Maestro, Bradley Cooper (2023)

Maestrop

Note : 2 sur 5.

Maestro

Année : 2023

Réalisation : Bradley Cooper

Avec : Carey Mulligan, Bradley Cooper, Matt Bomer

Affligeant. Le problème des biopics, c’est qu’il faut savoir pourquoi on les fait. Et accessoirement, qui les fait. D’une manière assez générale, on fait toujours des biopics pour de mauvaises raisons. Car pour faire un biopic, il faut choisir un angle. Remarquez le hiatus : le principe d’un biopic, c’est de raconter l’histoire d’une personnalité qui a marqué son temps à travers son art, ses actions politiques, ses inventions ou ses découvertes, et pourtant, presque toujours, ce qu’on expose dans les films censés leur rendre hommage… ce sont leurs histoires sentimentales, parfois et plus rarement, mais tout aussi hors sujet, leurs traits de caractère spécifiques, leur handicap, leur histoire personnelle tumultueuse. Tu choisis de raconter l’histoire des personnages importants qui ont souvent révolutionné un art et fait changer le cours du temps, et tu préfères regarder ailleurs en racontant la plus banale des histoires : l’amour.

Mais pourquoi pas, jugeons au moins ce qu’on nous propose. Après tout, on peut oublier qu’il s’agit de Leonard Bernstein, on en fait un homme qui tombe amoureux d’une femme, un homme qui se trouve être en même temps homosexuel, aucun souci : on a fait de nombreux chefs-d’œuvre avec ce matériel qui n’a rien d’original. Le hic, le couac, la fausse note, c’est que ce n’est pas beaucoup plus une histoire d’amour. L’angle proposé n’est même pas tenu. On se retrouve plutôt face à un montage sur plusieurs décennies d’une histoire d’amour d’un couple sans histoire. Le traitement de l’homosexualité de Bernstein est traité exactement de la même manière que la cigarette dans le film : tu tires sur ta clope sans arrêt, t’étais pas obligé parce que ça mène nulle part (les amants sont très anecdotiques, pas de conflits, pas d’émotions, des rencontres qu’on tire d’un étui à cigarettes, et ça part en fumée), et tu te réveilles un jour avec un cancer. Je caricature à peine. Tu te lances dans un angle et tu es incapable d’assumer les propositions de départ. Les histoires d’amour n’en sont pas. C’est du picorage, on évoque des événements d’une vie banale d’un homme exceptionnel vivant dans une famille riche sans problèmes.

Il faut donc parfois également faire attention à qui est désigné pour mener à son terme un tel projet. Les acteurs adorent se mettre en évidence, c’est à ça qu’on les reconnaît. C’est pourquoi, à moins d’être Orson Welles ou Laurence Olivier et que vous portez bien le faux-nez, ne filez jamais les clés d’un biopic à un acteur. Résultat puisqu’on a Cooper (pas Gary, l’autre, le pitre) : au lieu de se retrouver avec un film, au moins, d’acteurs, on a un film d’un acteur qui imite une personnalité. Alors, il faut l’avouer, l’imitation est assez bonne. Mais une imitation, ce n’est pas le travail d’un acteur, c’est celui d’un imitateur. Cooper est remarquable quand il est question de tapoter sur le piano ou de diriger un orchestre (vraiment, on sent le boulot derrière ; bon, aucun des musiciens ne jette un œil au “maestro”, mais au moins, dans la chorégraphie, il est au top, il fait illusion), le faux-nez lui donne un air louche passablement ridicule, mais d’accord, les maquilleurs et/ou les effets spéciaux ont fait un travail d’imitation épatant. Pour le reste… Cooper est nul. Son interprétation est imbuvable ; du début jusqu’à la fin, son Bernstein est insupportable ; il ne montre de l’empathie envers personne, parle en permanence trop fort, est exubérant sans être attachant, et manque de charme et de charisme. Plutôt embarrassant quand tout le film repose sur lui.

Cooper metteur en scène n’est pas bien meilleur : aucun temps laissé aux acteurs, aucune suspension, aucune tension, aucun temps pris pour poser des dilemmes ou se laisser aller à des silences parlants. Au lieu de cela, ça papote sans fin ; tous les personnages sont extravertis à un point qu’on en est rapidement fatigués. Une torture. Pas étonnant d’ailleurs que Scorsese ait été pressenti pour le film, Cooper tombe dans les mêmes excès imbuvables que dans Le Loup de Wall Street où le petit génie new-yorkais semble se parodier lui-même.

