illustrer un problème en faisant mine de parler d’autre chose. La soirée ne met pas longtemps à dérailler et ça se transforme presque en vaudeville apocalyptique. Sur certains sujets, il n’y a que l’humour et la mise à distance qui marche. Le réchauffement climatique est sans doute de ceux-là. Le techno-solutionnisme, il aurait mieux valu en rire, hein. Cet épisode restera sans doute comme le plus fidèle à décrire un monde qui s’effondre et disparaît, à l’image de l’orchestre du Titanic. Comparé aux autres, il aura sans doute coûté par un rond. La sobriété…


Extrapolations, Scott Z. Burns 2023 | Apple, Media Res


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Jason Bourne : l’héritage, Tony Gilroy (2012)

Note : 3.5 sur 5.

Jason Bourne : l’héritage

Titre original : The Bourne Legacy

Année : 2012

Réalisation : Tony Gilroy

Avec : Jeremy Renner, Rachel Weisz, Edward Norton

Étonné de voir la réception calamiteuse de cet opus qui rentre pourtant parfaitement dans la logique des trois premiers.

Les services secrets d’une nation pourrie pour qui la fin justifie les moyens et qui décide ici de se débarrasser de tous ses agents infiltrés pour une vague histoire de virus, ça ne fait pas très « au service secret de sa majesté », et c’est loin d’être politiquement correct. Pourtant, on n’est peut-être pas si loin de la vérité : pas vraiment au niveau des moyens (humains) utilisés dans la “bataille”, mais de la corruption concentrée dans les « gens de pouvoir ». De ce pouvoir US qui n’hésite pas depuis le 11 septembre à employer des méthodes illégales, voire mafieuses, sous prétexte de sécurité intérieure : les premiers de cordée de la sécurité (les agents secrets) deviennent ainsi les premiers sacrifiés. L’héritage de Jason Bourne, il est là : une sorte de James Bond contre sa majesté. Et pas parce que notre Bond US serait devenu un ennemi de la patrie, un traître ; non, seulement parce que sa majesté (l’Oncle Sam) estime que son existence présente désormais un danger pour elle, et que sa vie (puisqu’il est censé être à son service) lui appartient. Or, si le James Bond des années 60 jusqu’à aujourd’hui navigue dans un monde bipolaire, Bourne se fait plutôt l’écho des peurs liberticides (à la limite parfois du conspirationnisme) actuelles. Le tout en restant fidèle à un vieux principe bien américain, celui de la lutte des libertés individuelles, qu’on oppose à un État surpuissant voyou. La vie d’un homme, même super-agent, n’appartient qu’à lui-même. Et c’est son droit de se défendre.

La recette ne change pas. On y introduit deux acteurs fabuleux qui n’ont pas besoin de l’ouvrir beaucoup pour attirer notre sympathie : Jeremy Renner est parfait, je lui trouve même beaucoup plus de charme et de charisme que le bon élève Matt Damon ; et puis Rachel Weisz, c’est encore une des rares actrices, pas forcément bien jolie, qui arrive à tout exprimer, de l’émotion, de l’intelligence, de l’amour, en un simple regard. Oui, c’est un film d’action, les acteurs y causent peu, mais tant qu’à faire, autant s’entourer des meilleurs sinon autant se mâter un Fast and Furious. Un couple de renégats comme ça, chassés par des nations fascisantes, je suis prêt, depuis mon canapé, à les suivre jusqu’au bout du monde.



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Birdman, Alejandro González Iñárritu (2014)

21 tonnes

Note : 3 sur 5.

Birdman

Titre original : Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance)

Année : 2014

Réalisation : Alejandro González Iñárritu

Avec : Michael Keaton, Zach Galifianakis, Edward Norton, Naomi Watts, Emma Stone

Les acteurs sont idiots, merci pour la grande révélation.

Le film aura une valeur informative dans quelques décennies et sera alors intéressant à revoir, parce qu’il capte bien la situation du cinéma actuel, du moins son évolution, avec la place toujours plus grande des effets spéciaux, même si paradoxalement la critique ici qui en est faite est lourde et maladroite. Le sujet du film est traité d’ailleurs avec la même maladresse. On aura du mal à plaindre une ancienne gloire de ce cinéma quand on cherche en même temps à en faire la critique ; et le discours y est alors des plus confus et vide. Est-ce qu’il faut avoir de la sympathie pour ce gars qui cherche à se refaire sur les planches de Broadway ? se moquer de lui ? est-ce qu’il faut y voir une satire des critiques de la scène new-yorkaise qui accueillent mal ces célébrités faisant de l’ombre aux « vrais acteurs » ? Ça envoie des idées, ça donne l’impression de vouloir dire quelque chose, et au fond le discours présupposé du film (si tant est qu’on puisse foutre un discours dans un film) devient celui, incohérent, hystérique, prétentieux, de son personnage.

Pour le reste, la forme, les plans-séquences desservent pas mal les acteurs quand le but, au contraire on peut l’imaginer, était de le mettre en valeur. Il n’y a guère que Naomi Watts qui s’en tire un peu mieux que les autres. Certaines scènes ont la saveur d’un mauvais Woody, d’un Cassavetes cassé, ou d’une scène répétée par des apprentis de l’Actors Studio (une scène entre Keaton et Emma Stone, par exemple, est franchement embarrassante). Le procédé, en tout cas, se révèle, comme presque toujours, d’une inutilité affligeante. Une vague impression de suivre Keaton comme son ombre ptérodactyle, mais ça ne vole pas bien haut. Pas plus en tout cas que cette fin en forme de queue de poisson, ou de pied de nez, instillant une forme de mystère un peu creux, et brouillant toujours plus le message du film (en tout cas celui qu’on aurait pu se faire).

Ironiquement, le film pèche à cause des raccords entre les scènes. L’idée de relier tout ça en un seul plan-séquence a autant moins de sens qu’on n’est pas dans une unité temporelle (c’est le récit de quelques soirées avant la première d’une pièce). Et le problème, c’est bien que la tension ne cesse de retomber d’une scène à l’autre, quand elles devraient monter en intensité jusqu’à un climax pouvant laisser Birdman… planer à sa guise. Sauf que ça commence fort et toutes les confrontations sont balancées au début, et le reste ne sera qu’apaisement ou hors sujet (introduction de nouvelles relations ou thématiques en plein milieu pour les laisser tomber comme le reste). On ne fait donc que survoler les choses, on fait semblant, on surjoue…

Où cela nous mène-t-il ? Rien. C’est juste un grand cirque mettant en scène les vulgaires et communes agitations d’un acteur sur le retour. Aucune empathie possible. Et le message a donc finalement tout de celui des blockbusters tant moqués : rien de tout cela n’est bien grave, ce n’est qu’un jeu.

Autant revoir, All about Eve, Le Grand Couteau ou A Star is Born. Il y a une forme de crescendo dans tous ces films qui respectent l’ordre classique des choses « dramatiques ». Dommage, le mélange des genres aurait pu faire mouche et la première demi-heure était pleine de promesses (trop peut-être).


Birdman, Alejandro González Iñárritu 2014 | New Regency, M Productions, Le Gribsi, TSG Entertainment, Worldview Entertainment


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