L’Intruse, Alfred E. Green (1935)

Note : 2.5 sur 5.

L’Intruse

Titre original : Dangerous

Année : 1935

Réalisation : Alfred E. Green

Avec : Bette Davis, Franchot Tone, Margaret Lindsay

Film bâclé et sans grand intérêt hormis pour ses deux acteurs principaux. L’intrigue est resserrée comme un vieux slip de grand-mère, et on doit compter les péripéties sur les doigts d’une main. Heureusement d’ailleurs, parce que rien d’autre ici à se mettre sous la dent que du bien prévisible (ça abrège les souffrances).

Un architecte tombe amoureux d’une ancienne actrice à succès, réputée pour porter la poisse et alcoolique. Il délaisse alors sa dulcinée, a l’honnêteté de lui dire (les personnages honnêtes au cinéma, c’est ennuyeux, ça coupe net toute possibilité de corser l’intrigue), et retourne vers sa belle bientôt remise sur pieds pour retourner sur les planches. Et là, quand l’actrice lui demande comment sa fiancée a réagi, il balance ça d’un magnifique revers de main : « Tu sais, elle est plus forte que nous tous. » L’excuse idéale pour ne pas se soucier des problèmes que l’on cause aux autres. Magistral d’inconsidération masculine.

C’est le premier Oscar pour Bette Davis. On ne va pas dire qu’elle est formidable, mais sa récompense annonce comment les acteurs seront récompensés par la suite : surtout pour un certain type de personnage, sur une manière d’aborder un rôle, plus que pour leur talent. Pour être plus clair : des personnages devant passer par toutes sortes d’états d’âme, d’émotions, de vicissitudes (on doit les voir au plus bas et au plus haut) et en particulier les voir composer des personnages soit en rupture totale (ici, misère et alcoolisme) soit en décalage avec leur emploi habituel (ce qui forcera l’admiration des “professionnels” pour la “composition” de l’acteur en question).

Le talent de Bette Davis est ailleurs. Une personnalité d’abord, un sacré sens du rythme (à Hollywood, il faut savoir donner à voir, avoir l’œil vif et expressif, capable de jouer les changements d’humeur dictée par la situation, quitte encore à manquer de justesse) et donc malgré tout une justesse rare à l’époque (même si quand on compare à ce qui arrivera vingt ans plus tard, tout sonne forcé). On la connaîtra bien meilleure, notamment dans Eve.


L’Intruse, Alfred E. Green 1935 Dangerous | Warner Bros.


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L’Impossible Amour, Vincent Sherman (1943)

Note : 3 sur 5.

L’Impossible Amour

Titre original : Old Acquaintance

Année : 1943

Réalisation : Vincent Sherman

Avec : Bette Davis, Miriam Hopkins, Gig Young

Ironiquement, le film épingle les romans à l’eau de rose (et les auteurs qui les produisent à la chaîne « comme des saucisses ») alors qu’il n’est lui-même rien d’autre qu’un jeu de chaises musicales amoureux. On a le trio amoureux, le carré amoureux, mais quand on tricote un cadenas à cinq ou six prétendants, on appelle ça comment ?… L’impossible amoureux ?

Le passage d’une époque à l’autre est assez brutal (le film est tiré d’une pièce de théâtre, et on peut imaginer qu’à chaque nouvel acte, on laisse passer une dizaine d’années au compteur) ce qui casse le rythme du film bien trop souvent.

Miriam Hopkins en fait des tonnes, et on ne sait pas toujours si c’est de l’autodérision ou si Vincent Sherman la laisse faire n’importe quoi. Ces outrances correspondent bien au personnage, mais c’est parfois un chouia dérangeant. Bette Davis est comme toujours incroyable de justesse, même si comme d’habitude, elle parle bien trop fort. L’actrice a été parmi celles qui, à l’arrivée du parlant, ont donné le ton en donnant à voir au spectateur tout l’attirail des nuances visuelles capables de ponctuer les moments d’écoute et le phrasé des répliques (des “trucs” qu’on devait probablement déjà bien retrouver au théâtre, mais que le cinéma parlant a rendus plus familiers jusqu’à sans doute faire des acteurs arrivant après des imitateurs de ce qu’ils avaient vu à l’écran). Malheureusement, en 1943, ce qui autrefois avait permis une forme de réalisme inédite à l’écran est devenu théâtral. Les acteurs d’une nouvelle génération, issus des cours new-yorkais, commencent à montrer le bout de leur nez. Le film semble ainsi avoir été tourné dix ans plus tôt.