Le seul moment réellement cinématographique du film, c’est quand Bernstein et sa femme assistent à je ne sais plus quelle première et que Carey Mulligan (qui joue la femme du compositeur) jette un œil sur les mains des amants qui gardent bien leur distance. Un rare moment de suspension où les images parlent à la place des personnages. Au début du film, il y a une citation de Bernstein (ça fait toujours bien les citations) que Cooper a été incapable de s’appliquer à lui-même. En gros, elle dit que l’art consiste à étudier les voies intermédiaires qui posent question sans y répondre et à refuser les évidences. Un côté Douglas Sirk dans cette citation quand celui-ci fait remarquer que ce n’est pas à un cinéaste de forcer un point de vue aux spectateurs, car ils ne l’admettent jamais. Il n’y a rien de subtil dans ce film, fait uniquement d’évidences et de réponses données à des questions jamais posées. Aucune zone trouble ou intermédiaire. Le néant, à part une suite composite de scènes d’imitation et des évocations d’épisodes marquants de la vie d’un homme riche et connu, pas d’un maestro.

Carey Mulligan s’en sort peut-être, et encore. Elle est douée. Avec les scènes finales, elle aurait pu tirer sur la corde, mais elle garde une forme de dignité et évite les excès des… acteurs imitateurs (on n’imite pas un malade atteint d’un cancer, elle semble l’avoir mieux compris que son partenaire, parce qu’évidemment Cooper porte, lui, trop son attention sur cet épisode). La fille Uma Thurman ne se débrouille pas mal non plus, même si son personnage est à l’image du film. Il suffit de dire quel rôle elle interprète pour le comprendre : la fille Bernstein. Pour comprendre le génie d’un homme, rien de mieux que de nous présenter… sa famille, c’est certain. Son côté androgyne et son maintien digne d’un garçon manqué m’avaient déjà amusé dans Stranger Things. Mais dans l’ensemble, les acteurs ne peuvent rien faire pour sauver le naufrage. Cooper ne leur laisse que peu de place à côté de ses imitations. Et le seul “grand” moment du film, il faut attendre la toute fin pour le vivre : un extrait du véritable Leonard Bernstein dirigeant son orchestre. A-t-on besoin de voir un pitre imiter le génie d’un autre ? Non, montrez-moi plutôt ce génie. Car de ce génie, du film, on n’en saura rien. Pourquoi Bernstein était-il un génie ? Il faudra attendre les images de fin pour en avoir un aperçu.

Et évidemment, tout le générique est accompagné de la musique de Bernstein qu’on nous a charcuté et échelonné avec désinvolture comme à des mendiants sans tête sortant un bras pour sa sébile durant tout le film. On picorait et quand enfin on nous offre un peu du génie du “maestro”, tout le monde se lève pour quitter la salle. C’est un film Netflix, les spectateurs du film n’auront même plus la possibilité, sur un malentendu, d’écouter le génie qu’ils étaient venus voir. Espérons que le faux-nez soit récompensé par un Razzie Award, ce serait dommage de s’en priver.


Maestro, Bradley Cooper (2023) | Sikelia Productions, Amblin Entertainment, Fred Berner Films


Sur La Saveur des goûts amers :

La distanciation dans les films historiques

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Mudbound, Dee Rees (2017)

Note : 2.5 sur 5.

Mudbound

Année : 2017

Réalisation : Dee Rees

Avec : Jason Clarke, Carey Mulligan, Garrett Hedlund

Guimauve en noir & blanc hypocrite formaté comme il faut pour les prix.

Honorer les braves d’hier, c’est une manière pratique de fermer les yeux sur les victimes d’aujourd’hui. Dans cette veine de films bon teint enfonçant les portes ouvertes sur le racisme. Il n’y a guère que Green Book qui sort du lot dans ce registre, ces dernières années (et de ce que j’ai pu voir bien sûr), peut-être justement parce qu’il sort du formatage du film d’époque en proposant une relation inversée d’un Blanc au service d’un Noir.

Parce qu’ils sont fatigants ces films américains traitant du racisme d’hier (on croirait presque voir une nostalgie de cette époque, un comble) et applaudissent en masse par une armée de petits critiques blancs qui se trouvent, bien sûr, en rien égratignés par un tel film, et qui ont tout intérêt à louer le message faussement antiraciste du film. Le racisme d’hier n’aide en rien la compréhension et la lutte contre les racismes d’aujourd’hui. Au contraire, je pense qu’il sert à se donner bonne conscience et à ne rien changer sur ses propres petits réflexes d’exclusion ou de jugements hâtifs.