Restent quelques répliques savoureuses.


L’Impossible Amour, Vincent Sherman 1943 Old Acquaintance | Warner Bros.


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L’Ennui et sa diversion, l’érotisme, Damiano Damiani (1963)

Le présent nu

Note : 3 sur 5.

L’Ennui et sa diversion, l’érotisme

Titre original : La noia

Année : 1963

Réalisation : Damiano Damiani

Avec : Bette Davis, Horst Buchholz, Catherine Spaak

Le sujet n’est pas inintéressant, mais il semble toujours manquer chez Damiano Damiani un petit quelque chose qu’il lui permettrait de mettre parfaitement en valeur les histoires qu’il adapte. En dehors de quelques musiques diégétiques par exemple, il semble ne pas vouloir, ou ne pas savoir, utiliser la musique pour rehausser la tension dans ses films. Si avec la caméra, il se débrouille, sa direction d’acteurs semble inexistante et son sens dramatique suspect. Dans un drame sexuel et psychologique, voire social, comme ici, sur la durée, Damiano Damiani peine à créer le juste ton et l’harmonie nécessaire à ce qu’une forme de suspense, de curiosité, de réflexion, puisse se faire. Dans la construction d’un récit, et dans la mise en scène, avec les acteurs, à travers les regards ou les silences, il faut arriver à faire peser sur le présent, le moment présent de l’action, dans la situation, le poids du passé (parfois inconnu, caché, mais suggéré) et celui de l’avenir (incertitude sur les relations, conflits futurs, résolution des conflits à travers des compromis ou achèvement d’un but). Quand sur le présent ne pèse jamais ni le passé ni l’avenir, si on attend de chaque séquence qu’elle trouve son propre rythme, sa propre logique, sa propre intensité, le film rame. Et on s’ennuie. C’est exactement ce qui arrive ici.

Si Catherine Spaak s’en sort pas trop mal, c’est à la fois parce que l’insouciance qui définit beaucoup son personnage n’est pas le trait de caractère le plus compliqué à rendre pour une actrice, parce qu’elle a beaucoup de talent, et parce que c’est essentiellement le type de personnage qu’elle incarnait à l’époque. Mais pour ce qui est de l’acteur masculin, sur les épaules de qui doivent reposer tous les conflits intérieurs, les incertitudes morales, les détours psychologiques, sans l’aide d’un grand directeur d’acteurs, ou sans disposer instinctivement des pulsions qui animent le personnage, impossible d’adopter dans chaque situation le ton requis. Je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’aucun acteur puisse jamais arriver à rendre un tel personnage sympathique… Pas convaincu non plus qu’avoir trois acteurs principaux de nationalités différentes aide beaucoup à trouver une cohérence de jeu et une volonté de travailler ensemble…

Dommage que Damiano Damiani ne se soit pas aventuré plus souvent vers des sujets personnels comme pour Les Femmes des autres : adapter les histoires des autres (ici, Alberto Moravia), a fortiori des romans, ça demande un certain savoir-faire, en particulier une certaine audace à s’approprier un sujet, à ne pas le respecter, et au contraire d’un Lattuada par exemple, je doute que Damiano Damiani avait ce sens de l’adaptation ou de la « qualité italienne »


 

L’Ennui et sa diversion, l’érotisme, Damiano Damiani 1963 | Compagnia Cinematografica Champion, Les Films Concordia

La mort frappe trois fois (Dead Ringer), Paul Henreid (1964)

Note : 3.5 sur 5.

La mort frappe trois fois

Titre original : Dead Ringer

Année : 1964

Réalisation : Paul Henreid

Avec : Bette Davis, Karl Malden, Peter Lawford

Belle surprise. Présenté comme un bis, le film l’est sans doute un peu une bonne partie du film “grâce” à la grosse ficelle censée nous empaqueter le morceau d’une traite (en clair, le point de départ du film, celui de voir la jumelle prendre la place de sa sœur, est très vite expédié).

Pourtant, plus on avance dans le film, plus on oublie ce point de départ grotesque. Bette Davis se révèle très sobre dans son interprétation, il faut dire qu’elle est particulièrement bien entourée (Karl Malden, pour ne citer que lui, qu’on pourrait difficilement faire passer pour un acteur de série B). Surtout, les détours par lesquels on va nous faire passer sont très bien menés. L’astuce tient sans doute ici au fait que ces révélations sont liées à des événements passés et aux rapports troubles qu’entretenait la jumelle avec son mari (et avec d’autres). L’arroseur arrosé. L’arrivée dans le dernier tiers du gigolo de service, joué magistralement par Peter Lawford, est une joyeuse boîte de Pandore qui relance parfaitement le film. Les interrogations et choix à la fin auxquels certains personnages doivent faire face n’ont aussi rien à voir avec un film de série B. On reste bien dans la continuité de nombreux thrillers psychologiques des meilleures années de Hollywood.

Je ne répéterai jamais assez combien il n’y a jamais mieux qu’un acteur pour mettre en scène d’autres acteurs. En voilà une nouvelle preuve ici. Paul Henreid, parmi d’autres talents, était acteur, avait tourné notamment dans Casablanca et avait été le partenaire de Bette Davis dans Now, Voyager tourné vingt ans plus tôt. Comme beaucoup d’artistes austro-hongrois de l’entre-deux-guerres, il a travaillé un temps avec Max Reinhardt.


(Je cite Paul Henreid dans mon billet consacré au Hollywood Rush.)



La mort frappe trois fois (Dead Ringer), Paul Henreid 1964 | Warner Bros.

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L’Aventure de minuit, Archie Mayo (1937)

Chut, chute, chère Olivia

Note : 3.5 sur 5.

L’Aventure de minuit

Titre original : It’s Love I’m After

Année : 1937

Réalisation : Archie Mayo

Avec : Leslie Howard, Bette Davis, Olivia de Havilland

Screwball typique de l’époque — dans son écriture. On sent le lien évident avec le vaudeville à la française, avec une constance remarquable toutefois dans la pâte des grands studios hollywoodiens (et qui est un peu, avant même l’application effective du code Hays, la marque de l’âge d’or hollywoodien), c’est ce choix systématique dans le design des demeures riches ou des grands hôtels. La pâte des grands studios, c’est avant tout du joli carton-pâte. Dans un Guitry à la même époque, on sentirait les billes de naphtaline, le vieux parquet en chêne, et on aurait ressorti les vieux accessoires de théâtre à papa. Une fois qu’on a trouvé un filon, on ne le quitte plus (ce n’était d’ailleurs pas encore le cas dans New-York-Miami) : pas d’âge d’or sans pensée industrielle…

Le film aurait été idéal avec Ernst Lubitsch aux commandes, parce que si le scénario et donc l’aspect visuel sont parfaits, le choix des acteurs et leur direction ne sont pas toujours à la hauteur. Certains gags sont particulièrement lourds et redondants, on s’attarde parfois un peu trop sur certaines mimiques qui ne devraient être que des virgules vite oubliées… Plus embarrassant, avec trois acteurs merveilleux, certes pas forcément connus pour avoir excellé dans les comédies, le ton juste, le rythme, et pire que tout dans un genre qui réclame bien plus de rigueur et de savoir faire que le reste…, la sincérité, eh ben, tout ça manque un peu trop souvent à l’appel.