Dans les années 50, le Sud nous racontait l’histoire d’un homosexuel, la jambe dans le plâtre, hantée par la perte de son meilleur ami (Une chatte sur un toit brûlant, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres). Pas une histoire de couleur, certes, mais on dirait qu’en 2017, Hollywood n’est plus aussi en avance qu’autrefois sur ces questions de mœurs. Il semblerait presque qu’on en soit encore à offrir des rôles à Sidney Poitier dans lesquels il fait ami-ami avec un Blanc… Devine qui vient dîner ?… En somme, un demi-siècle que l’Amérique fait du surplace, recule même. Et plus, ces histoires semblent sorties des ateliers d’écriture de Disney, plus on applaudit. Surtout, ne froisser personne. La dictature douillette du politiquement correct.

Paradoxalement (paradoxe allemand, on pourrait dire), la seule note originale du film, bien que très convenue (et servant de happy end au film), c’est le retour du sergent noir chez sa blonde. Ici, on ne va pas se mentir, je doute qu’il y ait eu beaucoup d’histoires d’amour de ce type à la fin de la guerre, qui ne soit pas en réalité de sordides histoires de viol, plus en tout cas qu’en France libérée. Mais c’est peut-être parce que là enfin, on sort justement des clichés, tout en gardant cette naïveté bien léchée qui inonde tout le film, que cette conclusion avait réussi à m’émouvoir. Un bonheur simple de retrouvailles sans chichis ni trompettes. Un amour sincère et digne. Il était temps.


 

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Drive, Nicolas Winding Refn (2011)

Frein moteur

Drive

Varoum

Note : 3 sur 5.

Année : 2011

Réalisation : Nicolas Winding Refn

Avec : Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston, Oscar Isaac

Histoire copiée sur celle du Driver de Walter Hill avec Ryan O’Neal). Même job, même désir de ne pas être mêlé aux affaires, même apathie, même jantes émasculées. Mais si la mise en scène est excellente et rappelle les effets du duo David Lynch-Badalamenti, on se lasse du peu d’unité dans l’action et du manque de destination même feinte… On rêve d’un Vanishing Point cotonneux, sans but véritable, sans histoire, une ligne droite dans le récit sur la tragique route du nihilisme. Mais non, ça devient une histoire d’amour. D’accord, on suit, ça se tient, pourquoi pas… Puis, ça se casse la gueule quand après un nouveau coup de volant ça devient un film de gangsters. De Lynch, on passe à Tony Scott. Parfois (même souvent), il faut prendre le risque de ne rien dire et faire confiance à la simplicité, surtout quand on vise le minimalisme, l’atmosphère.

Un film raconte d’abord une histoire. Le scénario peut avoir l’épaisseur du papier à cigarettes comme Vanishing Point, ce n’est pas un problème. Ou d’une blague Carambar. Suffit d’être cohérent. Une idée peut faire un film. On lance, et on la regarde planer jusqu’à se mettre en orbite. Là, une fois la fusée lancée…, ça drive. Un bolide qui gesticule n’a aucune chance d’être mis en orbite. On tire le rideau au lieu d’y grimper… La faculté d’un Vanishing Point, toujours, c’était de filer droit. Un vrai engin de gars : le Point G ne se trouve pas, il s’enfile. Droit. À l’essentiel.

 

Drive, Nicolas Winding Refn 2011 | FilmDistrict, Bold Films, MWM Studios

Le metteur en scène a du talent, il y a d’autres histoires à se mettre sous le nez quand même…

(Piqûre de rappel :) Ah, d’accord, le réal c’est le mec qui avait fait Pusher… Y a du progrès, mais il y a fort à parier qu’il soit incapable de choisir un bon scénario ou de les écrire lui-même…

(Bis, ter :) Je ne suis pas rancunier avec Nicolas. Je me suis également farci Only God Forgives, et on y trouve indéniablement la même patte (en carton) de l’auteur : du vide, de la pesanteur molle, du sexe coupé (je n’ai rien contre, cela dit, même si ça me laisse quelque peu circoncis) et des images même pas jolies.

Et je crois être assez maso pour être capable de regarder Valhalla Rising. J’ai de l’espoir. (Done).


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