Alors certes, on pardonnerait tout au joli minois d’Olivia de Havilland, et comme elle dort encore à côté, je ne voudrais pas l’achever avec mes commentaires. Surtout qu’à sa première apparition où on la dévoile au balcon (presque nue), j’ai failli m’évanouir. Bette Davis, elle, (petite virgule dans mon extase oliviesque) s’en tire toujours mieux quand elle évite les tunnels et balance ses piques philanthropiques. Ces deux-là, souvent, si elles étaient si convaincantes dans des drames, c’est qu’elles savaient mettre une petite couleur d’ironie dans le jeu. Là, elles pouvaient être sincères (et probablement plus à l’aise, ou simplement mieux dirigées), mais dans une screwball, donc dans du burlesque, où la tentation serait toujours d’en faire trop, ça passe assez mal la rampe. (À remarquer au passage, qu’elles devaient être bien assorties parce qu’elles ont souvent travaillé ensemble, notamment presque trente ans plus tard dans Chut, Chut, chère Charlotte où le comique pointe subtilement son nez grâce aux outrances de l’une et la sincérité feinte de l’autre…)

Ça se gâte pour de bon avec Leslie Howard. L’Anglais fait pâle figure au milieu de ses deux collègues. Et c’est probablement moins ici le souci d’Archie Mayo que de la production Warner (dommage pour le petit Leslie, j’aurais été curieux de le voir dans des films après-guerre mis en scène par Carol Reed ou David Lean, seulement pour la screwball, on ne peut guère compter que sur une dizaine d’acteurs pour assurer le job à l’époque — c’est bien pourquoi le genre a fait long feu et qu’on a raison de parler d’âge d’or ; ceux qui mettent cette période faste au crédit seul d’un savoir-faire presque industriel n’ont rien compris à l’histoire — je sais qu’ils existent, qu’on me les présente, que je leur explique qu’une génération d’acteurs hors du commun, ça ne se commande pas).

La grande difficulté du vaudeville face à des films d’action ou des drames, c’est que si, comme dans tout récit qui se respecte, la situation est ce qui prévaut sur le reste, on retrouvera dans la farce, un peu comme dans la commedia dell’arte, une pause pour souligner ou établir une connivence avec le public. Et là, ça ne pardonne pas. On oublie la situation et l’acteur se retrouve nu, face à ce public qui attend de lui une attitude, une mimique (un lazzi), à son attention : ce n’est alors plus une question d’en faire trop ou pas assez (De Funès en faisait des caisses), mais de ne pas être sincère. Même dans la comédie, on peut tout foutre en l’air si on n’est pas crédible dans cette fraction de seconde où on se livre totalement au regard du public. Dans le drame, c’est beaucoup plus simple : la situation va commander l’émotion, et si la sincérité est importante, elle paraît en tout cas plus évidente, donc un enjeu toujours pris au sérieux par l’acteur et le metteur en scène ; surtout, en en faisant le moins, on peut être sûr de ne pas se tromper, et autour on peut lâcher la machine en cas de naufrage (les violons ou relancer l’action). Dans une farce, il y a toujours cet instant en suspens où ça rigole plus : « Mon bonhomme, l’action s’arrête, les projecteurs sont sur toi, tu as un commentaire à faire ? Oui ? Ah, pas mal, continue ». C’est cruel. Et là, la comédie l’est (cruelle) avec Leslie Howard. Alors oui, la plupart du temps, il est convenable, on sent l’acteur britannique…, et puis plouf, dès qu’il est livré à lui-même et qu’on attend de lui l’attitude qu’il faut, quand il faut, il n’y a plus personne. Et souvent, un acteur perdu se cache derrière quelques petits excès malvenus, comme un petit garçon chopé sur le fait. Les excès, il faut les réserver pour le reste, parce que quand on éteint les lumières et qu’on braque un projecteur sur vous, l’idée c’est au contraire, parfois, d’en faire un peu moins. Pour ne pas se décomposer : ne pas composer. En tout cas, pour être sincère, il faut être à l’aise. La capacité de certains acteurs de comédies, leur humour, il est là, dans la distance et la nonchalance quand tout à coup ils se savent regardés et qu’on ne voit qu’eux, la situation et le personnage étant plongés dans le noir, et qu’ils se laissent regarder. Même dans la farce (surtout dans la farce), il y a un moment où les masques tombent.

Dire qu’Olivia de Havilland survit maintenant depuis 70 ans à son partenaire d’Autant en emporte le vent, si ce n’est pas flippant…

L’Aventure de minuit, Archie Mayo 1937 It’s Love I’m After | Warner Bros